Quelle évolution de la notion de puissance et de ses modes d’action à l’horizon 2030, appliquée aux États-Unis, à l’Europe et à la Chine ? par Barthélémy COURMONT, valérie NIQUET et Bastien NIVET chercheurs à l’IRlS Etude réalisée pour le compte de la Délégation aux Affaires Stratégiques selon la procédure du marché public passé selon une procédure adaptée n02004/007 2 Sommaire Introduction 4 Chapitre L’évolution de la noti l. La puissance et ses théoriques 8 A.
La puissance: éme naissance arlgs oc s modes d’action 7 ctives historiques et accompagnant la des relations internationales comme discipline et objet cientifique 8 B. La puissance : capacité des États 10 C. La puissance et ses modes d’action 15 D. Les critères de puissance 18 Il. La notion de puissance dans un environnement post-Guerre froide 23 A. De la superpuissance à la notion d’hyperpuissance 24 B. Entre unilatéralisme et soft power 26 Ill. L’exercice de la puissance dans un environnement post-11 septembre 28 A. Une vision stratégique à Washington qui influence la notion de puissance 29 B.
La sécurité comme nouvel enjeu de puissance 32 stratégies de mise en oeuvre de la puissance chinoise 65 Chapitre Ill : L’Union européenne, puissance à l’horizon 2030 ? 1 Introduction : Comment pesner l’Union européenne comme puissance ? 71 l. L’Europe et la puissance : émergence d’un objet politique et difficultés conceptuelles 72 A. L’Europe et la puissance, une contradiction originelle ? 73 B. Impuissance des nations, puissance de l’Union ? 75 C. Les déterminants de l’évolution de la puissance de l’Union européenne 79 Il. Quelle puissance pour l’Union européenne à l’horizon 2030 ? un champ des possibles 82 A.
L’Union européenne, pôle d’influence passif, ou le renoncement à la puissance 82 B. La stratégie de niche, ou l’Union européenne présence intermittente 89 C. L’Union européenne, puissance kantienne, entre puissance civile et puissance militaire de basse intensité 91 D. L’Union européenne, puissance globale 98 Concluslon 102 Repères bibliographiques 106 4 Introduction Traditionnellement au coeur de la réflexion sur les relations internationales, la notion de puissance est généralement utilisée pour tenter d’évaluer les capacités d’action des États, voire d’en établir une hiérarchisation.
L’école classique – ou ‘réaliste’ – des relations internationales envisage en particulier la puissance comme « la capacité d’un acteur d’imposer sa olonté aux autresl », dans un système international dont les États sont les acteurs dominants et leurs interactions les concerne des rapports entre acteurs et non de simples données brutes. Cette lecture quelque peu rigide des relations internationales et de la notion de pulssance a fat l’objet de redéfinition et/ou d’approfondissement conceptuels utiles pour l’observateur ou l’acteur des relations internationales.
Joseph Nye a par exemple proposé au début des années 1990 la distinction entre le Hard power et le Soft power2, (re)mettant en évidence le caractère multiforme de la notion de uissance et de ses modes d’exercice en soulignant que les critères classiques les plus visibles (les capacités politico-militaires), n’étaient pas les seuls à prendre en compte.
Les capacités militaires ont certes été le premier critère de puissance utilisé dans l’analyse des rapports de puissance internationaux3, aux côtés de critères tels que le territoire, les ressources naturelles ou la démographie, ces derniers étant considérés essentiellement sous le prisme des avantages militaires potentiels qu’ils pouvaient apporter.
Cette primauté du militaire dans les rapports entre États et dans la hiérarchisation e ces derniers est aujourd’hui en partie remise en cause : I’LJRSS, qui était l’une des deux premières puissances militaires au 1 Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, Calman-Lévy, 1962, pp. 16-17. 2 Joseph S. Nye, Bound to Lead, the Changing Nature of American power, New-York, Baslc Books, 1990. Dans un chapitre du Prince consacré au moyen de mesurer la puissance de chaque principauté, Nicolas Machiavel retient en effet comme critères l’importance des forces armées, les atouts/capacités matériels, les disponibilités financières, forces armées, les atouts/capacités matériels, les isponibilités financières, le talent militaire, le moral des troupes et de la population, etc.
Si l’on excepte l’Histoire de Thucydide, Nicolas Machiavel est traditionnellement considéré comme le premier auteur de l’école réaliste des relations internationales. monde jusqu’à la fin de la décennie 1980, s’est effondrée faute de cohésion économique, politique et sociale. Si les capacités militaires restent un critère de puissance primordial, elles ne sont pas le seul. En particulier, la puissance économique et la maitrise technologique, sont aujourd’hui souvent mises en avant comme des critères de plus n plus pertinents.
La mondialisation et la fin de la bipolarité semblent de fait inviter une nouvelle fois à une relecture de la notion de puissance tenant davantage compte de la complexité des interactions entre acteurs (États ou non) des relations internationales. De nouveaux critères de puissance semblent ainsi prendre de l’importance, tels la maitrise du savoir et de l’information, le niveau d’éducation ou le rayonnement culturo-linguistique, dont l’appréciation et l’évaluation – qualitative comme quantitative — semblent néanmoins beaucoup plus incertaines que dans le as de criteres classiques comme les capacités militaires.
De même, si les puissances ne peuvent s’exprimer de façon indépendante, et doivent en conséquence tenir compte de systèmes d’alliances et de partenariats, la question de l’intervention a fait, depuis la fin de la Guerre froide, l’objet de nombreuses interrogations, en particulier aux États-Unis.
S’interro eant sur les contraintes imposées au for interrogations, en particulier aux États-Unis. S’interrogeant sur les contraintes imposées au fort, certains experts tel Richard Haass, aujourd’hu conseiller au Département d’État, ont ainsi posé la question de ‘internationalisme, et du statut de Washington en tant que « nation indispensable répondant ainsi aux souhaits de Bill Clinton4.
Plus récemment, tandis que la diplomatie américaine faisait l’objet de critiques de la part de certains partenaires européens, l’éditorialiste Robert Kagan a proposé une lecture néoconservatrice de la puissance et de la faiblesse, justifiant le « wilsonisme boté » de l’administration Bush, qui voit en l’Amérique un acteur incontournable des relations internationales, et n’exclut pas une forme d’unilatéralisme pour garantir le succès de valeurs démocratiques5.
Sans doute plus antien qu’hobbesien, le mouvement des néoconservateurs américains voit dans les États- Unis une puissance investie d’une mission partlculière, et porteuse de valeurs vertueuses et universelles, telles que les avait déjà imaginées le philosophe prussien. Enfin, les événements récents nous rappellent que les puissances trouvent souvent dans des acteurs asymétriques leurs adversaires les plus coriaces, car susceptibles de remettre en cause leur leadership, et de provoquer une crise de la représentativité au sein même de leurs sociétés.
Ainsi, à horizon 2030, doit-on considérer que les plus préoccupantes menaces our les grandes puissances seront elles d’autres puissances ou, au contraire, des acteurs faibles trouvant refuge dans des zones grises ? 4 Richard Haass, The Relu ashington DC, Council zones grises ? 4 Richard Haass, The Reluctant Sheriff, Washington DC, Council on Foreign Relations Books, 1997. 5 Robert Kagan, La pulssance et la faiblesse, paris, Plon 2003 (pour la traduction française). La multiplication des critères interprétatifs de la puissance autant que l’évolution certes relative – vers un ordre international normatif, rendent l’analyse de l’évolution de la notion de puissance et de ses modes d’action beaucoup plus omplexe qu’auparavant. Pour autant, disposer d’une grille de lecture et de clés de compréhension à ce sujet est indispensable au responsable politique, militaire ou diplomatique cherchant aujourd’hui ? opérer des choix qui permettront de maintenir ou renforcer la capacité d’influence de son pays à l’avenir.
C’est à ce besoin que la présente étude entend répondre, ? travers une analyse prospective à 30 ans de la notion de puissance et de ses modes d’action. Définir avec précision quels seront les critères de puissance et leurs modes d’action effectifs à un horizon de 30 ans demeure néanmoins un exercice particulièrement élicat tant les variables à prendre en compte et les facteurs d’incertitudes sont nombreux.
Aussi, l’ambition de cette étude estelle avant tout – à partir d’une mise en perspective historique et culturelle de la notion de puissance – de proposer des pistes de réflexion et des points de repères, de dessiner un champ des possibles, à travers la proposition d’hypothèses et de scenarii. Une première partie ente profondeur la pertinence de la puissance (et de ses criètres et modes d’action) mobilisés par les analystes des relations internationales. La deuxième partie a pour objet de tester et d’appliquer les nseignements de cette analyse à l’aune des deux acteurs internationaux majeurs que sont . les États-Unis, en tant que première puissance mondiale perçue et avérée depuis plusieurs décennies, constituent, sinon un modèle transposable ? d’autres acteurs (UE notamment), un point de repère, un étalon de la mesure de la puissance internationale à l’heure actuelle ; – la Chine, en tant que puissance émergente, mais dont le potentiel tant souligné depuis plusieurs décennies tarde à se structurer et ? s’exprimer ? travers une puissance et une stratégie y afférant clairement identifiable.
Enfin, une troisième partie tente de décrypter les ressorts et models possibles d’émergence d’une « puissance Union européenne » dans les trente années à venir, en tant que cadre potentiel d’expression, de préservation ou de recouvrement d’une puissance nationale française érodée. 7 L’Evolution de la notion de puissance et de ses modes d’action La notion de pulssance occupe tradltlonnellement une place centrale dans l’analyse des relations internationales, tant sur le plan théorique que politique.
Qu’elle soit glorifiée ou au contraire rejetée en tant que notion déterminante pour la structuration et la compré ‘articulent les lectures politiques ou théoriques des évolutions du système international. Néanmoins, ses définitions en sont diversifiées, variables dans le temps et selon les points de vue. En fonction des événements internationaux, des rapports de force et de la volonté de puissance des États, les critères permettant de définir la notion de puissance sont notamment soumis à des évolutions permanentes.
Avant de définir quelles pourraient être, ? l’horizon 2030, les définitions de la notion de puissance appliquées aux États-Unis, à la Chine et à l’Union européenne, il convient au préalable de rappeler les ?volutions, passées et récentes, de cette notion. Il existe parfois, à ce titre, un décalage assez net entre la façon dont la notion de puissance est théorisée, et les conditions dans lesquelles l’exercice de la puissance prend place.
Parallèlement aux différentes écoles de pensée viennent s’ajouter de multiples contraintes qui viennent perturber les orientations polltiques. D’ailleurs, dans la plupart des cas, les écoles de pensée sont le plus souvent la conséquence d’éléments ou d’évènements d’ordre interne et externe dont elles se font l’écho, avec un recul plus ou moins net.
II serait par exemple illusoire de considérer que le mouvement néoconservateur aux Etats-Unis, auquel se rattache un nombre limité de personnes mais ? l’influence certaine, est totalement coupé des réalités et des souhaits de l’opinion publique. Les conditions de définition de l’exercice de la puissance ? l’échéance de 2030 seront dès lors le résultat d’un processus de re)définition et de réaiustement des critères processus de (re)définition et de réajustement des critères de puissance, mais aussi des diverses contraintes qui seraient susceptibles de venir en modifier la nature. Dès lors, une première partie de ce chapitre, volontairement synthétique, entend replacer les débats actuels et prospectifs sur la notion de puissance dans le contexte historique et théorique dont ils constituent un « instant Une deuxième partie analyse les évolutions et redéfinitions plus récentes de la notion de puissance au regard du contexte stratégique postguerre froide. Une troisième partie aborde quant à elle les débats actuels sur ces enJeux. l. La puissance et ses modes d’action : perspectives historiques et théoriques A.
La puissance: émergence d’une notion clé accompagnant la aissance des relations internationales comme discipline et objet scientifique. La notion de puissance et ses évolutions ont, de fait, accompagné l’émergence puis les évolutions des relations internationales comme « objet » politique ou académique. Les auteurs de l’école classique ou réaliste d’étude des relations internationales, qui ont largement dominé les débats théoriques jusqu’à une période récente, en ont fait en particulier l’élément central de compréhension et d’appréhension de l’agenda mondial.
Dès le cinquième siècle avant notre ère, l’historien grec Thucydide nalyse bien, ? travers son Histoire de la guerre du Péloponèse, une lutte pour la prédominance entre Athènes et Sparte, et les évolutions, structurations et modes d’action des puissances respectives des deux cité r ailleurs la volonté de paGFg0F cités. Il présente par ailleurs la volonté de puissance comme l’une des principales forces motrices du monde. Au-delà de Papport de Thucydide à l’émergence de la science historique, sa pensée politique et ses considérations sur la puissance se retrouvent dans des auteurs plus récents.
Cest le cas notamment chez Nicolas Machiave16, qui fait de la tabilisation du pouvoir du souverain (dans ses dimensions interne et externe) l’une des principales forces motrices devant guider son action, ce qui implique notamment une aptitude et des capacités à contrer toute menace extérieure, en maintenant une supériorité dans certains domaines clés : forces armées et talent militaire, capacités matérielles, disponibilités financières, etc Au vingtième siècle, l’émergence des relations internationales comme discipline sous l’impulsion de certains historiens et politologues tentant de décrypter essentiellement les 6 Nous employons ici Forthographe francisée de son nom, qui est a plus répandue, l’orthographe correcte étant nénamoins Niccolò Machavelli. causes et conséquences des deux guerres mondiales et la façon dont évoluait le système international, s’est aussi largement consacrée à l’étude des rapports de puissance. Dans son analyse sur l’entre deux guerre7, l’historien Edouard H. Carr explique ainsi les comportements des différents États comme la recherche d’une maximisation de leurs intérêts nationaux, ? savoir essentiellement leur sécurité et leur puissance relative. une explication du comportement des États ernationale que l’on PAGF OF