Maurice Godelier est un anthropologue français né en 1934. Il fait ses études à l’École normale supérieure de Saint Cloud où il étudie la philosophie, la psychologie et les Lettres Modernes. Il travaille ensuite à l’École pratique des hautes études comme maitre-assistant, aux côtés de Fernand Braudel puis de Claude Lévi-Strauss, et y devient plus tard directeur d’étude. En 1975, il est nommé directeur de l’école des hautes études en science sociale (EHESS), et 20 ans plus tard, il crée le centre de recherche et documentation sur l’Oceanie. C’est dans les années 90 qu’il se spécialise dans les sociétés océaniennes.
L’étude sur terrain, qui n’est pas à la mode chez les scientifiques français (contrairement aux anglo-saxons qui or 13 sur terrain), se génér e a d’ailleurs dans ce con xte qu fondement des socié de sept années (entr nd t adopté la pratique e Godelier. C’est ce de son livre Au arue. Sur un total lé et vécu avec une société de Nouvelle-Guinée, les Baruya. C’est en échangeant avec eux que Godelier posa la question (qui lui paraissait alors tout à fait anodine) qui se trouve être à l’origine de sa réflexion : Comment les Baruya sont ils devenus des Baruya ? C’est la réponse qui s’ensuit qui va pour le moins surprendre ‘anthropologue (nous y reviendrons plus tard). Avec ses expériences sur le terrain Godelier réalise que certaines théories acquises et établies de l’anthropologie ne fonctionnent pas réellement dans la pratique. Dan page Dans un ouvrage ponctué de nombreuses digressions, souvent nécessaires, Godelier fait la synthèse de 40 années de recherches et se penche sur un sujet pour le moins conséquent : la question de la société. Comment une société se constitue- t-elle ?
Sur quelles composantes se construit-elle ? Voilà les questions auxquelles tente de répondre Maurice Godelier, car ? on ne peut comprendre le monde dans lequel on vit sans en connaître les fondements »3. Mais pour ce faire il doit revenir sur des idées reçues, des fondements de l’anthropologie considérés comme sûrs. Il lui faut passer par une phase de déconstruction- reconstruction4. A chaque chapitre, qui d’ailleurs n’ont pas de liens logiques apparents entre eux, Godelier vient compléter et/ ou infirmer une vérité anthropologique.
Les titres des quatre premiers chapitres sont la formulation des nouvelles thèses proposées par Godelier. Il base toute son argumentation sur ses observations et ses découvertes du système des Baruya, pour nsuite en faire des généralités anthropologiques. Son questionnement commence avec une introduction imposante (57 pages) dans laquelle il met en évidence un problème majeur : la crise de l’anthropologie5, et des sciences sociales en générale. Les méthodes scientifiques classiques ne correspondent plus au monde moderne globalisé.
On reproche toujours à l’ethnologie d’être un outil de l’idéologie et de la dominance occidentale. Pour nous expliquer ce positionnement, Godelier s’adonne à une brève historiographie de l’ethnologie depuis ses débuts jusqu’à nos jours et nous expose la méthode ue devrait adopter selon lui un anthropologue pour que son travail so 13 expose la méthode que devrait adopter selon lui un anthropologue pour que son travail soit légitime (dont l’observation participante sur terrain fait partie). Mais cela ne suffit pas.
Si l’anthropologie veut avor un avenir, il faut également revenir sur ses théories fondatrices (la question du don, de la parenté à la base de la société, de la sexualité humaine et la conception d’un enfant), il faut oser s’attaquer aux grands noms de la discipline6. Le premier a en faire les frais est celui qui est considéré comme e père de l’anthropologie, Marcel Mauss et son Essai sur le don7, dans lequel il base les rapports sociaux sur un système d’échange, c’est-à-dlre sur une base économique (thème également abordé par Lévi-Strauss.
Contrairement à Mauss, sa théorie se base sur les échanges équivalents – femme contre une femme qui lui a été utile pour sa théorie sur la parenté8). Il explique que les sociétés non monétaires utilisent un système de don/contre-don qu’il nomme le potlatch9. Le principe est le suivant : chaque clan est en rivalité avec l’autre, le but étant d’être supérieur. Contrairement aux sociétés monétaires, ce n’est pas celui qui possède le plus qui est le plus fort, mais celui qui offre le plus à l’autre. Les différents clans sont donc en perpétuelles compétitions de cadeaux.
Le clan qui dépense le plus est le plus honorable. Le don est, par définition, supposé être gratuit et volontaire, cependant, dans ce principe particulier, il est obligatoire voire indispensable. Le clan qui ne participe pas au potlatch se voit exclu de la société. Nous pouvons rapprocher ce principe à ce que disait 2000 ans plutôt Aristote dans sa Po la société. Nous pouvons rapprocher ce principe à ce que disait 000 ans plutôt Aristote dans sa Politique: « celui qui ne peut vivre en société, et dont l’indépendance n’a pas de besoins, celui- là ne saurait jamais être membre de l’État.
C’est une brute ou un dieu. » 10. Dans son ouvrage, Cénigme du don (1997), Godelier relève quelques lacunes dans le travail de Mauss. Premièrement, il lui reproche le fait de ne s’intéresser qu’aux « prestations totales »11 donc aux dons qui ne concernent que la totalité des membres du clan, et occulte les dons entre particuliers. Deuxièmement, Mauss n’explique pas la logique des dons, ce à quoi Godelier remédie n précisant que le contre-don n’annule pas la dette engendrée par le don, mais il en crée une autre qui vient équilibrer la premièrel 2.
Ces dettes continuelles permettent la création de sewices et d’entraides entre les tribus et les clans. Godelier ajoute également une notion oubliée par Mauss. Il s’agit d’une catégorie d’objet qui n’entre pas dans le premier schéma du potlatch: les choses « qu’il ne faut ni vendre ni donner, mais garder et transmettre »13. Mauss avait ouvert la question de ces objets qui n’entrent pas dans le circuit d’échange dans une note de bas de page14. Cependant personne jusqu’à présent n’avait approfondi cette particularité. Il s’agit d’objets sacrés15 qui sont considérés comme des dons des dieux aux ancêtres des hommes.
Ce sont des objets physiques qui incarnent l’impalpable et lient les Hommes a leurs origines. Ce sont donc des éléments essentiels ? l’identité et à la mémoire du groupe. Ils permettent également de légitimer l’ordre social, c’est-à-dire de justi 3 la mémoire du groupe. Ils permettent également de légitimer l’ordre social, c’est-à-dire de justifier l’incarnation du pouvoir en celui qui les possède. ar la suite, Godelier se penche sur un thème classique en anthropologie, à savoir, les rapports sociaux qui créent une dépendance entre les groupes et les individus pour les constituer en un tout.
Les anciennes théories avancent que les sociétés «primitives» se basent sur des rapports de parentésl 6. C’est d’ailleurs ce que pensait déjà Aristote lui-même : L’association première de plusieurs familles, mais formée en vue de rapports qui ne sont plus quotidiens, c’est le village, qu’on pourrait bien justement nommer une colonie naturelle de la famille. Si les premiers États ont eté soumis à des rois, et si les grandes nations e sont encore aujourd’hui, c’est que ces États s’étaient formés d’éléments habitués à l’autorité royale, puisque dans la famille le plus âgé est un véritable roi »17 .
Dès la fin de la seconde guerre mondiale, les anthropologues avancent que ce sont les rapports économiques18 qui structurent les sociétés civilisées. Voilà deux thèses qui étaient totalement acquises et approuvées par Godelier lui-même. Cependant, durant son séjour chez les Baruya il eut le temps de répertorier les alliances matrimoniales entre les indlvidus et les clans sur plusieurs générations19.
Les ésultats obtenus le poussèrent à la conclusion que les rapports de parenté ne constituaient pas la base de Fidentité commune à tous les Baruya, et donc pas la base de la société, car ils ne reliaient pas tous les clans entre eux20. Pour détecter ce qui se trouve donc à la base des sociétés, G PAGF s 3 reliaient pas tous les clans entre eux20. Pour détecter ce qui se trouve donc à la base des sociétés, Godelier doit poser la question dont nous parlions plus haut : « Comment les Baruya sont-ils devenus des Baruya ?
Suite à cette question les Baruya lui expliquent qu’en réalité, avant quelques siècles, ils ‘existaient pas en tant que société. Avant d’appartenir à la tribu des Baruya, ils vivaient dans celle des Yoyué dont une partie fut massacrée par leurs ennemis21. Les survivants (appartenant à sept clans différents) se réfugièrent dans la tribu des Andjé dont le clan Ndélié leur offrit des terres. C’est avec ce même clan qu’ils se sont alliés pour chasser le reste de la tribu Andjé et en créer une nouvelle.
Mais pour que ce processus s’opère il a fallu l’intervention de plusieurs facteurs : ralliance entre les membres Baruya et Ndélié, un territoire commun, une langue commune et une culture commune. ne fois tous ces facteurs réunis, il ne manque plus qu’un élément pour permettre à ce groupe de devenir une société, de se différencier des autres : un grand nom22. Cest celui du clan des Baruyakwarrandariar qui a été choisi car c’est lui qui, selon leur croyance, possède les objets sacrés qui permettent les initiations masculines sur lesquels se base la tribu.
C’est donc un mythe23, qui s’exprime dans la réalité, qui confère aux Baruya une identité. Il est indispensable, pour nous, lecteur, et pour Godelier, chercheur, de passer par le stade de la « narration originelle ». Sans cette étape décisive de la construction de la tribu des Baruya, Godelier ne disposerait pas de suffisamment d’indices pour affirmer que la théorie 6 3 pour affirmer que la théorie sur les rapports sociaux et économiques, avancée par les plus grands noms de la discipline, s’avère totalement erronée.
De plus, cette découverte permet ? Godelier de mettre à jour le véritable rapport sur lequel repose la société : le politico-religieux24. La domination des Baruya, qui est nécessaire pour l’organisation politique de leur société, repose sur de nombreux mythes en elation avec le soleil, sur l’invocation de la nature, des ancêtres, et des esprits. Ce n’est qu’à partir du moment que cette base politique justifiée par des éléments religieux est mise en place, que le régime politico-religieux est solide, que l’on peut se définir comme société.
Ce sont à travers les rites d’initiation que tous les membres de la tribu se relient entre eux (unité symbolisée par la construction de la Tsimia25 avant chaque initiation). Et ce sont (entre autre) ces rites qui perpétuent les rapports politico- religieux. Politique car ils justifient le pouvoir de l’homme sur a femme et religieux parce qu’au cours des initiations l’on fait intervenir le soleil, les esprits et les ancêtres. Ce « nouveau » rapport correspond à une société « primitive » tel que celle des Baruya, mais s’applique tout aussi bien à notre société occidentale.
Jusqu’à la révolution française de 1789, la majorité de l’Europe est monarchique et fortement liée au christianisme. La politique et la religion ne font qu’une dans la personne du roi. Les Lumières, qui prennent conscience que l’état doit être laïcisé, viennent désacraliser la condition humaine en remplaçant le religieux 7 3 ‘état doit être laïcisé, viennent désacraliser la condition humaine en remplaçant le religieux par la constitution et le premier code pénal de 1 791 (dans le cas de la France).
Chez les Baruya, les initiations, et les mythes desquels elles procèdent, permettent de conférer à l’homme une supériorité face à la femme. 26 Afin de comprendre ce concept, Godelier a besoin de se pencher sur la représentation de la conception de la naissance27. Suite à l’analyse de plusieurs sociétés (dont il nous donne les détails de sept d’entre elles) il remarque que chaque principe de conception correspond à la justification d’un système e parenté.
En règle générale, les sociétés matrilinéaires donnent très peu, si ce n’est aucune responsabilité à l’homme dans la confection du fœtus. Alors que celles au système patrilinéaire considèrent la femme comme un simple contenant dans lequel se développe le fœtus, et l’homme comme étant à la base de sa formation matérielle. Godelier relie toutes ces conceptions culturelles de la naissance, malgré leurs différences de système parental, par un dominateur commun : « Il faut toujours plus qu’un homme et une femme pour faire un enfant » (titre du chapitre 3).
L’homme et/ou la femme contribuent uniquement ? a conception du fœtus, forme non humanisée et non socialisée de l’enfant. Le passage de la forme foetale à la forme humaine demande Pintervention d’une puissance supérieure, que ce soit des ancêtres, des esprits ou des dieux, qui transmet au fœtus une force, une âme et parfois même une identité. Il s’agit de représentations de procréations imaginaires et fantasmatiques mais elles ont des conséquences réelles 3 mais elles ont des conséquences réelles dans le système politique et les rapports entre les sexes de chaque société.
Revenons au cas des Baruya. Il s’aglt d’une société patrilinéalre, ui considère la femme comme un simple sac dans lequel se développe le fœtus, alors que le sperme de l’homme le fabrique entièrement (os, chaire, sang). Il manque encore l’intervention du soleil et d’une âme esprit pour que le fœtus devienne un être humain28. L’enfant est donc créé physiquement par Vhomme mais il nait de la femme. Pour que l’homme devienne supérieur à la femme, il faut qu’il naisse à nouveau, mais de l’homme cette fois29.
Cette nouvelle naissance se fait lors des initiations masculines qul sont caractérisées par une phase d’homosexualité. Le sperme pur30, c’est-à-dire qui n’a eu aucun contact avec les emmes, est considéré comme la source de la vie. Il faut donc le transmettre aux jeunes initiés qui, coupés du monde féminin pendant plusieurs années, vont renaitre du monde masculin et, ayant ingéré la « force de vie seront légitimement supérieurs à la gente féminine. L’homme Baruya se sent supérieur à la femme, par le fait qu’elle ne possède pas la « force de vie mais en même temps il en a peur.
Il a peur du sang menstruel qui est une menace pour « la force de vie Il a peur que la femme se réapproprie un des objets sacrés : la flûte31 . La flûte représente le vagin et donc le pouvoir de vie que les hommes originaires nt volé aux femmes afin de mettre fin au chaos. Une nouvelle fois, nous voyons que des croyances et des mythes ont des conséquences concrètes PAGF 13 nous voyons que des croyances et des mythes ont des conséquences concrètes sur la réalité et sur le système politique de la société.
La sexualité, qui est vue par nous, européens, comme quelque chose d’intime, a des conséquences sur le fonctionnement de réalités politiques, hiérarchiques, économiques… Elle ne concerne pas uniquement l’individu, mais aussi l’ordre social en raison de ses représentations imaginaires et symboliques. En se basant sur l’exemple des Baruya, Godelier veut démontrer que la sexualité n’est pas « anti-sociale », comme l’avançaient de nombreuses théories, notamment dans les milieux religieux monothéistes, mais « a-sociale »32.
Qu’entendons-nous par là ? Dans certaines religions, comme le christianisme, la sexualité a pour unique but la procréation, au sein du mariage bien évidemment, et est perçue comme intrinsèquement mauvaise car elle détourne de la parole divine et par conséquent du pouvoir social. La sexualité est donc dangereuse pour le bon fonctionnement du système social, elle va contre la société, elle st « anti-sociale Godelier rectifie cette idée reçue. La sexualité participe au système social.
Cest entre autre sur elle que se consolident concrètement les systèmes politiques, économiques et hiérarchiques. Elle est donc sociale car elle concerne les rapports entre tous les individus. Cependant elle se trouve également à Pintérieur des rapports personnels de chacun. Elle est donc à l’intérieur et à l’extérieur du système social : elle est « a-sociale Nous pouvons dire que le livre de Godelier possède trois enjeux distincts, plus ou moins clairement énoncés, mais qui se répondent. premièremen