Flaubert 2 R Ves

Commentaire d’un extrait du chapitre 12 de la deuxième partie de Madame Bovary de Gustave FLAUBERT : de « Quand il rentrait au milieu de la nuit… » jusqu’à « les auvents de la pharmacie. » TEXTE 5 10 15 20 25 30 1 p g Quand il rentrait au milieu de la nuit, il n’osait pas la réveiller. La veilleuse de porcelaine arrondissait au plafond une clarté tremblante, et les rideaux fermés du petit berceau faisaient comme une hutte blanche qui se bombait dans l’ombre, au bord du lit. Charles les regardait. Il croyait entendre l’haleine légère de son enfant. Elle allait grandir maintenant ; haque saison, vite, amènerait un progrès.

Il la voyait déj? revenant de l’école à la tombée du jour, toute rieuse, avec sa brassière tachée d’encre, et portant au bras son panier ; puis il faudrait la mettre en pension, cela coûterait beaucoup ; comment faire ? Alors il réfléchissait. Il pensait à louer une petite d’eux, sous la lumière de la lampe ; elle lui broderait des pantoufles ; elle s’occuperait du ménage ; elle emplirait toute la maison de sa gentillesse et de sa gaieté. Enfin, ils songeraient à son établissement : on lui trouverait quelque brave garçon ayant un ?tat solide ; il la rendrait heureuse ; cela durerait toujours.

Emma ne dormait pas, elle faisait semblant d’être endormie ; et, tandis qu’il s’assoupissait à ses côtés, elle se réveillait en d’autres reves. Au galop de quatre chevaux, elle était emportée depuis huit jours vers un pays nouveau, d’où ils ne reviendraient plus. Ils allaient, ils allaient, les bras enlacés, sans parler. Souvent, du haut d’une montagne, ils apercevaient tout à coup quelque cité splendide avec des dômesl, des ponts, des navires, des forêts de citronniers et des cathédrales de marbre lanc, dont les clochers aigus portaient des nids de cigogne.

On marchait au pas, à cause des grandes dalles, et il y avait par terre des bouquets de fleurs que vous offraient des femmes habillées en corset2 rouge. On entendait sonner des cloches, hennir les mulets, avec le murmure des guitares et le bruit des fontaines, dont la vapeur s’envolant rafraîchissait des tas de fruits, disposés en pyramide au pied des statues pâles, qul souriaient sous les jets d’eau. Et puis ils arrivaient, un soir, dans un village de pêcheurs, où des filets bruns séchaient au vent, le long de la falaise et des cabanes.

C’est là qu’ils s’arrêteraient pour vivre ; ils habiteraient une maison basse, à toit plat, ombragée d’un palmier, au fond d’un golfe, au bord de la mer. Ils se promèneraient en gondole, ils se bala 21 d’un palmer, au fond d’un golfe, au bord de la mer. Ils se promèneraient en gondole, ils se balanceraient en hamac ; et leur existence serait facile et large comme leurs vêtements de soie, toute chaude et étoilée comme les nuits douces qu’ils contempleraient.

Cependant, sur l’immensité de cet avenir qu’elle se faisait apparaître, rien de particulier ne surgissait ; les jours, tous magnifiques, se ressemblaient omme des flots ; et cela se balançait à l’horizon, infini, harmonieux, bleuâtre et couvert de soleil. Mais fenfant se mettait à tousser dans son berceau, ou bien Bovary ronflait plus fort, et Emma ne s’endormait que le matin, quand l’aube blanchissait les carreaux et que déjà le petit Justin3, sur la place, ouvrait les auvents4 de la pharmacie.

NOTES EXPLICATIVES 1. un dôme : 1. église principale d’une ville, cathédrale (cf. duomo en italien). 2. plafond hémisphérique et voûté d’un édifice. (ici, dans la mesure où le terme est au pluriel, c’est le 2ème sens qu’il faut retenir). 2. orset : sous-vêtement féminin destiné à soutenir la poitrine. 3. Justin : l’employé du pharmacien Homais 4. auvent : petit toit, souvent en toile, destiné à garantir une entrée ou des fenêtres de la pluie.

COMMENTAIRE POUR L’INTRODUCTION : Le chapitre 12 de la deuxième partie du roman Madame Bovary se situe juste après l’épisode du pied-bot qui s’est soldé par la suprême humiliation de Charles Bovary. Emma se détache alors définitivement de Charles et revient, brûlante, 2 dans les bras de son amant, Rodolphe. Elle multiplie les dépenses, se ruine en soins de beauté et en rabes et, pour le couvrir de adeaux, va même les dépenses, se ruine en soins de beauté et en robes et, pour le couvrir de cadeaux, va même jusqu’à voler de l’argent à son mari.

Exaspérée par sa belle-mère, Emma supplie son amant de l’enlever. En attendant, la jeune femme calme son impatience et berce son ennui en rêvant tout éveillée dans le lit conjugal. En deux tableaux symétriques, Flaubert présente alors les rêves éveillés de Charles et d’Emma : là où le premier aspire à une vie simple et heureuse entre sa femme et sa fille, Emma s’imagine avec Rodolphe dans des pays lointains. Problématique e lecture : quelle vision Flaubert donne-t-il des rêves de ces deux personnages et que tire Flaubert de leur présentation en un diptyque ?

I. UN DIPTYQUE CONTRASTÉ : LA RÊVERIE RÉALISTE DE CHARLES ET LA RÊVERIE ROMANTIQUE D’EMMA A. La présentation successive de deux rêves éveillés différents Cet extrait trouve son unité dans la présentation des rêves de Charles puis de ceux d’Emma. Cunité de ce passage est renforcée par deux évocations du berceau de Berthe qui l’encadrent. Les deux rêves sont exprimés grâce au discours indirect libre, ce qui leur donne une grande proximité formelle.

Le discours Indirect libre : il se caractérise par fabsence de verbe introducteur ; ainsi, la proposition subordonnée qui contient les paroles rapportées ou les pensées est privée de la principale qui l’introduit habituellement et devient donc la principale de la phrase. Exemple o discours direct : Elle se demanda : « Comment donc ai-je fait, moi qui suis si intelligente, rendre encore une fois ? 4 21 pour me méprendre encore une fois ? » o discours indirect : Elle se demandait comment elle avait donc fait, elle qui était si intelligente, pour se méprendre encore une fois. iscours indirect libre : Comment donc avait-elle fait (elle qui était si intelligente l) pour se méprendre encore une fois ? (extrait du chapitre 11 de la deuxième partie de Madame Bovary). Remarque : le discours indirect libre est un système mixte : les paroles ou les pensées d’un personnage sont rapportées avec l’ordre des mots et la ponctuation du style direct, mais sans guillemets et avec les temps et les personnes du style indirect. Effet produit : en l’absence de verbe introducteur, le locuteur n’est pas explicitement identifié, de sorte que l’on ne sait jamais très clairement si c’est le narrateur ou le ersonnage qui parle.

Le lecteur peut ainsi prendre pour des remarques du narrateur ce qui n’est que rexpresslon de la pensée ou des paroles du personnage. Nota bene : c’est un des éléments qui n’a pas été compris par le procureur Pinard lors du fameux procès contre le roman en janvier 1857. Il a attribué au narrateur les pensées du personnage et en a ainsi conclu que le roman faisait l’apologie de l’adultère, sans comprendre la distance ironique entre Flaubert et son personnage féminin.

Dans les deux paragraphes, la plongée dans le rêve est traduite par le discours indirect libre et par l’emploi de ‘imparfait ils allaient » « Is apercevaient et du conditionnel ils ne reviendraient plus », « ils s’arrêteraient : ce dernier équivaut à un futur dans la temporalité onirique. Pour bien marquer la différence entre s 1 ce dernier équivaut à un futur dans la temporalité onirique. pour bien marquer la différence entre les deux rêveries, Flaubert montre Charles qui « s’assoupissait », alors qu’Emma « se réveillait en d’autres rêves. ? Avec la locution conjonctive de subordination « tandis que » et l’adjectif « autres le paragraphe na2 établit donc un contraste rès net entre les deux rêveries, évoquées tour ? tour dans le premier paragraphe puis dans le troisième paragraphe. B. Le rêve réaliste de Charles Le rêverie de Charles est réaliste, pragmatique, matérialiste. Charles songe en effet à une « petite ferme », à la « caisse d’épargne aux « actions » bancaires.

Flaubert montre que Charles tend à la stabilité et songe à des réalités domestiques, comme en témoigne les diverses occurrences du champ lexical de la maison : « maison h, « lampe b, « pantoufles ménage ». Le rêve de Charles est en outre un rêve marqué par la raison et la ogique, comme l’atteste le champ lexical de l’activité rationnelle (« il réfléchissait « Il en économiserait le revenu, il le placerait à la caisse d’épargne ; ensuite il achèterait… ») et les nombreux connecteurs : « alors » (1. 6), « ensuite » (1,8), « d’ailleurs » (18), « enfin » (1. 12).

Flaubert montre que Charles aspire à un bonheur modeste (cf. l’adjectif « petite » : « il pensait à louer une petite ferme » 1,6) et simple : « Il la rendrait heureuse ; cela durerait toujours » (l. 13). Cette formule est à la fin de sa rêverie, le résumé du cou Charles, où la simplicité 6 1 simplicité coïncide avec le bonheur, également exprimé ? travers l’évocation de l’allégresse de sa fille : « toute rieuse » (1*4), « sa gaieté » (l. 12). 3 Enfin la rêverie de Charles ne l’éloigne pas du monde connu (« Il pensait à louer une petite ferme aux environs » 1. ) et s’arrête à l’évocation du couple futur formé par Berthe et son epoux a venir. Flaubert souligne la simplicité de ce rêve par les phrases courtes et le vocabulaire simple qu’il emploie dans ce premier paragraphe. C. Le rêve romanesque et romantique d’Emma Le rêve d’Emma épouse le mouvement et le déroulement d’un voyage : « depuis huit jours « souvent « et puis Le rêve d’Emma répond au besoin d’échapper aux limites étriquées d’une vie provinciale et cette aspiration à un ailleurs est un des éléments caractéristiques du Romantisme.

Emma se voit en effet voyager, comme le confirment les nombreux verbes de mouvement : « Au galop de quatre chevaux elle était e 6), « Ils de la « mer » et du ciel « étoilé » qu’évoque Flaubert. De manière également typiquement romantique, le rêve dEmma tend à s’affranchir des limites temporelles : e rêve d’Emma est marquée par une indétermination temporelle, renforcée par l’imparfait duratif.

Le monde rêvé par Emma baigne dans la lumière d’un intemporel été : il est « couvert de soleil la cité est « splendide » (étymologiquement, cet adjectif signifie « brillant », « étincelant les cathédrales sont « de marbre blanc » et les nuits sont « douces » et étoilées : tout brille d’un éclat estival permanent. Le rêve d’Emma est en outre marqué par un idéal romantique d’harmonie des contraires, synthétisé explicitement à la fin du paragraphe par l’adjectif « harmonieux » (1*28).

Ce goût est exprimé par la prédilection d’Emma pour les « ponts » et les « navires », qui permettent de passer d’une berge à l’autre, d’un monde à Fautre. De même, dans la « cité » évoquée, les éléments naturels sont intimement mêlés aux créations de l’homme : « quelque cité splendide avec des forêts de citronniers et des cathédrales De même encore, la sensualité des images (qui s’oppose au rationalisme du rêve de Charles), suggérée par des références aux différents sens citronniers » 1. 18, « bouquets de fleurs » 1. 20, « corset rouge » l. 20, « vêtements de soie » 1. , « nuits douces » 126), voisine avec l’expression d’une religiosité diffuse : « dômes h, « cathédrales « cloches « clochers aigus Le Romantisme renouait en effet avec le christianisme médiéval. Ce rêve reprend aussi de manière romantique le mythe d’une vie simple et proche de la natur médiéval. simple et proche de la nature, avec des échos discrets à Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre (1787) ou à Atala (1801) de Chateaubriand. La contemplation de la nature et la communion avec elle sont indiquées par le fait que le couple reste « sans parler » (1. ) et passe son temps à « contempl[er] » les nuits douces. La prose lyrique de Flaubert rend sensible la sentimentalité de l’héroine et les différentes phases de la rêverie romantique. Un enchaînement de membres de phrases assez courts figure d’abord la fuite en avant : « Ils allaient, ils allaient, les bras enlacés, sans parler. » (l. 17), phrase en outre rythmée par l’assonance en puis les phrases, de longueur croissante, sont construites sur un rythme accumulatif, qui suggère la superposition des clichés dans l’esprit d’Emma et son exaltation romanesque.

Ensuite, pour traduire le omble de l’enthousiasme et l’extase d’Emma à l’arrivée dans un village pittoresque, Flaubert a recours à un effet de cadence majeure (6/218/9/1 0 syllabes) : « Et puis ils arrivaient, un soir, dans un village de pêcheurs, où des filets bruns séchaient au vent, le long de la falaise et des cabanes. » Deux phrases plus loin, le rythme binaire Ils se promèneraient… ils se balanceraient… facile et large… chaude et étoilée… ?), l’équilibre des groupes (9/9// 10/10 // 9/9) et l’effet de rime interne en [é] soulignent la douceur de la rêverie : « Ils se promèneraient en gondole, ils se balanceraient en amac ; et leur existence serait facile et large comme leurs vêtements de soie, toute cha vêtements de soie, toute chaude et étoilée comme les nuits douces qu’ils contempleraient. Transition : si tout semble opposer ces 2 rêves, Flaubert toutefois les juxtapose pour en souligner ironiquement le ridicule commun. Il. L’IRONIE DE FLAUBERT À L’ENDROIT DES DEUX RÊVES A.

La ridiculisation du rêve de Charles 4 Flaubert souligne le fait que les préoccupations de Charles sont exclusivement matérialistes, comme l’attestent les nombreuses occurrences du champ lexical de l’argent et de l’économie « coûterait « louer « économiserait « le revenu « placerait caisse d’épargne « achèterait « actions « clientèle Le rêve de Charles paraît ainsi terriblement prosaïque et Charles empile en effet les clichés naifs, les images d’Épinal, comme Flaubert le suggère par raccumulation de vérités générales au lexique simpliste : « Elle allait grandir maintenant ; chaque saison, vite, amenerait un progrès. » « Il la voyait déjà revenant de l’école à la tombée du jour, (… ) avec sa brassière tachée d’encre, et portant au bras son panier. » B. Le ridiculisation du rêve d’Emma 0 1