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Extrait de la publication RÉFLEXIONS SUR L’ESCLAVAGE DES NÈGRES Œuvres de Condorcet dans la même collection Sni* to CINQ MEMOIRES SU Charles Coutel et Cat ESQUISSE D’UN TABL L’ESPRIT HUMAIN, éd or 17 UE, édition de OGRES DE CONDORCET REFLEXIONS DES NEGRES Présentation, notes et dossier par Jean-Paul DOGUET GF Flammarion avec Condorcet.

Il n’y a donc rien d’absurde à ce qu’effectivement ce texte y ait été publié, peut-être avec son accord, au moins pour la première édltion de 1781. 2. Le pasteur suisse rejoint le « laboureur picard le « théologien », « Vermite de la forêt de Sénart » et le « citoyen des ÉtatsUnis » ans la liste des identités empruntées par Condorcet. La Lettre d’un laboureur de Picardie à M. Nr, auteur prohibitif est un pamphlet contre Necker, rédigé en 1774.

La Lettre d’un théologien 8 RÉFLEXIONS SUR L’ESCLAVAGE DES NÈGRES souhaite toucher un public prévenu contre les « philosophes Schwartz signifie « noir » en allemand, et l’identité qu’il recouvre est celle d’un « double » de l’auteur, censé être un représentant du protestantisme libéral, qui ne parle d’ailleurs Jamais vralment de religion. Le sens de ce choix est clair : à sa façon, Condorcet se considère comme une sorte de pasteur u de prêcheur, qui diffuse un enseignement moral, celui de la philosophie des Lumières.

Enfin, ce pseudonyme renvoie bien sûr à une relation de sympathie, et d’identification revendiquée avec les esclaves noirs. Condorcet n’est pas simplement un penseur, c’est un « ami » des esclaves noirs, qui tente de parler en partie en leur nom et de combattre l’influence intellectuelle des négriers, des planteurs et de leurs relais, importants dans l’opinion française de l’époque.

Sans être le texte le plus connu, ni sans doute le plus original, de Condorcet, ses Réflexions sont à ce jour le seul ouvrage qu’un phil is consac le seul ouvrage qu’un philosophe ait jamais consacré de façon spécifique et exclusive à la question de l’esclavage. L’auteur cherchait à s’adresser à l’opinion et surtout au législateur dans le cadre d’un débat contemporain qui a occupe une place de plus en plus importante dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le débat sur l’esclavage des Noirs.

Ce type de publication à l’auteur du dictionnaire des trois siècles, est un libelle anticlérical publié la même année, à Padresse de l’abbé Sabatier (voir notre note 26 du texte, p. 160). « L’ermite de la forêt de Sénart » est le seudonyme sous lequel Condorcet a écrit deux articles consacrés à l’esclavage des Noirs en juin 1777 dans le Journal de paris.

La Lettre d’un citoyen des États-Unis à un Français sur les affaires présentes, rédigée en 1788, est un texte contre les parlements d’Ancien Régime (ce n’est cette fois pas tout à fait un pseudonyme, Condorcet ayant été fait en 1785 citoyen d’honneur de la ville de N ew Haven dans le Connecticut). 9 PRÉSENTATION correspond assez bien à ce que Kant appelait à la même époque un travail « populaire c’est-à-dire un texte destiné à influencer l’opinion publique et les dirigeants en ‘adressant à eux sans technicité excessive.

Il s’agit en ce sens d’un type d’écrit inséparable du projet général des Lumières de former et d’éclairer l’opinion pour favoriser l’élaboration de lois plus justes et plus rationnelles, e faire triompher un PAGF 3 3 plus justes et plus rationnelles, en l’espèce de faire triompher un principe de justice « naturel » en vertu duquel aucun homme ne doit être la propriété d’un autre. Pour qui Condorcet a-t-il écrit cet opuscule ?

Dans les Réflexions sur le commerce des blés, il a lui-même théorisé ce qu’il faut appeler la structure hiérarchique de l’opinion ? Quand on parle d’opinion, il faut en distinguer trois espèces : l’opinion des gens éclairés, qui précède toujours l’opinion publique et qui finit par lui faire la loi ; ropinion dont l’autorité entraîne Popinion du peuple, l’opinion populaire enfin, qui reste celle de la parte du peuple la plus stupide et la plus misérable, et qui n’a d’influence que dans les pays où le peuple, n’étant compté pour rien, la populace oblige quelquefois un gouvernement faible ? la compter pour quelque chose 3. ? Cette distinction nous renvoie Pécho de l’amertume de Condorcet face à l’échec et au départ de Turgot, et ace aussi à l’opposition populaire à ses réformes portant sur le commerce des gralns. À l’évidence, les Réflexions sur l’esclavage des nègres s’adressent essentiellement (dans l’esprit de son auteur) à l’opinion publique (c’est-à-dire en fait à l’opinion moyenne) plutôt qu’? l’opinion éclairée (les « philosophes » et les économistes), qui de toute façon n’approuvait pas 3.

Réflexions sur le commerce des blés, in Œuvres complètes, tome XI, p. 201 . 10 l’esclavage, ou à l’opinion y était sans PAGFd0F13 NÈGRES l’esclavage, ou à Popinion populaire, qui y était sans doute indifférente. Il existe certainement un lien entre cet appel à l’opinion et le départ de urgot. C’est ? défaut d’avoir l’oreille du législateur, en l’espèce les successeurs de Turgot, Necker puis Vergennes, que Condorcet va se tourner vers l’opinion publique.

Si l’opinion publique méritait d’être éclairée, c’est qu’elle était, pour Condorcet, sous l’emprise de préjugés ? détruire, et surtout qu’elle subissait l’influence alors prépondérante des intérêts esclavagistes. Contrairement ? ce que la présence de l’épitre dédicatoire pourrait laisser croire, le texte ne s’adresse pas aux Noirs, premiers intéressés par la question.

Il s’adresse à la partie de l’opinion suffisamment éduquée pour discuter de cette question et subir l’influence des intérêts esclavagistes, mais pas au point cependant de se laisser gagner à leur cause, donc à un segment de l’opinion en situation de basculer dans ce que Condorcet considérait comme le camp de la raison. Déplorer, critiquer ou combattre : les Lumières face à l’esclavage La certitude qui anime Condorcet est philosophique et correspond à une composante du credo des Lumières.

Une mode outrancière et un peu ridicule, prenant le contre-pied d’une certaine hagiographie épublicaine, a conduit récemment certains auteurs ? instruire le procès des Lumières 4 au motif que ce courant aurait été « raciste » ou que ses représentants 4. Nous pensons par exemple au livre de Louis Sala-Molins, Les Misères des Lumières (Robert Laffont, 1992), ainsi qu’? livre de Louis Sala-Molins, Les Misères des Lumières (Robert Laffont, 1992), ainsi qu’à celui de C. Delacampagne, Une histoire de l’esclavage (Le Livre de poche, 2002). ‘auraient rien fait ou rien dit contre l’esclavage des Noirs. La vérité est autrement plus complexe : si la plupart des « philosophes » du XVIIIe ont désapprouvé ‘esclavage des Noirs, et si Rousseau a théorisé la totale illégitimité de l’esclavage en général, très peu d’entre eux, effectivement, ont véritablement agi contre lui, ni demandé son abolition ou celle de la traite réelle. C’est qu’il faudrait à la vérité distinguer face à l’esclavage trois degrés d’attitude négative au XVIIIe siècle, que nous appellerons respectivement : déplorer, critiquer, et combattre.

Déplorer signifie regretter que la réalité soit ce qu’elle est, et affirmer son Injustice, tout en reconnaissant en fait son caractère inévitable, sans aller audelà ni se donner raiment les moyens politiques ou intellectuels de la changer. La déploration est au fond l’attitude moralement la plus facile et intellectuellement la plus paresseuse. C’est aussi la moins efficace puisqu’elle revient à reconnaître l’impuissance de la bonne volonté et de la raison humaines face au monde et à sa nécessité.

On peut considérer que des esprits tels que Montesquieu, Voltaire, Helvétius, Diderot ou Adam Smith ont déploré l’esclavage, sans plus, cette frilosité s’expliquant chez chacun sans doute par des raisons différentes, qui ne sont d’ailleurs pas toutes intellectuelles. Ami perso doute par des Ami personnel et correspondant de Condorcet, Voltaire fait parler un esclave noir dans un chapitre de Candide, écrit en 1759, et souvent cité : « Quand nous travaillons aux sucreries et que la meule nous happe un doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas.

C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe 5. » 5. Candide, chapitre 19, Bibliothèque de la Pléiade, p. 192-193. 12 C’est une formulation qui relève de la « déploration » et qui d’ailleurs passe sous silence la réalité de a traite et sa responsabilité dans l’origine et la perpétuation de l’esclavage. En effet, Pesclave que fait parler Voltaire déclare avoir été vendu par sa propre mère.

Tout se passe comme si Voltaire refusait ici de voir la responsabilité du négrier dans la traite et choisissait de concentrer sa déploration sur la production et la consommation de sucre, c’est-à-dire sur une seule des faces du commerce triangulaire. L’Essai sur les mœurs, rédigé en 1761, va certes plus loin mais reste dans une prudente équivoque. Dans sa version augmentée, Voltaire écrit . « Nous allons acheter ces nègres à la côte de Guinée, ? a côte d’or, à celle d’Ivoire. Il y a trente ans qu’on avait un beau nègre pour cinquante livres ; c’est à peu près cinq fois moins qu’un bœuf gras.

Cette marchandise humaine coûte aujourd’hui, en 1772, environ uinze cents livres. Nous leur disons qu’ils PAGF70F17 marchandise humaine coûte aujourd’hui, en 1772, environ quinze cents livres. Nous leur disons qu’ils sont hommes comme nous, qu’ils sont rachetés du sang d’un Dieu mort pour eux. et ensuite on les fait travailler comme des bêtes de somme ; on les nourrit plus mal : s’ils veulent s’enfuir, on leur coupe une ambe, et on leur fait tourner à bras l’arbre des moulins à sucre, lorsqu’on leur a donné une jambe de bois ; après cela, nous osons parler du droit des gens 6 ! ? Voltaire relie sa déploration à celle d’un luxe inutile. « Ce commerce n’enrichit point un pays, au contraire, il fait périr des hommes, il cause des naufrages : il n’est sans doute pas un vrai bien ; mais les hommes s’étant fait des nécessités nouvelles, il empêche que la France n’achète, chèrement de l’étranger un superflu devenu 6. Essai sur les mœurs (1 756), chapitre 152, in Œuvres complètes de Voltaire, édition Moland, 1875, t. 2, chap. CLII « Des iles françaises », p. 419. 13 nécessaire 7. ? On voit l’ambigüité d’une position qu’ déplore tout en reconnaissant que, les hommes étant ce qu’ils sont, et le superflu leur étant devenu nécessaire sous la forme du sucre, l’esclavage appartient ? un certain ordre économique des choses et présente malgré tout une utilité. On ne sait pas avec certitude si Voltaire avait lui-même investi des fonds chez un négrier nantais comme on récrit souvent, mais il y a chez lui des éléments indiscutables de racisme, ainsi lorsqu’il écrit dans le même Essai sur les mœurs, à propos des

Africains : « Nous PAGF racisme, ainsi Africains : « Nous n’achetons des esclaves domestiques que chez les nègres. On nous reproche ce commerce : un peuple qui trafique de ses enfants est encore plus condamnable que racheteur : ce négoce démontre notre supériorité ; celui qui se donne un maître était né pour en avoir 8. « Position très radicale qui revient bel et bien à restaurer sous une forme raciste la philosophie hiérarchique d’Aristote. Cette ambivalence est assez voisine de celles d’Adam Smith et d’Helvétius, que Condorcet a également connus.

Le premier critique l’esclavage, dans La Richesse des nations (1 776), mais d’une façon très utilitaire, pour des raisons économiques, et non pas morales, en considérant que le travail libre est plus productif, et sans d’ailleurs se prononcer pour l’abolition. « L’expérience de toutes les époques et nations me porte à croire que l’ouvrage fait par des hommes libres revient en définitive moins cher que celui exécuté par des esclaves 9. » L’esclavage est de son 7. Essai sur les mœurs, ibid. 8. Essais sur les mœurs, ibid. , t. 13, chap.

CXCVII, « Résumé de toute cette histoire… p. 180. 9. Wealth of nations, l, 8 : « From the experience of all ages and ations, believe, that the work done by free men comes cheaper in the end than the work performed by slaves. Whatever work he 14 point de vue une faute économique. Sa persistance s’explique, comme il le laissait entendre dans la Théorie des se PAG » 7 économique. Sa persistance s’explique, comme il le laissait entendre dans la Théorie des sentiments moraux de 1759, par la bassesse morale du négrier et de l’esclavagiste qui se ferme à la sympathie 10.

Par ailleurs son Cours sur la jurisprudence, de 1762-1763, publication posthume, montre qu’il ne croyait pas vraiment à la possibilité de son bolition universelle, même s’il la jugeait souhaitable en théorie. « L’esclavage existe universellement depuis les débuts de la société, et l’amour de la domination et de l’autorité sur les autres le rendra sans doute perpétuel 1 1 . » Ce qui signifie qu’une institution économiquement irrationnelle car peu productive se maintiendra selon lui indéfiniment en raison des faiblesses de la nature humaine.

Quant à Helvétius, souvent considéré comme un adversaire de l’esclavagisme, il ne faut pas, là non plus, surestimer sa position. De l’esprit, rédigé en 1758, accorde à Pesclavage une certaine place, mais, omme Marat après lui, il emploie le plus souvent le ce mot dans un sens politique très large, corollaire du mot « despotisme pour désigner la soumssion du groupe à un maître, ce qui est une manière de se does, beyond What is sufficient to purchase his ovvn maintenance, can be squeezed out of him by violence only, and not by any interest of his own » (Oxford, Clarendon Press, 1976, p. 4). 10. Théorie des sentiments moraux : « La Fortune n’a jamais exercé son empire sur le genre humain aussi cruellement que le jour où elle a soumis ces nations de héros aux rebuts des prisons d’Europe, à des Insérables qui 17