or 11 Sni* to View LE TEMPS DESSINÉ LAURENT BEAUDOUIN d’un mouvement. La présence de ce temps donne au trait une densité finalement plus troublante que le simulacre de l’espace, l’esquisse conserve une part de ce moment, le temps est encore là, prisonnier de la surface, piégé dans les fibres du papier. Le dessin est une pellicule de temps mise à plat dans l’espace.
Les yeux et la main ne voient pas l’espace sous le même angle, les yeux sont habitués à voir des objets en relief, éclairés de l’extérieur, tandis que la main représente un monde qui semble s’enfoncer à l’intérieur de la surface du papier et qui paraît ontenir sa propre lumière. II y a entre les yeux et la main un lien décalé, comme un défaut de parallaxe, qui fait sentir le monde du dessous.
Cette impression étrange vient d’un regard et dune main situés à des hauteurs différentes, les doigts sont au niveau du carnet et se promènent dans le plan tandis que les yeux sont plus haut, regardant la feuille frontalement comme s’ils étaient en en façade. Nous sommes en premier plan de ce que nous regardons, nous voyons la main qui dessine. Les yeux regardent un mande qui nous est extérieur, tandis que la main fait ressortir un monde intérieur.
Contrairement aux yeux qui vont toujours ar paire, le crayon est solitaire, il se pose sur la pointe pour glisser sur le papier, il s’appuie sur une surface continue, il est ? l’opposé du regard qui n’a, comme soutient, que le fil de l’horizon. La main a un support et se maintient bien à plat sur les deux dimensions de la feuille, tandis que les ye PAG » 1 main a un support et se maintient bien à plat sur les deux dimensions de la feuille, tandis que les yeux basculent avec la tête.
La main représente un monde évidé représenté en creux, alors que les yeux, par habitude, salsissent plutôt le modelé, le relief des volumes, c’est pourquoi l’ouverture de la erspective est au-delà de la surface et rarement en deçà. Dans la perspective, le regard traverse le papier, respace est déjà à, incrusté dans la platitude de la feuille. Face à une perspective, voir en relief ne sert à rien, on peut la regarder d’un seul œil, sans qu’elle ne perde sa profondeur. Nos doigts aveugles montrent ce que la pensée ne peut pas voir : la perspective est la revanche de la main sur les yeux. regard est un intermédiaire qui ne nous montre pas le monde comme il est, il reconstruit sans cesse notre univers pour qu’il se rapproche un peu de la réalité. Nous oublions que la lentille de nos yeux capte les images à l’envers et que le cerveau les renverse pour que ce que l’on regarde et ce que l’on touche ait un peu de cohérence. À cause de la sphère des yeux, ce que nous croyons rectiligne est toujours un fragment de courbe qui emprisonne le regard. La main, articulée à de multiples pivots, est sujette à des cercles successlfs et nous fait sentir une ronde- bosse insolite, une sensation de relief bizarrement circulaire.
La main est attachée à une courte tige qui ne fait que pivoter autour des articulations du poignet, du coude et de l’épaule, à l’image ‘un pantograph PAGF30F11 pivoter autour des articulations du poignet, du coude et de l’épaule, à l’image d’un pantographe cintré. Les choses n’existent pas telles qu’on les voit, nous habitons un monde qui n’est pas celui que nous voyons et l’esprit est enfermé dans un théâtre d’apparences où il corrige en continu la déformation des sens pour redresser ce qu’il perçoit.
Il faut faire un effort particulier pour tracer une ligne droite, comme si la gravité naturelle s’appliquait au regard, comme si l’horizon était vraiment bombé, plié par une terre plus petite. Notre seule véritable ligne droite est e court segment qui sépare les deux yeux. Certains traits ont des géométries particulières: la ligne droite fait partie des exceptions paradoxales, c’est le moins simple des traits, la ligne droite est une courbe qui veut aller au plus court, en passant directement d’un point à un autre, c’est un tracé abstrait, qui n’existe pas dans la nature.
La ligne droite est une volonté. Il faut s’imposer une règle pour la dessiner, une « règle » pour définir à la fois la loi qui l’organise et l’instrument qui la trace. La ligne droite est très sensible à la gravité, elle aime être dans l’axe du corps ou dans e plan du regard. La ligne droite est une invention qui évoque l’infini et questionne sur le temps, on peut s’interroger à loisir sur sa réalité: est-elle le trait continu d’une durée sans fin, ou les points juxtaposés de tous les instants? La Ilgne droite nous pose la question de son commencement et de sa fin, ainsi la quest PAGFd0F11 instants?
La ligne droite nous pose la question de son commencement et de sa fin, ainsi la question: « où finit-elle? ‘ signifie aussi bien: « quand finit-elle? » La décision qui doit être prlse pour l’arrêter est d’ordre temporel, choisir une dimension c’est aussi déterminer une durée. L’écart immuable de nos yeux restitue une sensation de profondeur, il crée une topographie instable. Le regard flotte sur cette parallèle suspendue à un mètre et demi au-dessus du sol. Il semble être à l’origine de ce qui nous entoure, l’espace sort de nos yeux et se reconstitue instantanément dans nos déplacements.
Le temps et l’horizon partagent le même paradoxe d’être des infinis limités. L’horizon paraît éloigné, mais nous l’avons pourtant sous nos pieds, il n’est que le moment où le sol disparaît du regard. La perspective nous en donne une idée toute différente, elle le dessine comme une ligne. Dans le dessin, la ligne d’horizon n’est pas fermée c’est le premier des simulacres de la représentation. En traçant une ligne ouverte, le premier geste de la perspective est de se libérer de la gravité. Le dessin fait basculer l’horizon dans le monde des hypothèses comme s’il était une chimère sans consistance.
Cette bordure distante est la profondeur ultime, elle est garante de l’infinité du monde, de ce recul permanent qui nous éloigne de sa propre limite. On ne peut jamais atteindre l’horizon et plus nous le cherchons, plus il se retire. Nous vivons dans le rapport croisé entre un corps debout t des yeux s 1 il se retire. Nous vivons dans le rapport croisé entre un corps debout et des yeux parallèles au sol, Farchitecture nait horizontale, pour elle, la verticale n’est que le soulèvement d’un morceau d’étendue.
L’espace est fuyant, comme un modèle qui bouge sans cesse, il échappe à notre capacité de le représenter en entier. Le plan et la coupe ne suffisent pas, il faut trouver le moyen d’être dans le projet pour en voir l’intérieur. Le regard doit rentrer dans le plan pour se perdre dans les endroits délaissés. Le dessin que nous voyons est plat, le creux de la perspective fait sentir les olumes, pourtant la feuille n’a pas d’épaisseur, le dessin est une apparence trompeuse, qui ne donne pas une impression de relief, mais un sentiment d’enfoncement, le dessin éloigne ce que fon regarde. La profondeur est un lent dévoilement.
Si toutes les choses étaient côte à côte, entièrement distinctes, l’espace serait plat, c’est pourquoi le lointain n’est pas profond. L’éloignement unifie les volumes, il les rassemble dans une même surface, la profondeur est faite de disparition et de recouvrement, c’est une découverte graduelle où l’espace est successivement l’autre, le dedans et le lointain. L’espace ne nous est pas donné ans sa totalité, il a besoin de temps pour être parcouru, il ne se comprend que rétrospectivement, ainsi nous avons l’intuition de ce qui est caché à travers la mémoire de ce que nous avons vu, la plénitude est hors de portée.
De fait la profondeur est liée au parcours, lorsque nous 6 1 avons vu, la plénitude est hors de portée. De fait la profondeur est liée au parcours, lorsque nous marchons, le regard découvre, puis défait ce qu’il a vu, nous gommons au fur et à mesure ce qui nous entoure et ce retrait perpétuel nous fat comprendre que la profondeur est une question de temps. Dans cette alternance ‘apparition et d’effacement, l’architecture est tour à tour, portrait, nature morte et paysage.
Le dessin n’est, malgré tout, qu’un ensemble de points et de lignes. Un point n’a pas d’épaisseur, pas de dimension, il n’est qu’une situation dans l’espace, il ny a rien ni avant ni après lui, un point est irréel. Le point ne permet pas de fixer une distance, on peut s’en rapprocher sans qu’il change de nature, le pont a toujours la même taille. Il ne permet pas de diviser [‘espace et ne dit rien de la distance qui nous en sépare. Il faut au moins deux points pour former un écart et suggérer la figure discrète d’une igne invisible.
Ces traits sous-jacents nous donnent deux indications: la distance et l’espacement, mais ces deux points ne retiennent pas non plus l’espace, celui-ci reste indifférent, flottant librement autour d’eux et les relier d’un trait ne fait que révéler la distance en perdant Pespacement. La ligne ainsi tracée reste tout aussl Irréelle que le point, elle n’a pas d’épaisseur, elle n’a qu’une qualité nouvelle: on peut la diviser par un élément qui la mesure. une ligne est l’extension d’un point, la ligne est active alors que le point est stable. Seule l’as PAGF70F11