Article « guerre » dans le dictionnaire philosophique de Voltaire

La même chanson sert pour les mariages et pour les naissances, ainsi que our les meurtres : ce qui n’est pas pardonnable, surtout dans la nation la plus renommée pour les chansons nouvelles. On paye partout un certain nombre de harangueurs pour célébrer ces journées meurtrières ; les uns sont vêtus d’un long justaucorps noir, chargé d’un manteau écourté ; les autres ont une chemise par-dessus une robe ; quelques-uns portent deux pendants d’étoffe bigarrée par-dessus leur chemise. Tous parlent longtemps ; ils citent ce qui s’est fait jadis en Palestine, à propos d’un combat en Vétéravie4. e marée un jour de carême fait Immanquablement son salut, t qu’un pauvre homme qui mange pour deux sous et demi de mouton va pour jamais à tous les diables. Misérables médecins des âmes, vous criez pendant cinq quarts dheure sur quelques piqûres dépingle, et vous ne dites rien sur la maladie qui nous déchire en mille morceaux ! Philosophes moralistes, brûlez tous vos livres. Tant que le caprice de quelques hommes fera loyalement égorger des milliers de nos frères, la partie du genre humain consacrée à l’héroïsme sera ce qu’il y a de plus affreux dans la nature entière.

Que deviennent et que m’importent l’humanité, la bienfaisance, a modestie, la tempérance, la douceur, la sagesse, la piété, tandis qu’une demi-livre de plomb tirée de six cents pas me fracasse le corps, et que je meurs à vingt ans dans des tourments inexprimables, au milieu de cinq ou six mille mourants, tandis que mes yeux, qui s’ouvrent pour la dernière fois, voient la ville où je suis né détruite par le fer et par la flamme, et que les derniers sons qu’entendent mes oreilles sont les cris des femmes et des enfants expirants sous des ruines, le tout pour des prétendus intérêts d’un homme que nous ne connaissons pas ?

Voltaire, article « Guerre », Dictionnaire philosophique portatif, 764 Analyse du texte : extrait de l’article « Guerre » du Dictionnaire philosophique portatif de Voltaire. Voltaire reprochait à l’Ency excessive prudence : il 2 philosophique portatif qui s’avère être l’arme philosophique tant désirée. Dans cette œuvre l’auteur confond avec une joie féroce dictionnaire et pamphlet et s’en prend avec une incroyable violence à la Bible et à la doctrine chrétienne.

Dans Farticle « Guerre le philosophe poursuit son inlassable combat contre la « boucherie héroïque » dénoncée en 1759 dans Candide. Quelle est la stratégie ici mise en place par Voltaire pour gagner le ecteur à sa cause ? Voilà la question à laquelle nous tenterons de répondre en étudiant tout d’abord la critique de la guerre puis la dénonciation des responsables de ce mal. I. LA DENONCIATION DE LA GUERRE 1. un acte de barbarie le registre polémique est très présent : vocabulaire très connoté qui permet de disqualifier tous les éléments ayant trait à la guerre simplement en les nommant.

La guerre est désignée par la périphrase « entreprise infernale » 1. 1 (adjectif qui pose le pb du Mal), les soldats sont des « meurtriers » 1. 1 (remarquons que le substantif « hommes » est soigneusement réservé à la ésignation des victimes de la guerre, ligne 3) le champ lexical de la violence et de la destruction est très fortement associé à la guerre qui semble d’ailleurs se réduire à une entreprise d’extermination d’autrui : « exterminer » 1. , « faire égorger » 1. 4, « exterminés par le feu et par le fer » 1. 4, « meurtres « détruite » 1. 5, « journées meurtrières « déchire », « fera égorger », « fracasse « je meurs », « tourments inexprimables « mourants », « détruite par le fer et par la flamme « les cris des femmes et des enfants expirants métaphore de la « maladie » qui repose le pb de la guerre en elation avec celui, 3 enfants expirants ». relation avec celui, + métaphysique, du Mal. les hyperboles amplifient l’impression de destruction totale : « deux ou trois mille » / « dix mille » (noter la gradation ironique), « en mille morceaux », « cinq ou six mille mourants « des milliers Ainsi la guerre est présentée comme une explosion de violence incontrôlable et illimitée. 2. une entreprise dénuée de sens — des « milliers » d’hommes meurent pour le « caprice de quelques hommes » (opposition antithétique des déterminants milliers / quelques). Le substantif « caprice » dénonce l’arbitraire es décisions qui conduisent des hommes à la guerre + collusion du politique et du personnel. le tout pour les prétendus intérêts d’un homme que nous ne connaissons pas » : modalisateur « prétendus » qui permet de dénoncer les raisons d’être de la guerre. Des milliers de vies sont mises en balance avec les intérêts d’un seul. « Que m’importent » du jeune soldat fictivement joué par Voltaire dans le dernier paragraphe : expression qui traduit l’absurdité de la guerre révélée par l’expérience de la violence. 3. un spectacle désespérant dans le dernier paragraphe de l’extrait, Voltaire change e registre pour toucher autrement le lecteur.

L’énonciation change puisqu’on est passé de la 3ème personne (S 1, 2 et 3) aux 2ème et 1ère pers. du pluriel (5 4), puis au « je » dans le dernier paragraphe. Mais ce «je » n’est pas celui de l’auteur. Voltaire imagine ici le discours d’un jeune soldat de vingt ans et le prend en charge au moyen d’une prosopopée. Le paragraphe est constitué d’une seule question rhétorique qui 4 Le paragraphe est constitué d’une seule question rhétorique qui laisse éclater le sentiment d’absurdité et d’horreur de ce soldat imaginaire dans le but d’émouvoir profondément le lecteur.

Le registre pathétique repose ici sur la mise en relief de scènes de guerre déchirantes (« des enfants expirants sous les ruines », « une demi-livre de plomb me fracasse le corps « je meurs vingt ans dans des tourments inexprimables « mes yeux qui s’ouvrent pour la dernière fois « les derniers sons ») et l’emploi abondant d’un lexique de la souffrance. (hypotypose) le but est de persuader le lecteur du caractère absolument condamnable de la guerre en provoquant chez lui des émotions intenses.

Transition : Dans cet article, Voltaire condamne la guerre en occultant soigneusement les arguments de ses adversaires (la onquête, le droit de se défendre, les nécessités politiques et économiques, le respect de règles et de codes précis). Pour gagner le lecteur à sa cause, Voltaire cherche à toucher le lecteur en suscitant chez lui indignation, révolte (registre polémique) et compassion (recours au pathétique). Cependant, on aurait tort de s’en tenir là. Voltaire va plus loin dans sa critique de la guerre et désigne ceux qui en sont selon lui responsables : ceux qui gouvernent et la religion.

Il. UN PAMPHLET CONTRE LES RESPONSABLES DE LA GUERRE 1. les rois / les responsables politiques : de vulgaires hommes, au ouvoir monstrueux — la tonalité agressive du texte tient aux désignations des rois, jugés responsables de la mort inutile de milliers d’hommes. Le substantif attendu, « roi n’apparaît d’ailleurs pas une seule fois dans l’extrait et Voltaire lui préfère celui de « chef des S n’apparaît d’ailleurs pas une seule fois dans l’extrait et Voltaire lui préfère celui de « chef des meurtriers » l. 1, répété 1-2.

Ce choix réduit implicitement la fonction royale à celle d’un chef de tribu avec tout ce que cette image a de primaire. En outre, les responsables politiques sont désignés dans Pavant-dernier aragraphe par l’expression « quelques hommes » qui leur dénie leurs prétendues prérogatives divines (monarchie de droit divin). A la fin de l’extrait, il n’est plus qu’un seul « homme que nous ne connaissons pas Cette particularisation du roi le déchoit de sa fonction et le ramène au rang des autres hommes, notamment de ceux qui font la guerre. répétition de la construction « faire + infinitif » • critique du despotisme fait bénir », « faire égorger », « fera égorger ») critique de l’idéologie de Phéroisme (« héroïsme » / « affreux ») 2. la complicité de la religion : paganisation du religieux Voltaire est littéralement ulcéré par l’implication de la religion dans la guerre, implication qui s’explique par les liens que le pouvoir et le catholicisme entretiennent à cette époque, l’un renforçant le pouvoir de l’autre. La religion accorde ainsi au pouvoir la justification dont il a besoin.

La désignation des religieux est polémique : « harangueurs » que pon paye, « ces gens-là », « misérables médecins des âmes « philosophes moralistes Le champ lexical de la religion est systématiquement associé celui du Mal par une série d’antithèses qui mettent en évidence es contradictions du religieux : « « infernale » / « fait bénir », l’utilisation systématique de contrastes ironiques entre la violence de la guerre et les rites religieux (réduits systématique de contrastes ironiques entre la violence de la guerre et les rites religieux (réduits la plupart du temps des manifestations festives aux accents paiens) « exterminer son prochain « comble de grâce / ville détruite « la même chanson sert pour les mariages et pour les naissances, ainsi que pour les meurtres » (le Te Deum n’est plus qu’une vulgaire « chanson Voltaire lui refuse tout caractère sacré et l’associe eut-être même aux chansons paillardes, « célébrer / journées meurtrières description grotesque du Te Deum (fausse naiVeté qui permet à l’ironie voltairienne de mieux se déchaîner) — description grotesque des cérémonies et des vêtements traditionnels dans le 2ème paragraphe. (carnavalesque).