4559 CultureFb

Facebook : La culture ne s’hérite pas elle se conquiert DU MÊME AUTEUR L’homme qui voulait vivre sa vie, Belfond, 1998, rééd. 2005 et 2010 ; Pocket, 1999 Les Désarrois de Ned Allen, Belfond, 1999, rééd. 005 ; Pocket, 2000 La Poursuite du bonheur, Belfond, 2001 ; Pocket, 2003 Rien ne va plus, Belfond, 2002 ; Pocket, 2004 Une relation dangereuse, Belfond, 2003 ; Pocket, 2005 Au pays de Dieu, Belfond, 2004 ; Pocket, 2006 Les Charmes discrets de la vie conjugale, Belfond, 2005 ; Pocket, 2007 La Femme du Ve, Bel Piège nuptial, Belfon Quitter le monde, Bel Au-delà des pyramid Sni* to View 8 , 2011 et instant-là, Belfond, 2011 Pocket, 2013 Combien ? Belfond, 2012 ; Pocket, 2013 DOUGLAS KENNEDY CINQ JOURS Traduit de l’américain par Bernard Cohen À Christine cancéreuse faisait penser à un pissenlit. Il arrive que ce genre de tumeur ait la forme d’une décoration de Noël bon marché, une étoile mal dessinée. Celle-là était plus comme une fleur banale qui aurait été dépouillée de ses pétales mais gardait une apparence têtue, hérissée d’aiguilles. Ce que les radiologues appellent une « masse spiculée Spicule. La première fois que j’ai entendu le mot, j’ai dû consulter un dictionnaire.

Le terme avait une origine zoologique, un spicule étant « un épillet, réunion de deux ou d’un plus grand nombre de fleurs, et plus généralement toute structure ayant la forme d’un épi, d’une pointe d’aiguille, ainsi que les bâtonnets siliceux ou calcaires qui constituent tout ou partie du squelette de certains invertébrés, par exemple les éponges Soit dit en passant, j’ignorais jusqu’alors que les éponges avaient un squelette. Etil existait une définition astronomique, également : un jet de matière dans la chromosphère solaire.

Si cette dernière image m’a tracassée des semaines durant, c’est u’elle me paraissait terriblement adéquate : un cancer spiculé tel que celui que j’avais sous les yeux avait commencé son existence peut-être des dizaines d’années plus tôt, mais sa présence se manifestait seulement depuis qu’il était devenu quelque chose de semblable à une flamme jaillissante qui impose son dangereux éclat et qui, si elle n’est pas repérée et contenue ? temps, ne se contentera plus d’être une simple fulgurance, mais se transformera en une infime supernova jusqu’à ce que, en un ultime déploiement de puissance p se transformera en une infime supernova jusqu’à ce que, en un ultime éploiement de puissance pyrotechnique, elle consume et détruise l’univers qui la contenait. De toute évidence, l’espèce spiculée que j’observais en cet instant était au bord de l’explosion, laquelle ôterait la vie à la personne dont elle avait envahi le poumon de manière aussi insidieuse que radicale. Une horreur de plus dans le catalogue sans fin des moments pénibles qui constituent le principal décor de ma vie entre neuf heures du matin et cinq heures du soir. À cet égard, la journée dont il est question ici battait tous les records : une heure avant que le cancer spiculé n’apparaisse sur mon écran, j’avais eu à réaliser ne scanographie sur une fillette de neuf ans, Jessica Ward.

Son dossier indiquait des migraines ? répétition très douloureuses, et son médecin traitant nous l’avait envoyée dans le but d’écarter des « préoccupations de type neurologique D, un euphémisme pour 1’« éventualité d’une tumeur cérébrale Son père, Chuck, la trentaine fatiguée, des yeux de chien battu et des dents jaunies qui révélaient une addiction sévère au tabac, avait glissé qu’il était soudeur aux chantiers navals de Bath. — La maman de Jessie nous a laissés il y a deux ans, m’a-t-il dit pendant que sa fille passait une louse d’hôpital dans l’un des petits vestiaires attenants à la salle de radiologie. Elle est décédée ? ai_je demandé. JE L’Al VU TOUT DE SUITE. LE CANCER. —Je préférerais. Cette… garcer excusez-moi, elle s’est enfuie avec un type qui travaillait à la pharmacie du Rit Cette… arce, excusez-moi, elle s’est enfuie avec un type qui travaillait à la pharmacie du Rite Aid de Brunswick. Ils vivent dans un mobile home, ou je ne sais quoi, à destin. Au bout de la Floride. Un copain à moi m’a dit qu’on surnomme le coin la Côte d’Azur des ploucs- Les migraines de Jessie ont commencé après que sa mère est partie. Et elle n’est jamais revenue voir sa fille, pas une fois. Et ça prétend être mère ? En revanche, on peut dire qu’elle a de la chance d’avoir un père comme vous, ai-je tenté pour le soulager un peu de la détresse qui suintait par tous les pores de sa peau, et de la panique qu’il essayait de dissimuler. Elle est tout ce que j’ai au monde, madame, a-t-il murmuré. ?? Je m’appelle Laura. Et si jamais on découvre que c’est, comment dire, sérieux… Et, les toubibs, ils envoient pas des petites filles faire des scanners s’ils pensent qu’il y a rien du tout… —Je suis sûre que votre médecin veut seulement écarter toute ?ventualité, lui ai-je assuré en adoptant automatiquement le ton neutre de ma profession. On vous a appris à dire des trucs comme ça, pas vrai ? a-t-il demandé avec cette forme d’agressivité à laquelle j’ai si souvent dû faire face, et qui, en réalité, masque une terrible anxiété. En fait, vous avez raison. Nous sommes formés pour rassurer le plus possible et en dire le moins possible.

Je suis technicienne en imagerie médicale et non radiologue, donc le diagnostlc ne m’appartient pas. Ah, ça y est, vous commencez à employer les mots compliqués… —Je suis la personne qui fait fonctionner st, vous commencez à employer les mots compliqués… Je suis la personne qui fait fonctionner les appareils, qui prend les photos, si vous voulez. Le radiologue est le médecin qui étudie les images et en tlre les conclusions médicales. Bon, et quand je vais pouvoir lui parler, à lui ? « Jamais » aurait été la réponse la plus correcte, puisque le radiologue se tient derrière le rideau ; il analyse les scans, les radios, les IRM ou les échographies, mais ne rencontre que très rarement les patients. ?? Le Dr Harrild se mettra directement en contact avec le médecin traitant de Jessica et je suis ertaine que vous serez très rapidement informé s’il y a un… — Ils vous apprennent aussi à débiter votre laïus comme un robot ? m’a-t-il coupée avant de se rendre compte de ce qu’il venait de dire et de prendre un air contrit : Euh, je dépasse un peu les bornes, non ? — Pas de problème, ai-je répliqué en consen,’ant mon calme. — Voilà, maintenant vous êtes fâchée ! pas du tout. Je mesure à quel point tout cela doit être stressant pour vous. Oui, et vous, vous recommencez à réciter votre baratin réglementaire. Jessica est sortie du vestiaire. Toute son attitude exprimait la timidité, l’inquiétude, la erplexité. — Ça va faire mal ? ‘a-t-elle demandé d’une toute petite voix. — Il va falloir t’injecter une sorte d’encre dans les veines pour que l’on voie ce qui se passe dans ton corps, mais c’est un liquide inoffensif et… une piqûre ? a-t-elle relevé, les traits plissés par la crainte. — Dans le bras, oui, mais tu ne sentiras pratiquement rien. les traits plissés par la crainte. — Promis ? Elle avait beau essayer de se montrer courageuse, c’était encore une enfant. Elle ne comprenait pas vraiment pourquoi elle se trouvait là, ni le sens de ces actes médicaux. — Tu vas te montrer à la hauteur, Jess, d’accord ? st intervenu son père. Et après, on ira acheter la Barbie que tu voulais. ?? Ça me paraît un marché honnête, ai-je approuvé, tout en me demandant si je n’en faisais pas un peu trop dans la décontraction alors que, même après mes seize années de pratique, je continuais à ressentir un malaise en traitant des enfants. À cause de ce que j’étais la première ? voir, et qui, trop souvent, était porteur d’une nouvelle terrifiante. — L’examen va prendre dix ou quinze minutes, pas plus, ai-je dit au père de Jessica. II y a une salle d’attente juste au bout du couloir, avec des revues, une machine à café.. ??Je vais aller dehors un moment. Parce que tu veux fumer, a commenté Jessica. Son père a réprimé un sourire penaud. Ma fille me connaît un peu trop bien. — Je veux pas que mon papa meure du cancer.

Le père a soudain perdu son expression enjouée : il était clair qu’il faisait un énorme effort pour contrôler son émotion. Laissons-le prendre l’alr, ai-je dit à Jessica en la poussant légèrement vers le scanner, puis je me suis retournée vers son père, sur le visage duquel deux larmes venaient de couler : Je sais que c’est dur, mais tant que rien n’est sûr, il vaut mieux… Il s’est contenté de secou l s’est mais tant que rien n’est sûr, il vaut mieux… Il s’est contenté de secouer la tête, puis il s’est dirigé vers la porte en tâtant la poche de sa chemise à la recherche de ses cigarettes. Je me suis tournée vers Jessica, qui s’était immobilisée devant le CT scanner et le fixait de ses yeux agrandis par l’effroi.

Je comprenais ce qu’elle ressentait : c’est un appareil imposant et, oui, assez effrayant, quelque chose qui semble sorti d’un film de science-fiction avec son anneau massif contenant une machinerie complexe, son étroite table mobile qui n’est pas sans faire penser à un ercueil, quoique munie d’un oreiller. J’ai déjà vu bien des adultes paniquer, alors une fillette de neuf ans. — Il faut que j’aille dedans ? a-t-elle demandé en jetant un coup d’œil à la porte comme si elle avait envie de se précipiter hors de la pièce. Ce n’est rien du tout, je t’assure. Tu t’étends sur la couchette qui va rentrer dans cet anneau, c’est la partie qui enregistre les images dont le médecin a besoin pour… pour son travail, et c’est terminé. Et ça fait pas mal ? — Commence par rétendre là. —Je veux papa, vraiment. — Tu seras avec lui dans quelques minutes. Promis ? — Promis.

Elle s’est installée toute seule sur la table. Je me suis approchée, cachant dans ma maln la seringue intraveineuse connectée au tube par lequel allait couler le liquide de contraste. Ne jamais montrer l’aiguille au patient. Jamais. gon, Jessica, je ne vais pas te mentir en te disant que la piqûre est complètement sans disant que la piqûre est complètement sans douleur ; tu auras un tout petit peu mal mais ça ne durera que deux secondes et ce sera finl. — Vous avez promis. Oui. Ensuite tu vas peut être sentir la température de ton corps augmenter pendant quelques minutes. — Mais ce sera pas brûlant ? Non, je t’assure que non. — Je veux papa… ?? Plus vite on aura fini, plus vite tu le retrouveras. Et maintenant, j’aimerais… je voudrais que tu fermes les yeux et que tu penses à quelque chose de merveilleux. Tu as un chien ou un chat que tu aimes à la maison, Jessica ? — Un chien. — Ferme les yeux, s’il te plait. Quel genre de chien ? — Un épagneul. Papa me l’a offert pour mon anniversaire. J’ai passé un peu d’anesthésiant local sur son bras. — L’aiguille est dedans ? — pas encore, non, mais tu ne m’as pas dit le nom de ton chien. — Tuffy. Ah, raconte-moi la plus grosse bêtise que Tuffry a jamais faite. ?? Il a mangé tout un bol de marshmallows. Comment il a pu faire ça ? ?? Papa les avait laissés sur la table de la cuisine, parce qu’il fait toujours griller des marshmallows dans la cheminée à Noël. Et Tuffy est arrivé de je sais pas où et… Jesslca s’est mise à glousser et c’est là que j’ai enfoncé l’aigullle dans sa chair. Elle a laissé échapper un cri bref mais j’ai continué à la faire parler de son toutou pendant que je fixais le cathéter avec de l’adhésif. A rès l’avoir prévenue que je devais quitter la salle un momen lui faisait encore mal. — Pas vraiment, mais je la sens dans mon bras. — C’est normal. Maintenant, je veux que tu restes immobile et que tu respires fort. Garde les yeux fermés et continue à penser à quelque chose d’amusant comme Tuffy et les marshmallows.

Tu feras ça pour moi, Jessica ? Elle a hoché la tête en serrant vigoureusement les paupières. Je suis sortie aussi vite et silencieusement que j’ai pu pour passer dans ce que nous appelons le « local technique une cabine équipée d’une rangée d’ordinateurs, d’une console de contrôle et d’une chaise pivotante. Une fois le patient préparé, je commence la partie la plus délicate de l’examen, celle qui nécessite un phasage d’une grande précision. En tapant les codes nécessaires au démarrage du scanner, je ressens une grande tension. Toujours aussi intense, même après toutes ces années. Tout doit être exécuté à la seconde près.

J’allais maintenant presser un bouton actionnant le système d’injection ? haute presslon qui enverrait dans les veines de Jessica quatre- vingts milligrammes de liquide iodé hydrosoluble ; ensuite, j’aurais moins de cinquante secondes plutôt quarante-deux étant donné la taille de ma patiente – pour lancer l’acquisition par scanner. Il est essentiel de calculer l’instant propice : si le produit de contraste permet une acquisition ‘image complète des os, tissus et organes internes par le tube émetteur circulaire, son court transit vasculaire commence par le cœur avant de se répandre dans les artères pulmonaires et l’aorte puis de se disperser dans tout l’organisme. Il s répandre dans les artères pulmonaires et l’aorte puis de se disperser dans tout l’organisme.

Il suffit de démarrer le scanner un peu avant d’avolr atteint ce qui a été surnommé la « phase de Vénus », la dissémination totale du contraste, pour laisser des zones non définies qui empêcheront le radiologue de procéder à un diagnostic pertinent. Si vous lancez la rotation du tube ?metteur trop tard, au contraire, le contraste se révélera trop important, et c’est ce brévissime laps de temps qui me rend toujours nerveuse, même après les milliers de tomographies que j’ai déj? exécutées. En cas d’erreur, le patient devra recommencer tout le processus douze heures plus tard, au minimum, et le médecin radiologue sera évidemment mécontent. Voilà pourquoi ces secondes décisives sont toujours pour moi un instant de tension et de doute : ai-je tout préparé correctement ?

Ai-je bien évalué le ratio entre le temps de dispersion du liquide iodé et la constitution physique du patient ? Ai-je laissé de la place au hasard ? Dans mon travail, on n’a pas le droit à l’erreur. Parce qu’elle provoquerait un stress supplémentaire chez des êtres qui sont déj? anxieux et vont peut- être devoir pénétrer sur le territoire inconnu d’une maladie potentiellement mortelle. Le fait que le patient allongé sur cette table mobile, ce cercueil, soit un enfant est une épreuve supplémentaire. Si la nouvelle est mauvaise, si les Images qui apparaissent sur l’écran devant moi révèlent une situation dramatique, il faudra que j’encaisse le coup, que je conserve le masque de l’impassibil PAGF ID OF