Expos

L’actualisation des normes et catégories étatiques : le traitement bureaucratique de la misère Pour contribuer à l’analyse des processus par lesquels l’action publique contribue à diffuser des principes de perception du monde social et à encadrer les pratiques qui peuvent légitimement s’y accomplir, la confrontation directe des populations dites « marginales » ou « à problèmes » auxquelles sont destinées des aides sociales aux agents et institutions qui, procédant à leur octroi, actualisent les normes et catégories étatiques associées à ces aides, nous est apparue comme un ngle d’observation particulièrement pertinent.

Le versement d’allocations et aides repose en effet sur u sur des définitions hl légitimées par l’État ( vie, etc. ). Il implique ns or2S Sni* to View ques sociaux » eux-mêmes fondés ent situées et es âges de la correspondre la définition des situations des demandeurs ces catégories préétablies. L’octroi de ces aides conduit donc à opérer en pratique l’imposition de ces critères formés par et pour l’action publique dans la définition légitime des situations individuelles.

Et c’est là un enjeu d’autant plus fort que les agents sociaux oncernés sont plus démunis économiquement, culturellement, symboliquement, et partant plus dépendants des aides qui leur sont consenties. C’est dans cette perspective qu’on a été amené à orienter nos travaux vers le traitement bureaucratique de la misère, au cours duquel se réalise cette confrontation entre populations démunies et normes étatiques. On l’abordera de deux ma Swlpe to vlew next page manières. Il s’agira tout d’abord de montrer comment se joue l’inculcation de ces normes dans le rapport quotidien avec l’administration.

On explorera ensuite les modalités et les enjeux es dispositifs de surveillance et de sanction dont le travail de « mise aux normes » bureaucratiques est l’occasion, à partir d’une recherche en cours sur le contrôle et la lutte contre la fraude aux prestations sociales. Relation administrative et traitement de la misère De nombreux travaux de sciences sociales ont récemment entrepris d’analyser le fonctionnement « quotidien » des administrations et leurs relations avec le « public ».

Ce regain d’intérêt pour une approche « par le bas » s’explique sans doute pour partie par les évolutions propres à la recherche en sciences ociales : valorisation des enquêtes de terrain qualitatives, influence de courants d’analyse dits microsociologiques tels que l’interactionnisme ou l’ethnométhodologie, etc. Dans le cas français, ce changement de perspective doit sans doute plus encore aux affinités qui relient ce type d’approche aux transformations récentes de l’action publique et de ses représentations légitimes.

La décentralisation appellerait ainsi davantage d’analyses « de terrain La « responsabilisation » des agents publics et leur engagement dans des dispositifs qui modifient leur rapport au travail (comme les « projets de service ?) rendraient plus nécessaire qu’auparavant une attention aux « personnes Le développement d’une action publique « négociée », « contractuelle exigerait de se pencher sur les modalités d’application des règles, devenues plus problématiques.

La relation administrative ouvre à une sociologie de la pauvreté, si l’on entend par là non pas une condition d OF administrative ouvre à une sociologie de la pauvreté, si l’on entend par là non pas une condition définie en elle-même mais plutôt, le produit de la relation d’assistance.

On a ainsi tenté de montrer comment des situations et problèmes indlviduels étaient raduits dans les termes des catégories officielles, et d’éclairer les modalités pratiques et les conditions sociales de cette mise en ordre administrative du social. Après avoir rappelé les principes d’analyse qui ont guidé notre démarche (1) ce sont ces questions — plus que l’ensemble des résultats de cette recherche ? proprement parler — qu’on présentera dans les pages qui suivent 1.

Pour une sociologie du rapport à l’administration Deux soucis méthodologiques ont animé cette recherche : celui de restituer les relations à double sens qu’entretiennent « l’ordre es interactions » et celui des déterminations sociales et des structures institutionnelles ; celui de rendre compte des rapports de domination dans toute leur complexité, en tenant compte de leurs dimensions équivoques et des éléments qui peuvent y échapper.

Mais avant de développer ces deux points, et pour mieux en faire apparaitre la portée à propos de la question qui nous occupe ici, on voudrait proposer une rapide mise en perspective des différentes manières de construire les relations administratives comme objet d’attention institutionnelle et d’investigation sociologique Les relations de guichet : du problème social à l’objet sociologique Le guichet est sans doute ce qui incarne le mieux le modèle traditionnel de l’administration et des rapports qu’elle entretient avec le public.

Comme l’écrit Jacques Chevallier, « le guichet représente l’illustration parfaite et la plus évocatrice [d’un] m Chevallier, « le guichet représente l’illustration parfaite et la plus évocatrice [d’un] mode de relations distancié et autoritaire : placé en position de quémandeur ou de solliciteur, l’administré est soums au bon vouloir du fonctionnaire, sans espérer pouvoir ranchir la barrière matérielle qui isole physiquement, mais aussi symboliquement, celui-ci du public Ce caractère symbolique à maints égards du guichet et des relations qui s’y déroulent explique qu’ils aient fait l’objet d’une attention politique et institutionnelle bien avant de devenir un objet d’observation pour les chercheurs en sciences sociales. Au moins dans le cas français, l’ « accueil des usagers » compte ainsi au nombre des problèmes construits et traités dans les programmes dits de « réforme » puls de « modernisation » (de l’État, de l’administration, du service public, selon les périodes). Il ne s’agit pas ici d’analyser les conditions d’émergence de l’accueil dans les administrations comme enjeu politique et institutionnel, ni de rendre compte de l’ensemble plus vaste des politiques institutionnelles de communication par lesquelles sont censées dopérer les transformations du rapport à l’usager.

II nous faut en revanche attirer rattention sur ce que ces multiples investissements politiques et institutionnels caractéristiques de la période récente produisent sur notre objet Ces investissements affectent tout d’abord les pratiques des protagonistes des relations de guichet : revalorisation des agents ‘accueil par l’intérêt nouveau dont ils bénéficient ; exigences supplémentaires ou ironie des usagers du fait des annonces d’un accueil « modernisé Ensuite et surtout, la construction politico- bureaucratique du rapport à l’administration peut modernisé D. Ensuite et surtout, la construction politico- bureaucratique du rapport à l’administration peut faire obstacle à la compréhension de ce qui se joue effectivement dans les relatlons de guichet.

Ainsi, le fait que « la relation avec le public soit devenue un point de passage obligé pour tout discours modernisateur » ajouté à la fréquente intégration des recherches u sein des programmes de modernisation des administrations présente le risque d’imposer la problématique « modernisatrice » des institutions aux travaux des chercheurs. Force est de constater que tel est fréquemment le cas. Or Pangle de la « modernisation » ne rend à l’évidence que partiellement compte, et de manière en partie biaisée, du rapport à l’administration. Cette proximité problématique, à tous les sens du terme, des travaux de recherche aux programmes institutionnels se marque dans le vocabulaire. Les catégories les plus fréquemment usitées ‘ « usager Y, de « client » ou de « citoyen » ne sont en effet pas plus universelles qu’exemptes de dimension normative.

Tous ces mots piégés par les connotations que leur associent leurs usages sociaux sont, explicitement ou non, porteurs d’une théorie unifiante du rapport à l’administration, et aucun d’entre eux ne peut rendre compte de la diversité des pratiques, des situations et des enjeux qui constituent ce rapport : ces notions officielles « font référence à un individu générique au service de fonctions génériques pour reprendre la formulation de Louis Pinto. C’est ans l’entre-deux-guerres que la notion d’usager supplante celles d’administré ou d’assujetti, tout comme la notion de service public s’impose à celle, concurrente, de puissance publique. Le terme d’usager, utilisé en dr PAGF s OF s’impose à celle, concurrente, de puissance publique.

Le terme d’usager, utilisé en droit administratif dès les années 1920 et d’un usage courant vers 1930, apparaît ainsi au confluent d’une tendance du droit administratif de la Ille République, de l’économie sociale et de la pensée socialiste de la fin du XIXe siècle. Y sont associés tous les mythes (comme celui de «l’égalité evant le service public ») de la conception traditionnelle du service public. La notion d’usager est elle-même concurrencée, depuis la fin des années 1970, par celle de client. Ce terme, dans ses usages américains, n’a pas la connotation mercantile qu’il revêt en français. En France, il est d’abord utilisé dans l’univers de la gestion puis, comme au Québec, brandi comme emblème des politiques néo-libérales d’alignement des servlces publics sur les logiques de l’entreprise privée.

Comme c’est le cas plus généralement de ces politiques néolibérales en Europe, ette transformation de l’ « usager » en « client » est en partie inspirée par la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher et relayée par des organismes comme l’OCDE. En dehors même des prescriptions qu’elle implique quant aux pratiques des agents de l’administration, la notion de client fait obstacle à l’analyse en ce qu’elle entretient la fiction d’un consommateur libre de ses choix et celle d’un rapport à l’administration égalltaire et exempt de contrainte. Ce rapport est enfin de plus en plus souvent pensé en termes de citoyenneté, ce qui ne va pas non plus sans quelques ambiguités.

La thématique de la citoyenneté renvoie bien à un problème : celui du rapport de l’individu au collectif auquel il est censé appartenir et du statut qu’il y occupe. Cette thématique est bien en phase avec l’acc censé appartenir et du statut qu’il y occupe. Cette thématique est bien en phase avec raccueil, comme traitement sinon individualisé au moins individué du rapport à la collectivité. Dans le contexte particulier du système politlco-administratif américain, la « rencontre bureaucratique » (bureaucratic encounter) a ainsi pu être analysée comme une forme de rapport au politique, au ême titre que les rencontres avec des élus, ou comme l’une des plus fréquentes expressions de la citoyenneté, avec le paiement des impôts et le vote.

Pour Steven Peterson, par exemple, la rencontre bureaucratique est une importante forme de la participation politique des « gens ordinaires pour lesquels la vie politique consiste davantage à utiliser des programmes publics, et en partlculier sociaux, ou à rentrer en contact avec des agents de l’administration qu’à se déplacer pour aller voter. Michael Lipsky quant à lui, à partir d’une définition plus large et plus sociologique e la citoyenneté, met en évidence la place qu’y occupent les rencontres avec les agents de base de l’administration publique, en socialisant les individus à ce que les sen,’ices publics attendent d’eux, en leur assignant une place dans la communauté politique ou encore en déterminant ceux sur lesquels s’appliquent les sanctions ou services de l’État. Rien n’interdit donc de parler de citoyenneté à propos du rapport à radministration, à condition de l’utiliser comme concept utile à la description de pratiques et non comme horizon idéal.

Or c’est le plus souvent de cette seconde anière que le terme est employé en France à ce propos. Les discours institutionnels qui s’y réfèrent opèrent un déplacement sur le terrain de l’abstraction politique qui tend à ennoblir les 7 OF réfèrent opèrent un déplacement sur le terrain de l’abstraction politique qui tend à ennoblir les pratiques administratives plus qu’à les analyser. Associant le rapport à l’administration aux valeurs positives de l’adhésion volontaire et de l’autonomie, ces discours ont finalement des finalités et des vertus plus prescriptives que descriptives. Quittons maintenant le terrain es problématisations politico-institutionnelles pour celui de l’analyse sociologique du rapport à l’administration.

De la socio- économie des « relations de service » dépassant les seules relations administratives à l’analyse « par le bas des politiques publiques intégrant la confrontation entre agents et usages du service public au-delà du seul guichet en passant par l’étude des politiques administratives, les perspectives sont variées. Des recueils de textes et des revues de littérature américaine, européenne et française permettent de se repérer dans ces travaux d’orientations fort diverses qu’on ne peut toutes résenter. En ce qui concerne les travaux français sur les relations de guichet, l’une des principales tendances qui se dégage est celle de la microsociologie interactionniste.

Des travaux, inspirés notamment de l’analyse goffmanienne ( d’Erging GOFFMAN) des relations de service restituant renchaînement séquentiel de leurs différentes logiques (CIVile, technique, contractuelle) ont utilement mis l’accent sur l’implicite de l’échange, sur les images du service public qui s’y construisent, et sur les logiques contradictoires qui s’y déploient, de celle du contrôle à celle du commerce. Les problèmes posés par ce type d’approche sont ceux, plus généraux, d’un interactionnisme radical, réduisant le social ? l’agrégation d’effets inte 8 OF l’agrégation d’effets interactionnels. L’étude des relations de guichet tend alors souvent à s’épuiser dans la description des interactions de face-à-face, en les autonomisant des autres rapports sociaux dans lesquels elles s’inscrivent (organisation institutionnelle, positions et trajectoires des interactants, effets de l’issue des échanges, etc. ).

Le rapport à l’administration risque ainsi de se voir réduit à la dimension d’un échange langagier, dont es tenants et aboutissants, ainsi que les logiques spécifiques, tendent à disparaître derrière la sophistication de l’analyse linguistique. En outre, si la catégorie générique de « relation de service » a pu avoir des vertus critiques en rapprochant des métiers socialement très distincts, du médecin au garagiste, pour reprendre les exemples de Goffman , elle présente l’inconvénient symétrique de masquer les spécificités du rapport aux services publics, rejoignant en fin de compte le « discours managérial » qui tend à assimiler ce rapport à un échange commercial. 2.

Catégorisation et identification bureaucratiques L’observation des interactions administratives avait en effet entre autres buts celui de rendre compte de la manière dont s’opère l’imposition des catégories de pensée constitutive de la « violence symbolique de l’État Cette identification par catégorisation impose à des individus la manière dont ils doivent voir leur propre vie. Elle leur assigne une place, même si ce n’est pas celle qu’ils souhaitent ou revendiquent. Elle est parfois effectivement violente, comme lorsqu’elle consiste à imposer à des individus un statut qu’ils récusent. De plus, ces catégories ne sont pas seulement les rubriq PAGF q OF des individus un statut qu’ils récusent. De plus, ces catégories ne sont pas seulement les rubriques d’une nomenclature administrative ; elles sont aussi des catégories de jugement.

Leur application conforte dans leur position ceux qui correspondent aux normes en vigueur une famille stable par exemple ,mais s’apparente à une stigmatisation pour ceux qui s’en éloignent. Il faut toutefois se garder d’une lecture univoque de l’identification bureaucratique. Celle-ci ne se réduit pas ? l’imposition de schèmes de perceptions subie passivement par ‘administré. De plus, elle procure des bénéfices : « La traduction des vies hétérogènes en catégories homogènes est aussi la condition pour que sa parole [de l’assuré] soit entendue lorsqu’il entend « faire reconnaître ses droits » Bénéfices matériels, mais aussi parfois symboliques : l’administré peut retirer des gains d’identification individuelle et collective non négligeables de la relation administrative.

Catégorisation et identification bureaucratiques ne sont pas plus le produit d’un mécanisme anonyme et implacable, mais doivent beaucoup aux positions et dispositions des protagonistes de la relation dministrative, dont les usages et les pratiques ne sont pas toujours institutionnellement définis et contrôlés. C’est ce qu’on voudrait tenter de montrer en se sltuant, pour simplifier l’exposé, d’abord du côté de ceux qui appliquent les catégories et identités bureaucratiques (les guichetiers) puis du côté de ceux à qui elles sont appliquées (les visiteurs). Entre conformité bureaucratique et dispositions personnelles : le travail des petits fonctionnaires On peut considérer comme généralement admis que pour faire la sociologie d’une institution, pour saisir le rappo