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Mohammed Laamiri Université d’Oujda (Maroc) Boussif Ouasti université de Tétouan (Maroc) Le portrait mythique de la femme dans le miroir euro- or 14 Sni* to View « Signalons enfin une source jusqu’ici fort delaissée et qui mériterait pourtant d’être méthodiquement exploitée : les jeux de physionomie, les gestes et les attitudes. On devine bien, ça et là, que les auteurs voudraient s’y intéresser et qu’ils estiment particulièrement significatifs ici : qu’avons-nous pour juger les gens ? Nous dit-on par exemple. Leurs paroles ? Mensonges. Leurs actes ? Ils disent qu’ils ont été contraints.

Mals les yeux et les visages sont les registres où s’inscrit tout ce que l’homme voudrait cacher au fond de soi. Les yeux trahissent rame et trahissent les pensées les plus secrètes (Odinot, 1). » Georges Hardy, L’Ame marocaine d’après la littérature, 1929. dans le portrait mythique de l’Autre1, à la fois marocain et français, dans un ensemble de récits de voyage qui nous semblent représentatifs. Comme il existe un nombre considérable de personnages que les voyageurs représentent dans leurs relations, nous avons sélectionné ceux de la femme arocaine et française, comme un échantillon représentatif de l’opposition Nord-Sud2.

Contrairement à l’Orientale, la femme levantine s’avère souvent être le personnage perçu de manière généralement positive chez les voyageurs européens. Même si elle était souvent soustraite au regard curieux soit par le voile, soit par les murs des maisons sans fenêtres, elle a souvent inspiré l’imagination érotique et les fantasmes des voyageurs. Artiste de métier, le voyageur Charles Yriarte voyage dans Tétouan, envahie en 1859 par les Espagnols, comme dans une « Jérusalem délivrée b.

Il décrit Pepita, une servante qui le sert avec son compagnon de chambre et de voyage, le poète espagnol Antono de Alarcon, en puisant son inspiration d’une bibliothèque de voyage férue d’exotisme orientalo-africaniste. Il développe un portrait fort suggestif et composite. Tout d’abord, le narrateur présente son personnage en faisant appel à l’imaginaire du lecteur passionné d’exotisme espagnol à la mode au xviiie siècle « Vous savez tous ce qu’est une belle Espagnole, mais ce quelques-uns d’entre vous peuvent ignorer, c’est l’étrange caractère que prend la physionomie d’une jeune fille née dans ce ilieu exceptionnel.

Elle était venue au monde à Tétuan même, c’est vous dire qu’elle avait la verve de l’Andalou 12 exceptionnel. Elle était venue au monde à Tétuan même, c’est vous dire qu’elle avait la verve de l’Andalouse jointe au charme de la Mauresque, le teint rose-thé des Africaines et les grands yeux de feu des filles de Cadlx et du littoral espagnol, l’Impassibilité mahométane et la vivacité des filles de la Péninsule.

Avec tout cela, dix-huit ans, et une de ces innocences invraisemblables qul devraient être une anomalie dans le pays de feu3. » La peinture de ce portrait féminin est un composé des canons de la beauté dans leur pluralité. Tout d’abord le topos culturel de la beauté espagnole consacrée par les Lumières imprime au personnage le cachet de la fameuse beauté méditerranéenne. Or, ce trait culturel est défini à partir de plusieurs paramètres. L’espace où est née Pepita est un espace sacralisé au sens anthropologique du terme.

Il doit sa valeur positive à la chaleur qui caractérise ce lieu imprégné d’accents climatologiques • « pays de feu Cet espace exerce naturellement une grande nfluence sur le caractère du personnage : « étrange caractère de la physionomie, innocence perçue comme anomalie… Les traits de la beauté sont empruntés au type des filles de Cadix (aux yeux de feu) et aux stéréotypes de la Mauresque (charme) » de l’Andalouse (la verve) et de PAfricaine (teint rose-thé). Nous avons ici une première esquisse qui conjugue les canons endogenes et exogènes de la beauté.

Fascinés par son charme angélique, les deux poètes étaient tentés de se mettre aux pieds de la Vestale et de lui chanter cet hymne à deux voix : « Blanche fille de Tét ieds de la Vestale et de lui chanter cet hymne à deux voix : « Blanche fille de Tét-Taguen, fleur de pêcher que la brise a transportée des Huertas de l’Andalousie aux jardins ombreux des Maures, houri chretienne qui mêle aux grâces voluptueuses des filles du Prophète la chasteté des vierges d’Europe, les palmiers élancés qui s’élèvent auprès des sources où tu vas puiser cette eau limpide sont moins sveltes et moins gracieux que toi.

Ta Sierra Bermeja, dont la neige devient rose à l’heure où le soleil se couche, n’a pas de plus douces couleurs que celles dont ’empourprent tes joues quand tu m’écoutes. Si j’étais Calife, je renverrais pour toi mes trois cents sultanes, et je ne tournerais plus la tête pour voir les odalisques demi-nues, les cheveux déroulés, trempant leurs pieds nonchalants dans les bassins diaphanes5. ? Nous relevons la couleur suave de la peau tétouanaise, célèbre par sa blancheur, rendue plus crédible par le recours au nom de la ville transcrit au moyen de la prononciation arabe. À la couleur exotique très suggestive « rose-thé », s’ajoute une autre tonalité aux nuances plus connotatives de la fleur du pêcher. On rappelle que Tétouan est appelée la « Fille de Grenade », d’où cette émigration de cet arbre fruitier des Huertas d’Andalousie aux jardins maures (grenadier).

L’artiste donne plus de volume aux traits somatiques du visage par le recours à des touches successives picturales : la pudeur de la fille manifestée par la rougeur est comparée à la Sierra Bermeja (montagne de Tétouan : Chaîne Vermeille) enneigée qui réfléchit les couleurs pu 2 la Sierra Bermeja (montagne de Tétouan : Chaîne Vermeille) enneigée qui réfléchit les couleurs purpurines du coucher de soleil. Il s’agit en fait d’un tableau orientaliste par excellence qui joue sur les couleurs et les lumières.

La sveltesse du corps l’emporte sur celle du palmier. Par un moyen de transfert, le physique renvoie à la pudeur et à la douceur de la ravissante Pepita. Le narrateur recourt à un chiasme pour traduire l’air du visage qui renvoie à une situation culturelle devenue nature : grâce voluptueuse d’une houri chrétienne, chasteté de la vierge d’Europe. Cet écart provoque le lecteur et accentue l’exotisme de l’éthopée.

Par ailleurs, cette beauté magique exerce sur le regard du arrateur voyeur un attrait irrésistible, si bien qu’il lui avoue qu’elle est devenue pour lui une sorte de vestale qu’il adore. Pour ce faire, il recourt à un autre stéréotype du Calife qui répudie pour elle tout son Harem constitué d’odalisques tel que celui- ci est peint dans les tableaux de peinture célébrant le sérai16. De l’image d’Épinal du Harem, l’auteur passe aux topoi de l’Andalousie, contrée orientale par excellence . ? Ferme tes yeux nacrés, fille aux cheveux d’ébène, ferme ta bouche qui semble un oeillet en fleur ou une grenade entrouverte, et je ne souris jamais ainsi, ou viens avec nous dans e pays des mantilles, tu serreras sur ta hanche un corset pailleté, tu planteras dans tes cheveux noirs un haut peigne d’écaille, découpé comme un plafond de l’Alhambra, tu danseras le soir aux cris des aficionados ivres de tes bonds lascifs, et le dimanche, dans un PAGF s OF tu danseras le soir aux cris des aficionados ivres de tes bonds lascifs, et le dimanche, dans un cirque où vingt mille spectateurs battront des mains et crieront 015, tu verras les entrailles des chevaux trainer sur le sable de l’arène et les banderillos rouler sur le sol au milieu des éclats de rire de la foule.

Peut-être auras- tu quelquefois, fleur de pêcher, le bonheur de voir une vaillante spada lancée dans les airs par un taureau furieux et retomber sanglante aux applaudissements d’un peuple en délire. » Une fois le fond du portrait peint, il convient au portraitiste de l’animer. Pour ce faire, il fait appel au stéréotype de la scène de Corrida espagnole avec son ambiance, sa violence : au lieu du taureau qui est l’objet du spectacle, c’est la belle Pepita qui va charmer les regards de sa danse espagnole célèbre. La description de la tenue vestimentaire de la jeune fille se réfère u costume typique espagnol (Torero et danseuse de Flamenco). Quant aux traits somatiques du visage, ils sont peints à partir du nacre (œil de la Madrilène), de l’ébène (l’Andalouse et la Gitane) et de la flore (œillet et grenadier).

Ainsi, le portrait détaillé et surchargé de Pepita renvoie à la sensualité et au charme de l’Espagnole fatale à l’instar de la fameuse Carmen. Yriarte peint un portrait mythique de la Levantine par le recours à un composé de stéréotypes qui relèvent de rexotisme à la fois oriental, africaniste et occidental. La nature avec sa flore et sa aune offre plusieurs stéréotypes pour caractériser les traits somatiques de la beauté de Pepita. Ainsi, le portr 6 2 plusieurs stéréotypes pour caractériser les traits somatiques de la beauté de Pepita. Ainsi, le portrait mythique de cette belle fille tétouanaise fonctionne comme le modèle rêvé de la beauté féminine évoquant à bien des égards la femme fatale7.

Ce mythe de Pepita se compose de plusieurs stéréotypes : « la Belle Andalouse » avec sa sensualité ibérique recherchée par les touristes à la quête des sensations fortes, les « espagnolades » ui ont contribué à accréditer auprès d’un large public des images stéréotypées de la culture espagnole dont la liste est longue : opérettes à thème « ibérique », spectacles chantés et dansés que l’Exposition de 1889 a mis à la mode, castagnettes, flamenco, matchiche de « cafton’ », chromos hauts en couleurs, immortalisant la danse, la Corrida ou la VISIOn d’Orient8, le pittoresque du milieu, gamme possible des scènes du Harem et du mirage levantins…

Tous ces éléments de l’imagerie espagnole et orientale font rêver l’artiste voyageur français avec son compagnon le poète espagnol. Le mythe de Pepita revêt alors une forte valeur de compensation : la charmante fille fatale qui ne peut être possédée suscite le rêve, le plaisir de l’imagination et le bonheur de la conscience esthétique. Le caractère stéréotypé de l’exotisme érotique féminin paraît comme celui d’un rituel, le véritable objet du désir est allleurs que le véritable sujet . c’est l’impossibilité de posséder Pepita, ou son absence (dialectique de l’interdit et de la transgression) qui creuse le désir. C’est pour cela que le corps désiré est toujours un corps morcelé ou 7 2