La Fanfarlo

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Samuel a le front pur et noble, les yeux brillants comme des gouttes de café, le nez taquin et railleur, les lèvres impudentes et sensuelles, le menton carré et despote, la chevelure prétentieusement raphaélesque. C’est à la fois un grand fainéant, un ambitieux triste, et un illustre malheureux ; car il n’a guère eu dans sa vie que des moitiés d’idées. Le soleil de la paresse qui resplendit sans cesse au dedans de lui, lui vaporise et lui mange cette moitié de génle dont le ciel l’a doué.

Parmi tous ces demi-grands hommes que ‘ai connus dans cette terrible vie parisienne, Samuel fut, plus que tout autre, l’homme des belles œuvres ratées ; — créature maladive et fantastique, dont la poésie brille bien plus dans sa personne que dans ses œuvres, et qui, vers une heure du matin, entre l’éblouissement d’un feu de charbon de terre et le tic tac d’une horloge, m’est toujours apparu comme le Dieu de l’impuissance, — dieu moderne et hermaphrodite, — impuissance colossale et si énorme qu’elle en est épique !

Comment vous mettre au fait, et vous faire voir bien clair dans cette nature ténébreuse, bariolée de vifs éclairs, — paresseuse et ntreprenante à la fois, féconde en desseins difficiles et en risibles avortements ; — esprit chez qui OF fois, — féconde en desseins difficiles et en risibles avortements ; — esprit chez qui le paradoxe prenait souvent les proportions de la na’lVeté, et dont l’imagination était aussi vaste que la solitude et la paresse absolues ? ?? Un des travers les plus naturels de Samuel était de se considérer comme l’égal de ceux qu’il avait su admirer ; après une lecture passionnée d’un beau livre, sa conclusion involontaire était voilà qui est assez beau pour être de moi ! —et de là à penser : ‘est donc de moi, — il n’y a que l’espace d’un tiret. Dans le monde actuel, ce genre de caractère est plus fréquent qu’on ne le pense ; les rues, les promenades publiques, les estaminets et tous les asiles de la flânerie fourmillent d’êtres de cette espèce. Ils s’identifient si bien avec le nouveau modèle, qu’ils ne sont pas éloignés de croire qu’ils l’ont inventé. ?? Les voil? aujourd’hui déchiffrant péniblement les pages mystiques de Plotin ou de Porphyre ; demain ils admireront comme Crébillon le fils a bien exprimé le côté volage et français de leur caractère. Hier ils s’entretenaient familièrement avec Jérôme Cardan ; les voici maintenant jouant avec Sterne ou se vautrant avec Rabelais dans toutes les goinfreries de l’hyperbole. Ils sont d’ailleurs si heureux dans chacune de leurs métamorphoses, qu’ils n’en veulent pas le moins du monde à tous ces beaux génies de les avoir devancés dans l’estime de la postérité. ?? NaiVe et respectable impudence ! Tel était le pauvre Samuel. Fort honnête homme de naissance et quelque peu gredin par comédien par temp passe-temps, comédien par tempérament, — il jouait pour lui-même et à huis clos d’incomparables tragédies, ou, pour ieux dire, tragi-comédies. Se sentait-il effleuré et chatoulllé par la gaieté, il fallait se le bien constater, et notre homme s’exerçait à rire aux éclats. une larme lui germait-elle dans le coin de l’œil à quelque souvenir, il allait à sa glace se regarder pleurer.

Si quelque fille, dans un accès de jalousie brutale et puérile, lui faisait une égratignure avec une aiguille ou un canif, Samuel se glorifiait en lui-même d’un coup de couteau, et quand il devait quelques misérables vingt mille francs, il s’écriait joyeusement — Quel triste et lamentable sort que celui d’un génie harcelé ar un million de dettes ! D’ailleurs, gardez-vous de croire qu’il fût incapable de connaitre les sentiments vrais, et que la passion ne fit qu’effleurer Charles Baudelaire son épiderme.

Il eût vendu ses chemises pour un homme qu’il connaissait à peine, et qu’à l’inspection du front et de la main il avait institué hier son ami intime. Il apportait dans les choses de l’esprlt et de l’âme la contemplation oisive des natures germaniques, — dans les choses de la passion l’ardeur rapide et volage de sa mère, — et dans la pratique de la vie tous les travers de la vanité française. Il se fût battu en duel pour un auteur ou un artiste mort depuis deux siècles. Comme il avait été dévot avec fureur, il était athée avec passion.

Il était à la fois tous les artistes qu’il avait étudiés et tous les livres qu’il avait passion. Il était à la fois tous les artistes qu’il avait étudiés et tous les livres qu’il avait lus, et cependant, en dépit de cette faculté comédienne, restait profondément original. Il était toujours le doux, le fantasque, le paresseux, le terrible, le savant, l’ignorant, le débraillé, le coquet Samuel Cramer, la romantique Manuela de Monteverde. Il raffolait d’un ami comme d’une femme, aimait une femme comme un camarade.

Il possédait la logique de tous les bons sentiments et la science de toutes les roueries, et néanmoins il n’a jamais réussi à rien, parce qu’il croyait trop à l’impossible. — Quoi d’étonnant ? il était toujours en train de le concevoir. Samuel, un soir, eut l’idée de sortir ; le temps était beau et parfumé. — Il avait, selon son goût naturel pour l’excessif, des habitudes de réclusion et de dissipation également violentes et prolongées, et depuis longtemps il était resté fidèle au logis.

La aresse maternelle, la fainéantise créole qui coulait dans ses veines l’empêchait de souffrir du désordre de sa chambre, de son linge et de ses cheveux encrassés et emmêlés à rexcès. Il se peigna, se lava, sut en quelques minutes retrouver le costume et l’aplomb des gens chez qui Félégance est chose journalière ; puis il ouvrit la fenêtre. — Un jour chaud et doré se précipita dans le cabinet poudreux. Samuel admira comme le printemps était venu vite en quelques jours et sans crier gare.

Un air tiède et imprégné de bonnes odeurs lui ouvrit les narines, — dont une artie étant montée au cerveau, le remplit de rêverie et de désirs, et l’autre lui remua li PAGF s OF une et l’autre lui remua libertinement le cœur, l’estomac et le foie. Il souffla résolument ses deux bougies dont l’une palpitait encore sur un volume de Swedenborg, et l’autre s’éteignait sur un de ces livres honteux dont la lecture n’est profitable qu’aux esprits possédés d’un goût immodéré de la vérité.

Du haut de sa solitude, encombrée de paperasses, pavée de bouquins et peuplée de ses rêves, Samuel apercevait souvent, se promenant dans une allée du Luxembourg, une forme et une igure qu’il avait aimées en province, —à l’âge où l’on aime cramour. — Ses traits, quoique mûris et engraissés par quelques années de pratique, avaient la grâce profonde et décente de l’honnête femme ; au fond de ses yeux brillait encore par intervalles la rêverie humide de la jeune fille.

Elle allait et venait, habituellement escortée par une bonne assez élégante, et dont le visage et la tournure accusaient plutôt la confidente et la demoiselle de compagnie que la domestique. Elle semblait rechercher les endroits abandonnés, et s’asseyait tristement avec des ttitudes de veuve, tenant parfois dans sa main distraite un livre qu’elle ne lisait pas. Samuel l’avait connue aux environs de Lyon, jeune, alerte, folâtre et plus maigre. ? force de la regarder et pour ainsi dire de la reconnaître, il avait retrouvé un à un tous les menus souvenirs qui se rattachaient à elle dans son imagination ; il s’était raconté à lui-même, détail par détail, tout ce jeune roman, qui, depuis, s’était perdu dans les préoccupa 6 OF raconté s’était perdu dans les préoccupations de sa vie et le dédale de ses passlons. Ce soir-là, il la salua, mais avec plus de soin et plus de regards. En passant devant elle, il entendit derriere lui ce lambeau de dialogue : Comment trouvez-vous ce jeune homme, Mariette ?

Mais cela dit avec un ton de voix si distrait, que l’observateur le plus malicieux n’y eût rien trouvé à redire contre la dame. — Mais je le trouve fort bien, madame. — Madame sait que c’est M. Samuel Cramer ? Et sur un ton plus sévère Comment se fait-il que vous sachiez cela, Mariette ? C’est pourquoi le lendemain Samuel eut grand soin de lui rapporter son mouchoir et son livre, qu’il trouva sur un banc, et qu’elle n’avait pas perdus, puisqu’elle était près de là, regardant es moineaux se disputer des miettes, ou ayant l’air de contempler le travail intérieur de la végétation.

Comme il arrive souvent entre deux êtres dont les destinées complices ont élevé l’âme ? égal diapason, — engageant la conversation assez brusquement, — il eut néanmoins le bonheur bizarre de trouver une personne disposée à l’écouter et à lui répondre. — Serais-je assez heureux, madame, pour être encore logé dans un coin de votre souvenir ? Suis-je tellement changé que vous ne pussiez reconnaitre en moi un camarade d’enfance, avec qui vous avez daigné jouer à cache-cache et faire l’école uissonnière ? ?? Une femme, — répondit la dame avec un demi-sourire, n’a pas le droit de reconnaître aussi facilement les gens PAGF 7 OF dame avec un demi-sourire, — n’a pas le droit de reconnaitre aussi facilement les gens ; c’est pourquoi je vous remercie, monsieur, de m’avoir, le premier, offert roccasion de me reporter vers ces beaux et gais souvenirs. — Et puis… chaque année de la vie contient tant d’événements et de pensées… t il me semble vraiment qu’il y a bien des années Années, répliqua Samuel, — qui pour moi ont été tantôt bien lentes, tantôt bien promptes à s’envoler, mais toutes iversement cruelles ! — Et la poésie fit la dame avec un sourire dans les yeux. — Toujours, madame ! répondit Samuel en riant. — Mais que lisiez-vous donc là ? — Un roman de Walter Scott. —Je m’explique maintenant vos fréquentes interruptions. — Oh ! l’ennuyeux écrivain ! — Un poudreux déterreur de chroniques ! n fastidieux amas de descriptions de bric-à-brac, — un tas de vieilles choses et de défroques de tout genre : — des armures, des vaisselles, des meubles, des auberges gothiques et des châteaux de mélodrame, où se promènent quelques mannequins à ressort, vêtus de justaucorps et de pourpoints ariolés ; — types connus, dont nul plagiaire de dix-huit ans ne voudra plus dans dix ans ; des châtelaines impossibles et des amoureux parfaitement dénués d’actualité, — nulle vérité de cœur, nulle philosophie de sentiments !

Quelle différence chez nos bons romanciers français, où la passion et la morale l’emportent toujours sur la description matérielle des objets ! — Qu’importe que la châtelaine porte fraise ou paniers, ou sous-jupe Oudinot, pourvu qu’elle sanglote ou trahisse convenablement ? L’amo ou paniers, ou sous-jupe Oudinot, pourvu qu’elle sanglote ou trahisse convenablement ? L’amoureux vous intéresse-t-il beaucoup plus pour porter dans son gilet un poignard au lieu d’une carte de visite, et un despote en habit noir vous cause-t-il une terreur moins poétique qu’un tyran bardé de buffle et de fer ?

Samuel, comme on le voit, rentrait dans la classe des gens absorbants, — des hommes insupportables et passionnés, chez qui le métier gâte la conversation, et à qui toute occasion est bonne, même une connaissance improvisée au coin d’un arbre ou d’une rue, fût-ce d’un chiffonnier, — pour développer opiniâtrement leurs idées. Il n’y a entre les commis voyageurs, ndustriels errants, les allumeurs d’affaires en commandites et les poètes absorbants, que la différence de la réclame à la prédication ; le vice de ces derniers est tout à fait désintéressé.

Or, la dame lui répliqua simplement , — Mon cher monsieur Samuel, je ne suis que public, c’est assez vous dire que mon âme est innocente. Aussi le plalSlr est-il pour moi la chose du monde la plus facile à trouver. — Mais parlons de vous ; — je m’estimerais heureuse si vous me jugiez digne de lire quelques-unes de vos productions. Mais, madame, comment se fait-il fit la grosse vanité du poète étonné. ?? Le maître de mon cabinet de lecture dit qu’il ne vous connait pas. Et elle sourit doucement comme pour amortir reffet de cette taquinerie fugitive. ?? Madame, dit sentencieusement Samuel, le vrai public du dix-neuvième siècle est les femmes ; votre suffrage me constituera plus grand que vingt PAGF OF vrai public du constituera plus grand que vingt académies. Eh bien, monsieur, je compte sur votre promesse. — Mariette, l’ombrelle et l’écharpe ; on s’impatiente peut-être à la maison. Vous savez que monsieur revient de bonne heure. Elle lui fit un salut gracieusement écourté qui n’avait rien de ompromettant, et dont la familiarité n’excluait pas la dignité.

Samuel ne s’étonna point de retrouver un ancien amour de jeunesse asservi au lien conjugal. Dans l’histoire universelle du sentiment, cela est de rigueur. — Elle s’appelait madame de Cosmelly, et demeurait dans une des rues les plus aristocratiques du faubourg Saint-German. Le lendemain il la trouva, la tête inclinée par une mélancolie gracieuse et presque étudiée, vers les fleurs de la plate-bande, et il lui offrit son volume des Orfraies, recueil de sonnets, comme nous en avons tous fait et tous lu, dans le temps où nous avions e jugement si court et les cheveux si longs.

Samuel était fort curieux de savolr si ses Orfraies avaient charmé l’âme de cette belle mélancolique, et si les cris de ces vilains oiseaux lui avaient parlé en sa faveur ; mais quelques jours après elle lui dit avec une candeur et une honnêteté désespérantes : — Monsieur, je ne suis qu’une femme, et, par conséquent, mon jugement est peu de chose ; mais il me paraît que les tristesses et les amours de messieurs les auteurs ne ressemblent guère aux tristesses et aux amours des autres hommes. Vous adressez des galanteries, fort élégantes sans doute et d’un c