Crises cycliques malgaches : mêmes causes, mêmes effets

CRISES CYCLIQUES MALGACHES . MÊMES CAUSES, MÊMES EFFETS Par Erick Rabemananoro Titulaire d’un master de science politique, Erick Rabemananoro prépare actuellement une thèse consacrée aux crises politiques malgaches. Il est déj? l’auteur de travaux se penchant sur ce sujet, dont un mémoire universitaire sur les « Limites de la diplomatie coercitive dans la résolution d’une crise » (Lyon Ill), et un ouvrage sur la « Modélisation or29 d’un système d’analy p Sni* to View violente à Madagasc (CEDS-Madagascar). on de crise politique e 26 juin 2010, Madagascar a commémoré le cinquantenaire de son retour à l’indépendance 1 en plein ontexte de crise politique. Durant cette période, neuf Chefs d’État ont exercé le pouvoir : Philibert Tsiranana 2, Gabriel Ramanantsoa, Richard Ratsimandrava, Gilles Andriamahazo, Didier Ratsiraka 3, Albert Zafy, Norbert Lala Ratsirahonana, Marc Ravalomanana, et Andry Rajoelina 4. l’État ont eu affaire à une alternance en dehors du cadre prévu par la Constitution en vigueur, non violent à la révolution et qui « caractérise aujourd’hui les démocraties qui fonctionnent » 5.

Ily a certes eu des départs du pouvoir dans des conditions paisibles à la suite d’une défaite électorale, mais les scrutins orrespondants ont été organisés par des Transitions, qui, elles- mêmes, ont été générées par des crises politiques 6. Par conséquent, au cours de leur carrière, tous ceux qui ont eu à diriger L’histoire des alternances durant les cinquante premières années de régime républicain à Madagascar retiendra donc qu’à quatre reprises, les changements à la tête du pays ont été générés par des crises politiques violentes 7.

A celles-ci s’ajoutent l’assassinat du chef d’État en exercice en 1975. Si certains auteurs considèrent que le pays est un pays de crises cycliques, d’autres dédramatisent ce mode d’alternance n le qualifiant de « rituel malgache de changement du pouvoir par la rue » 8. En effet, en 1972, 1991, 2002 et 2009, des mouvements de contestation dans la rue ont abouti au départ Le « retour à l’indépendance » de Madagascar en 1960 fait quelquefois robjet de débat et de polémiques.

Nous rappelons que Madagascar était une Nation Indépendante et souveraine avant la colonisation française (1896), et que le Royaume de Madagascar avait été reconnu par la GrandeBretagne en 1817, elle-même suive par les États-Unis (1883), l’Allemagne (1883), l’Italie (1883) et la France (1885)… 2 Dans le cadre du processus de décolonisation enclenché par la loi-cadre Deferre (1956), obtint un statut de PAGF 7 OF autonome dans le cadre de la Communauté française, et Philibert Tsiranana en fut élu Premier ministre par le congrès des conseillers provinciaux le 14 octobre 1958.

Ensuite, un collège qui comprenait [‘Assemblée constituante, les conseillers provinciaux et les délégués des communes a procédé le 1er mai 1959 à l’élection du Président de la République, qui vit la victoire de Philibert Tsiranana face à trois adversaires par 1 13 voix (et une abstention) sur 114 suffrages exprimés. Après la signature des Accords franco-malgaches (2 avril 1960), le retour ? l’Indépendance est entériné le 26 juin 1960.

A l’issue de son premier mandat, Philibert Tsiranana sera réélu au suffrage universel le 30 mars 1965, avec des voix.. « Didier Ratsiraka a été chef d’État à deux reprises, revenant au pouvoir en 1997 après en avoir été évincé en 1993. 4 On rajoutera à cette liste le nom d’Hyppolite Ramaroson, virtuel chef d’État à la tête du Directoire militaire durant quelques heures pendant la journée du 17 mars 2009, mais qui n’eut jamais l’occasion d’être fficiellement installé dans ces fonctions ni d’exercer le pouvoir.

Quermonne, J. -L. (2003), L’alternance au pouvoir, Montchrestien, Paris, pp. 8-9. 6 On citera notamment le d PAGF 3 OF r Ratsiraka en 1993, après l’échelle dite « de Kosimo » établie par le HIIK du Département de science politique de l’Université de Heidelberg. Intervention de l’agrégé de droit Joel Andriantsimbazovina sur un forum internet, http://fijery. wordpress. com/2011 /07/27/sanctions . N. B. he Malagasy Development Journal 51 3 – LA TRISTE REALITE DES CRISES CYCLIQUES du Chef d’État en exercice.

Ces crises malgaches sont de moins en oins espacées, et de plus en plus longues g. l. Une culture de l’alternance par voie de crise. Les alternances malgaches ont donc été une succession de crises qui ont obligé les dirigeants à adapter la légalité institutionnelle à la sltuation informelle créée par les événements. En 1972, Philibert Tsiranana improvise une mesure non prévue par la Constitution en octroyant les pleins pouvoirs au Général Ramanantsoa, mais reste Président de la République.

Quelques mois plus tard, le référendum du 8 octobre 1972 donne l’onction populaire ? cette transmission du pouvoir et écarte définitivement le résident Tsiranana. En 1975, l’armée décide de constituer un directoire militaire suite à l’assassinat le 11 février 1975 du Colonel Ratsimandrava, Chef d’Etat en exercice. En 1991, la persistance de PAGF OF pg exécutif entre les mains du Premier ministre Guy Willy Razanamasy. En 2002, sous prétexte de controverse sur les résultats du premier tour de l’électlon présidentielle du 16 décembre 2001, Marc Ravalomanana fait un coup d’Etat.

Il se fait proclamer vainqueur au premier tour par son directeur de campagne, puis installer Président de la République le 22 février 2002 par une équipe e magistrats qui ont pris son parti. Au fur et à mesure du temps qui passe et de l’extension géographique de son pouvoir, les communautés nationale et internationale doivent se résoudre à reconnaitre le fait accompli. Un recomptage des voix prévu par les Accords de Dakar permet d’attribuer officiellement à Marc Ravalomanana la victoire au premier tour qu’il revendiquait.

En 2009, suite à la fermeture par le Ministère de la communication de la station de télévision VIVA lui appartenant, Andry Rajoelina profite d’une atmosphère de mécontentement contre certains abus du pouvoir en place 10 et ntraine la foule dans des mouvements de rue, ce qui génère une nouvelle crise violente. Le 30 janvier 2009, il lance un processus de coup d’État. Ce jour-là, il déclare sur la place du 13 mai prendre en charge les affaires de HÉtat et exige l’obéissance des chefs de l’armée.

Le 8 mars 2009, une mutinerie en faveur d’Andry Rajoelina (suivie de l’attaque du palais présidentiel d’Ambohitsorohitra par les mutins le 16 mars 2009) obligera Marc Ravalomanana à partir en exil, après avoir transféré les pleins pouvoirs à un Directoire militaire. Le 17 mars 2009, les mutins s’oppose PAGF s OF s’opposent par la force à la ise en place de ce Directoire militaire, et imposent à ses membres une « abdication » en faveur d’Andy Rajoelina.

Ce n’est que le 19 mars 2009 que l’ordonnance 2009/003 instituant le régime de la Transition vers la IVème République crée la Haute Autorité pour la Transition vers la Quatrième République (HA ). Or cette HAT était déjà une appellation utilisée depuis presque deux mois sur la Place du 13 mai, en particulier lors de la nomination du « Premier ministre » Monja Roindefo, le 7 février 2009. L’ordonnance 2009/003 formalise donc une institution née dans la rue depuis de nombreuses semaines.

Ces formalisations de situations informelles générées par les crises procèdent à l’alignement de la réalité du terrain avec la légalité institutionnelle, et ce, en-dehors des dispositions prévues par la Constitution en vigueur. Ces bricolages successifs ont un effet pervers : ils confortent les Malgaches dans l’idée que ce texte n’a pas la « sacralité » qu’il devrait avoir. Cela est renforcé par la propension des dirigeants malgaches ? adapter la Constitution à leurs intérêts (Albert Zafy en 1995, Didier Ratsiraka en 1998, Marc Ravalomanana en 2007).

Du côté de l’opposition, le changement e République (et donc de Constitution) est un argument souvent utilisé lors des crises comme étant une revendication nécessaire à la vie du pays. Mais en définitive, la Constitution a une importance assez relative aux yeux de la plupart des Malgaches qui ne se sont guère vraiment approprié celles qui se sont succédé. La Constitution de la Première PAGF OF Constitution de la Première 9 Le pic de la crise de 1972 avait duré quelques jours en mai (même si la grève des étudiants avait commencé en janvier).

La crise de 1991 avait duré de juin à octobre (avec des manifestations sporadiques epuis le 1er mai sous l’impulsion des syndicats). La crise de 2002 a duré de janvier à juillet. En juin 2012, la crise de 2009 n’est toujours pas résolue. 10 Parmi les motifs de grogne, le développement tentaculaire du groupe agro-industriel Tiko appartenant au Président, et qui bénéficie de beaucoup d’avantages fiscaux et autres ; 52 République a juste été inspirée par son homologue français, et les suivantes ont été peu lues, discutées ou connues par la très grande majorité des citoyens 11.

Il. Des facteurs structurels qui sentent de moule aux crises. Dans l’édition 2002 du Rapport mondial sur e développement humain dont le thème était consacré à la démocratie 12, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) avait listé six critères qui devaient être présents dans un régime démocratique. Ils fournissent une bonne grille de lecture pour analyser la structure du jeu politique à Mada ascar, et pour mesurer les écarts entre et le réel doigts.

En fait, la très grande majorité de ces partis n’est constituée que de groupuscules autour de quelques individus, et qui n’ont aucune envergure régionale ni même locale, et encore moins nationale. Beaucoup de politiciens ‘existent sur la scène politique qu’à l’occasion de crises politiques, ce qui leur permet de participer au pouvoir sans avoir à passer par les urnes, et sans avoir une quelconque représentativité électorale. Le jeu politique se pratique à travers des alliances pour ou contre des individus, et non pour ou contre des idées ou des projets de société.

Par conséquent, les pans polltiques sont accessoires pour la conquête du pouvoir (par exemple, Didier Ratsiraka n’a créé l’AREMA qu’un an après être arrivé au pouvoir). es partis ne prennent alors de l’importance que quand il ‘agit de s’y maintenir, devenant ainsi un appareil de quadrillage de la société : on a parlé d’ÉtatPSD sous Tsiranana, d’État-AREMA sous Ratsiraka, d’I_JNDD-isation sous Albert Zafy, d’État-TlM sous Marc Ravalomanana.

Les partis politiques ont donc une crédibilité limitée vis-à-vis de l’opinion publique : dans l’enquête réalisée par Casals en 2005, les partis politiques sont les institutions ayant le plus faible taux de confiance parmi les ménages malgaches avec 13. Cela explique la facilité avec laquelle la participation politique se déverse dans la rue et dépasse le cadre des partis et des institutions Parlement) dès que le contexte se fait propice pour les opposants. 11. Un système électoral garantissant des élections libres et non entachées d’irrégularités, ainsi que le suffraee unive PAGF 8 OF entachées d’irrégularités, ainsi que le suffrage universel. Depuis 1960, sauf à de très rares exceptions, les élections à Madagascar reflètent ce que Terry Karl qualifie de « fallacy of electoralism et qui se base juste sur l’existence d’élections pour prétendre que la démocratie existe, sans chercher à considérer les autres aspects 14. De nombreux travaux se sont penchés sur les raisons qui xpliquent le manque de fiabilité des élections malgaches 15.

Elles sont donc incapables de servir de baromètre pour évaluer l’assise réelle d’un régime et son potentiel de stabilité. par conséquent, il existe une volatilité extrêmement rapide des acquis d’un scrutin : Philibert Tsiranana, élu en janvier 1972 par des voix, est renversé par la rue en mai de la même année. Didier Ratsiraka, réélu au premier tour des élections de mars 1989 par 63% des voix pour un troisième mandat, doit faire face à une grave crise politique à partir de juin 1991.

Albert Zafy, élu par 66% des voix en février 993, doit quitter le pouvoir suite à une procédure d’empêchement votée en 1996 par une Assemblée nationale, dont plus de la moitié (75 députés sur 138) lui était pourtant acquise lors des législatives de 1993. Marc Ravalomanana, réélu par 53% en 2006, est balayé par une crise politique au premier trimestre 2009. Le référendum constitutionnel qu’il avait organisé en 2007, et qui avait Lire à ce suiet Ranieva, R. ( PAGF titutionnalismes et sortie Karthala, Paris, pp. 279-284. 12 PNUD (2002), Approfondir la démocratie dans un monde divisé, PNUD / de Boeck Universiry, Bruxelles, p. . 13 Casals & Associates (2006), Evaluation de la lutte contre la corruption à Madagascar. Alexandrie, Casals, p. 48. 14 Voir Diamond, L (1997), Is the third wave of democratization over Working Paper #236, Kellogg Institute, Notre Dame, p. 9. Lire à ce sujet SEFAFI (2002), « Pour une élection juste et transparente in SEFAFI, Libertés publiques : les leçons d’une crise, Antananarivo, pp. 90-99. 53 vu la victoire du « Oui » par 75%, précède de tout juste un an et demi l’explosion de la crise de 2009. 11. 3 Un système d’équilibre reposant sur la séparation des pouvoirs, avec une branche iudiciaire et une branche pendantes.