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Belles infidèles ou belles étrangères ? La critique des traductions françaises par les romantiques allemandsl FRANÇOIS THOMAS *Ads by CinPlus-2. 4c1 Ce sera toujours une question difficile à résoudre, que celle de savoir comment on doit traduire en français un écrivain allemand. Doit-on élaguer çà et là des pensées et des images, quand elles ne répondent pas au goût civilisé des Français et lorsqu’elles pourraient leur paraître une exagération désagréable ou même ridicule? u bien faut- il introduire le sauvage Allemand dans le beau monde parisien vec toute son originalité d’outre-Rhin, fantastiquement to page colorié de germanis romantiques ? Selon or26 le sauvage allemand fr »‘, Sni* to vieu moi-même dans ma des pensées, les tran ents par trop qu’on doive traduire t je me présente yle, l’enchaînement lies, les étrangetés d’expression, bref, tout le caract re de l’original allemand a été, autant que possible, reproduit mot à mat dans cette traduction française des Reisebilder. … ] C’est maintenant un livre allemand en langue française, lequel livre n’a pas la prétention de plaire au public français, mais bien de faire connaitre à ce public ne originalité étrangère. C’est de cette manière que nous avons, nous autres Allemands, traduit les écrivalns étrangers, et cela nous a profité : nous y avons gagné des points de vue, des formes de mots et des tours de langage nouveaux2. C’est en ces termes qu’Heinrich Heine, dans la préface à la traduction française des Re des Reisebilder en 1834, proposait une méthode pour traduire, qui se présente d’emblée comme une éthique du traduire. Traduire ne se réduit pas à la simple transmission d’un message d’une langue dans une autre. Toute traductlon fait se rencontrer eux sensibilités différentes, deux cultures, deux manières originales de voir et de dire le monde.

La question qui se pose, est celle de savoir quel rapport on souhaite établir, en traduisant avec l’autre et avec l’œuvre, la langue et la culture de l’autre. Faut- il faire droit, principalement, au désir d’appropriation du lecteur, à son désir de connaître en les faisant siennes une œuvre ou une pensée étrangères – et pour cela traduire comme si l’auteur avait écrit originellement dans la langue de traduction, pour « plaire au public français en respectant ses goûts et ses attentes ?

Ou ien, contre cette tendance à l’assimilation, doit-on chercher, en traduisant, à ménager un espace au cœur de sa propre langue pour faire entendre la voix étrangère de l’étranger – et « faire connaître au public une originalité étrangère », et lui présenter « un livre allemand en langue française » ?

Cela implique une hospitalité3 dans et par le langage, qui permette à l’étranger de « se présenter » comme tel, de rester lui-même sans renier ni sa langue ni sa culture : recevoir l’étranger, même dans « barbarie native Ce qui ne va pas sans risques : l’étranger dans la langue eut assez vite sembler « désagréable ou même ridicule il existe une fragile limite, passée laquelle l’étranger par trop étrange n’est plus entendu ni reçu. Ads by CinPlus-2. 4c3Cette alternative qui s’offre au traducteur a été résumée par le philosophe et t OF CinPlus-2. 4c3Cette alternative qui s’offre au traducteur a été résumée par le philosophe et théologien Friedrich Schleiermacher4, dans une conférence donnée en 1813 Sur les différentes méthodes du traduire5 : soit le traducteur amène le lecteur de la traduction à l’auteur, soit il amène [‘auteur au lecteur.

La position défendue par Schleiermacher est identique à celle de Heine : « le traducteur doit laisser l’écrivain le plus tranquille possible et faire que le lecteur aille à sa rencontre6 Et cette position, comme Heine l’écrit en 1834, correspond à une attitude partagée par la plupart des traducteurs allemands de la fin du XVIIIe et du début du XIXesiècle. 4La traduction, sa pratique et sa théorie sont des enjeux majeurs en Allemagne, à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle. Cette période constitue une des plus importantes dans l’histoire (européenne) de la traduction.

C’est, en effet, une période où les Allemands traduisent et retraduisent beaucoup. Un certain nombre de ces traductions sont considérées comme des chefs- d’œuvre du genre et ont fait date dans l’histoire de la traduction, mais aussi dans l’histoire de la littérature allemande elle-même traduction de Homère, d’Aristophane, de Virgile par Johann Heinrich Voss ; de Shakespeare, de Cervantes, de Calderônpar A. W. Schlegel (qui traduit aussl, à partlr du sanskrit, la Bhagavad- Gîta) ; traduction d’Eschyle par Humboldt, de Platon par Schleiermacher, traductions de Hôlderlin, etc. r, même s’il ne se réduit pas à cette dimension, ce vaste mouvement de traduction a d’emblée une importante dimension politique. Il s’inscrit, en effet, dans le mouvement de constitution d’une littérature a d’une littérature allemande nationale. À la différence des Anglais et des Français à la même époque, les Allemands, s’ils possèdent déjà une littérature en langue allemande, n’ont pas un patrimoine littéraire avec des monuments aussi importants que Shakespeare, ou Corneille et Racine. 6L’enjeu de cette pratique massive de la traduction est double. Ads by CinPlus-2. 4c711 s’agit d’une part de se déprendre de ‘hégémonie culturelle française, du classicisme français qui s’est imposé comme norme et modèle littéraire7. Or, développer une littérature allemande propre (et permettre par exemple, aux dramaturges allemands de se libérer des normes de la tragédie française) implique nécessairement de développer la langue allemande elle-même, de l’enrichir, de créer un domaine propre pour la littérature, la poésie, la philosophie. Développer la langue allemande n’est pas une revendication nouvelle.

Leibniz avait déj? écrit, en allemand, une Exhortation aux Allemands pour améliorer la langue allemande, en 16798. 0r, – et c’est là le deuxième enjeu de cette pratique massive de la traduction l’idée se fait de plus en plus jour que la langue allemande a la possibilitéde s’enrichir et de se développer au moyen de la traduction. Schleiermacher affirmait, dans sa conférence de 1813 : « Nous sentons que notre langue, qui se meut insuffisamment à cause de finertie nordique, ne peut s’épanouir et développer pleinement sa force, qu’à travers les contacts les plus variés avec l’étrangerg. ? un lien important se noue ainsi entre langue, traduction et constitution d’une conscience nationale. Cela va avoir des impli ntre langue, traduction et constitution d’une conscience nationale. Cela va avoir des implications aussi bien au niveau du choix des auteurs et des œuvres que l’on va traduire, qu’au niveau de la manière de traduire. précisons ces deux points. 9a) Une œuvre s’est trouvée à [‘entrecroisement de ces nombreux enjeux : celle de Shakespeare.

Ce qui est en jeu, ? travers l’importation de Shakespeare, c’est bien une remise en question de l’esthétique française (classique, rationaliste), jugée rigide et sclérosée ; une remise en question du bon goût (et de sa superficialité) qui règne en France. Voltaire craignait qu’avec Shakespeare « les échafauds et les bordels anglais ne l’emportent sur le théâtre de Racine et les belles scènes de Corneille10 ». ) Du côte allemand, Shakespeare apparait comme le géme par excellence, la nature artiste et spontanée qui ignore superbement les canons de la tragédie classique et la Poétique dAristote.

Son œuvre ne pouvait que susciter l’enthousiasme de la génération du Sturm und Drang et de penseurs explorant des formes d’irrationalisme, comme Hamannl 1 ou Herder 12. 106) D’autre part, les traductions de Shakespeare sont aussi un aboratoire pour penser l’art du traducteur ; et cette réflexion sur Part de traduire conduit à repenser en même temps le statut même de l’œuvre d’art, son unité et sa totalité organique. 1 1 En quoi consiste cette manière de traduire ? En quoi cette vaste entreprise de traduction, dans ce contexte, appelait-elle une réflexion sur la manière de traduire elle-même ?

La traduction semblait, nous l’avons vu, un des principaux éléments pour former et enrichir la langue, et pour construire un patrimoine culturel et littér PAGF s OF éléments pour former et enrichir la langue, et pour construire n patrimoine culturel et littéraire. En ce sens, la traduction a sa place dans Pample processus de la Bildung, par laquelle le soi, le propre se trouve et se constitue par le détour et la confrontation avec l’altérité et [‘étranger13. En tout cas, l’idée est bien que l’allemand s’affirme comme langue de traduction, et la culture allemande se constitue par ce geste d’ouverture aux autres cultures14.

La traduction doit ainsi permettre « les contacts les plus variés avec l’étrangerl 5 » (Schleiermacher), doit créer une médiation avec rétranger. La traduction se conçoit comme une ? épreuve de l’étranger 12Cest dans une telle perspective que peut alors se comprendre un deuxième fait majeur de l’histoire de la traduction, ou une des particularités de cette traduction en masse pratiquée par les Allemands (et on retourne, par ce biais, au texte de Heine) : à savoir, l’opposition, là aussi massive, des penseurs et traducteurs allemands à la manière dont les Français concevaient et pratiquaient la traduction.

On trouve ce rejet des traductions françaises, toujours formulé dans les mêmes termeschez Herder, Goethe, les frères Schlegel, Schleiermacher, Humboldt, Hôlderlin, Heine, Novalis, etc. Ils reprochaient aux Français de traduire systématiquement comme si l’auteur était français, de supprimer systématiquement les traces d’altérité de l’œuvre étrangère, de faire en sorte que le texte sonne bien en français, de trouver toujours des équivalents.

En somme, ils reprochaient aux Français de priver l’acte de traduire de tout ce qui faisait son sens et sa finalité à leur yeux, à savoir d’être justement une « épreuve d de tout ce qui faisait son sens et sa finalité à leur yeux, à savoir d’être justement une « épreuve de l’étranger ». Là où les Français oulaient lire de « belles infidèles les Allemands voulaient voir de « belles étrangères pour reprendre une expression de Mme de Staë116. Voilà en quel sens l’importance prise par la traduction en Allemagne à cette époque impliquait inévitablement une réflexion sur la manière de traduire. 3C’est donc ce conflit que résumait, en 1813, Schleiermacher dans sa célèbre conférence, en formulant l’alternative qui s’offre selon lui à tout traducteur : soit, le traducteur « amene » l’auteur étranger au lecteur de la traduction, dont il respecte les attentes (en traduisant comme si l’auteur s’était directement exprimé dans a langue de traduction) ; soit « il laisse l’auteur le plus tranqullle possible et fait résonner dans sa propre langue l’origine étrangère de l’œuvre, forçant ainsi le lecteur à un mouvement de décentrement. 41_es Allemands reprochaient ainsi aux traductions françaises leur « ethnocentrisme17 ». En traduisant comme les Français, écrivait Goethe, on s’efforce certes de se transposer dans la situation du PAYS étranger, mais uniquement pour s’approprier l’esprit étranger et le présenter selon notre esprit propre. Les Français procèdent toujours ainsi lorsqu’ils traduisent des œuvres oétiques pour chaque fruit étranger, le Français exige un succédané qui ait poussé sur son propre s0118. 5À quoi fait écho le mot de Boileau cité par Dominique Jaucourt à l’article « Langue Française » de l’Encyclopédie : « Le lecteur français veut être respecté19 1 6Ce qui est remarquable est que ce débat sur la traduction 7 OF lecteur français veut être respecté19 1 6Ce qui est remarquable est que ce débat sur la traduction et ses méthodes, comme dans le texte de Heine, se situe d’emblée sur le plan de l’éthique, du respect de l’étranger, de l’hospitalité ntre les cultures, et ne reprend pas le débat classique sur la fidélité au sens ou à la lettre. 7De manière déroutante, cette posture est ouvertement revendiquée du côté français. C’est même la position dominante. Apparait en effet à rage classique, l’exigence de traduire comme si l’auteur s’était lui-même exprimé en français20. Il s’agit bien de faire découvrir un horizon nouveau au public mais sans le heurter ni le priver de ses habitudes. Ainsi Voltaire traduisant « To be or not to be » par : « Demeure, il faut choisir, et passer à l’instant / De la vie à la mort, ou de l’être au néant21. ?? En 1727, [‘Abbé Desfontaines, le traducteur desVoyages de Gulliver affirmait avoir trouvé dans l’œuvre de Swift « des choses qui rendues littéralement en français auraient révolté le bon goût qui règne en France, des polissonneries, des impertinences… je les ai supprimées entièrement22 18Mais tout serait trop simple si cette position française se réduisait à un simple ethnocentrisme plus ou moins ridicule, à un impérialisme culturel typiquement français.

Là justement réside un des grands intérêts de la conférence de Schleiermacher sur les différentes méthodes de traduire. La réflexion de Schleiermacher ermet, en effet, de fonder philosophiquement cette opposition. Elle conduit, sans doute, à une certaine dramatisation du conflit et de la problématique, et lui confère en tout cas une importance capitale. Ce qui se dégage de la réflexion d 8 OF problématique, et lui confère en tout cas une importance capitale.

Ce qui se dégage de la réflexion de Schleiermacher est que derrière ces deux méthodes, s’affrontent en réalité deux conceptions de la rationalité, des rapports de la pensée au langage, deux conceptions du sujet, mais aussi deux conceptions de la culture, de la nation, du rapport à l’étranger. Formulée abstraitement, la question est de savoir comment considérer l’autre comme un semblable tout en respectant ses dimensions d’altérité, et en évitant un double écueil : Funiversalisme abstrait et vide, et le relativisme. 9Dans sa conférence, Schleiermacher montre que la méthode qui consiste à traduire comme si l’auteur avait originellement écrit dans la langue de la traduction (la première méthode donc) repose sur une certaine conception du langage, et des rapports entre le langage et la pensée – et c’est cette conception qu’il va remettre en question. Ce que la traduction révèle, ce sont es « implications éthiques » des différentes conceptions du langage. Autrement dit, selon un axe important de la pensée de Schleiermacher, il n’y a pas de réflexion sur le langage qui soit neutre éthiquement, et même politiquement.

Ily a chez Schleiermacher une véritable éthique du langage, au sens où son approche du langage est inséparable de sa réflexion sur [‘éthique23, mais aussi où il y a chez lui une « éthique du discours » : on ne peut pas penser féthique sans avoir une réflexion sur la manière dont nous parlons, dont nous devons nous « tenir » (Haltung) dans le langage. « Nous parlons trop peu t bavardons relativement trop » écrit-il à la fin de sa conférence sur les Différentes méthodes de traduire2 PAGF q OF trop » écrit-il à la fin de sa conférence sur les Différentes méthodes de traduire24.

Cette réflexion s’inscrit dans la filiation des remarques de Kant, notamment au début de Qu’est-ce que les Lumières ? : penser par soi-même implique de se méfier des formules toutes faites, des préceptes, dans lesquels la langue parle toute seule. Il faut se réapproprier la langue qui tend naturellement à exercer une forme de domination sur nous. 20J’aimerais maintenant présenter en prenant appui sur Schleiermacherla conception dominante de la traduction en France aux siecles classiques. 1 Il n’existe pas, à proprement parler, de théorie de la traduction en France, au XVIIIe siècle. Toutefois, cette question traverse par exemple toute l’Encyclopédiede Diderot, et on trouve dans de nombreux articles des réflexions sur la traduction. Celles- ci s’appuient sur une conception de la langue et des rapports entre la pensée et le langage, qui a été largement diffusée par la Grammaire de Port-Royal, laquelle a sepu’i de manuel et a formé la plupart des penseurs du XVIIIe siècle. L’idée fondamentale qui oriente la pensée de la traduction est que « le premier et le plus indispensable des devoirs du traducteur est de rendre la pensée25 La traduction vise ? rendre avant tout les pensées, et elle doit ainsi mobiliser toutes les ressources de la langue-cible pour exprimer les mêmes idées. Les pensées : ou encore, le sens, ce que l’auteur a voulu dire, c’est-à-dire aussi bien « les sentiments intérieurs de notre âme que les idées que nous avons des objets extérieurs 26». Cette conception repose sur deux postulats : le premier est l’universalité de la pensée. Et le deuxieme, qui lui est corréla