Fanfan

https://fr. scribd. com/doc/209620811 ‘alexandre-jardin-fanfan 06/22/2014 pdf text original Depuis que je suis en âge d’aimer, je rêve de faire la cour à une femme sans jamaiscéder aux appels de mes sens. J’aurais tant voulu rencontrer une et obligé à contenir ontoublié part de fair de mon adolescence, que de basculer hêt- pas• or 112 im’eût à la fois adoré mes de ce siècle fallut donc, au cours oi-même. Plutôt pliquais à distiller le trouble dansleur cœur et les amener dans la passion à petits pas. Je dépensais alors tout mon espritpour les bien courtiser. Peu à peu, retarder mes aveux devint un pli naturel.

Vers seize ans, je ne réussissais amuseler ma concupiscence que pendant quelques semaines ; puis, lorsque j’étais près desuccomber, je prenais généralement mes distances. Mais dans ma dix-huitième année ilm’arriva de me soustraire aux exigences de mes reins pendant presque six mois. Jem’exaltais dans des amours platoniques et me plaisais à donner à mes sentiments un tourséraphique_ Plus une femme parlait à mon imagination, plus je m’astreignais ? mettremes ardeurs comme à la porte de moi-même. Séduire sans fléchir fut ma religion, monsport d’élection, le double verbe qui animait man existence.

Retenir mes élans me procurait tant d’extases que je ne voyais d’épanouissement véritable que dans l’incomplétude, dans une frustration porteuse d’espérance. Je bien-aimée se seraientdirigées l’une vers Pautre sans nous mener dans le même lit. Alors j’aurais été titulaired’une passion perpétuelle. La bizarrerie de mes aspirations et de ma conduite, qui m’apparait à présent, étonneramoins lorsque j’aurai dit de quel homme ma famille est issue. Ce personnage à la destinéeextraordinaire inspire depuis trois siecles à ceux qui ont hérité de son nom de singulierscomportements.

Je m’appelle Alexandre Crusoé. Robinson est mon ancêtre. Le roman tiré de son aventure ne rapporte pas qu’avantd’échouer sur son île il eut de Mary, sa jeune épouse, un fils qui répondait au nom de William Crusoé, garçon par qui passe notre lignée devenue française au XIX siècle ; maiscette information fut soigneusement consignée dans les annales de ma famille, ainsiqu’une quantité danecdotes concernant Robinson qui ne furent jamais livrées au publicet que recèlent les archives détenues par l’un de mes grands oncles -Ce patronyme fut cause de l’ostracisme dans lequel je vécus a scolarité.

Prompts auxrailleries, mes camarades de classe ne pouvaient se résoudre à ce que mon ascendance fûtaussi fabuleuse. Leurs moqueries ne firent qu’aviver ma fierté de posséder quelquesgouttes du sang de Robinson Crusoé dans mes artères. Dès lors je me sentis différent etcomme appelé à vivre loin des normes. Tous les Crusoé entendirent cette voix au fond d’eux-mêmes, à un moment ou à un autre. Je sais que mon père, Pascal Crusoé, et mon grand-père, Jean Crusoé, eurent assezeunes, eux aussi, l’envie d’exister pour dix. ? l’écart des chemins déjà tracés. Mes frèresont également l’intention de dépasser toutes les bornes. Mon enfance fut en tracés. Mes frèresont également l’intention de dépasser toutes les bornes. Mon enfance fut enviée par la plupart de mes camarades. Tous raffolaient des week-ends qui avaient lieu ? Verdelot, un ancien prieuré situé à une centaine de kilomètres deParis. Le nom que nous lui avions donné était celui du village. Mes parents s’y retrouvaient le samedi et le dimanche, apres une semaine de séparation volontaire.

Ils y venaient avec de nombreux « amis » et « amies » qui, au fil des ans, avaient fini arformer une étrange famille. Beaucoup étaient célèbres, presque tous le deviendraient. Là- bas, man père fabriquait dans son atelier des objets follement inutiles. Les adultesracontaient des histoires fascinantes, construisaient des meubles insensés, jouaient aupoker et culslnaient tous ensemble. Les hommes vénéraient ma mère qui était d’une beauté exorbitante et, je le devinais, luttaient pour s’assurer le monopole de sessentiments.

Je subodorais que c’était pour elle qu’ils écrivaient des romans, que certainsmouraient, que d’autres tournaient des films, olaient ou dissipaient des fortunes – et jene force pas le trait , mais je me gardais bien de m’appesantir sur ces intuitions. Je mecontentais de jouir de la trépidation amusante que suscitait cette compétition entrehommes de grande qualité. Mon père subjuguait ce petit monde. Il conduisait son existence comme si chaqueminute devait être la dernière et transformait en fête chacun de ces week-ends. Il nousréveillait souvent, moi et mes amis, au milieu de la nuit pour nous associer à ses farcestéléphoniques.

Sa victime favorite était le ministre de l’intérieur, que nous appelionsrégulièrement sur s aGF3DF112 Sa victime favorite était le ministre de l’intérieur, que nous appelionsrégulièrement sur sa ligne privée à trois heures du matin en nous faisant passer pour sagrand-mère. Mes copains rigolaient. puis, jouant l’inquiet, papa barricadait la maisonpour nous protéger d’éventuelles représailles des forces de l’ordre. Nous remplissions decartouches une vieille Winchester et tirions quelques coups de feu par les fenêtres poursignifier à l’assaillant imaginaire que nous étions armés.

Ma mère surgissait, tançait monpère et nous renvoyait au lit. Cétait la vraie vie. Parfois, l’un e mes camarades me demandait :— Mais… ça marche comment chez toi ? Pierre, c’est qui ? — Pierre c’est Pierre, répondais-je. — Et Jacques ? — Jacques c’est Jacques. — Ah… J’évitais de me poser des questlons et pensais avec satlsfaction que Verdelotrassemblalt des gens formidables puisque mes amis préféraient passer le week-end dansma drôle de famille plutôt que de croupir dans la leur. ]’avais treize ans lorsque mon point de vue s’inversa radicalement.

J’avais préparé unpetit déjeuner et m’étais appliqué à tracer avec de la crème Chantilly un « Bonne Fête desMères » ur une pâtisserie que j’avais réalisée moi-même. Je me dirigeai vers la chambre de ma mère avec le plateau, pour lui faire une surprise. J’ouvris discrètement la porte et m’apprêtai à lancer un joyeux « bonne fête,maman ! » quand j’aperçus un homme étendu sur elle. Ce n’était pas mon père et iln’était pas tombé sur le lit par mégarde. Je vis alors l’envers de Verdelot. J’avais soudain toutes les réponses sans que lesquestions fussent nécessaires.

Depuis ce matin-là, je n’ai cessé de regarder mon sexecomme l’ennemi d 4 12 lesquestions fussent nécessaires. Depuis ce matin-là, je n’ai cessé e regarder mon sexecomme l’ennemi de mon repos. Je ne suis plus retourné à Verdelot que contraint. Les propos que mon père me tint par la suite sur son métier achevèrent de m’écarterde cet endroit. Ne sachant rien faire d’ennuyeux, il était devenu écrivain- scénariste etprétendait nourrir ses écrits des sensations extrêmes que lui procuraient ses aventuresromanesques. Ses maîtresses étaient les femmes qu’il invitait à Verdelot. À quoi jouait-ilavec ma mère ? Je veux l’ignorer.

Sa méthode était sans doute excellente pour exciter sonimagination, mais ses turpitudes m’effrayaient ; t ce sentiment prit une couleur morbidequand j’atteignis quinze ans. Cette année-là, un cancer faillit l’envoyer au cimetière. Ceque je prenals pour du libertlnage devint à mes yeux synonyme de risque mortel. Confusément, il me semblait que ses désordres n’étaient pas étrangers à son mal. Dès ma puberté, je m’efforçai donc de me protéger de mes instincts en apprenant àfaire une cour que j’espérais sans fin aux filles que j’aimais. Mes esprits animauxm’inquiétaient d’autant plus qu’ils étaient véhéments.

J’avais du mal à calmer mon désird’accaparer tout l’amour des emmes. J’étais friand de ces tressaillements quitourmentent la sensibilité dans ces instants où l’on hésite à se livrer, où l’on redouted’être écondult. Lorsque me n’est pas sans j’étais amoureux, je me sentais comme dispensé desinsignifiances qui composent l’essentiel du quotidien. La plupart des filles que je courtisais se lassaient vite de ma retenue. Certainesdoutaient de mon hétérosexualité. D’autres me supposaient impuissant. Pas retenue. Certainesdoutaient de mon hétérosexualité. D’autres me supposaient impuissant.

Pas plus quemoi, elles ne soupçonnaient es causes de la secrète angoisse qui m’étreignait lorsque jeme trouvais en sltuation de franchir le premier pas. Mais je subissais les sens de mon âge et de mon sexe ; parfois je me soumettais donc àleurs exigences. Ces concessions me paniquaient. Terrorisé à l’idée que l’inconstance demes parents ait pu bouturer en mai, j’annonçais invariablement à mes amantes de seizeou dix- sept ans que j’avais l’intention de les mettre à mon nom, de leur faire des petitssous peu et de les claquemurer bientôt dans un logis entouré de palissades. Toutes secarapataient avec une vélocité incroyable.

Cependant, à dix-neuf ans, je rencontrai ? Sciences-po une étudlante en tailleur éprlsed’engagement. Après quelques mois d’une cour méthodique – le temps de constituer dessouvenirs – j’embrassai Laure de Chantebise et résolus de m’ensevelir dans notre amourusqu’à la mort. Cette perspective radieuse comblait ses aspirations de jeune femme. J’étais entré à Sciences-Po après avoir longtemps hésité entre cette voie rassurante etune autre plus hasardeuse : le théâtre. Je rêvais d’écrire des pièces et de les interpréter. Mais j’appréhendais de me lancer dans une aventure artistique. ?? Verdelot, tout le monde écrivait, mettait en scène ou jouait la comédie. Et puis la politique me tentait et j’espérais vaguement dénicher à Sciences-Po une fille sérieuse et charmante qui m’extirperait demon milieu. Laure de Chantebise répondait à mes attentes. Elle était le rameau d’un arbregénéalogique très fourni en frères, sœurs, cousins et autres bourgeo 5 12 le rameau d’un arbregénéalogique très fourni en frères, sœurs, cousins et autres bourgeons. Chez elle ledivorce n’était pas la suite logique du mariage. Quand un Chantebise jurait fidélité àl’égllse, il était sincère.

Son clan ne souriait d’ailleurs pas lorsqu’on évoquait la pérennitéde certaines valeurs. l_aure était enjouée et animée par des désirs simples qui me reposaient : posséder une belle maison et engendrer une grande famille qui ne ressemblât pas à celle de Verdelot. l’écouter, le bonheur tranquille me semblait plein d’attraits. Elle me montrait chaque jourqu’un certain conformisconfort et qu’il est possible de bien vivre enmenant une existence ordinaire et régulière. Je découvrais avec elle que les gens heureuxont une histoire faite de moments exquis et de soirées agréables.

Ses appas et sa tournurede fille habituée à fréquenter les cours de danse classique me grisaient ; et puis, j’aimaissa nature fraîche et son rire contagieux. Une seule chose me chagrinait vraiment : ellesupportait mal de me voir abandonner mon masque de garçon sage et solide. Mesmanifestations de sincérité l’inquiétaient. Nous discutions de tout sauf de nos étatsd’âme. Mais j’étais sûr avec elle d’échapper au déterminisme de mon sang. Qu’elle crût aucouple m’aiderait à y croire davantage et à effacer toute légèreté en moi. pour mieux verrouiller mon nouveau personnage, je devins un apôtre e la fidélité.

Nous nousinstallêmes à paris dans un studio qui jouxtait l’appartement de ma mère et projetâmesde nous enchaîner légalement l’été suivant. Mon père moquait mon goût pour les sentiments indéfectibles et me rappelaitsouvent, avec des regards par lesquels il me nargu ; ’12 des regards par lesquels il me narguait, que j’étais son fils et que jen’échapperais pas aux gènes qu’il m’avait légués. Quand il m’irritait trop, je lui jetais à lafigure qu’il était usé, que j’avais détourné dans mes veines toute la sève de notre famille,tout l’héritage de Robinson Crusoé.

Ma mère etait moins franche ; mais ses remarques ne manquaient pas d’éloquence. Illui arrivait de temps à autre de s’adresser à Laure en faisant précéder la phrase principalede subordonnées telles que « si Alexandre te quitte » ou « si un jour tu trompes Alexandre D, ne mettant le « si que pour ne pas me heurter et en l’articulant avec unenuance qui lui ôtait tout sens conditionnel. En dépit de sa bonne volonté, elle neconcevalt pas qu’une passlon pût se soutenir tout au long d’une existence. Moi si.

Je voulais désespérément croire en l’éternité des ouvements du cœur, au triomphede Yamour sur les atteintes du temps. Il y avait en moi un jeune homme romantique quiaurait souhaité n’éprouver que des sentiments inusables, un jeune homme qui vomissaitles mœurs de ses parents. Voilà pourquoi à dix-neuf ans je m’étais juré de ne jamais regarder qu’une seulefemme. Laure avait su me séduire à ce moment-là. Ce serait donc elle mon épouse,usqu’à ce que mort s’ensuive ; et au diable mes instincts. Je fréquentais à fépoque un petit hôtel de la côte normande tenu par mon mentor,Monsieur Ti, un vieillard insolite.

N’ayant jamais eu d’enfant, Monsieur Tl ‘avait légué à personne ses oreilles dechauve-souris, mais il entendait se continuer par l’esprit en façonnant le mien. À quatre- vingt-un ans il ava 8 12 dechauve-souris, mais il entendait se continuer par l’esprit en façonnant le mien. À quatre- vingt-un ans il avait épousé, quelques années auparavant, une veuve plus âgée que lui. Elle s’appelait Maude Je venais vor ces tourtereaux un week- end sur deux depuis bientôt huit mois, pourme frotter à leur gaieté et apprendre à raisonner. L’un comme l’autre avaient la passiondes idées.

Loin de singer les philosophes, ils mettaient eur intelligence au service du rireen ourdissant des canulars et des surprises où la raison se perdait. Monsieur Ti et Maudequi s’aimaient – je crois qu’elle était encore pour lui une femme étaient persuadés queseuls les fous rires complices retardent le déclin de la passion. lls m’étaient une famille stable, celle que je n’avais pas connue, et je leur étais un fils,celui qu’ils n’auraient jamais en dépit de leurs ardeurs tardives. Arrivé après minuit au volant de la voiture de mon père, un vendredi soir, je trouvail’hôtel assoupi et contournai le bâtiment principal.

La clef, achée sous une tuile, mepermit d’entrer dans la cuisine. Comme à mon habitude, je refermai la porte à double tourderrière moi. Sur la table de la cuisine, une feuille volante laissée par Maude m’informaque la chambre sept était libre. Affamé, j’ouvris le réfrigérateur et commençai à faire unsort à une terrine de canard, lorsqu’un bruit ténu retint mon attention. Le calme de lanuit semblait amplifier ce son minuscule. Je posai mon couteau et me rendis dans le vestibule obscur quand une lucarnes’entrebâilla_ Un cambrioleur frêle et silencieux se faufila par la fenêtre avec agilité. quiet, je me dissimulai derrière le meuble de la réce paGFgDF112 avec agilité. lnquiet, je me dissimulai derrière le meuble de la réception. L’ombre posa un sac à dossur le carrelage et se coula vers la cuisine éclairée. Je m’approchai : l’intrus avait des seins. À regarder cette jeune fille vêtue comme uneauto-stoppeuse, j’éprouvai un frisson semblable à la commotion qui saisit ? l’aspect d’unchef-d’œuvre. La timidité me paralysait. Aucune imperfection ne la gâtait et la lumière luidonnait en ce moment un éclat que je n’avais jamais vu à une autre. Elle partait dix- huit ans.

J’appris plus tard qu’elle en avait vingt. Sa physionomie sedistinguait par une grâce solide, éclatante de vigueur, qui n’existe qu’avec la jeunesse. Elleressemblait à mes rêves mieux que toutes celles qui les avaient suscités. Jamais je n’étaisparvenu à me figurer une fille capable de produire autant de désirs. Mon imaginationn’avait rien à lui prêter qu’elle n’eût déjà. — Qu’est- ce que vous faites là ? lui lançai-je d’une voix mal assurée en m’avançantdans la lumière. — Et vous ? me rétorqua-t-elle. Profitant de ma surprise, elle poursuivit sur un ton accusateur

Vous savez que les clients ne sont pas censés faire des descentes dans la cuisine. — Non mais, qu’est-ce que vous foutez là ? répétai-je en me ressaisissant. — Je suis chez moi, chez ma grand mère. — Mais.. pourquoi êtes-vous passée par la lucarne, comme une voleuse ? — Je fais ça depuis mon enfance. Je passe par l? quand je ne préviens pas que j’arrive. Elle était donc la petite-fille de Maude. — Qui me dit que ce n’est pas vous le cambrioleur ? reprit-elle avec malice. Je lui fis entrevoir que Monsieur Ti était pour moi une manière de père spirituel etque je venais régulièrement PAGF ID 12