La belle demoiseelle

J’aimerais continuer le fil déjà engagé sur la grande capacité qu’a la langue classique à ouvrir d’autres espaces imaginaires. Depuis longtemps déjà, notre théâtre est confronté à un monde dont le langage s’est « simplifié », à l’image des valeurs dominantes de ce monde, empreintes de rapidité et de violence sous l’influence de l’industrialisation croissante, des cadences de travail qu’une telle industrialisation génère, et, par contrecoup, des modifications dans notre manière de voir, de ressentir le monde que de tels changements ont produits. II n’est pas exagéré de dire que notre maginaire s’est « industrialisé ».

Machinisé, chosifié ou réifié. Bref, que l’homme est devenu second par rapport aux objets qu’il produit. Pour décrire cet état de fait nouveau, le théâtre ne s’en est pas du tout mal ti démontre que le Ian toute sa saveur pour ce déclassement ont Jolie Môme démont 0 Swip next page que Jolie Môme une arme qui garde ation de l’homme, acle Spartacus, rs possible, quand bien même tout est mis en oeuvre pour étouffer cet espoir. Car, dans chacune de ses créations, cette compagnie met en scène et joue avec le langage de manière à transfigurer les situations ‘oppression.

J’ai tenu à saluer le magnifique travail que réalise quotidiennement cette compagnie de théâtre, qui montre que le langage actuel, même s’il est à l’image de notre socié Swige to next page société de consommation, recèle toujours en lui des capacités à retourner la situation à l’avantage des opprimés, à condition évidemment qu’ils veuillent se saisir des outils mis à leur disposition. Mais cela marche avec le langage de nos jours qui offre des signes et des symboles immédiatement repérables, comme autant de clés pour ouvrir les portes de la connaissance ? un autre possible.

Ces repérages sont plus difficilement décelables avec le théâtre classique qui, comme je l’expliquais, est fortement investi sociologiquement par les classes sociales en position de domination qui font de la langue classique un instrument d’auto- justification de leur pouvoir symbolique, et, à fortiori, politique. Pour se faire, la haute bourgeoisie a dépêché ses fonctionnaires dans le domaine de la culture, ses professeurs d’art dramatique, afin d’élaborer un art répondant aux exigences de sa classe.

Le jeu des acteurs y a gagné en précision quasi mécanique, à la manière des principes de production de mécanique informatisée, n y perdant sur le plan de la chaleur humaine. Dès lors que les textes classiques sont portés par des troupes basant leur travail sur la chaleur humaine, plus que sur la technicité, l’effet généré est similaire à celui qui avait lieu aux époques des auteurs dits classiques eux-mêmes : un immense élan d’enthousiasme récompense alors le travail des artistes. Je vais continuer sur le côté de l’ouverture imaginaire généré par le langage classique en lui-même.

Ce dernier est porteur d’émancipation humaine, non seulement sur 0 classique en lui-même. sur le plan « politique » au sens large, presque anthropologique u terme, mais sur le plan du rêve, de la beauté, chose fort importante. En effet, la question de l’esthétique est incontournable. Il ne s’agit pas que d’apparence, mais de fond ontologique. Vous connaissez certainement, comme moi, cette expression : « la beauté sauvera le monde ». Cette expression reflète simplement la vérité. Oui, la beauté sauvera le monde. Parce que la beauté participe à cet équilibre nécessaire ente l’homme et l’univers.

Regardez donc un ciel étoilé, par une nuit sans nuages. Spontanément, vous trouvez cela beau. C’est de cette spontanéité que je souhaite vous entretenir. un auteur omme Platon avait bien raison quand il écrivait que nous venons au monde avec un sens inné de toutes choses. Au fond de nous mêmes nous sentons ce qui est bon. Nous en avons l’intuition. Celle-ci peut s’atrophier sous l’influence de notre adhésion ? des valeurs qui nous détachent des impressions de nos sens, ou qui, au contraire, nous rendent prisonniers de nos sens.

L’environnement culturel de l’humain est donc chose primordiale pour lui. Mais que ce sens du beau soit éveillé, et un sentiment immédiat de libération opère en nous. J’écris cela pour l’avoir ressenti et avoir été témoin que d’autres aussi l’ont ressenti. C’est important. Au théâtre, une large place est laissée aux émotions, aux sentiments, à la manière de travailler ce magnifique outil émotionnel qui est en chacun de nous. pas sentiments, à la manière de travailler ce magnifique outil émotionnel qui est en chacun de nous. pas question de suivre le Diderot du Paradoxe , certes non.

Diderot était un grand philosophe des Lumières, mais pas un dramaturge, Diderot n’est pas Stanislavski. Il ne faut pas se servir du théâtre comme champ de confirmation de ses théories philosophiques. Diderot était simplement allé trop loin dans cette voie. Nous ne lui en iendrons pas rigueur, car il était excellent philosophe et c’est ce qui compte. Car l’acteur n’est pas une machine à jouer qui ne devrait rien ressentir. Mais au fait, si l’erreur de Diderot avait été provoquée chez lui par une intuition qu’il aurait eue du devenir marchand du monde ? Ce n’est qu’une hypothèse.

Il n’empêche, le sens du beau est un rempart à la laideur mécanique de notre monde. La beauté ouvre des horizons inouïs à qui ouvre les yeux sur elle. Le rêve devient alors sensé. Rêver devient construire. Les textes écrits voici 300 ou 400 ans nous font voir le monde sous un jour nouveau. II n’est qu’à voir l’ensemble des oeuvres de Molière. J’avais parlé sur ce blog de Tartuffe, mais l’ensemble de son travail de dramaturge plaide pour un monde meilleur, plus humain. Plus vivant. Les oeuvres de Corneille réhabilitent des valeurs telles que l’héroÉme. Et pourquoi pas ?

Les mots de ces écrivains ont une résonance qui traversent les siècles. Ils sont musicaux, l’antéposition adjectif-verbe, fait ressortir le sens (sémantique) d’une manière particulière : le spectateur-audlteur-lecteur est respecté dans 4 0 (sémantique) d’une manière particulière : le spectateur-audlteur- ecteur est respecté dans son intimité. Rien ne lui est imposé. Quand on prend l’habitude de répéter les textes de Molière, on se surprend de parler, surtout de penser avec le langage des personnages de Molière. Plus dune fois Je me suis dit « Et la raison 7′ au lieu de : « Pourquoi ? Il est donc question dans le premier cas d’un appel à ma raison, tandis que dans le second cas, la question est posée brutalement, si rapide que les sentiments et les émotions attenantes à ladite question seraient presque bloqués, au sens d’inhibés. Le phrasé, oui, vous lisez bien, le phrasé, établit un changement radical dans ma anière de formuler une question sur un sujet quotidien qui me concerne, permettant une distanciation réflexive sur ce sujet, m’amenant à plus de discernement, de calme dans la résolution du problème posé.

A méditer. Je vous livre donc une expérience personnelle liée à l’usage de la langue des auteurs classiques dans la VIe quotidienne. Que se passe-t-il ? Quand je me dis, par exemple Non point  » ou ‘Non pas », je m’oblige en quelque sorte à une distanciation par rapport à une situation donnée, au cours de laquelle je m’offre le temps de mieux juger de ladite situation, même si cela ne prend qu’un quart de seconde, tout n recentrant le problème ainsi posé de manière plus claire.

Distanciation et recentrage. Oui, tels sont les services que peut rendre la langue classique. Les tournures de phrase font appel ? la partie la plus noble de nous-mêmes. Car il s’agit classique. Les tournures de phrase font appel à la partie la plus noble de nous-mêmes. Car il s’agit d’un langage mettant en scène des personnages nobles ou de condition sociale élevée. Ainsi, le regard que nous portons sur nous s’en trouve- t-il modifié. Allons plus loin.

Si quelqu’un, habitué à un langage ordurier autour de lui, donc, par voie de conséquence, habitué ? l’utilisation quotidienne, pour lui-même, d’un tel langage, se met à tomber amoureux de Molière ou Corneille, il en résultera une plus grande estime de la langue française et cette personne aura tendance à se valoriser. Donc à mieux respecter les autres. Le fait, quoi qu’encore trop rare, hélas, a déjà été observé. Il est donc important de mettre à la disposition du grand nombre les oeuvres de Molière, Corneille, Racine, Marivaux, Hugo, etc…

Cela se fait déjà par la voie scolaire et c’est bien ainsi. Mais pour ce qui est du théâtre, dans sa dimension spectaculaire, du théâtre joué pour un public, cela manque encore. La primauté est accordée ? des créations. Cest bien aussi. Mais la magie du langage classique peine parfois à se frayer un chemin parmi un public qui en aurait grand besoin et s’en trouve écarté. Les pauvres s’écartent d’eux- mêmes d’un type d’art qu’ils considèrent comme trop éloigné deux et de leurs préoccupations. C’est bien dommage.

Tous, quelle que soit leur classe sociale, tendent à privilégier les sujets plutôt d’intérêt immédiat. Molière ne faisait pas comme ça. Il transfigurait le réel, sans l’asservir au réalisme. II avait une conception 6 0 conception plus noble de la vie que les auteurs réalistes, qui ejoignent, peut-être sans en avoir toujours conscience, certaines oeuvres de mauvais goût qui avaient cours à la fin de l’empire romain. Le réalisme est à manier avec précaution. Ne Jamais oublier que le « réel » est toujours recréé sur une scène. Et qu’il est souvent décevant au quotidien.

La publicité induisant une course sans fin à toujours plus de consommation, les tensions, palpables, dans bien des lieux de travail, dues ou aggravées par la fameuse crise économique (qui recouvre l’ensemble des « crises » sous-jacentes à toute relation ou absence de relation désirée entre être humains : « Et si ça continue, je vais piquer ne crise l », etc… ), pousse à projeter dans le réel, toujours plus de désirs. Et le langage est bien malmené dans cette odyssée. Les mots utilisés pour « dire ses désirs » témoignent bien souvent d’une pauvreté effarante.

Entre les bribes de pub, de séries TV, de verlan employé pour des raisons plus ou moins claires de « rébellion », et surtout beaucoup d’auto-censure, le langage se voit réduit à sa plus simple expression, à vocation essentiellement utilisatrice avec une sorte de culte voué aux expressions techniques, presque toujours prises hors contexte, mais dont la fonction est psychologiquement rassurante : employer un erme dérivé d’un langage technique revenant à démontrer à son interlocuteur(trice) une supposée « maîtrise » dudit réel, bref, ? s’auto-octroyer un label de « compétence ».

Et interlocuteur{trice) une supposée « maitrise » dudit réel, bref, à s’auto-octroyer un label de « compétence ». Et l’estime de soi est reléguée à une affaire de « spécialistes » des questions psychologiques, voire de management. Ou encore de « gestion du stress », ce qui rejoint la logique managériale. Bref, peu de simplicité dans un monde de brutes civilisées. Or, si Molière revenait en ce monde, il y a fort à parier qu’il se rirait de tout ela.

De ces managers, imbus de leurs compétences, super- stressés, capables de réunir sans rire des collègues pour dresser des « bilans ». On peut bien dresser des bilans de tout ce que l’on voudra, après tout. Bref, de bilan de compétence en bilan de compétence, le travailleur adopte à son insu des valeurs qui lui font du tort, désservant ses intérêts. Molière, je pense, mettrait un coup de balai magistral dans tout cela. Cet esprit de sérieux, que fustigeait Sartre, et qui s’en donne à coeur joie, infectant l’ensemble des relations humaines au travail et hors travail.

Molière se moquerait de cet esprit de sérieux. Car les temps sont revenus à la critique des caractères. Que oui ! Mais rien qu’à jouer des pièces qu’il a écrites depuis plus de trois cents ans, on peut déjà déjouer des maladies de l’âme. Je ne me permettrait qu’une suggestion : Et si nous relisions ensemble Le Malade imaginaire ? puis, pourquoi pas, L’Amour médecin, suivi de Dom Juan ou du Bourgeois gentilhomme ? Sans oublier Le Misanthrope, bien sûr…

Nous y apprendrions ou redécouvririons que la bécasse est bridée et vous av B0 y apprendrions ou redécouvririons que la bécasse est ridée et vous avez voulu faire un jeu qui demeure une vérité.  » Ou encore : « C’est pour moi que je lui donne ce médecin et une fille de bon naturel doit être ravie d’épouser ce qui est utile à la santé de son père.  » Ou bien : ‘Parbleu ! Je ne vois pas, lorsque je m’examine, où prendre aucun sujet d’avoir l’âme chagrine… J’ai du bien, je suis jeune et sors d’une maison qui se peut dire noble avec quelque raison. Ou bien . « Madame, ce m’est une gloire bien grande de me voir assez fortuné pour être si heureux que d’avoir le bonheur que vous avez eu la bonté de m’accorder la râce de me faire l’honneur de m’honorer de la faveur de votre présence ; et si j’avais aussi le mérite pour mériter un mérite comme le vôtre, et que le Ciel… envieux de mon bien… m’eût accordé… l’avantage de me voir digne… des…  » Tout est là. Reste la manière dont ces choses sont jouées devant le public.

Je dis qu’il faut les jouer avec pureté, avec simplicité, en laissant la porte ouverte aux émotions intenses dont sont porteurs de tels personnages. Nous en reparlerons. Pureté, simplicité… Oui, pour laisser place à l’expression du vécu émotionnel des personnages. Et netteté dans la diction. Diction impeccable. C’est-à-dire diction sans péché de bafouillage, d’inaudibilité. Une diction sans péché est un élément essentiel pour dire un ressenti. Pour rendre publique une intériorité.

De l? naît la grâce. Mais cette diction doit sentir la vie ! La faire passer. Une diction parfaite ? L’adjectif « pa grâce. Mais cette diction doit sentir la vie ! La faire passer. Une diction parfaite ? L’adjectif « parfaite » m’effraie. Il recèle comme une froideur de coeur. Or, le coeur de l’artiste qui interprète un rôle doit être bouillant d’ardeur. Pas de cette ardeur étudiée, alculée, que l’on voit trop souvent et qui éloigne le peuple de l’art théâtral. Non, pas cela ! Mais une ardeur du moment.

Oui, pas comme un feu de paille mais comme une irruption de quelque chose que l’acteur(trice) ne savait pas avant que cela n’arrive sur scène, le jour du spectacle. J’insiste sur le principe qu’au théâtre, l’acteur doit travailler sans filet. Amateur ou professionnel, peu importe. L’acteur doit travailler en prenant des risques. En inventant, sur place, sans jamais l’avoir répété, des gestes, des expressions, des tons, bref, des trouvailles du moment, qui seront réalisées sur l’effet d’une impulsion. La spontanéité est la clé de ce que je nommais « pureté » et « simplicité ».

Cette spontanéité, par contre, ne s’ouvre que si elle a été préparée, en répétitions, en séances de travail spécifiques, par des exercices appropriés. Cela va de soi. Vous voyez qu’il faut donc beaucoup de travail pour monter sur scène. Une telle perspective, si elle a de quoi effrayer, doit être expérimentée pour que l’on se rende compte que non seulement elle n’est pas effrayante, mais qu’elle est nécessaire à tout travail artistique digne de ce nom pour qui souhaite devenir comédien. 0 0