Malade Imaginaire

LE MALADE IMAGINAIRE Comédie LE PROLOGUE Après les glorieuses fatigues, et les exploits victorieux de notre auguste monarque; il est bien juste que tous ceux qui se mêlent d’écrire, travaillent ou ? ses louanges, ou à son divertissement. C’est ce qu’ici l’on a voulu faire, et ce prologue est un essai des louanges de ce grand prince, qui donne entrée à la comédie du Malade imaginaire, dont le projet a été fait pour le délasser de ses no La décoration représ e or g4 et néanmoins fort agréable. ÉGLOGUE Sni* to View EN MUSIQUE ET EN DANSE FLORE, PAN, CLIMÈNE, DAPHNÉ, TIRCIS, DORILAS, DEUX ZÉPHIRS, TROUPE DE

BERGÈRES ET DE BERGERS FLORE Quittez, quittez vos troupeaux, Venez Bergers, Bergères, Accourez, accourez sous ces tendres ormeaux; je viens vous annoncer des nouvelles bien chères, Et réjouir tous ces hameaux. Venez bergers, venez Bergères, Accourez, accourez sous ces tendres ormeaux. CLIMENE ET DAPHNE Berger, laissons là tes feux, DE BALLET Toute la troupe des Bergers et des Bergères va se placer en cadence autour de Flore. CLIMENE Quelle nouvelle parmi nous, Déesse, doit jeter tant de réjouissance? DAPHNÉ Nous brûlons d’apprendre de vous Cette nouvelle d’importance. DORILAS D’ardeur nous en soupirons tous.

TOUS ENSEMBLE Nous en mourons d’Impatience. La voici, silence, silence! Vos VŒUX sont exaucés, LOUIS est de retour, Il ramène en ces lieux les plaisirs et l’amour, Et vous voyez finir vos mortelles alarmes, Par ses vastes exploits son bras voit tout soumis, Il quitte les armes, Faute d’ennemis. TOUS Ah quelle douce nouvelle! Qu’elle est grande! qu’elle est belle! Que de plaisirs! que de ris! que de jeux! Que de succès heureux! Et que le Ciel a bien rempli nos vœux, AUTRE ENTRÉE DE BALLET 2 Tous les bergers et bergères expriment par des danses les transports de leur joie OF Dorilas est vainqueur, À le chérir je m’engage.

Je me donne à son ardeur. TIRCIS Ô trop chère espérance! Ô mot plein de douceur! TOUS DEUX Plus beau sujet, plus belle récompense Peuvent-ils animer un cœur? Les violons jouent un air pour animer les deux Bergers au combat, tandis que Flore comme juge va se placer au pied d’un bel arbre, qui est au milieu du théâtre, avec deux Zéphirs, et que le reste comme spectateurs va occuper les deux côtés de la scène. Quand la neige fondue enfle un torrent fameux, Contre l’effort soudain de ses flots écumeux Il n’est rien d’assez solide; Digues, châteaux, villes, et bois, Hommes, et troupeaux à la fois,

Tout cède au courant qui le guide, Tel, et plus fier, et plus rapide, Marche LOIJIS dans ses exploits. BALLET Les Bergers et Bergères du côté de Tircis, dansent autour de lui sur une ritournelle, pour exprimer leurs applaudissements. Le foudre menaçant qui p PAGF OF de son côté, font encore la même chose. LOUIS fait à nos temps, par ses faits inouïs Croire tous les beaux faits que nous chante l’histoire Des siècles évanouis: Mais nos neveux dans leur gloire, N’auront rien qui fasse croire 4 Tous les beaux faits de LOUIS. BAL ET Les Bergers et Bergères2 de son côté font encore de même, après quoi les deux partis se êlent.

PAN, suivi de six Faunes. Laissez, laissez, Bergers, ce dessein téméraire, Hé, que voulez-vous faire? Chanter sur vas chalumeaux, Ce qu’Apollon sur sa lyre Avec ses chants les plus beaux, N’entreprendrait pas de dire? Cest donner trop d’essor au feu qui vous inspire, Cest monter vers les cieux sur des ailes de cire, Pour tomber dans le fond des eaux3. Pour chanter de LOUIS l’intrépide courage; Il n’est point d’assez docte voix, Point de mats assez grands pour en tracer l’image,’ Le silence est le langage Qui doit louer ses exploits.

Consacrez d’autres soins à sa pleme victoire, Vos louanges n’ont rien qui flatte ses désirs, Laissez, laissez là sa gloire Ne songez qu’à ses plaisirs. Laissons, laissons là sa glo- DAPHNÉ, en leur donnant la main. Dans les choses grandes et belles Il suffit d’avoir entrepris. TIRCIS ET DORILAS Ha! que d’un doux succès notre audace est suivie. FLORE ET PAN Ce qu’on fait pour LOUIS, on ne le perd jamais. LES QUATRE AMANTS Au soin de ses plaisirs donnons-nous désormais. Heureux, heureux qui peut lui consacrer sa vie.

Joignons tous dans ces bois Nos flûtes et nos voix, Ce jour nous y convie, Et faisons aux échos redire mille fois, «LOUIS est le plus grand des rois. Heureux, heureux, qui peut lui consacrer sa vie! » DERNIERE ET GRANDE ENTREE DE BALLET Faunes, Bergers et Bergères, tous se mêlent, et il se fait entre eux des jeux de danse, après quoi ils se vont préparer pour la Comédie4. Le théâtre change et représente une chambre. 6 ACTEURS ARGAN, malade imaginaire. BÉLINE, seconde femme d’Argan. ANGÉLIQUE, fille d’Argan et amante de Cléante. LOUISON, petite fille d’Arp Aneélique. ix, et dix font vingt. Trois et deux font cinq. «Plus, du vingt- quatrième, un petit clystère insinuatif, préparatif, et rémollient, pour amollir, humecter, et rafraichir les entrailles de Monsieur7. » Ce qui me plaît, de Monsieur Fleurant mon pothicaire, c’est que ses parties sont toujours fort civiles. «Les entrailles de Monsieur, trente sols». Oui, mais, Monsieur Fleurant, ce n’est pas tout que d’être civil, il faut être aussi raisonnable, et ne pas écorcher les malades. Trente sols un lavement, je suis votre serviteur8, je vous l’ai déj? dit.

Vous ne me les avez mis dans les autres parties qu’à vingt sols, et Vlngt sols en langage d’apothicaire, c’est-à-dire dix sols; les voilà, dix sols. «Plus dudit jour, un bon clystère détersif, composé avec catholicon double9, rhubarbe, miel rosat, et autres, suivant l’ordonnance, pour balayer, laver, et nettoyer le as-ventre de Monsieur, trente sols;» avec votre permission, dix sols. «PIus dudit jour le soir un julep hépatique, soporatif, et somnifère, composé pour faire dormir Monsieur, trente-cinq sols;» je ne me plains pas de celui-là, car il me fit bien dormir.

Dix, quinze, seize et dix-sept sols, six deniers. «Plus du vingt-cinquième, une bonne médecine purgative et corroborative, composée de casse10 récente avec séné levantin, et autres, suivant l’ordonnance de Monsieur Purgon, pour expulser et évacuer la bile de Monsieur, quatre livres. » Ah! Monsieur Fleurant, c’est se moquer, il faut vivre avec les malades. Monsieur Purgon ne vous a pas ordonné de mettre quatre francs. Mettez, mettez tro les malades. Monsieur Purgon ne vous a pas ordonné de mettre quatre francs. Mettez, mettez trois livres, s’il vous plait. Vingt et trente sols. ?Plus dudit jour, une potion anodinel 1, et astringente, pour faire reposer Monsieur, trente sols.  » Bon, dix et quinze sols. «Plus du vingt-sixième, un clystère carminatifl 2, pour chasser les vents de Monsieur, trente sols. » Dix Sols, Monsieur Fleurant. «Plus, le clystère de Monsieur réitéré le soir, comme dessus, trente sols. » Monsieur Fleurant, dix sols. «Plus du vingt-septième, une bonne médecine omposée pour hâter d’aller, et chasser dehors les mauvaises humeurs de Monsleur, trois livres. » Bon vingt, et trente sols; je suis bien aise que vous soyez raisonnable. ?Plus du vingthuitième, une prise de petit-lait clarifié, et dulcoré, pour adoucir, lénifier, tempérer, et rafraîchir le sang de Monsieur, vingt sols. » gon, dix sols. «Plus une potion cordiale et préservative, composée avec douze grains de bézoard13, sirops de limon et grenade, et autres, suivant l’ordonnance, cinq livres. » Ah! Monsieur Fleurant, tout doux, s’il vous plait, si vous en usez comme cela, on ne voudra plus être malade, contentez-vous de uatre francs; vingt et quarante 7 sols. Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Soixante et trois livres quatre sols six deniers.

Si bien donc, que de ce mois j’ai pris une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept et huit médecines; et un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze et douze lavements; et l’autre mois il y avait douze médecines, et vingt 7 OF huit, neuf, dix, onze et douze lavements; et l’autre mois il y avait douze médecines, et vingt lavements. Je ne m’étonne pas, si je ne me porte pas si bien ce mois-ci, que l’autre. Je le dirai à Monsieur Purgon, afin qu’il mette ordre ? ela. Allons, qu’on m’ôte tout ceci, il n’y a personne; j’ai beau dire, on me laisse toujours seul; il n’y a pas moyen de les arrêter ici. Il sonne une sonnette pour faire venir ses gens. ) Ils n’entendent point, et ma sonnette ne fait pas assez de bruit. Drelin, drelin, drelin, point d’affaire. Drelin, drelin, Drelin, ils sont sourds. Toinette. Drelin, drelin, drelln. Tout comme si je ne sonnals point. Chienne, coquine, drelin, drelin, drelin; j’enrage. (Il ne sonne plus, mais il crie. ) Drelin, drelin, drelin. Carogne, à tous les diables. Est-il possible qu’on laisse comme cela un pauvre malade tout seul! Drelin, drelin, drelin; voilà qui est pitoyable! Drelin, drelin, drelin. Ah! mon Dieu, ils me laisseront ici mourir. Drelin, drelin, drelin. SCENE II TOINEITE, ARGAN.

TOINETTE, en entrant dans la chambre. — On y va. ARGAN. — Ah! chienne! Ah carogne. TOINETTE, faisant semblant de s’être cogné la tête. — Diantre soit fait de votre impatience, vous pressez si fort les personnes, que je me suis donné un grand coup de la tête contre la carne14 d’un volet. ARGAN, en colère. — Ah! traîtresse… TOINETrE, pour l’interrompre et l’empêcher de crier, se plaint toujours, en disant. — Ha! ARGAN. — Il y a.. TOINETTE. — Hal ARGAN. ?? Il y a une heure 8 OF Ily a une heure… TOINETTE. — ARGAN. — Tu m’as laissé… ARGAN. — Tais-toi donc, coquine, que je te querelle. TOINETTE. ?? Çamon15, ma foi, j’en suis d’avis, après ce que je me suis fait. ARGAN. — Tu m’as fait égosiller, carogne. TOINETTE. — Et vous m’avez fait, vous, casser la tête, l’un vaut bien l’autre. Quitte, à quitte, si vous voulez. ARGAN. — Quoi, coquine… 8 TOINEITE. — Si vous querellez, je pleurerai. ARGAN. — Me laisser, traîtresse… TOINETTE, toujours pour l’interrompre. — Ha! ARGAN. — Chienne, tu veux… ARGAN. — Quoi il faudra encore que je n’aie pas le plaisir de la uereller? TOINEITE. — Querellez tout votre soûl, je le veux bien. ARGAN. — T u m’en empêches, chienne, en m’interrompant à tous coups.

TOINETTE. — Si vous avez le plaisir de quereller, il faut bien que de mon côté, j’aie le plaisir de pleurer; chacun le sien ce n’est pas trop. Ha! ARGAN. — Allons, il faut en passer par là. Ôte-moi ceci, coquine, ôte-moi ceci. (Argan se lève de sa chaise. ) Mon lavement d’aujourd’hui a-t-il bien opéré? TOINEITE. — votre lavement? ARGAN. — Oui. Ai-je bien fait de la bile? TOINEITE. — Ma foi je ne me mêle point de ces affaires-là, c’est ? Monsieur Fleurant à y mettre e nez, puisqu’il en a le pro PAGF g OF voudrais bien leur demander quel mal vous avez, pour vous faire tant de remèdes.

ARGAN. — Taisez-vous, ignorante, ce n’est pas à vous à contrôler les ordonnances de la médecine. Qu’on me fasse venir ma fille Angélique, j’ai à lui dire quelque chose. TOINETFE. — La voici qui vient d’elle-même; elle a deviné votre pensee. SCÈNE Ill ANGELIQUE, TOINETTE, ARGAN. ARGAN. — Approchez, Angélique, vous venez à propos; je voulais vous parler. ANGÉLIQUE. — Me voi à prête à vous ouïr. ARGAN, courant au bassin. — Attendez. Donnez-moi mon bêton. Je vais revenir tout à l’heure. TOINETTE, en le raillant — .

Allez vite, Monsieur, allez. Monsieur Fleurant nous donne des affaires. SCÈNE IV ANGÉLIQUE, TOINETTE. ANGÉLIQUE, la regardant d’un œil languissant, lui dit confidemment. — Toinette. TOINETTE. — Quoi? ANGÉLIQUE. — Regarde-rn0i17 un peu. TOINETrE. — Hé bien je vous regarde. ANGELIQUE. — Tomette. TOINEITE. — Hé bien, quoi, «T0inette»? ANGÉLIQUE. Ne devines-tu point de quoi je veux parler? TOINETfE. —Je m’en doute assez, de notre jeune amant; car c’est sur lui depuis six jours que roulent tous nos entretie es point bien si vous n’en