Chronique Dune Mort Annoncee Garcia Marquez Gabriel

GABRIEL GARCIA MARQUEZ Chron mort ROMAN RADUIT DE L’ESPAGNOL PAR CLAUDE COUFFON 18 GRASSET Swip page L’édition originale de Barcelone, par Editori Crénica de una muerte anunciada @ 1981, Gabriel Garcia Marquez. @ ée en 1981, ? 1981, Éditions Grasset et Fasquelle, pour la traduction française. Le jour où il allait être abattu e jour où il allait être abattu, Santiago Nasar s’était levé à cinq heures et demie du matin pour attendre le bateau sur lequel l’évêque arrivait.

II avait rêvé qu’il traversait un bois de figuiers géants sur lequel tombait une pluie fine, il fut heureux un instant dans e rêve et, à son réveil, il se sentit couvert de chiures d’oiseaux. « Il rêvait toujours d’arbres me dit Plécida dormi peu et mal, sans se déshabiller, et il s’était réveillé, la tête lourde, avec un arrière-goût d’étrier de cuivre dans le palais. Il expliqua cela par les ravages naturels de la noce effrénée qu’il avait faite la veille, jusqu’au petit matin.

Les gens qu’il rencontra ce jour-là, lorsqu’il sortit de sa maison à six heures cinq avant qu’il ne fût éventré comme un cochon une heure plus tard, le trouvèrent légèrement somnolent mais de bonne humeur ; il dit à chacun, sans y attacher ‘importance, que c’était une très belle journée. Nul ne pouvait affirmer s’il faisait alors allusion à l’état du ciel. Nombreux étaient ceux qui se souvenaient d’une journée radieuse, rafraîchie par une brise de mer qui traversait les bananiers, comme cela aurait dû être le cas pendant un bon mois de février, en d’autres temps.

Mais la plupart s’accordaient pour affirmer qu’il faisait un temps lugubre, avec un ciel bas et menaçant sur un fort relent d’eaux stagnantes, et qu’à l’instant où le malheur s’était produit il tombait une petite pluie fine semblable à celle que Santiago Nasar avait vue dans la forêt de son rêve. Personnellement, je me remettais de la bacchanale dans le giron apostolique de Maria-Alexandrina Cervantes, et c’est à peine si j’ouvris un oeil en entendant le charivari des cloches qui sonnaient le tocsin, convaincu qu’elles carillonnaient en Phonneur de l’évêque.

Santiago Nasar avait revêtu un pantalon et une chemise de lin blanc non empesés, identiques à ceux qu’il arborait la veille pour le mariage. C’était sa tenue des grands jours. N’eût 2 18 à ceux qu’il grands jours. N’eût été l’arrivée de l’évêque, il aurait enfilé son costume kaki et les bottes de cheval avec esquels il se rendait tous les lundis à El divino rostro, l’hacienda héritée de son père et qu’il administrait avec un grand bon sens à défaut d’une grande réussite.

Pour ses randonnées, il portait à la ceinture un. 357 Magnum dont les balles blindées, affirmait-il, pouvaient vous fendre un cheval en deux. À l’époque des perdrix, il emmenait aussi ses faucons dressés. Dans son armoire il rangeait une Mannlicher Schoenauer en. 30-06, un. 300 Holland Magnum, une. 22 Hornet à lunette ? grossissement variable et une Winchester à répétition.

Il dormait comme son père avait dormi, l’arme dissimulée ans la taie de l’oreiller, mais ce jour-là, avant de quitter la maison, il avait retiré les balles du chargeur et déposé le pistolet dans le tiroir de la table de nuit. « Il ne le laissait jamais chargé me dit sa mère. Je le savais, et je n’ignorais pas non plus qu’il rangeait ses armes dans un endroit et cachait les munitions dans un autre, très ? l’écart, afin que personne ne cédât, même par hasard, à la tentation de les charger dans la maison.

C’était une sage habitude imposée par son père depuis cette matinée où une servante ayant secoué l’oreiller pour en ôter la taie, le istolet était parti tout seul en heurtant le sol ; la balle avait démantibulé l’armoire de la chambre, traversé le mur du salon, franchi avec un tintamarre de branle-bas de combat la salle à manger de 3 18 traversé le de combat la salle à manger de la maison voisine et réduit en poussière de plâtre un saint grandeur nature sur le maître-autel de Péglise, à l’autre bout de la place.

Santiago Nasar, encore très petit, n’avait jamais oublié la leçon donnée par ce désastre. La dernière image que sa mère conservait de lui était celle de son bref passage dans sa chambre. Il l’avait éveillée alors qu’il cherchait un cachet d’aspirine dans le placard de la salle de bain, elle alluma et le vit devant la porte, un verre d’eau à la main, Image dont elle se souvint toujours. Santiago Nasar lui raconta alors son rêve, mais elle n’accorda pas d’importance aux arbres. « Rêves d’oiseaux donnent la santé », dit-elle.

Elle le vit de son hamac, dans la pose prostrée où je l’ai rencontrée éclairée par les dernières lueurs de la vieillesse, lorsque je revins dans ce village oublié pour essayer de refaire avec des éclats épars le miroir cassé de la mémoire. Elle avait beaucoup de mal à distinguer les ormes dans la lumière crue du jour et portait plaquées sur les tempes les feuilles curatives avec lesquelles elle combattait la migraine éternelle que son fils lui avait laissée la dernière fois qu’il était entré dans sa chambre.

Elle reposait sur le flanc et s’agrippait aux cordes du hamac pour essayer de se redresser ; dans la pénombre, il y avait cette odeur de baptistère qui m’avait surpris le matin du crime. Dès mon apparition sur le seuil, elle me confondit avec le souvenir de Santiago Nasar. « Il était là, me 4 18 mon apparition sur le seuil, elle me confondit avec le souvenir de Santiago Nasar. ? Il était là, me ditelle.

Il portait son costume de lin blanc lavé seulement ? l’eau claire, car il avait la peau si délicate qu’il ne supportait pas le bruit de famidon. » Elle resta un long moment assise dans son hamac, à mâchonner des graines de cardamine, jusqu’au moment où se dissipa l’illusion que son fils était revenu. Alors elle soupira : « Il était l’homme de ma VIe. » Je le vis dans son souvenir. Il avait eu vingt et un ans la dernière semaine de janvier ; il était svelte et pâle, avec les paupières arabes et les cheveux frisés de son père.

Il était le fils unique, issu d’un mariage de raison, qui n’eut ucun moment de bonheur, mais il semblait heureux avec son père jusqu’au jour où celui-ci mourut subitement, trois ans plus tôt, comme il continua de le paraître en compagnie de sa mère jusqu’au lundi de sa mort. Il avait hérité d’elle son instinct. De son père, il avait appris dès sa tendre enfance le maniement des armes à feu, l’amour des chevaux et la maitrise des grands oiseaux de proie ; mais de son père, il apprit aussi, comme des beaux-arts, le courage et la prudence.

Ils parlaient entre eux en arabe, mais jamais devant Plécida Linero, pour qu’elle ne se sentît pas exclue. À aucun moment on ne les avait vus rmés au village et ils n’y vinrent qu’une fois avec leurs oiseaux dressés, à l’occasion d’une démonstration de fauconnerie dans une fête de charité. La mort de son père avait contraint Santiago Nasar à abandonner l’école après ses études se S 18 charité. La mort de son père ses études secondaires pour prendre en charge Phacienda familiale. Par dons personnels, Santiago Nasar était gai, pacifique, et, de surcroit, il était homme de coeur.

Le jour où il allait être abattu, sa mère pensa qu’il s’était trompé de date en le voyant vêtu de blanc. « Mais c’est aujourd’hui lundi », lui rappela-t-elle. Alors il lui vait expliqué qu’il avait mis une tenue de circonstance au cas où il aurait l’occasion de baiser panneau de l’évêque. Ce qui n’avait pas eu l’air d’intéresser Plécida Linero. « II ne descendra même pas du bateau, lui dit-elle. Il vous bénira à la sauvette, comme d’habitude, et repartira comme il est venu. Il déteste ce village.

Santiago Nasar savait qu’elle avait raison, mais les fastes de l’Église exerçaient sur lui une fascination irrésistible. « On se croirait au cinéma m’avait-il avoué un jour. En revanche, la seule chose qui préoccupait sa mère dans cette visite de l’évêque, c’était que son fils ne ût pas trempé par la pluie, car elle l’avait entendu éternuer durant son sommeil. Elle lui conseilla de prendre un parapluie, mais il lui fit de la main un signe d’adieu et quitta la chambre. Ce fut la dernière fois qu’elle le vit.

Victoria Guzmén, la cuisinière, assurait qu’il n’avait pas plu ce jour-là, ni même une seule fois en février. « Au contraire, me dit-elle quand je vins la voir peu avant sa mort, le soleil chauffait plus tôt qu’en plein mois d’août. » Elle était en train d’étriper trois lapins pour le d plus tôt qu’en plein mois d’août. » Elle était en train d’étriper trois lapins pour le déjeuner, arcelée par les chiens aux aguets, lorsque Santiago Nasar était entré dans la cuisine. « II se levait toujours avec la tête de quelqu’un qui a mal dormi », rappelait-elle, sans tendresse.

Divina Flor, sa fille, dont le corps commençait ? peine à s’épanouir, avait servi à Santiago Nasar un bol de café sans sucre arrosé d’alcool de canne, comme tous les lundis, pour raider à surmonter la cuite de la nuit. L’énorme cuisine, avec le chuchotement de l’âtre et les poules endormies sur leurs perchoirs, avait une respiration mystérieuse. Santiago Nasar avait croqué une autre aspirine et il s’était assis pour boire son café entement, à petites gorgées ; il pensait au ralenti et ne quittait pas des yeux les deux femmes qui vidaient les lapins au-dessus du fourneau.

Malgré son âge, Victoria Guzman gardait toute sa prestance. La petite, encore un peu sauvage, semblait étouffer sous le flot impétueux de ses glandes. Santiago Nasar l’avait attrapée par le poignet au moment où elle venait le débarrasser de son bol vide. « Il va être temps de te dresser lui dit-il. Victoria Guzmén lui avait montré le couteau sanglant. « Bas les pattes, blanc ! lui intima-t-elle sans rire. Moi vivante, tu ne boiras pas de cette eau-là. » Elle avait été séduite par Ibrahim Nasar dans la plénitude de l’adolescence.

Il l’avait aimée en cachette plusieurs années durant dans les étables de l’hacienda et l’avait intégrée à la domesticité une fois sa passion éteinte. Divina Flor, qu 18 de l’haclenda et Divina Flor, qui était la fille d’un mari plus récent, se savait destinée aux ébats furtifs de Santiago Nasar, et cette Idée Pangoissait à Pavance. « un homme comme ça, il n’en est jamais né d’autre me dit-elle, grasse et fanée, entourée par une progéniture issue d’autres amours. « C’était son père tout craché, lui répliqua Victoria Guzman. Une merde. ? Mais elle ne put écarter une rafale d’effroi en se rememorant l’air épouvanté de Santiago Nasar quand elle avait arraché d’un coup les entrailles d’un lapin et les avait jetées aux chiens, toutes fumantes. « Ne sois pas aussi barbare, lui avait-il dit. Imagine un peu, s’il s’agissait d’un être humain ! » Il n’avait pas fallu moins de vingt ans à Victoria Guzmén pour comprendre qu’un homme accoutumé ? tuer d’innocents animaux venait d’exprimer, brusquement, une sainte horreur. « Seigneur Jésus ! s’écria-t-elle effrayée. Pour une révélation, ce fut une révélation ! ?? Pourtant elle accumulait un tel arriéré de rages refoulées que le matin du crime elle avait continué de gaver les chiens avec la tripaille des autres lapins, pour le seul plaisir de contrarier le petit déjeuner de Santiago Nasar. On en était là quand le beuglement assourdissant du bateau à vapeur à bord duquel arrivait l’évêque avait réveillé tout le village. La maison était un ancien entrepôt à deux étages, fait de grosses planches mal équarries, avec un toit de zinc ? deux pentes, du haut duquel les charognards lorgnaient les déchets du port.

Elle a 8 18 toit de zinc ? les déchets du port. Elle avait été bâtie au temps où le fleuve était si complaisant que nombre de caboteurs et même quelques navires de haute mer s’aventuraient jusque-là à travers les marécages de l’estuaire. Quand Ibrahim Nasar était arrivé avec les derniers Arabes, à la fin des guerres civiles, les bateaux de mer ne remontaient plus à cause des caprices du fleuve, et l’entrepôt était abandonné.

Ibrahim Nasar l’avait racheté pour une bouchée de pain afin d’y établir une boutique d’importation qui ne vit jamais le jour, et ce n’est qu’au moment de son mariage qu’il le transforma en maison d’habitation. Au rez-de-chaussée il aménagea une grande salle qui servait à tout et fit construire au fond une écurie pour quatre chevaux, les chambres des domestiques et une cuisine d’hacienda avec des fenêtres donnant sur le port et par lesquelles entrait à toute heure la puanteur des eaux.

La seule chose qu’il conserva intacte dans la grande salle fut l’escalier en colimaçon, rescapé d’on ne sait quel naufrage. À l’étage principal, qui avait abrité les bureaux de la douane, il installa deux vastes chambres et cinq alcôves pour les nombreux enfants qu’il espérait avoir, et orna la façade d’un balcon de bois dominant les mandiers de la place ; c’est là que, les soirs de mars, Plâcida Linero se tenait, pour se consoler de sa solitude. Il laissa telle quelle la porte principale mais la flanqua de deux hautes fenêtres au cadre massif de bois contourné.

II conserva également la porte de derr 9 18 de deux hautes fenêtres au cadre massif de bois contourné. Il conserva également la porte de derrière dont il rehaussa le linteau pour pouvoir entrer à cheval, et maintint en service une partie de l’ancien quai. Cette porte fut toujours la plus utilisée, non seulement parce qu’elle constituait l’accès naturel aux crèches et à la cuisine, mais ussi parce qu’elle donnait sur la rue du nouveau port, sans qu’on eût à passer par la place. Une barre fermait la porte principale, qui ne s’ouvrait que pour les grandes occasions.

Ce fut pourtant devant celle-ci et non derrière la petite porte que les hommes qui allaient le tuer attendirent Santiago Nasar, et ce fut par là aussi que ce dernier sortit recevoir l’évêque, bien qu’il dût faire le tour complet de la maison pour gagner le port. Tant de coïncidences funestes demeuraient pour tous incompréhensibles. Le juge d’instruction venu de Riohacha s’était contenté de les subodorer sans se risquer ? les admettre tant son rapport montrait une volonté évidente de donner à l’affaire une explication rationnelle.

La porte de la place y était baptisée plusieurs fois d’un nom rocambolesque : la porte fatale. En réalité, la seule explication valable paraissait être celle de Plâcida Linero, qui avait répondu à la question avec son bon sens de mère : « Mon fils ne sortait jamais par la porte du fond quand il était bien habillé. » Cela semblait une vérité si simpliste que le magistrat l’avait recueillie dans une note en marge, mais ne Pavait pas consignée dans le dossier d’instruction. Victoria Guzmén, de son côté, 00F