FINAL JP 1 1

Pierre-Marie ACQUAVIVA Alexis DESMARRES EXISTE-T-IL UN DROIT ACQUIS A UNE JURISPRUDENCE FIGÉE ? Master 2 Droit privé f Séminaire Théorie gé ra Sni* to View une jurisprudence figée c’est, déjà, remettre en question la stabilité de la jurisprudence. La formulation interrogative insinue le doute sur la rigidité de la jurisprudence. Si l’on entend la jurisprudence comme l’ensemble des décisions de justlce, la pluralité des juges rendant ces décisions empêcherait de penser qu’il y a une stabilité de la jurisp udence car de la diversité nait des différences de point de vue, des contradictions.

Au contraire, si l’on entend la jurisprudence comme la solution habituelle à un problème juridique donnée, elle semble alors une source du droit figée. En effet, les juristes ont un esprit consen’ateur qui n’incite pas au changement. A ce moment là la jurisprudence en se figeant deviendrait rigide. Cette rlgidlté, empêcherait l’innovation jurisprudentielle comme si celle-ci était un droit acquis qui deviendrait immuable. Cette conception n’est pas sans rappeler le système des précédents qui est en vigueur dans les pays du common law et qui oblige les Cours à juger comme une autre

Cour Ira fait avant elle. Cependant, la continuité des décisions ne signifie pas l’immutabilité. C’est maintenant que la phrase de Portalis prend toute son importance, l’immutabilité serait la mort du droit en ne se renouvelant pas le droit, et spécialement la jurisprudence perdrait sa raison d’être. Toujours selon Portalis « la jurisprudence est le législateur du cas particulier » c’est à-dire que le juge doit adapter la loi aux circonstances concrètes auxquelles il doit faire face ; il va créer du droit.

Par une étrange alchimie les décisions de justice qui sont des normes individuelles, concrètes t catégorique OF étrange alchimie les décisions de justice qui sont des normes individuelles, concrètes et catégorique vont devenir une règle de droit, générale abstraite et hypothétique. Cette règle de droit complète l’actlon du législateur qui ne peut pas tout prévoir. Le juge à l’avantage que confronter aux réalités sociales il adapte le droit et ceci plus rapidement que ne le ferait le législateur.

La règle de droit qu’il crée pourra entraîner des situations juridiques nouvelles qui devront être stables car tout système juridique aspire à une prévisibilité des solutions. Or, on sait que la jurisprudence est mouvante ce qui s’exprime clairement dans les revirements de jurisprudence. Ces revirements, en substituant ? une solution ancienne une nouvelle solution vont entrainer des perturbations dans les situations juridiques existantes et remettre en cause les anticipations légitimes qu’avaient pu avoir les justiciables.

De ce fait, un revirement serait contraire à la sécurité juridique notion en vogue dans les juridictions. L’intérêt de ce sujet est de trouver l’équilibre, s’il en est, entre la mutabilité ou l’immobilisme de la jurisprudence ; de résoudre a tension existante entre l’impératif de sécurité juridique et la nécessaire adaptation du droit aux réalités économiques. Il s’agit alors de se demander si la jurisprudence a un intérêt à toujours juger les problèmes qui lui sont posés de la même mamere.

De cette interrogation découle logiquement une première vision qui sera la mutabilité de la jurisprudence (I) à laquelle répondra une tentative de fixité de la jurisprudence (Il) l- La mutabilité de la jurisprudence La pr tentative de fixité de la jurisprudence (Il) La précarité naturelle de la règle jurisprudentielle (A) permet ‘existence de revirements jurisprudentiels aux caracteres contestables (B) A) La précarité naturelle de la règle jurisprudentielle En droit français, la jurisprudence n’est FORMELLEMENT investie d’aucune compétence ni d’aucune fonction légale pour créer le droit.

Selon la Constltution française, c’est au pouvolr législatif qu’appartient le pouvoir de créer des règles de droit, c’est à dire des règles de droits générales, impersonnelles, obligatoires et coercitives dans les limites de l’article 34 de la Constitution. L’article 5 du Code civil interdit les « arrêts de èglement II est ainsi défendu aux juges de statuer par voie de dispositions générales et règlementaires sur les causes qui leur sont soumises.

Le juge français applique une règle de droit préexistante (loi ou coutume) mais il ne la crée pas. La tâche du juge consiste à faire entrer des cas particuliers dans le cadre d’une règle générale. pour cela, le juge doit adapter la règle aux cas particuliers et il doit aussi l’interpréter. Mais s’il y a adaptation et interprétation, il n’y a pas création. Sans doute l’article 4 du Code civil fait-il aux juges obligation de juger, même s’il n ya pas de loi ou si la loi st obscure.

Par conséquent, s’il devait y avoir création du droit par le juge, elle ne pourrait apparaitre qu’en l’absence de règle préexistante et surtout une telle création exceptionnelle d’une règle par le juge n’aurait aucune valeur obligatoire à ravenir. L’autorité de la d’une règle par le juge n’aurait aucune valeur obligatoire à l’avenir. L’autorité de la décision judiciaire est donc relative. Elle n’existe qu’entre les seules parties au procès et à l’égard du juge dans le litige qui a opposé les parties.

Seules les parties au procès sont tenues de respecter la décision, car ce n’est que contre elles que ette décision pourra être exécutée. 2 La relativité de la chose jugée signifie aussi que la décision judiciaire n’a de valeur obligatoire que dans le procès à l’occasion duquel elle a été rendue ; elle ne saurait s’imposer à ravenir pour des affaires semblables qui seraient jugées soit par la même juridiction, soit par d’autres jurldictions.

Il n’existe pas, comme dans les pays anglo-saxons, de règle du « PRECEDANT JUDICIAIRE »3. Par ailleurs, la Cour de Cassation elle même n’entend que ses décisions représente une source du droit lorsqu’elle affirme qu’il ‘y a pas « un droit acquis à une jurisprudence figée 4 Par conséquent tout notre droit est orienté à l’encontre d’une jurisprudence source du droit. l_Jne telle position peut paraître en réalité absolue et fictive ; on doit considérer que la jurisprudence est une source du droit et non des moindres.

En effet si l’on entend la notion de source en son sens MATÉRIEL, la jurisprudence est indéniablement une source du droit puisqu’elle est devenue un auxiliaire du législateur. Trois fonctions lui sont attribuées l’interprétation proprement dite, la suppléance et l’adaptation de la loi. La jurisprudence devient dans cette ision, un phénomène majeur de la vie juridique : elle est le droit positif, c’est à dire la règle de droi PAGF s OF phénomène majeur de la vie juridique : elle est le droit positif, c’est à dire la règle de droit telle qu’elle s’applique dans la réalité concrète.

La valeur et les caractères de la règle jurisprudentielle dépendent de l’autorité des juridictions qui la créée. Elle ne peut être le fruit de n’importe quelle décision de justice, rendue dans n’importe quelles conditions. A l’évidence, pour qu’il soit possible d’affirmer que telle question est réglée de telle manière par les uges — dministratifs ou judiciaires — il faut à tout le moins, que la solution invoquée bénéficie du support d’une décision dotée d’une particulière autorité.

Les particularités de l’organisation juridictionnelle française conduisent à privilégier, de ce point de vue, les arrêts du Conseil d’Etat, pour le droit public, et ceux de la Cour de cassation, pour le droit privé, ces juridictions ayant le pouvoir d’imposer aux autres juges de leur ordre une interprétation déterminée par la règle de droits. Seuls présentent un intérêt les arrêts qui tranchent une question ‘interprétation d’une règle donnée, et qui, par leur formulation, prennent la forme d’un arrêt de principe.

Il faut rechercher dans la décision elle-même si la juridiction a affirmé, expressément ou implicitement, un principe de droit qu’elle déclarait faire sien. Encore, le plus souvent, il ne suffit pas que la Cour de cassation, ou le Conseil d’État, ait rendu un arrêt exprimant telle ou telle compréhension de la règle de droit. II ny a, à proprement parler jurisprudence fixée que s’il est possible d’observer, au fil des décisions concernant une même sorte d’affaires, une répétition, I ossible d’observer, au fil des décisions concernant une même sorte d’affaires, une répétition, la permanence, d’un principe de solution.

Toutefois, cette exigence de répétition ne peut être posée en absolu : il est certain qu’un arrêt rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation peut à lui seul faire jurisprudence. Encore faut il pour cela que Parrêt affirme un principe clair. Cela étant, le particularisme de la jurisprudence vient du fait que l’autorité du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation si forte qu’elle soit, n’enlève pas aux juges du fond la liberté de leur nterprétation. Cette résistance possible des juges du fond est souvent à l’origine de revirement.

On désigne par là le fait qu’après avoir admis tel principe de solution, les juges, à l’occasion d’un nouveau procès, décident de l’abandonner pour un principe nouveau et différent. De tel revirement marquent la précarité naturelle de la jurisprudence. Aussi bien fixée soit-elle, l’interprétation jurisprudentielle peut à tout moment être renversée ou modifiée. Rien, dans la loi, ne s’oppose à de telles variations. Tout au contraire, la loi interdit aux juges de se lier pour l’avenir par les écisions qu’ils rendent.

Ainsi si l’on admet le rôle créateur de la jurisprudence, il est évident qu’on doit en tirer les conséquences quand à son application dans le temps. B) Le caractère contestable des revirements de jurisprudence L’expression la plus aboutie du caractère mouvant de la jurisprudence est son revirement. En effet, si la jurisprudence est l’ensemble des décisions concernant une matière donnée le revirement sera le chanee PAGF 7 OF l’ensemble des décisions concernant une matière donnée le revirement sera le changement de la solution ancienne au profit d’une nouvelle.

Le trouble que cette volte face apporte à la sécurité juridique ou à la prévisibilité du droit affaiblit sans doute la confiance que les justiciables peuvent placer dans le droit jurisprudentiel. pour certains cela a un avantage, « le revirement démasque l’artifice de la présomption de vérité attachée à la chose jugée : vérité hier, erreur aujourd’hui6 La jurisprudence n’est plus l’interprétation d’une loi, dont le sens est immuable, mais une source distincte du droit car versatile.

Si la jurisprudence est l’habitude de juger une question d’une certaine façon cette continuité ne signifie pas que la haute uridiction doive rester immuable dans ses positions. Les revirements de jurisprudence sont nécessaires car « l’évolution du monde change le poids relatif des arguments qui fondent la solution »7. Il est question de changement, d’incertitude, parce que la situation normale est supposée caractérisée par le maintien de solutions constantes et par la certitude et la prévisibilité qui en résultent8.

Indispensable à la vie du droit, le revirement de jurisprudence n’en est pas moins « un acte grave qui ne se justifie que dans le cas d’impérieuse nécessité »9 car il est lui-même source de erturbations. A la recherche constante d’un juste équilibre entre la nécessaire stabilité du droit et son adaptation indispensable aux réalités sociales, la haute juridiction ne procède à des revirements de jurisprudence qu’à intervalles souvent éloignés et après mûres réflexions.

Mais, en dépit, de ce 8 OF Mais, en dépit, de cette vision idéaliste du revirement de jurisprudence, fruit d’une réflexion aboutie, il existe des revirements d’opportunité. un revirement est dit d’opportunité ou dhumeur quand il est commandé non par des raisons juridiques, mais par un motif ragmatique, tel que la volonté de réduire l’engorgement de la cour ou de provoquer l’intervention du législateur. Ce phénomène est, heureusement, peu courant néanmoins an pourrait citer l’arrêt Desmares10 en matière de responsabilité du fait des choses.

L’impatience de la cour de cassation face au retard prlS dans la réforme des accidents de la circulation, à inciter le législateur à accélérer son travail, en aggravant la responsabilité de l’auteur du dommage. Une fois la réforme mise en place par la loi du 5 juillet 1985 la cour a opéré un revirementl 1 . Cette méthode est choquante car elle sacrifie l’intérêt d’un plaideur au profit du progrès du droit. C’est ce que, Philippe Malaurie, a nommé « la politique du pire »12. Cela fait supporter au sujet de droit les frais de l’expérimentation juridique.

Voilà ce qui choque, car en plus d’être un instrument du juge pour lutter contre le législateur, les revirements de jurisprudence ont un effet rétroactif et c’est là leur principal inconvénient. Ils sont certes nécessaires, car ils permettent d’adapter les solutions jurisprudentielles à la révolution des arguments. Ils ont également nécessaires car ils traduisent la vie du droit et de la controverse. Mais ils sont dangereux car ils modifient dans le passé des millions de situations, alo PAGF OF controverse.

Mais ils sont dangereux car ils modifient dans le passé des millions de situations, alors même que leurs auteurs avaient fidèlement respecté les solutions ou prescriptions alors en vigueur. Christian Mouly parle de « Plnsoutenable rétroactivité » des revirements de jurisprudence13. D’autant plus insoutenable que ce caractère rétroactif est repris par la jurisprudence de la cour de justice de l’union européenne14. Comme le disait Pierre Hébraudl 5 la jurisprudence est bien une source du droit mais une source d’une nature différente de celle de la loi ; la jurisprudence puise sa force dans la mission même du juge.

Lorsqu’elle confère un certain sens à une règle, la jurisprudence fait corps avec celle-ci ; de ce fait la règle est censée avoir toujours eu cette signification ; plus que rétroactive la jurisprudence est déclarative comme le furent les lois interprétatives. Le caractère déclaratif de la jurisprudence c’est selon Battifol « la curieuse revanche de la subordination du pouvoir judiciaire u pouvoir législatif : en interprétant la loi, il dit un droit qui vaut pour le passé comme pour l’avenir »16.

Ces variations de qualification ne changent rien à la façon dont le phénomène est ressenti par les intéressés. L’impact du revirement de jurisprudence, est toujours d’une violence inattendue : celui qui a agi croyait le faire conformément au droit ; voilà qu’on lui oppose brutalement qu’il a méconnu une règle franche, même si elle s’est révélée plus tard. Ce qui permet de s’interroger sur le caractère équitable des solutions à venir notamment en ce qui concerne les responsabilités des profession