Melissa Pochon 07. 12. 12 Collège de Saint-Maurice La Quête de soi «Etre»: ce verbe incarne à lui seul la condition absolue de l’individu. Si la conscience de soi apparaît alors inhérente à celle-ci, le sentiment d’existence et la connaissance de s n’en deviennent que présence de sa pens inévitablement confr cette interrogation or2A ar la simple «Qui suis-je fondamentale le bouscule tout au long de son existence et s’inscrit alors au commencement d’une quête, celle de l’homme qui aspire à se connaitre, celle de l’homme qui s’éveille ? lui-même.
Puisqu’il imprègne la nature humaine dans sa condition ssentielle, ce désir de se connaître s’octroie au cours des siècles une importance grandissante dans la littérature. L’épanchement de la subjectivité que privilégie la littérature moderne se laisse souvent influencer par cette quête de soi, obsédante, omniprésente et qui emprunte pourtant une infinité de directions selon les œuvres, selon les lecteurs et surtout selon ce que chacun a d’unique. Or, le roman s’applique souvent à suivre les pas d’un d’Ogrorog, livre d’Alexandre Friedrich.
Si chacune de ces plumes se laisse guider par un idéal commun, toutes n’empruntent pas le même hemin. un parcours de lecture sous le regard de cette quête de soi s’avère alors nécessaire à la compréhension de ces œuvres si imprégnées de cet appel identitaire afin de déterminer les convergences et les nuances des cheminements qu’elles mènent. Lorsqu’elle écrit ses Chroniques de l’Occident nomadel, Aude Seigne choisit de romancer avec un ton juste et dépouillé les instants forts auxquels l’a confrontée sa passlon du voyage.
Elle tente alors de porter un regard rétrospectif sur ses pas et y découvre l’omniprésence d’une nécessité qui la pousse au voyage. Cette ernière Incarne le premier indice de la quête existentielle dont se nourrit sa plume et permet d’entamer une lecture qui retrace son parcours intérieur. Ainsi, les premières page de ce récit autobiographique laissent déjà entrevoir une étape essentielle de la quête identitaire qui appelle la jeune femme au voyage.
Alors que la narratrice s’estime animée d’un besoin injustifié, le lecteur peut y déceler la nécessité inconsciente de fuir une sensation de vide en se mettant en quête de soi. Aude Seigne affirme toutefois que «le voyage offre aussi l’occasion de faire des ieds de nez à la causalité» (p. 28), tout en décrivant «l’ignorance des causes qui nous gouvernent et la relativité de ces causes». (p. 10) Elle semble alors donner foi à un bien-être inexplicable dans le voyage qu’elle nuance ourtant lorsqu’elle confie: «je suis enlevée à moi-même.
PAGF 3 confie: «je suis enlevée à moi-même. Ravie mais pas enchantée. » (p. 18) Aude Seigne témoigne ainsi du soulagement qu’elle ressent lorsqu’elle peut se soustralre à elle-même, oublier son sentiment d’angoisse. Pourtant, le voyage ne suffit pas à combler son impression de ide et ce moment de doute reflète alors un instinct de fuite qu’elle confesse de ces mots: «j’oublie que je suis jeune, lointaine et absente. » (p. 9) La narratrice semble en effet rechercher la sensation d’être vivante à travers un voyage qui engage l’entier de son être: celui- Cl lui permet en effet de sortir d’elle-même pour s’investir dans le présent. Bien qu’elle affirme ignorer les raisons qui la poussent au voyage, on distingue à travers ces quelques affirmations à l’allure de confessions l’intime nécessité de construire son identité, mêlée ? la certitude que l’intensité e l’existence se trouve dans la découverte de railleurs.
Aude Seigne insiste alors sur l’importance du voyage puisque celui-ci lui permet de multiplier les expériences qui renforcent sa certitude d’exister, comme l’attestent ces quelques mots: «La vie superbe. L’instant était là, parfait, uni, tremblant» (p. 29), puis, «je n’imagine donc pas d’instant où Aude Seigne, Chroniques de [‘Occident nomade, Paulette Editions, Lausanne, 2011. 58 3 de l’Occident nomade restituent des instants multiples et sans ordre, on peut pourtant souligner l’intensité de certaines expériences, qui influent signiflcativement ur le cheminement intérieur de la narratrice.
A cet exemple, Aude Seigne insiste passablement sur sa découverte du désert, que l’on peut interpréter comme l’expérience de la solitude, essentielle à la construction de soi. Elle affirme dès lors: «C’est là que je suis, que j’étais, que je serai toujours, comme tous les instants qu’on a tellement habités qu’on y sera toujours, C’est presque tant de vide et tant de peu qu’on ne peut plus vivre comme on vivait auparavant, on ne peut plus vivre comme si on n’avait pas connu cette expériencelà. ? (p. 50-51) A travers la solitude, Aude Seigne se confronte à une existence, qui, épurée ? l’extrême, la contraint à se plonger en elle-même pour prendre conscience de son individu. Celle-ci devient dès lors une étape cruciale dans son cheminement intérieur puisqu’il la place inexorablement face au vide qu’elle s’évertuait à fuir dans le voyage. Elle lui apprend alors à accepter l’angoisse qu’elle ressentait dans un questionnement existentiel jusqu’? présent tu.
Si vivre le voyage s’avérait poser un premier pas non négligeable vers la quête de soi-même, l’épreuve de la solitude et de la rencontre avec soi émoignent toutefois d’une avancée décisive dans la conquête de son identité. «ll faudrait trouver ce qui fait soi, ce qui fait [‘essence de soi», confesse-t-elle. (p. 104) Seule face à ses doutes, la narratrice prend alors conscience de «cette insuffisance centrale de l’âme qui, paradoxalement, est 3 narratrice prend paradoxalement, est peut-être notre moteur le plus cher» (citation reprlse de Bouvier, p. 96) et de la nécessité de sa quête.
Alors que la solitude devient un moyen d’accepter son questionnement intérieur pour tendre à la rencontre avec soi-même, elle instaure également une éflexion qui pousse l’être à se tourner vers les autres. Alors que ceux-ci paraissaient auparavant semer la confusion dans sa perception d’elle-même, comme le signifie la citation de Delerm: «lls ont fair d’avoir aussi peur de moi que je l’ai eu de leur hypothétique identité » (p. 87), la distance qu’a permis la solitude a ôté à leur regard ce côté réducteur puisqu’elle offre ? l’individu la possibilité de se situer librement.
Bien que d’abord nécessaire à la construction de soi, l’isolement lui laisse ensuite un sentiment d’insuffisance, comme le prouve cette nterrogation: «celui dont le visage n’est connu de personne, existe-t-il vraiment (p. 100) Suite à sa découverte du désert, la narratrice est donc appelée à dépasser sa solitude afin de se tourner vers autrui et d’ainsi revendiquer son sentiment d’existence. «Comment aller ? la rencontre de l’autre ? s’interroge-t-elle, c’est aussi la question des voyages. » (p. 5) La rencontre de l’autre, vécue dans l’inconnu, incarne alors l’ultime étape de la quête identitaire qu’elle relate dans ses Chroniques. Face à cette quête d’elle-même qui s’ouvre ? l’altérité, elle affirme alors, onvaincue de l’importance de cette dernière: d’ailleurs est derrière ce regard déjà, ce regard qu’on aime sans c PAGF s 3 l’importance de cette dernière: «l’ailleurs est derrière ce regard déjà, ce regard qu’on aime sans comprendre, ce regard qu’on a beau aimer d’absolu, aimer autrement et qui de fait est toujours désespérément autre. ? Aude Seigne semble dès lors se révéler à elle-même dans les rencontres anonymes qui éclairent sa quête d’elle-même. Lorsqu’elle parle d’une de ses relations amoureuses, elle explique d’ailleurs: «Nos yeux isent tout ce qui est à Fécart du monde: l’intelligence qui se sait, la rencontre fortuite, l’échange gratuit de nos vies que nous ne partagerons jamais, le fait d’être soi, loin de chez soi, (p. 43), avant de qualifier l’amour en ces termes: « cette complicité si légère qu’on n’osera jamais avouer à quel point elle nous rend profond. Elle témoigne ainsi de la nécessité de recourir aux autres dans la découverte de soi puisque ceux-ci donnent à son individu toute sa valeur. Dès lors, la lecture du réclt d’Aude Seigne permet de distinguer trois étapes essentielles à sa uête identitaire: la fuite inconsciente de son angoisse existentielle la contraint à se remettre en doute, l’acceptation du vide lui permet ensuite la rencontre avec elle-même, avant que le dépassement de sa solitude ne l’amène enfin à la relation à l’autre qui lui permet d’apaiser son questionnement identitaire. 1 32), Aude Seigne a pourtant cheminé puisqu’elle a pris conscience de l’instinct de fuite qui la poussait premièrement au voyage, de l’intensité de ses expériences et de l’importance des autres dans la découverte de soi. Avec un regard lucide lorsqu’elle parle de «l’éveil de (s)on ntrospection» (p. 84), elle affirme d’ailleurs: « J’ai vécu le vide et je me suis forcée à prendre plaisir à ce vide. Et je suis aussi partie pour fuir». (p. 4) De plus, ses voyages lui ont offert des instants d’illuminations qui prouvent une certaine évolution, ainsi que le montrent ces propos: «Je me rappelle qui j’ai été, comment je suis devenue, ce que je suis, tout ce que je serai. J’ai conscience de tout, j’ai l’esprit total ». (p. 96) Enfin, elle a acquis un recul suffisant dans sa quête d’elle-même pour accepter sereinement que celle-ci lui donne «l’impression de aire un voyage qui (la) fait et (la) défait» (p. 128) et reste inassouvie afin de l’inviter à se renouveler sans cesse.
Alors que l’on conçoit volontiers la logique de l’évolution présentée dans les Chroniques de l’occident nomade, la lecture du Retour aux Indes2 d’Eric Masserey permet d’établir une comparaison qui éclaire la multiplicité des chemins offerts ? l’homme dans sa quête de luimême. Lorsqu’il décide de s’élancer sur les traces de sa jeunesse, Vasco de Castelo Branco accuse la perte récente de son ami Rodrigue et le départ de sa fille, tout juste sortie de renfance.
Immédiatement confronté à la solitude et aux années écoulées, il entreprend alors un voyage dans le passé et affirme: «J’irai aux Indes, vers toutes mes Indes, je mettrai PAGF 7 3 alors un voyage je mettrai mon pas dans ceux de ma jeunesse même si la terre que je cherche m’est désormais inconnue». (p. 74) S’il semble extrêmement lucide quant à ses attentes du passé, on peut cependant supposer qu’il fuit inconsciemment un certain état d’inertie, angoissé par un sentiment de vieillesse mêlé à l’intuition de ne pas se connaître malgré le temps écoulé. ?ll y a trop longtemps que e suis en route, avoue-t-il d’ailleurs, la route est ce lieu de mon âme où elle obtient le repos, je la ferai en paix. » (p. 74) Effrayé à l’idée de mourir sans s’être réellement accompli, Vasco confie alors: «Je crois que tout ce qui existe vient et va, je crois à un début et à une fin de tout, à la connaissance de cela, de ce chemin et de nos nuits, avant et après nous. » (p. 61) De ces propos, il dévoile son angoisse face à la fatalité de l’existence en entreprenant un voyage dans le temps qui lui permette de retrouver une certaine jeunesse.
Vasco se met alors nconsciemment en quête de son immortalité, à travers la connaissance de lui-même et le souvenir de son passé. Il éclaire ainsi une question cruciale ? l’égard de son besoin de voyager: «L’instinct qui conduit l’oiseau à retrouver un même point par delà les déserts était-il commun aux hommes, aux animaux et aux astres errants (p. 84) Vasco tente donc d’appréhender la nature humaine dans son caractère absolu afin de se comprendre et accepte alors de se confronter à une solitude qui éprouve les limites de son propre être. Sur la route de ses souven rrit d’abord PAGF E 3