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ÉTUDE DE MEURSAULT DANS L’ÉTRANGER D’ALBERT CAMUS SELON LA MAXIME STOICIENNE E DE L’AMOR FATI Irene Leroy-Syed (Universite York) NIETZSCHEENNE La soi-disant «indifference» du heros, Meursault, dans L ‘Étranger d’Albert Camus, son adhesion au deroulement des faits, sa passivite devant la mort de sa mere, e telles que: «cela n’avait aucune situent dans le courant stoi’cien de l’ (telos), de la vertu org Sni* to View tition de formules ensais rien», le n «toute la fin parfaite se resume a vivre conformement a la nature. »l Si 1 ‘on retrouve chez Nietzsche la maxime amor fati, c’est parce qu’ill’a empruntee aux toi’ciens.

Expliquons d’abord ce que signifie amor fati pour les stoi’ciens. Le fatum grec fait reference a un ordre superieur (dieux) qui presidait au destin des mortels. L’idee de fatum connote celle de necessite, qui dans la tragedie, obeissant aux decrets des dieux, devient la fatalite. Le fatum est par definition inevitable; il est ordre voulu par les dieux que l’on retrouve dans la vie lorsque le procureur parle a Meursault: «Le procureur lui a demande alors comment il se faisait que la lettre qui etait a l’origine du drame avait ete ecrite par mol_ Raymond a repondu que c’etait un hasard.

Le procureur a retorque que le hasard avait deja beaucoup de mefaits sur la conscience dans cette histoire. »2 Cest ici avec une certaine ironie que le procureur parle de ce fatum moderne, ce hasard que Meursault n’essaie pas LitteRealite, Vol. 11, No. 1, printemps/Spring 1990 p 75 de justifier. La raison pour laquelle il n’a pas besoin de justifier le «hasard», est qu’il fait partie de l’ordre necessaire de la nature, etant le resultat de faits dont les causes ne dependent pas de lui. 11 y voit, comme les stofciens, une ineluctabilite, qui, pour lui, est parfaitement acceptable.

Elle fait out simplement partie de l’ordre du monde. L’amor, dans l’expression amor fati, est entendu comme agape, non eros. Ici il est equilibre de la tension (tonos) entre soi et la nature. Done il y a chez les stolciens plus qu’une adhesion a la necessite, il y a desir et volonte d’y *AGF 9 rif q lucide comme celui de Meursault, est hors de question. C’est pourquoi il dit: «J’ai pense que c’etait toujours un dimanche de tire, que maman etalt maintenant enterree, que j’allais reprendre mon travail et que, somme toute, il n’y avait rien de change» (p. 3). L’amor fati nietzscheen prend sa source chez les to’iciens; il est affirmation de la necessite et lie a la volonte de puissance: Ce qu’il y a de plus intime en moi m’apprend que tout ce qui est necessalre, vu de haut et interprete dans le sens d’une economie superieure, est aussi l’utile en soi, – il ne faut pas seulement le supporter, il faut aussi l’aimer… amorfati: c’est la le fond de ma nature. 3 Tout ce qui se presente est offert a [homme sous la dimension du present, qui est decaupe en une succession d’instants.

L’acceptation de l’«economie superieure» revient a l’adhesion volontaire a cet ordre, manifeste a chaque moment du present. Le present est la seule forme du temps que ous possedions, la seule sur laquelle et dans laquelle nous pouvons agir; le passe ne nous appartient plus, il est determine, l’avenir est ouvert. L’instant est la rencontre du passe et de l’avenir. Le temps est la succession de maintenants passes et futurs, formant un circuit OU le temps est comme un anneau d’instants du temps.

La vision «du haut» dont parle Nietzsche donne celle de l’eternite, qui n’est que la re etition des instants, l’instant auquell’homme pour Nietzsche, le sage pour les stolciens, adhere pleinement. La volonte indlviduelle est en harmonie avec l’ordre cosmique, ce qui correspond a 6 l’attitude du philosophe: «The highest state a philosopher can attain: to stand in a Dionysian relationship to existence – my formula for this is amor fati». 4 Nous trouvons dans L Etranger la repetition de l’evenement qui est saisi dans l’instant.

Meursault remarque: «C’etait le meme soleil, la meme lumiere sur le meme sable qui se prolongeait ici. Il y avait deja deux heures que la journee n’avan—ait plus» (p. 79). Et aussi: «Cetait le meme soleil que le jour ouj’avais enterre maman, et comme alors, le front surtout me faisait mal et toutes les veines battaient ensemble sous ma peau» (Ibid. ). Il y a pou Meursault unfatum et un amorfati dans la mesure ou il est pret a recommencer de la meme maniere.

C’est la question qu’on lui pose juste avant sa mort: « Comment aborderez-vous cette terrible epreuve [la mort]? J’ai repondu que je l’aborderais exactement comme je l’abordais en ce moment» (p. 134). Mais celui-ci n’est pas ressenti comme grandeur. C’est en etudiant l’ amorfati stolcien, que nous allons c ttitude de Meursault. stoi’cien et [‘idee de temps,S V. Goldschmidt ecrit: «Cetendue corporelle qui «accompagne» L’acte prend toute la realite dont elle est capable, sans cesser d’etre un corporel. l’acte se concentre dans l’instant.

Le present concentre l’achevement et la perfection dans son aspect fini et eternel. Le texte dans lequelle passe et le futur sont des «predicats» est exprime par des verbes. L’acte indique par ces verbes n’etant plus ou pas encore, present, passe, futur, n’est pas des etres de raison; ils estsaisi par la pensee, mais non pas comme le temps present, par la sensation. L’acte du sage est loge dans un seul instant; il est mouvement totalisant qui se ressent comme bonheur: «Or ce qui est dans l’instant est un tout acheve». Le bonheur reside plus dans le repos, dans ‘absence de tension entre le monde exterieur et moi-meme, que dans le mouvement. Cette union est en fait une union cosmique, car il y a continuite entre le temps vecu et le monde-nature, qui est represente par un systeme qui relie etroitement l’homme a l’univers. On retrouve chez Meursault le temps-instant. Il ne recherche pas continuite, les causes et les effets. Ceci se manifeste dans son attitude qul est 77 peuvent changer le present.

Ce qu’il aime c’est la fraicheur de l’eau, ce qui le fait souffrir c’est la chaleur du soleil. Son acte est concentre dans le present-instant: son crime n’est pas remedite, donc il n’est pas compris comme «crime»; au cours du proces il dit: «QLli, c’est vrai,» et n’essaie pas de donner des raisons; l’enterrement de sa mere est, lui aussi, decrit comme present-instant, sans faire reference it autre chose qu’aux faits, aux actes relies directement it cet evenement.

Dans la mesure ou il ne fait qu’un avec le temps-lnstant, Meursault fait penser au sage stolcien: «L’extreme tension (tonos) de la volonte qu’ils reclament de leur sage, semble indiquer que tout soit toujours it conquerir. De fait, la philosophie, qui est «1 ‘art de vivre», est bien reellement une onquete, mais il faut ajouter que rien ne saurait etre conquis aux yeux des stolciens, qui, en un sens, ne nous soit pas donne d’avance.

La conquete est un passage du meme au meme». 7 11 ya mouvement entre le point de depart et le point d’arrivee; il faut que les deux points colncident pour obtenir la sagesse. Si le mouvement est rompu, le point de depart se fige en point d’arret, et il y a echec. Le bonheur est fonde sur un univers homogene continu. Les passions sont disqualifiees comme mouvements irrationnels et anti-naturels. Le savoir prend son ori ine dans les representations et la raison *AGF 6 rif q