VICTOR HUGO LE DERNIER JOUR D’UN CONDAMNÉ BIBEBOOK 1829 Un texte du domaine une édition libre. 44 p g ISBN—978-2-8247-10 vw. w. bibebook. com À propos de Bibebook : Vous avez la certitude, en téléchargeant un livre sur Bibebook. com de lire un livre de qualité : Nous apportons un soin particulier à la qualité des textes, à la mse en page, à la typographie, à la navigation à Pintérieur du livre, et ? cohérence à travers toute la collection. Les ebooks distribués par Bibebook sont réalisés par des bénévoles Commons BY-SA Except where otherwise noted, this work is licensed under http://creativecommons. g/licenses/by-sa/3. O/ Lire la licence Ce0e œuvre est publiée sous la licence CC-BY-SA. ce qui signifie que vous pouvez légalement la copier, la redistribuer, l’envoyer à vos amis. Vous êtes d’ailleurs encouragé à le faire. Vous devez aoribuer l’œuvre aux différents auteurs, y compris à Bibebook. Préface Le dernier jour d’un condamné Chapitre I n’y avait en tête des premières éditions de cet ouvrage, publié d’abord sans nom d’auteur, que les quelques lignes qu’on va lire : « Ily a deux manières de se rendre compte de fexistence de ce livre.
Ou il y a eu, en effet, une liasse de papiers jaunes t inégaux sur lesquels on a trouvé, enregistrées une à une, les dernières pensées d’un misérable ; ou il s’est rencontré un homme, un rêveur occupé à observer la nature au profit de l’art, un philosophe, un poète, que sais-je ? dont cene idée a été la fantaisie, qui l’a prise ou plutôt s’est laissé prendre par elle, et n’a pu s’en débarrasser qu’en la jetant dans un livre. ? De ces deux explications, le lecteur choisira celle qu’il voudra. » Comme on le voit, à l’époque où ce livre fut publié, l’auteur ne jugea pas à propos de dire dès lors toute sa pensée. Il aima mieux anendre 2 ociale, qu’il avait voulu populariser sous ceae innocente et candide forme linéraire. Il déclare donc, ou plutôt il avoue hautement que le Dernier Jour d’un condamné n’est autre chose qu’un plaidoyer, direct ou indirect, comme on voudra, pour l’abolition de la peine de mort.
Ce qu’il a eu dessein de faire, ce qu’il voudrait que la postérité vit dans son œuvre, si jamais elle s’occupe de si peu, ce n’est pas la défense spéciale, et toujours facile, et toujours transitoire, de tel ou tel criminel choisi, de tel ou tel accusé d’élection ; c’est la plaidoirie générale et permanente pour tous les accusés présents t à venir ; c’est le grand point de droit de l’humanité allégué et plaidé à toute voix devant la société, qui est la grande cour de cassation c’est ce0e suprême fin de non-recevoir, abhorrescere a sanguine, construite à tout jamais en avant de tous les procès criminels ; c’est la sombre et fatale question qui palpite obscurément au fond de toutes les causes cap ‘tales sous les triples épaisseurs de pathos dont l’enveloppe la rhétorique sanglante des gens du roi ; c’est la question de vie et de mort, dis-je, déshabillée, dénudée, dépouillée des entortillages sonores du parquet, brutalement mise au jour, t posée où il faut qu’on la voie, et où il faut qu’elle soit, où elle est réellement, dans son vrai milieu, dans son milieu horrible, non au tribunal, mais a 2 3 l’échafaud, non chez le juge, mais chez le bourreau. Voilà ce qu’il a voulu faire. Si l’avenir lui décernait un jour la gloire de l’avoir fait, ce qu’il n’ose espérer, il ne voudrait pas d’autre couronne. Il le déclare donc, et il le répète, il occupe, au nom de tous les accusés possibles, innocents ou coupables, devant toutes les cours, tous les prétoires, tous les jurys, toutes les justices. Ce livre est adressé à quiconque uge.
Et pour que le plaidoyer soit aussi vaste que la cause, il a dû, c’est pour cela que le Dernier Jour d’un condamné est ainsi fait, élaguer de toutes parts dans son sujet le contingent, l’accident, le particulier, le spécial, le relatif, le modifiable, l’épisode, l’anecdote, l’événement, le nom propre, et se borner (si c’est là se borner) à plaider la cause d’un condamné quelconque, exécuté un jour quelconque, pour un crime quelconque. Heureux si, sans autre outil que sa pensée, il a fouillé assez avant pour faire saigner un cœur sous l’es triplex du magistrat heureux s’il a endu pitoyables ceux qui se croient justes ! heureux si, à force de creuser dans le juge, il a réussi quelquefois à y retrouver un homme ! ly a trois ans, quand ce livre parut, quelques personnes imaginèrent que cela valait la peine d’en contester l’idée à l’auteur. Les uns supposèrent un livre anglais, les autres un livre américain. Singulière manie de chercher à mille lieues les origines des choses, et de faire couler des sources du Nil le ruisseau rue ! Hélas ! 4 choses, et de faire couler des sources du Nil le ruisseau qui lave votre rue ! Hélas ! il n’y a en ceci ru ivre anglais, ni livre américain, ni livre chinois. L’auteur a pris l’idée du Dernier Jour dun condamné, non dans un livre, il n’a pas l’habitude d’aller chercher ses idées si loin, mais là où vous pouviez tous la prendre, où vous l’avez prise peut-être (car qui n’a fait ou rêvé dans son esprit le Dernier Jour d’un condamné 2), tout bonnement sur la place publique, sur la place de Crève. Cest là qu’un jour en passant il a ramassé cene idée fatale, gisante dans une mare de sang sous les rouges moignons de la guillotine.
Depuis, chaque fois qu’au gré des funèbres jeudis de la cour de assation, il arrivait un de ces jours où le cri d’un arrêt de mort se fait dans Paris, chaque fois que l’auteur entendait passer sous ses fenêtres ces hurleurs enroués qui ameutent des spectateurs pour la Grève, chaque fois la douloureuse idée lui revenait, s’emparait de lui, lui emplissait la tête de gendarmes, de bourreaux et de foule, lui expliquait heure par heure 3 les dernières souffrances du misérable agonisant, — en ce moment on le S poussait, le secouait, lui arrachait ses vers de l’esprit, s’il était en train d’en faire, et les tuait à peine ébauchés, barrait tous ses ravaux, se menait en travers de tout, l’investissait, l’obsédait, l’assiégeait C’était un supplice, un supplice qui commençait avec le jour, et qui durait, comme celui du misérable qu’on torturait au même moment, jusqu’? quatre heures.
Alors seulement, une fois le ponens caput expiravit crié par la voix sinistre de [‘horloge, l’auteur respirait et retrouvait quelque liberté d’esprit. Un jour enfin, c’était, à ce qu’il croit, le lendemain de l’exécution d’Ulbach, il se mit à écrire ce livre. Depuis lors il a été soulagé. Cand un de ces crimes publics, qu’on nomme exécutions judiciaires, a été omms, sa conscience lui a dit qu’il n’en était plus solidaire ; et il n’a plus senti ? son front ce0e gou0e de sang qui rejaillit de la Grève sur la tête de tous les membres de la communauté sociale. Toutefois, cela ne suffit pas. Se laver les mains est bien, empêcher sang de couler serait mieux.
Aussi ne connaîtrait-il pas de but plus élevé, plus saint, plus auguste que celui-là : concourir à rabolition de la peine de mort. Aussi est- ce du fond du cœur qu’il adhère aux vœux et aux efforts des hommes généreux de toutes les nations qui travaillent depuis plusieurs années ? eter bas l’arbre patibulaire, le seul arbre ue les révolutions ne déracinent pas. S OF son tour, lui chétif, donner son coup de cognée, et élargir de son mieux l’entaille que Beccaria a faite, il y a soixante-six ans, au vieux gibet dressé depuis tant de siècles sur la chrétienté. Nous venons de dire que l’échafaud est le seul édifice que les révolutions ne démolissent pas.
Il est rare, en effet, que les révolutions soient sobres de sang humain, et, venues qu’elles sont pour émonder, pour ébrancher, pour étêter la société, la peine de mort est une des serpes dont lles se dessaisissent le plus malaisément. Nous favouerons cependant, si jamais révolution nous parut digne et capable d’abolir la peine de mort, c’est la révolution de juillet. Il semble, en effet, qu’il appartenait au mouvement populaire le plus clément des 4 temps modernes de raturer la pénalité barbare de Louis XI, de Richelieu et de Robespierre, et d’inscrire au front de la loi l’inviolabilité de la humaine. 1830 méritait de briser le couperet de 93. Nous l’avons espéré un moment.
En août 1 830, il y avait tant de générosité dans l’air, un tel esprit de douceur et de civilisation louait dans les masses, on se sentait le cœur si bien épanoui par l’approche d’un bel avenir, qu’il nous sembla ue la eine de mort était abolie de droit, d’emblée, OF des guenilles de l’ancien régime. Celle-là était la guenille sanglante. Nous la crûmes dans le tas. Nous la crûmes brûlée comme les autres. Et pendant quelques semaines, confiant et crédule, nous eûmes foi pour l’avenir ? l’inviolabilité de la vie, comme à l’inviolabilité de la liberté. Et en effet deux mois s’étaient à peine écoulés qu’une tentative fut faite pour résoudre en réalité légale l’utopie sublime de César Bonesana.
Malheureusement, ceÛe tentative fut gauche, maladroite, presque hypocrite, et faite dans un autre intérêt que l’intérêt général. Au mois d’octobre 1830, on se le rappelle, quelques jours après avoir écarté par l’ordre du jour la proposition d’ensevelir Napoléon sous la colonne, la Chambre tout entière se mit à pleurer et à bramer. La question de la peine de mort fut remise sur le tapis, nous allons dire quelques lignes plus bas à quelle occasion ; et alors il sembla que toutes ces entrailles de législateurs étaient prises d’une subite et merveilleuse miséricorde. Ce fut à qui parlerait, à qui gémirait, à qui lèverait les mains au ciel. La peine de mort, grand Dieu ! quelle horreur !
Tel vieux procureur général, blanchi dans la robe rouge, qui avait mangé toute sa vie le pain trempé de sang des réquisitoires, se composa tout à coup un air piteux et aoesta les dieux qu’il était indigné de la guillotine. Pendant deux jours la tribune ne désemplit pas de harangu uses. Ce fut une 8 lamentation, une myriologie, un concert de psaumes lugubres, un Super flumina Babylonis, un Stabat mater dolorosa, une grande symphonie en ut, avec hœurs, exécutée par tout cet orchestre d’orateurs qui garnit les premiers bancs de la Chambre, et rend de si beaux sons dans les grands jours. Tel vint avec sa basse, tel avec son fausset. Rien ny manqua. La chose fut on ne peut plus pathétique et pitoyable.
La séance de nuit surtout fut tendre, paterne et 5 e dernier jour d’un condamné déchirante comme un cinquième acte de Lachaussée. public, qui n’y comprenait rien, avait les larmes aux yeux 1. De quoi s’agissait-il donc ? d’abolir la peine de mort ? Oui et non. Voici le fait e bon Datre hommes du monde, quatre hommes comme il faut, de ces ommes qu’on a pu rencontrer dans un salon, et avec qui peut- être on a échangé quelques paroles polies ; quatre de ces hommes, dis-je, avaient tenté, dans les hautes régions politiques, un de ces coups hardis que Bâcon appelle crimes, et que Machiavel appelle entreprises. Or, crime ou entreprises, la loi, brutale pour tout, punit cela de mort.
Et les quatre malheureux étaient là, pri fs de la loi, eardés par g 44 avec ce fonctionnaire qu’il ne faut pas seulement nommer, hommes comme vous et moi, quatre hommes du monde ? Encore s’il y avait une guillotine en acajou ! Eh ! il n’y a qu’à abolir la peine de mort ! Et là-dessus, la Chambre se met en besogne. Remarquez, messieurs, qu’hier encore, vous traitiez cene abolition d’utopie, de théorie, de rêve, de folie, de poésie. Remarquez que ce n’est pas la première fois qu’on cherche à appeler votre anention sur la charre0e, sur les grosses cordes et sur l’horrible machine écarlate, et qu’il est étrange que ce hideux aDirail vous saute ainsi aux yeux tout ? coup. Bah ! c’est bien de cela qu’il s’agit !
Ce n’est pas à cause de vous, peuple, que nous abolissons la peine de mort, mais à cause de nous, députés, qui pouvons être ministres. Nous ne voulons pas ue la mécanique de Guillotin morde les hautes classes. Nous la brisons. Tant mieux si cela arrange tout le monde, mais nous n’avons songé qu’à nous. Ucalégon brûle. Eteignons le feu. Vite, supprimons le bourreau, biffons le code. 1. Nous ne prétendons pas envelopper dans le même dédain tout ce qui a été dit à cene occasion à la Chambre. Il s’est bien prononcé çà et là quelques belles et dignes paroles. Nous avons applaudi, comme tout le monde, au discours grave et simple de M. de LafayeDe, et, dans une autre nuance, à la remarquable improvisation de M. Villemain. 6 e dernier iour d’un cond 44