traité d’athéologie

3/518 Table des Matières Page de Titre page de Copyright DU MÊMEAUTEUR Dédicace Introduction 2 4 5/518 or 268 Sni* to View PREMIERE PARTIE – ATHEOLOGIE I – L’ODYSSÉE DES ESPRITS FORTS hédoniste, Grasset, 1991. LGF, 1994. L’ŒIL NOMADE, La peinture de Jacques Pasquier, Folle Avoine, 1993. LA SCULPTURE DE SOI, La morale esthétique, Grasset, 1993 (Prix MédiCiS de l’essai). LGF, 1996. 16/518 ARS MORIENDI, cent petits tableaux sur les avantages et les inconvenients de la mort, Folle Avoine, 1994. LA RAISON GOURMANDE, Philosophie du goût, Grasset, 1995.

LGF, 1997. MÉTAPHYSIQUE DES RUINES, ca peinture de Monsu Desideri0, Mollat, 1995. LES FORMES DU TEMPS, Théorie du sauternes, Mollat, 1996. POLI ‘QUE DU REBELLE, Traité de résistance et d’insoumission, Grasset, 1997. LGF, 1999. A CÔTÉ DU DÉSIR D’ÉTERNITÉ, Fragments d’Egypte, Mollat, 1998. THEORIE DU CORPS AMOUREUX. pour une érotique solaire, Grasset, 2000. LGF, 2001. 17/518 ANTIMANUEL DE PHILOSOPHIE, Leçons socratiques et alternatives, Bréal, ESTHÉTIQUE DIJ PÔLE NORD, Stèles hyperboréennes, Grasset, 2002, LGF, 2004.

L’INVENTION DU PLAISIR, Fra ments cyrénacues, LGF, 2002. 1998. LES VERTUS DE LA FOUDRE, Grasset, 1998. LGF, 2000. L’ARCHIPEL DES COMETES, Grasset, 2001. LGF, 2002. LA LUEUR DES ORAGES DÉSIRÉS (? paraître chez Grasset). Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays. « La notion de  » Dieu  » a été inventée comme antithèse de la vie — en elle se résume, en une unité épouvantable, tout ce qui est nuisible, vénéneux, calomniateur, toute haine de la vie.

La notion d’« au-del? », de « monde-vrai » n’a été inventée que pour déprécier le seul monde qu’il y ait – pour ne plus conserver à notre réalité terrestre aucun but, aucune raison, aucune tâche ! La notion d’« âme », d’« esprit » et, en fin de compte, même d’« âme immortelle été inventée pour mépriser le corps, pour le rendre malade — « sacré» – pour apporter à toutes les choses qui méritent le sérieux dans la vie – les questions d’alimentation, de logement, de régime intellectuel, les soins à donner aux malades, la propreté, le temps qu’il fait – la plus épouvantable insouciance !

Au lieu de la santé, le « salut de 20/518 l’âme » – je veux dire une folie circulaire qui va des convulsions de la pénitence ? l’hvstérie de la rédemptio la vision d’un vieux pasteur avec deux dromadaires, sa jeune femme et sa bellemère, sa fille et ses garçons sur des ânes, ‘ensemble chargé de tout ce qui constitue l’essentiel de la survie, donc de la vie, me donne l’impression de rencontrer un contemporain de Mahomet.

Ciel blanc et brûlant, arbres calcinés et rares, buissons d’épines roulés par les vents de sable sur des étendues infinies de sable orange, le spectacle m’installe dans l’ambiance géographique – donc mentale – du Coran, aux époques intempestives des caravanes de 23/518 chameaux, des camps nomades, des tribus du désert et de leurs affrontements.

Je songe aux terres d’Israël et de JudéeSamarie, à Jérusalem et Bethléem, à Nazareth et au lac de Tibériade, autant de lieux ù le soleil brûle les têtes, assèche les corps, assoiffe les âmes, et génère des désirs d’oasis, des envies de paradis où l’eau coule, fraîche, limpide, abondante, où l’air est doux, parfumé, caressant, où la nourriture et les boissons abondent. Les arrière-mondes me paraissent soudain des contre-mondes inventés par des hommes fatigués, épuisés, desséchés par leurs trajets réitérés dans les dunes ou sur les pistes caillouteuses chauffées à blanc.

Le monothéisme sort du sable. Dans la nuit de Ouadane, à l’est de Chinguetti où j’étais venu voir les bibliothèques islamiques nfouies dans le sable des dunes qui, patiemment mais sûrement, nuit bleu-gris luit sur sa peau noire, la pleine lune lisse les couleurs, sa chair paraît violette. Lentement, comme inspiré par les mouvements du monde, animé par les rythmes ancestraux de la planète, il se baisse, s’agenouille, descend la tête vers le sol, prie. La lumière des étoiles mortes nous parvient dans la chaleur nocturne du désert.

J’ai l’impression d’assister ? une scène primitive, en spectateur d’un geste probablement contemporain du premier émoi sacré des hommes. Le lendemain, pendant le trajet, j’interroge Abduramane ur [‘islam. Etonné qu’un Blanc occidental s’y intéresse, il récuse tout renvoi au texte dès qu’on sy réfère. Je viens de lire le Coran, plume à la main, j’ai encore quelques versets en tête, mot à mot. Sa croyance ne supporte 25/518 pas qu’on en appelle à son Livre saint pour débattre du bien-fondé d’un certain nombres de thèses islamiques. pour lui, Pislam est bon, tolérant, généreux, pacifique. La guerre sainte?

Le djihad décrété contre les infidèles? Les fatwas lancées contre un écrivain? Le terrorisme hypermoderne ? Le fait de fous, certainement; de musulmans, sûrement pas… Il n’aime pas qu’un non-musulman lise le Coran et renvoie à telle ou telle sourate pour lui dire qu’il a raison si fon extrait les versets qui le confortent, mais qu’il existe autant de textes dans ce même livre our donner raison au combattant armé ceint du bandeau Manhattan, aux émules de Ben Laden qui décapitent des otages civils. Je frise le blasphème… Retour au 26/518 silence dans les paysages dévastés par le feu du soleil.

Le chacal ontologique. Après quelques heures de silence, dans un même spectacle de désert inchangé, je revins au Coran, au paradis en l’occurrence. Croit-il, Abduramane, à cette géographie antastique dans le détail, ou comme à un symbole ? Les fleuves de lait et de vin, les houris aux grands yeux, les lits de soie et de brocarts, les musiques célestes, les jardins magnifiques? Oui, il précise : C’est comme ça… Et l’Enfer alors? Comme on le dit aussi… Lui qui vit non loin de la sainteté – prévenant et délicat, partageur, soucieux d’autrui, doux et calme, en paix avec lui-même, donc avec les autres et le monde… l connaitra donc un jour ces délices? Oui, j’espère… Je les lui souhaite 27/518 sincèrement – gardant en mon for intérieur cette certitude qu’il se leurre, qu’on le rompe et qu’il n’en connaitra malheureusement jamais rien… Après un temps de silence, il précise qu’avant d’entrer au Paradis, il devra toutefois rendre des comptes et qu’il n’aura probablement pas assez de toute son existence de croyant pieux pour expier il n’a rien vu venir, l’animal a surgi de la pénombre, deux secondes plus tard il agonisait sous le châssis du véhicule. 8/518 Obéissant à la loi du code de la route, il n’aurait pas commis ce sacrilège : tuer un animal sans la nécessité de s’en nourrir. Outre que, me semble-t-il, le Coran ne stipule rien de tel…. on ne peut tout de même être tenu our responsable de tout ce qui nous advient! Abduramane croit que si : Allah se manifeste dans les détails, cette histoire prouve la nécessité d’être soumis, à la loi, aux règles, à l’ordre, car toute transgression, même minime, rapproche des enfers, voire y mène directement..

Le chacal hanta ses nuits, longtemps, il l’empêcha de dormir plus d’une fois, il le voyait souvent, dans ses rêves, lui interdisant l’accès au paradis. Au moment où il en parlait, l’émotion revenait. Son père, vieux sage nonagénaire, ancien soldat de la guerre 14-18, avait surenchéri : à l’évidence, il avait anqué de respect à la loi, il devrait donc s’en expliquer le jour de sa mort. En attendant, dans le pus infime de sa vie, 29/518 Abduramane devait tâcher d’expier ce qui pouvait fêtre.

Aux portes du Paradis, le chacal attend. Que n’aurais-je donné pour qu’il déguerpisse et libère l’âme de cet homme intègre. charogne un charognard ; les seconds imaginent que la béatitude leur revient de fait pour avoir réduit en poussière la vie de milliers d’indivldus – dont des musulmans… Le même livre justifie pourtant ces deux hommes évoluant chacun aux antipodes de l’humanité : l’un tend vers la sainteté, les utres réalisent la barbarie. 30/518 Cartes postales mystiques. J’ai souvent vu Dieu dans mon existence.

Là, dans ce désert mauritanien, sous la lune qul repeignait la nuit avec des couleurs violettes et bleues; dans des mosquées fraîches de Benghazi ou de Tripoli, en Libye, lors de mon périple vers Cyrène, la patrie d’Aristippe , non loin de Port-Louis, à l’île Maurice, dans un sanctuaire consacré à Gamesh, le dieu coloré à trompe d’éléphant; dans la synagogue du quartier du ghetto, à Venise, une kippa sur la tête ; dans le chœur d’églises orthodoxes à Moscou, un cercueil ouvert dans ‘entrée du monastère de Novodievitchi, pendant que priaient à l’intérieur la famille, les amis et les popes aux voix magnifiques, couverts d’or et nimbés d’encens; à Séville, devant la Macarena, en présence de femmes en larmes et d’hommes aux visages extatiques, ou à Naples, dans l’église Saint- 31/518 Janvier, le dieu de la ville c accroché des petits mouchoirs votifs; place Saint-Pierre, un jour où j’avais négligé le calendrier : je venais pour revoir la Sixtine, c’était le dimanche de pâques, Jean-Paul Il vocalisait ses glossolalies dans un micro et exhibait sa mitre effondrée sur un écran géant.

J’ai vu Dieu ailleurs, aussi, et autrement dans les eaux glacées de l’Arctique, lors de la remontée d’un saumon pêché par un chaman, abîmé par le filet, et rituellement remis dans le cosmos d’où on l’avait prélevé ; dans une arrière-cuisine de La Havane, entre un agouti crucifié et fumé, des pierres de foudre 32/518 et des coquillages, avec un officiant de la santeria; en Haiti, dans un temple vaudou perdu dans la campagne, parmi des bassines tachées de liquides rouges, dans des odeurs âcres d’herbes et de décoctions, entouré de dessins effectués dans le temple au nom des loas; en Azerbaïdjan, près de Bakou, ? Sourakhany, dans un temple zoroastrien d’adorateurs du feu; ou encore à Kyoto, dans les jardins zen, excellents exercices pour la théologie négative.

J’ai vu également des dieux morts, des dieux fossiles, des dieux hors d’âge : à Lascaux, sidéré par les peintures de la grotte, ce ventre du monde dans lequel ‘âme vacille sous les couches immenses du temps; ? Louxor, dans des chambres royales, situées ? des dizaines de mètres sous terre hommes ? têtes de chien, scarabées atiques en veille; à Rome, en me dirigeant vers le Parthénon, l’esprit plein du lieu où, en contrebas, Socrate rencontra Platon… Nulle part je n’ai méprisé celui qui croyait aux esprits, à [‘âme immortelle, au souffle des dieux, à la présence des anges, aux effets de la prière, à l’efficacité du rituel, au bienfondé des incantations, au contact avec les loas, aux miracles à Ihémoglobine, aux larmes de la Vierge, à la résurrection d’un homme crucifié, aux vertus des cauris, aux forces chamaniques, à la valeur du sacrifice anlmal, à l’effet transcendant du nitre égyptien, aux moulins à prière. Au chacal ontologique. Nulle part.

Mais partout j’ai constaté combien les hommes fabulent pour éviter de egarder le réel en face. La création d’arrièremondes ne serait pas bien grave si elle ne se payait du prix fart : l’oubli du réel, donc la coupable négligence du seul monde qui soit. Quand la croyance fâche avec l’immanence, 34/518 donc soi, l’athéisme réconcilie avec la terre, l’autre nom de la vie. En compagnie de Madame Bovary. pour beaucoup, sans le bovarysme la vie serait une horreur. A se prendre pour autres que ce qu’ils sont, à s’imaginer dans une configuration différente de celle du réel, les hommes évitent le tragique certes mais passent à côté d’eux- mêmes. Je ne méprise pa PAGF ID OF