One Direction, Union J : comment expliquer le retour des boys band Modifié le 13-10-2012 à 21h29 1 réaction 4458 lu Temps de lecture : 5 minutes par Gabriel Segré Sociologue LE PLUS. Cétait l’hystérie ce jeudi à Paris alors que le groupe One Direction était de passage. Tout ça pour de jeunes chanteurs mignons et lookés. Ça vous rappelle les années 1990 ? C’est pourtant 201 2, où les adolescentes se passionnent pour des groupes de garçons. Décryptage avec Gab conférences à Paris- Édité par Louise Poth p g hénomène ? aitre de mandine Schmitt Les membres du groupe One Direction à Londres, le 7 octobre 01 2 (Rex Features/Sipa) 12 millions d’albums vendus, trois livres, un calendrier, 10 millions de fans sur Facebook, 7 millions de followers sur Twitter : le groupe One Direction fait un tabac auprès des ados et pré-ados. Et les fans ne manquent pas non plus pour Union J ou Little Mix qui connaissent un succès tout aussi fulgurant. Pas de doute, les boys bands sont de retour. Il y a plusieurs explications à ce phénomène. Elles sont, pour l’essentiel cl’ordre économique et soclologlque.
On peut, avec Edgar Morin, voir dans le succès de ces boys bands la marque d’une industrie culturelle qui sait être efficace, a de ‘expérience dans le domaine de la production de célébrités, et applique une recette qui a depuis longtemps fait ses preuves. Les boys bands, comme les stars, sont des marchandises propres aux l’ensemble des étapes de la chaine de production de ces marchandises particulières dans son analyse du star system. Celui-ci, selon les termes du sociologue, rationalise, standardise, élimine, trie, assemble, façonne, enjolive, en un mot starifie.
Le produit manufacturé – ici le quatuor ou le quintet de jeunes éphèbes – subit les derniers essais, est rodé puis lancé sur le marché du disque. On voit aujourd’hui ce travail se faire, via la diffusion des coulisses des émissions de téléréalité (« À la Recherche de la Nouvelle Star », « Star Academy », « Pop Star », ‘X Factor »). Chaque téléspectateur peut assister à la genèse du band ou des artistes et à leur transformation et fabrication, depuis le casting (effectué hier par les talent scouts, aujourd’hui par les casteurs), jusqu’aux modifications de leur apparence (coiffures, vêtements, etc. , de leur voix, de leurs attitudes, puis leur « lancement ». Les jurés de ces émissions, spécialistes, artistes, professionnels du disque, producteurs, effectuent ce travail evant les caméras et l’explicitent. une conjoncture favorable On peut également, avec l’économiste Françoise Bénamou, voir dans ce succès des boys bands, le résultat d’une conjoncture favorable, d’une organisation structurelle de l’industrie culturelle qui favorise le lancement de ces groupes, leur diffusion, leur promotion et leur succès.
La situation d’oligopole et la domination des grands groupes multimédias, les phénomènes de concentration verticale (le contrôle de chaque étape, depuis la production, la diffusion, la promotion, la communication), et horizontale (les dynamiques de convergence, de regroupement ‘activi 2 la communication), et horizontale (les dynamiques de convergence, de regroupement d’activités telles que la télévision, radio, l’édition, la presse, télécommunication, internet…. ), la conjonction des sphères médiatiques, publicitaires et de l’industrie musicale facilitent le lancement de ces groupes et artistes et assurent leur succès.
Concrètement, une émission télévisée promeut et diffuse un artiste et ses chansons. Elle est liée à une maison de disques qui édite les albums de cet artiste, dont la promotion est assurée dans une presse magazine également liée, etc. L’amalgame est grand entre information, promotion, publicité, diffusion d’un contenu musical, information… C’est flagrant dans le cas du groupe One Direction : Simon Cowell est jury dans « X Factor », émission au cours de laquelle les membres de One Direction ont été découverts. IL est directeur du label Syco Music, dans lequel a signé le band.
Il est en outre l’un des coproducteurs de l’émission via son entreprise Syco TV. Par ailleurs, l’émission est sponsorisée par Nokia et One Direction fait régulièrement la promotion de cette marque. e phénomène des boys bands est également servi par le éveloppement de la politique de niches et de segmentations des audiences et des publics, qui sévit dans l’industrie culturelle et médiatique. Les boys band bénéficient de l’existence de l’ensemble de ces programmes et médias utilisés par les pré- ado et à destination des pré-ados : presse magazine, stations de radios, émissions de télévision, sites et blogs internet.
Ils sont collectivement définis comme musique pour adolescents par ces médias et émissions, eux-mêmes identi 3 collectivement définis comme musique pour adolescents par ces médias et émissions, eux-mêmes identifiés comme tels, et argement diffusés et promus par ceux-ci. Une culture propre aux ados : usages et identités A ces explications d’ordre économique, s’ajoutent des raisons sociologiques. Ces jeunes chanteurs sont très proches de leurs publics. Du même âge ou presque, ils partagent avec eux le vocabulaire, les codes vestimentaires, les goûts et les envies.
Cette proximité avec le public et la beauté de ces chanteurs facilitent l’identification des fans, au cœur du succès de ces groupes. Ces boys bands participent d’une culture « adolescente » ou « préadolescente ». Les écouter et les aimer permet l’autonomie is-à-vis des parents, de la culture adulte. Ils favorisent ainsi l’élaboration des identités ado ou pré-ado, qui s’épanouissent, s’affranchissent du monde des adultes et des parents, à un âge où on se crée son univers propre, dans sa chambre, la cour du collège, avec le groupe de pairs, Ce retour des Boys Bands correspond à un besoin des jeunes.
Chaque génération a ses vedettes (depuis les Beatles, Claude François, Roch Voisine, Patrick Bruel ou plus récemment Justin Bieber… ) pour développer des goûts, des pratiques, une culture propres, pour s’émanciper, se distinguer, communier, s’essayer ux sentiments amoureux sans danger, s’initier à l’expression du désir amour et à la sexualité sans passage à l’acte, s’investir dans une passion collective, se constituer une identité individuelle et collective, faire partie d’un groupe.
La sociologue Dominique Pasquier a mis en lumière le renforcement de Padhésion et de la pratiqu 4 renforcement de l’adhésion et de la pratique de consommation par le groupe de pairs, qui valide les choix et préférences de ces jeunes gens. Elle a observé notamment une sorte de « tyrannie de la majorité » adolescente, c’est-à-dire l’obligation faite par le roupe de pairs, d’aimer, écouter, regarder tels artistes ou telles œuvres.
Il faut en effet, pour l’adolescent ou le préado, les avoir vus ou entendus, les connaître, aimer, acheter et posséder (dans sa discothèque ou son lecteur MP3), comme les autres — l’ensemble des pairs — qui en parlent dans la cours de l’école, du collège, etc. Pour ne pas être déconnecté et risquer d’être mis sur la touche, il faut montrer le même enthousiasme, la même passion. Le groupe favorise cela et encourage, renforce ces adhésions et comportements de fans. Comme il disqualifie ceux qui font des autes de goût, se « trompent » de groupes, d’artistes ou d’œuvres, en décalage avec l’univers adolescent.
Les nouvelles formes de promotion (réseaux sociaux) et de consécration (téléréalité) Aujourd’hui, via les réseaux sociaux, qui sont beaucoup utilisés par les jeunes, le succès des boys bands est encore plus rapide, et les communautés de fans se constituent encore plus vite et facilement, renforçant le succès de ces groupes ou artistes. On observe un lien fort entre les sociabilités adolescentes, le recours aux nouvelles technologies et les usages des réseaux sociaux, et e succès de ces groupes musicaux pour adolescents.
La majorité des pairs, via la diffusion – parfo’s instantanée – sur les réseaux sociaux, des commentaires, des goûts et pr S via la diffusion – parfois instantanée – sur les réseaux sociaux, des commentaires, des goûts et préférences, renforce son rôle de prescripteur de goût et de jugements, de conduites et de pratiques. Ajoutons enfin que la télévision, avec ces émissions de téléréalité ou télé-crochet de type « X Factor », peut, non seulement assurer la visibilité, mais aussi contribuer à construire le succès d’un artiste u la célébrité d’anonymes en quelques mois.
Caccès de ces boys bands à la célébrité témoigne de Pefficacité de la télévision à créer, promouvoir et imposer de nouvelles vedettes presque instantanément, ce que montre notamment le sociologue Philippe Leguern. Cimportance prise par les médias et la nouvelle valeur accordée à la visibilité (forme contemporaine de la célébrité, selon la thèse de la sociologue Nathalie Heinich), s’accompagne d’une accélération de l’ensemble du phénomène de notoriété : depuis sa genèse jusqu’à son déclin.
Nathalie Heinich a analysé ce rocessus de mise en visibilité et de construction de la célébrité, et a montré à quel point il s’est accéléré. e boys band One Direction, en offre une illustration spectaculaire. Après tout juste un an d’existence, le groupe a déj réalisé deux disques (le second sort en novembre), une tournée, et participé à diverses publicités. Objet de trois ouvrages, d’un calendrier qui a battu des records de vente, le groupe, inconnu il y a quelques mois, compte aujourd’hui des millions de fans sur Facebook et de followers sur Twitter. Propos recueillis par Amandine Schmitt.