Mechakra La Grotte Eclatee 1

ID &DYHUQH DOJ«ULHQQH FKH]

En 1962, le colonel Buis devint chef du cabinet militaire de Christian Fouchet, haut- 1 . Les citations ci-dessous du roman La Grotte proviennent de la réédition de Guy Dugas. Pour un perçu des romans algériens d’expression française traitant de la guerre d’Algérie, voir l’article d’Ammaria Lanasri « The War of National Liberation and the Novel in Algeria, » ainsi que celui de Jean Déjeux, intitulé « Romans algériens et guerre de libération. Voir aussi l’article très exhaustif de Benjamin Stora, « La Solitude des incomprises: La Guerre d’Algérie dans les écrits de femmes européennes (1960-2000), » sur récriture des femmes européennes telles que Marie Cardinal, Marie Elbe, Claire Etcherelli, Micheline Susini et Virginie Buisson pour en nommer quelques-unes. 136 nouvelles études francop PAGF 0 Grâce à cette fonction, il prépara l’indépendance de l’Algérie et participa aux négociations de Rocher-Noir. La Grotte est son premier roman (1 961), suivi de La Barque (1 968), Les Fanfares perdues (1975), Un amour à la légère (1988) et Jun Silence à (1991). Les romans de Méchakra et de Buis portent inscrit dans leu it rt re le même élément spatial: la grotte. Les deux récits nous paraissent intéressants dans la mesure où ils mettent en scène le même sujet—la guerre d’Algérie pour les Algériens ou les « évenements » pour les Français —à partir du lieu topographique e la grotte qui est le lieu de la résistance par excellence pour les Algériens en guerre.

Or, nous allons voir que la signification de cet élément spatial n’est pas identique dans les deux récits. De même, les points de vue narratologiques des deux récits sont diamétralement opposés, étant donné que les textes nous donnent une vision « sexuée » de la lutte pour l’indépendance: celle dune femme algérienne pour qui la grotte représente un antre qui se transforme en sépulture cauchemardesque lorsque la grotte explose, puis celle d’un militaire français qui est le protagoniste ‘un récit de témoignage dont il est le héros.

L’action des romans est ancrée dans la même période historique et les romans sont complémentaires dans la mesure où ils racontent le combat des camps opposés. Les deux romans pourraient, certes, être incorporés dans le corpus de la littérature de témoignage étant donné que les deux protagonistes sont directement impliqués dans la uerre de libération. En revanche, le roman de Méchakra qui PAGF 3 0 Méchakra qui nous offre le point de vue des maquisards et des moudjahidines se distingue de celui de Buis par sa littérarité et par son lyrisme.

La Grotte éclatée est un récit poétique écrit sous la forme d’un journal à la première personne par la narratrice, tandis que La Grotte nous révèle le point de vue d’un commandant de l’armée française. 3 Le récit de Buis est rapporté à la troisième personne par un narrateur omniscient dont le point de vue coïncide presque toujours avec celui du protagoniste Enrico, commandant d’infanterie de clnquante-trois ans, mais adopte aussi par moments celui de ses aides, des lieutenants Palissade, Pinceau, Verteuil, Valère et Lauchad.

Ce point de vue est essentiellement masculin car il ne prend n compte que celui de la population masculine ou, comme le roman le pré2. Pour en apprendre plus sur la carrière militaire impressionnante de Buis, lire Georges Buis: Le Combat et l’écriture, la publication d’un colloque en honneur de Buis organisé par Claire BrièreBlanchet, Jacques Lacouture et Pierre Quillet qui réunit des témoignages d’anciens collègues militaires, de journalistes, d’écrivains et d’éditeurs dont Hélène Cixous et Régine Deforges. . La Grotte n’est pas un roman autobiographique et pourtant le roman comporte une touche d’authenticité liée à l’expérience militaire de son auteur en Algérie: « Le colonel Buis, combattant très expérimenté, accompli, distingué et soldat aguerri malgré son apparence d’érudit, commandalt en 1959 un secteur à Hodna dont le terrain sauvage et rude en faisait un repaire idéal de guérilleros. La Grotte est le récit d’une opération militaire qui aurait pu s’y produire. (Talbott 187, ma tr 0 Grotte est le récit d’une opération militaire qui aurait pu s’y produire.  » (Talbott 187, ma traduction) Jones: La Caverne algérienne chez Méchakra et Buis 137 cise, celui des « mâles.  » Les quelques allusions faites aux villageoises les decrivent omme sales ou soumises, voire comme des chiennes, alors que la seule référence faite aux maquisardes les caractérise comme dures à la tâche et dévouées ? la cause de la libération de leur pays.

Le roman de Méchakra est narré par une jeune femme qui remplit le rôle d’infirmière, contrairement au roman de Buis dont le narrateur est omniscient. 4 En revanche, les données topographiques et météorologiques, ? savoir le froid cinglant, les rafales de vent et les chutes de neige qui blanchissent le massif, se retrouvent dans les deux romans et sont vécues difficilement par les protagonistes des deux romans.

La narratrice dans le récit de Méchakra fait preuve d’activisme, contrairement à nombre de récits de guerre libanais, palestiniens et algériens qui perpétuent le mythe selon lequel il y aurait des espaces exclusivement féminins ou masculins: femmes mères et ménagères et hommes guerriers. Dans le récit de Méchakra, la femme, traditionnellement exclue du discours hégémonique de guerre essentiellement masculin, s’exprime et donne sa vision de la guerre. Cependant, il faut concéder que l’activité réelle des infirmières pendant cette guerre était minime.

Selon des statistiques présentées par Diamila Amrane, PAGF s 0 militaires (cité par Lazreg 125). Le récit de Méchakra donne son aval à un nationalisme socialiste qui comprend un activisme féminin tout en perpétuant les liens communautaires et sans pour autant sacrifier la tradition, notamment le mariage et la maternité, contrairement, par exemple, au récit Je t’offrirai une gazelle de Malek Haddad où le personnage féminin, Fadila exige un avortement pour pouvoir poursuivre ses activités de moudjahida.

Comme l’écrit Marnia Lazreg dans The Eloquence of Silence, au sein de son récit, la guerre et le peuple algérien sont tilisés comme métaphores qui signifient les espérances et la désillusion des femmes; il faut souligner que la narratrice critique l’action guerrière des hommes dans le contexte de la lutte contre le colonialisme (202). Dans une certaine mesure, le récit de Méchakra, écrit en 1973 et publié en 1979, est bel et bien un récit féministe, étant donné la rareté de récits féminins à l’époque de la genèse de ce roman.

Cependant, ce féminisme n’est pas pour autant prêt à sacrifier la féminité de la femme, notamment son désir d’enfanter. Dans son ouvrage Sexuality and War ui constitue en somme la base théorique de son roman Coquelicot du massacre à propos de la guerre civile au Liban, la romancière et universitaire libanalse Évelyne Accad établit un lien étroit entre la masculinité et la guerre, constat qui 4.

Comme l’écrit Achour Cheurfi dans son Dictionnaire biographique, Yamina Méchakra est née à Meskiana dans l’Aurès e des études de médecine Chlef et dans un village proche de Meskiana, puis à Alger, Paris et Rome avant de revenir à Alger (102). Méchakra a écrit deux romans: La Grotte éclatée (1979) et Arris (2000). 138 ouvelles études francophones 26. 1 s’applique au roman de Méchakra qui présente l’activité guerrière comme extrêmement violente, déshumanisante et dans son ensemble essentiellement masculine, puisque la narratrice, infirmière du roman, est la seule femme impliquée dans le combat.

Bien qu’on ne puisse conclure que la « jouissance » guerrière et la volonté destructive sont des traits essentiellement masculins, l’usage de technologies de guerre fut à cette époque, du côté français, indéniablement exclusivement masculin, puisque les Françaises n’étaient pas impliquées dans cette guerre ont l’existence fut longtemps niée du côté français qui utilisait l’euphémisme « d’événements. Autrement dlt, les paramètres du phénomène de guerre sont construits dans des termes masculins comme le fait valoir Adam Farrar dans son ouvrage War/Masculinity: Selon [Brian] Easlea, la technologie militaire est masculine. La signification de son insistance sur la technologie militaire est la suivante: cela suggère que le combat, l’instance qui rend légitime la fonction militaire de la société, constitue un cas spécifique de la construction masculine de la rationalité technologique. 7, ma traduction) Le roman de guis illustre la construction d’une masculinité qui donne une PAGF 7 0 pointe, tout en tirant une satisfaction professionnelle et une jouissance physique de cette activité destructrice. Comme l’exprime Enrico, l’activité de la guerre est une activité honorable et un privilège réservé à quelques heureux élus: « Nous sommes des veinards; la guerre est un sport de luxe!  » (586). Par conséquent, le roman de Buis est en premier lieu l’expression masculine de la joie guerrière, récit où les femmes sont quasiment absentes.

Quand elles y apparaissent, elles sont lors présentées comme des paysannes incultes, repoussantes, indésirables et comparables à des animaux: « On les vit sortir du village et prendre la piste, tas de chiffons en marche, gonflés par le vent. Leurs loques étaient si sales, que les couleurs volontiers criardes à l’origine se fondaient dans une uniformité sombre » (518). Sans volonté aucune, elles suivent leurs maris, « comme des chiens » (623). Chez Méchakra, par contre, la féminité s’exprime ? l’intérieur de l’antre de la grotte, ? l’abrl de l’activité guerrière située à l’extérieur.

Cette féminité toute-puissante se anifeste en dépit des contraintes imposées par la guerre, tels le manque d’hygiène, la faim et le froid. Généreuse, elle englobe non seulement le désir sexuel ou l’enfantement au sens strict, mais cette féminité s’étend à une manière d’être spécifique, à savoir une grandeur d’âme et d’esprit qui s’exprime par l’amitié, la solidarité, l’amour du prochain, les sons proférés, le courage et le partage.

La féminité de la narratrice colmate les brèches creusées dans le tissu de la société algérienne par la violence quotidienne et s’efforce de maintenir les liens communautaires t marées, par un PAGF 8 0 iolence quotidienne et s’efforce de maintenir les liens communautaires contre vents et marées, par un engagement pacifiste visant à sauver 139 des vies et à panser les blessures. La masculinité des rebelles se heurte à celle des militaires français impitoyables et déterminés à établir ou à ré- établir leur hégémonie.

Dans ce climat extrême de violence mascullne, la féminité n’est pas de mise: elle est étouffée, rendue invisible, contenue à l’intérieur de la grotte, image de refuge dans une situation historique, certes, mais aussi « symbole de l’enfermement et de la folie au plan individuel » (Kassoul 69). Par contre, les dirigeants rebelles ne peuvent s’empêcher de baigner dans la sphère féminine de l’antre.

En se réfugiant à l’intérieur de la grotte PC [Poste de commandement] pour réfléchir à leur tactique de guerre, ils réussissent à convaincre les militaires français que celle-ci est effectivement d’une importance capitale et qu’il s’agit bel et bien du dernier repaire de résistance rebelle, non pas d’un hôpital ou d’une simple boîte postale, mais de la grotte centrale qui doit être éliminée afin d’assurer la victoire finale.

Alors que l’héroÎne du roman de Méchakra dont le nom patronymique est assé sous silence—donc une parmi tant d’autres héroïnes de guerre—vit, entourée de ses aides, dans une grotte où elle soigne des blessés dans la mesure du possible avec des moyens putant pêle-mêle iambes situe à l’opposé de cet univers romanesque. 5 Le roman de Buis se déroule en 1958, au cours de la quatrième année de la guerre d’Algérie. ? la tête d’un escadron de l’armée française dont l’unique mission est de repérer et de détruire une grotte gigantesque qui abrite la wilaya de la région, Enrico est non seulement épaulé par le capitaine Valère, son adjoint opérationnel et ami, mais il bénéficie urtout d’un dispositif militaire gigantesque qui lui facilite la tâche.

Jeeps, hélicoptères, avions d’observation et d’accompagnement, parachutistes, escadrons, escouades, fantasslns, cavaliers, grimpeurs, hommes-grenouilles, patrouilles, chiens pisteurs et chars qui sillonnent les montagnes, artillerie, baïonnettes, lance-roquettes, traceuses, fumigènes, automitrailleuses, fusils- mitrailleurs, grenades lacrymogènes, supplétifs, sentinelles et bien d’autres moyens sont ? sa disposition lui permettant, à terme, de déterrer la fameuse grotte qul abrite la wilaya.

Les rebelles, de leur côté, n’ont que de simples pistolets, es chevrotines, des fusils de guerre, des fusils de chasse et se considèrent comme chanceux s’ils disposent d’une mitrailleuse, d’une grenade ou d’une arme automatique, 5. Le narrateur de Buis nous donne un bref aperçu de la grotte- infirmerie en soulignant la supériorité intellectuelle des infirmiers: « Les infirmiers sont souvent des rebelles de qualité.

Rarement se rencontrent parmi eux les hors-la-loi de nature, les coupeurs de route nés qui font l’ossature des katibas. Ils sont presque toujours politiquement conscients. Leur spécialité les maintient au contact de la ité de la guerre de hors- paGF