50 ans d’indépendance : quelle Renaissance pour les États africains ? Dr. Djibril DIOP Chercheur associé au CÉRIUM – Université de Montréal (Québec) djibril. dlop@umontreal. ca « On a trop dansé en Afrique, on a trop chanté et on a trop rigolé … pour cette commémoration il n’y aura ni défilé militaire pompeux, ni danses endiablées, mais un colloque.
Un colloque auquel j’inviterais les représentants de tous les pays africains qui ont acquis leur indépendance en 1 960 afin que l’an réfléchisse sur ce demi-siècle passé et les cinquante ans à venir d’Ivoire, le 31 janvier Gbagbo de Côte Sni* to View INTRODUCTION En cette année de cél bration des 50 ans d’indépendance pour no mbre de pays africainsl, au- delà de l’enthousiasme, c’est aussi le temps du bilan, surtout de l’introspection de ce qui est advenu de cette accession à la souveraineté internationale.
Le pre mier constat que l’on est que, malgré ses multiples richesses, l’Afrlque reste à la traine du développement. Aussi, si l’on peut déceler dans ses rapports déséquilibrés avec le reste du monde, notamment l’Occident, les dirigeants qui se sont succédés dans les différents pays du continent depuis les nnées 1960, à quelques exceptions près, ont plutôt manifesté un e seule volonté, se maintenir er au pourvoir.
Parallèlement, les défis socioéconomiques se posent avec acuité et ne cessent de se complexifier chaque jour avec l’augmentation rapide de la population, notamment dans les centres urbains2 : plus de 2/3 de la population urbaine vivent dans un habitat précaire (72 %) sans sen,’ices essentiels (seulement 36 % de la population disposent d’un système d’assainissement ; 44 % ont accès à une eau potable) ; 54 % de la population est jeune (moins de 20 ans) et 46 % vivent dans l’extrê e pauvreté avec moins de 1 $ US/ jour.
Au chapitre sanitaire, la situation n’est guère reluisante. La pandémie du Sida continue de faire des ravages sur le continent, dont les enfants et les femmes sont plus exposés (70 % des 40 millions de personnes infectées par le VIH dans le monde vivent en Afrique).
Outre le Sid a, la mortalité maternelle et infantile reste plus élevée en Afrique que partout au monde (916 f emmes perdent la vie pour 100 000 naissances ; 30 000 enfants meurent chaque jour avant d’atteindre leur cinquième anniversaire); alors que le paludisme reste encore la remière cause de mortalité sur le continent, détruisant des familles entières, auquel s’ajoute la poliomyélite, le choléra, la méningite, la bilharziose, etc. et la sous-alimentation reste une équation insoluble (30 % des En 1960, 17 pays francophones accèdent à la souvent internationale vis-à-vis de oloniale, la France. PAGF OF ag Toutefois, auparavant, certains pays, notamment anglophones, avaient recouvré leur indépendance : Soudan, Égypte Maroc, 1956, Ghana 1958.. Avec 4 % de croissance annuelle, en 2000 la population urbaine du continent était estimée à 34,3 ‘h, contre 23,3 % en 980 et elle devra être de 462 % en 2020. À cette date, 37 % des Africains vivront dans une ville millionnaire, contre 22 % en 1990 et seulement 4 % en 1960. nfants de moins de 5 ans sont malnutris, 40 % de la population survivent sous la menace d’une crise alimentaire)3 et la gestion des catastrophes naturelles un casse- tête (glissements de terrain en Ouganda, inondations en Afrique de l’Ouest… ). L’objet ici, n’est pas de mettre en cause l’héritage historique et cul turel, ni de le piétiner comme un vulgaire papier à mouchoir après usage. Les valeureux et cour ageux ancêtres qui ont légué ne richesse inestimable, tant du point de vue social, culturel et même philosophique, méritent un hommage mérité.
Toutefois, il ne faut pas perdre de vue le contexte actuel dans lequel l’Afrique et les Africains se débattent aujourd’hui et dans lequel vivront demain, les enfants d’Afrique. Ainsi, la vraie question n’est- elle pas alors, comment faire en sorte que la situation de sous-développement endémique dans laquelle vit l’écrasante maj orité des peuples du continent et son corolaire de maux ui an rènent leur quotidien et hypothèquent leur aveni PAGF 3 OF ag ils et filles valides à vers un exode suicidaire en bravant les dange rs de la mer ou du désert pour une hypothétique meilleure condition de vie ?
Or dans toutes les r essources rares et convoitées, l’Afrique fait figure de pool position ou au moins dans les dix premiers (cuivre, fer, or, cobalt, manganèse, phosphates, etc. ). En outre, l’Afrique est aujourd’hui, le continent le mieux aidé (34 $ US par capital contre 4 pour l’Asie du Sud Est et le Pacifique, selon la Banque Mondiale). À partir de là, regardons froidement la réalité à travers un diagnostic rationnel des actes et comportements que posent les Afrlcains omme leur participation « au rendez- vous du donné et du recevoir » selon l’expression du Président Senghor. . QUELLE GOUVERNANCE POLITIQUE EN AFRIQUE ? o r quelle gouvernance ? 1960-2010, cinquante ans de sueur, de larmes et de sang. Cinq décennies, un demi-siècle d’indépendance est certes, un moment important pour plusieurs pays du continent, donc normal pour magnifier cet événement historique. Ainsi, des centaines de milliards FCFA sont mobilisés4 (dont une partie est allouée par les anciennes métrop Oles) serviront à marquer les « réjouissances Or aucun Africain n’ignore que l’ambiance sur le c ntinent n’est pas à la fête, tant les défis restent énormes.
Certes, Vaccession des États africains à la souveraineté internationale, même si elle a été offerte pour la plupart, elle n’a p as été facilement obtenue. Elle a été une issue de lutt s et de sacrifices d’homm PAGF 9 de très longues années. Ainsi, les premières années des indépendances sont marquées par des figures emblématiques, imbues de vraies valeurs panafricanistes, d’idées d’indépendance totale et de projets viables pour une Afrique unie et prospère : de Mamadou Dia à Nkwame Nkrumah en passant par Patrice Lumumba, Amilcar Cabral, Thomas Sankara entre autres.
Malheureusement, ils ont tous, été éliminés, très souvent avec la complicité de l’ancienne puissance colonisatrice dans des conditions rocambolesques (la parenthèse de Bob Dinard sur le continent en témoigne de cette page noire). Or chac un de ces hommes et femmes avait posé des actes fondateurs qui ouvraient la voie à une vraie indépendance pour une Africaine unie et solidaire. Depuis, le sang n’a cessé de couler et continue encore de couler World Development Indlcators, World Bank, 2006. Au Sénégal le budget de cette commémoration s’élève à 1,5 illiard F CFA, dont 800 millions F CFA pour le comité d’organisation. 2 partout sur le continent : au Darfour, au Tchad, en passant par la Centrafrique, l’Ouganda, le Niger, en RDC, en Casamance, dans les rues de Mogadiscio, au Zi mbabwe, etc. Les élections sont violemment contestées au To o au Kenya, au Gabon… Les coups d’État se succède PAGF s 9 libres, transparentes et démocratiques. Le Liberia, la Sierra Leone, l’Angola, le Burundi, le Rwanda, la République Démo cratique du Congo, le Congo, la Centrafrique, l’Ouganda, le Zimbabwe, le Tchad… conservent encore les stigmates de lusieurs décennies de guerre civile et de génocide et vivent dans une fragilité manifeste.
Par ailleurs, d’autres qui ont incarné l’espoir un moment ont fini p ar présenter leur vraie nature dictatoriale et monarchique. Par exemple, à Pissue de l’alternance historique intervenue le 19 mars 2000, le président Wade du Sénégal avalt déclaré que « le pa ys a besoin du génie de ses fils, où qu’ils se trouvent, pour l’aider à construire ce qui a été détr uit par quarante années de gâchis »5. Ainsi, de nombreux cadres de la diaspora avaient quitté leur travail pour répondre ? cet appel patriotique.
Ce qui est advenu de l’exercice de son pouv oir n’encourage pas d’autres ? imiter les premiers. De Pengouement suscité au départ, il ne reste que désarroi pour la majorité de son peuple6. Le cas du Président sénégalais est un cas d’école pour toute l’Afrique. À son arrivée au pouvoir, il prétendait, être le président le mieux élu de la planète, sinon de toute l’Afrique, qu’il ne se sentait aucunement lié à aucun « club de chef d’État », se présentant même, comme un pourfendeur des complaisances de certaines d e ses paires qui se mêlassent dans un laxisme cynique contre leur peuple.
Toute l’Afrique avait applaudi des deux mains, en se disait enfin, avoir trouvé le leader idéal et soucieux des aspiration s de son peuple et digne de la représenter. Avec ses idées novatrices, il avait laissé aspirations de son peuple et digne de la représenter. Avec ses idées novatrices, il avait laissé planer ridée d’une rupture d’avec ce que les présidents africains avaient habitué leurs peuples, jusque- là. Son aura a eu des échos partout à travers le monde, même dans les Assemblées les plus prestigieuses (Davos, G8, etc. ).
Ainsi, devant l’océan de désespoirs, voilà enfin quelqu’un qui symbolisai l’espoir, qui émergeait du lot et qui, certainement fera tâche d’huile sur les autres pays du conti nent. Même les partenaires qui se résignaient dans l’afro-pessimisme, trouvaient par- là, des raisons de crolre à un sursaut. Les idées et les idéologies, selon qui « l’Afrique n’était pas mûre pour la démocratie » et qui voudraient faire de l’Afrique un cancer » de la planète et les Afric ains des « sacs à virus » pour l’humanité, trouvaient par-là une réponse à la mesure de l’affront.
Dans ce prolongement, pour la première fois (hormis le cas du Président Rwandais sur une aut e question), un pays africain osait répondre par la réciprocité en expulsant des ressortissants français en réponse à la politique française des charters. Ces positions courageuses ont ét é saluées partout en Afrique et dans la diaspora. Mais les actes posés ces dernières années en matiere de gestion du pouvoir ont démontré tout le contraire de ce que cet homme affirmait partout haut et fort.
P ar exemple, en tant qu’un des pairs fondateurs du NEPAD, le Président Wade qui s’est ouvert au Mécanisme d’évaluation des pairs (MEAP) depuis 2003, refuse ? mission d’évaluation. Le Président Wade qui s’est révélé par PAGF 7 9 ce jour d’accueillir la urs les plu d’accueillir la mission d’évaluation. Le Président Wade qui s’est révélé parmi les défenseurs les plus acharnés du N EPAD se présente aussi parmi ses plus grands pourfendeurs.
Combien d’intellectuels africains ont eu à subi ses foudres Restrictions des libertés démocratiques, dérives autoritaires, gestion patrimoniale du pouvoir, manipulation des institutions et de la Constitution, corruption à grande échelle… 6 Le même discours a été tenu par le président Kibabi du Kenya ? on arrivée au pouvoir en 2003, là aussi, l’exercice du pouvoir a conduit à des dérives, notamment aux émeutes électorales du printemps 2008. orsqu’ils ont osé, avoir une position critique vis-à-vis de ce plan sensé sortlr l’Afrlque de l’isolement et la mettre enfin, sur la voie du développement ? Il av ait même nommé un ministre chargé du NEPAD. Ainsi, le Président Wade a fini par démontrer ? la face du monde que rien ne le différencie des autres chefs d’État africains, qui ont habitué l’opinion, depuis les indépendances, à une gestion laxiste, clientéliste, teinté de népotisme, de corruption, de mal ouvernance, de « pouvoirisme » très souvent ensanglanté. . 2. Le retour des coups d’État Si dans les années 1990 PAGF ag qué une régression des de François Mitterrand à La Baule en 1989, le vent de démocratisa tion avait suscité l’espoir, et dans la foulée, l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), qui devien dra en 2002, union Africaine (LIA) proscrit, lors du Sommet d’Alger en juillet 1999, les « coups dÉtat Mais, ce que l’on constate c’est que les coups d’État militaires reviennent au goût d u jour en Afrique, et de plus en plus avec le soutien moral des populations.
Ce fut le cas au Nig er, au lendemain du putsch du 18 février 2010 contre le Président Mamadou Tandja, en Mauritan ie en 2006 avec la chute de Maouya, en Guinée lors de l’arrivée au pouvoir du capitaine Moussa Dadis Camara, en décembre 20088. À Madagascar, un chef de l’État démocratiquem ent élu, Marc Ravalomanana, a été chassé du pouvoir par l’armée avec le soutien de l’opinion. S’ il ne faut pas manifester un enthousiasme débordant en vis-à-vis de ces phénomènes, néanmoins, il faut toutefois reconnaitre que ces scènes de liesse traduisent un malaise profon d en matière de gouvernance olitique sur le continent.
Ainsi, l’ère des coups d’État qui paraissait révolue est bel et bien de retour sur le continent africain. Et contrairement au passé, dans la plupart des cas, ils recueillent l’assentiment d’une grande partie de l’opinion publique. N’y a-t- il pas lieu de s’interroger sur comment a-t-on pu en arriver là, alors que depuis la fin des années 1980, le mouvement de démocratisation semblait irréversible sur le continent ?
La raison est que les leaders et les él ites politiques africains sont devenus les véritables sources d’instabilité dans leurs pays, par leur violation ar leur violation récurrente des normes élémentaires de l’État de droit, par l’instrumentalisation de la Constltution et leur volonté cynique d’imposer à leur pays une succession dynastique. C’est là les véritables causes du retour des coups d’État militaires certainement, alors que d’autres chefs s’assurent de la loyauté et du soutien des forces armées pour se pérenniser au pouvoir.
Ainsi, si certains pays commençaient à sortir des ténèbres, par contre d’autres sombrent dans de nouvelles crises interminables résultantes de processus autocratlques, notamment avec de l’organisation de imulacres élections, qui ne sont démocratiques que de nom, dan s lesquelles, « le parti unique » au pouvoir, s’attribue un score confortable et attribue celui de ses opposants, selon leur degré de malléabilité (Gabon, Togo… . Ce qui ne aboutie à une instabilité chronique et compromet toute initiative de développement économique. 7 Depuis les indépendances, il y a eu sur le continent plus de 70 coups d’État militaire. Avant qu’une folie meurtrière ne s’empare du régime avec le massacre, le 28 septembre 2009, des dizaines d’opposants lors d’une manifestation pacifique à Conakry. Il. QUEL DÉVELOPPEMEN E POUR L’AFRIQUE ?