GÉRER DES ÉQUIPES VIRTUELLES INTERNATIONALES : UNE QUESTION DE PROXIMITÉ ET DE TECHNOLOGIES Héléna Karjalainen et Richard Soparnot HEC Montréal Gestion 2010/2 – Vol. 35 pages 10 à 20 ISSN 0701-0028 Article disponible en ligne à l’adresse: Sni* to View Pour citer cet article . -Karjalainen Héléna et Soparnot Richard, « Gérer des équipes virtuelles internationales : une question de proximité de technologies Gestion, 2010/2 vol. 35, p. 10-20. DOI : 10. 91 7/riges. 352. OOlO Distribution électronique Cairn. info pour HEC Montréal. @ HEC Montréal. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n’est autorisée que dans les limites des 28/02/2015 15h38. C HEC Montréal Document téléchargé depuis www. cairn. info – HEC Montréal – – 132. 211. 1. 50 – 28/02/2015 15h38. @ HEC Montréal http://www. cairn. info/revue-gestion-2010-2-page-l O. tm GErer Les Équipes virtuelles internationales L’émergence des équipes virtuelles internationales dans les organisations change l’environnement du travail et impose de nouveaux défis aux cadres et aux dirigeants. Elle entraine un fonctionnement plus complexe des équipes en raison de la ispersion géographique et temporelle des employés et du multiculturalisme de leurs membres. Ces changements appellent de nouveaux modes de management d’équipes. Dans un environnement international de travail virtuel, la proximité traditionnelle du dirigeant auprès de ses coéquipiers évolue vers un management à distance.
Dans ces circonstances, comment celui-ci gère-t-il des membres de l’équipe géographiquement et culturellement éloignés les uns des autres, qui en outre se connaissent peu et doivent travailler ensemble pour produire des résultats? Comment le dirigeant pan’ient-il ? établir la confiance propice à la coopération au sein des équipes virtuelles internationales? Les auteurs 132. 211. 1*50 – 28/02/2015 15h38. @ HEC Montréal 3 des coûts, de l’efficience, de la créativité, de la performance, etc.
En pratique, toutefois, la gestion de telles équipes à distance fait face à certains obstacles. Dans un premier temps, cet article vise à discuter des trois grands défis – les trois C – liés à la gestion des équipes virtuelles internationales, soit la communication, la confiance et la compréhension interculturelle. Dans un deuxième temps, ous analysons deux équipes virtuelles internationales au sein d’une société qui sont gérées avec des styles de management fort différents, soit le management de proximité et le management à distance.
Cela permettra de comparer ces styles de management et leurs effets sur le fonctionnement et refficaclté des équipes. Dans un troisième temps, nous insistons sur cinq conditions de succès clés pour améliorer la confiance au sein des équipes virtuelles internationales : constituer des équipes virtuelles, faire circuler l’information à travers les technologies de l’information et de la communication (TIC), éviter e management fondé uniquement sur les TIC, privilégier le management de proximité et exercer un suivi des résultats des équipes.
Déjà en 1995, Handy constatait en ces termes le dilemme de gestion qu’engendrent les équipes virtuelles : comment peut-on superviser les personnes qu’on ne voit guère? Nous souhaitons contribuer à cette réflexion en tentant de mieux comprendre comment le dirigeant peut établir la confiance nécessaire au fonctionnement des équipes virtuelles inter nationales. Pour ce faire, nous avons étudié deux équipes Héléna Karjalainen est professeure de management interculturel ? l’École de Management de Normandie, h. arjalainen@em-normandie. fr. Richard Soparnot est professeur de management stratégique au Groupe ESCEM, rsoparnot@escem ESCEM, rsoparnot@escem. fr. 10 Gestion • volume 35 / numéro 2 Été 2010 une question de proximité et de technologies virtuelles d’une entreprise internationale spécialisée dans l’infor mation et la communication qui sont gérées de manières très différentes. munication en face à face, comme des réunions de travail ou des séminaires de regroupement 2.
Celle-ci permet évidemment de diffuser l’information, de favoriser l’interactivité, de oordonner le travail mais également de promouvolr un esprit d’équipe, d’apprendre à se connaître et de créer la cohésion du groupe. Certaines études (Favier et Coat, 2002) ont ainsi montré que l’absence d’une communication formelle et informelle dense au sein des équipes virtuelles internationales (pour des raisons notamment d’équipements hétérogènes et de style de management) provoquait chez leurs membres de l’insatisfaction, du stress et un sentiment d’isolement.
Ces derniers ont en effet Pimpression de «courir après les informations» et de ne pas posséder autant d’informations que eurs collègues. Dans la première partie de cet article, nous examinons les défis liés à la gestion des é ui es virtuelles internationales. Dans la deuxième partie, ns deux équipes virtuelles PAGF 3 recommandations visant à favoriser l’établissement de la confiance dans les équipes virtuelles internationales. Document téléchargé depuis www. cairn. nfo – HEC Montréal – Dans les équipes virtuelles internationales, les membres bénéficient d’une autonomie telle que le contrôle des personnes et des processus de travail s’avère très difficile. De même, ‘absence de contacts sociaux, c’est-à-dire d’occasions d’ajus tement mutuel, fait obstacle à la coordinatlon des individus – comme à la coopération – utile à l’exécution de leur mission. Il résulte de ces deux facteurs la nécessité de construire des relations de confiance fortes entre les membres.
Dans ce contexte d’incertitude et d’ambiguité, ils doivent établir une proximité psychologique (Brunelle, 2009), pouvoir compter les uns sur les autres (confiance horizontale) et se fier à leur dirigeant (confiance verticale), tout comme ce dernier doit pouvoir se fier à eux. La confiance correspond ainsi à une sorte de clment social, un actif relationnel qui se définit comme « la présomption qu’en situation d’incertitude, l’autre partie va agir, y compris face à des circonstances imprévues, en fonction de règles de comportements que nous trouvons accep tables» (Bidault et Jarillo, 1995).
Finalement, faire confiance, c’est se rendre vulnérable à autrui. Si la confiance est fondamentale, car elle génère la coopération nécessaire à la réalisation d’une mission collective, elle est difficile à construire les individus sont liés prlncpalement au moyen des techno ogies de l’information et de la communication (TIC), et les échanges informels et les interactions sociales sont presque inexistants.
Or, comme le souligne Handy (1995; traduction libre), «la confiance exige le PAGF s 3 presque libre), «la confiance exige le contact » : l’absence de liens sociaux réguliers, d’interactions répétées, d’antériorité relationnelle et parfois même d’avenir relationnel nuit ? l’établissement de la confiance. Dans ces conditions, la confiance se bâtit à travers les interactions à distance et les mises ? l’épreuve du travail réalisé par chacun.
Elle découle donc de la fiabilité professionnelle des membres, qui elle-même est liée à leur i ndépendance, à leur maturité professionnelle et à leur expertise (Favier et Coat, 2002). Toutefois, la confiance nécessite également une communication en face à face Oarvenpà? et Leidner, 199g; Kirkman et al. , 2004). L’organisation du travail basée sur la création d’équipes virtuelles internationales procure des avantages non négligeables à l’entreprise.
Par exemple, elle permet le développement international tout en se rapprochant des clients et en méliorant la réactivité de la firme, elle optimise les compétences au niveau mondial (Dumoulin, 2000) et amène les individus ? exercer leur sens des responsabilités, à faire preuve d’initiative et à manifester leur autonomie et leur liberté au travail. Pourtant, ce type d’organisation n’est pas exempt de difficultés, qui sont autant de défis que la gestion doit relever. ? partir de l’analyse d’études menées antérieurement 1, nous avons relevé trois défis majeurs, lesquels sont relatifs à la communication, à la confiance et à la compréhension interculturelle. communication Le défi de la communication s’explique tout d’abord par la dispersion géographique engendrée par une organisation virtuelle internationale. En effet, compte tenu des distances spatiotemporelles, les discussions informelles et les interactions social 6 3 tenu des distances sociales classiques (comme les échanges informels pendant la pause café ou dans les couloirs) sont quasiment inexistantes.
Les membres de l’équipe doivent pourtant savoir qui fait quoi, avec qui, comment et pour quand, et ce, pour l’efficacité de l’équipe et Fobtention de résultats concrets qui marquent le terme du processus. De ce fait, une équipe virtuelle exige plus d’information formelle et de communication qu’une équipe traditionnelle (Kezsbom, 2000). Et cela se traduit par l’existence d’un système de communication permettant d’assurer des interactions continues entre les acteurs du groupe (Favier, 2005).
Des moyens de télécommunications plus ou moins sophistiqués sont mis en place à cet effet (messagerie instantanée, courrier électronique, plateforme de travail, vidéoconférence, système de réunion électronique, système de communication mobile et outils de réalité virtuelle) ls rassemblent un maximum de personnes dans le monde en un minimum de temps et permettent d’échanger les informations et de coordonner le travail entre les membres de l’équipe.
Pour autant, la communication à distance n’empêche pas de prévoir des situations proplces à la com- Gestion • volume 35 / numéro 2 • Été 2010 compréhension interculturelle Les équipes virtuelles internationales se caractérisent par un multiculturalisme lié à l’existence et à la juxtaposition de plusieurs cultures nationales au sein dune même entité (D’Iribarne, 1989, 1991,’ Pesqueux, 2004). Cette singularité, bien qu’elle soit une source d’avantages non négligeables, 132. 211. 1. 0 – 28/02/2015 15h38. O HEC Montréal PAGF 7 3 confiance Gérer des équipes virtuelles internationales : relever les défis des trois C un personnel multiculturel qui compte plus de 15 000 personnes disséminées dans une centaine de pays et qui travaillent quotidiennement en 19 langues. comme l’enrichissement des personnes, l’intercompréhension ou l’apprentissage individuel, engendre une difficulté de gestion importante, celle «de faire travailler ensemble des ersonnes de cultures différentes» (Chevrier, 2000).
Et si cette difficulté provient des stéréotypes et des préjugés que font naitre les interactions entre des personnes de cultures différentes, elle peut provoquer des conflits se traduisant par une dégradation des performances de l’équipe (Killing, 1983; Shenkar et Zeira, 1992). Lipiansky (1999) constate à cet égard Dans cette étude, l’attention se porte sur deux équipes virtuelles permanentes représentant une catégorie de métier • les vendeurs commerciaux (voir l’encadré 1). Les vendeurs commerciaux se divisent en deux catégories.
La première catégorie se compose de généralistes de la vente, tandis que la seconde comprend des vendeurs spécialisés dans certains domaines de transactions comme la gestion des risques, la trésorerie, les fonds d’investissement ou la Bourse. «[… l ce qui pose problème dans les relations interculturelles [… l, ce sont les préjugés. Au fond, les gens (jeunes et adultes) ont certains stéréot es sur la culture et les personnes étrangères; ce ntraînent souvent ils peuvent avoir une perception «réaliste», non déformée, de l’autre; par là même sont dissipées les ifficultés de compréhension entre peuples. À propos de l’étude Notre étude porte sur deux équipes virtuelles permanentes représentant une catégorie de métier – les vendeurs commer ciaux – au sein de la société d’information et de communi cation Prométhée (nom fictif). Dans les deux équipes, les membres travaillent de façon autonome à la réalisation de leur mission de commercialisation. Afin de mieux comprendre comment on peut gérer ces équipes et faire face aux enjeux critiques des «trois C », nous avons conduit des investigations dans deux equipes virtuelles d’une entreprise internationale.
La première équipe virtuelle s’étend sur huit pays d’Europe. Cette équipe, composée de vendeurs spécialisés en gestion des risques (risk management), est supervisée par un directeur commercial au siège de la firme à Luxembourg. Ce dernier pla nifie et coordonne le travall d’une vingtaine de personnes de sept nationalités différentes. i Études de cas La seconde équipe virtuelle s’étend également sur toute l’Europe. Elle comprend une quarantaine de commerciaux spé cialisés en marketing.
Ce groupe relève d’un directeur basé ? Paris. Prométhée (nom fictif) est une société d’information et de ommunication. Elle est run des principaux prestataires mondiaux d’informations financières et de solutions technolo giques auprès des médias, des institutions financières, des entreprises et des person reprise a été sélectionnée PAGF 33 Londres remonte au XIXe siècle). Prométhée compte aujourd’hui près de 200 bureaux dans le monde répartis dans 130 pays.
Elle emploie Une trentaine d’entretiens individuels d’une durée de 30 minu tes à 1 heure ont été réalisés auprès de dirigeants des équipes virtuelles, de leurs coéquipiers et de trois directeurs des res ources humaines internationaux dans trois pays différents représentant 10 nationalités. L’analyse des données qualitatives a ensuite été menée avec la méthodologie des cas intersites (Miles et Huberman, 2003 : 307-518). 12 Document téléchargé depuis www. cairn. info – HEC Montréal 132. 211. I . 50 – 28/02/2015 15h38. HEC Montréal Le défi de la compréhension interculturelle consiste donc à dépasser ces préjugés et stéréotypes et à prendre conscience de la diversité des contextes d’interprétation des situations (Jârvenpââ et Leidner, 1 ggg; Chevrier, 2000). Davison (1 994; raduction libre) constate dans ses travaux que, «afin de créer un maximum d’efficacité et de performance, les dirigeants de ces types d’équipes ont besoin de grandes capacités de management d’équipe et de compréhension des différences culturelles».
De même, d’après Mead (2002), les dirigeants d’équipes interculturelles doivent comprendre la nature de la culture et son influence sur le comportement sur les lieux de travail, apprendre à connaitre des cultures différentes et ? reconnaître les différences entre les cultures ainsi que la manière dont elles influe ures oreanisationnelles,