L’écriture poétique : redécouvrir la langue, redécouvrir le monde Le matériau du poète est multiple. Le poète est un artiste qui travaille avec les mots d’abord, mais aussi avec sa sensibilité, sa perception du monde, et la connaissance qu’il en a. Théodore de Banville parle du poète comme d’un « penseur et ouvrier b, insistant ainsi sur le lien essentiel qui existe entre la part intellectuelle et la part « manuelle » du travail du poète. Quelle est la nature de ce lien ?
En quoi le travail sur les mots ouvre-t-il une voie d’approche nouvelle du monde ? 1. Poésie et langage • Du Moyen Âge au XIXe siècle, les formes fixes dominent : elles respectent des règle strophes, le type de Le poète effectue un la pensée ou l’objet é musicalité et le ryth or 7 to vieu nombre et le type de elle, afin d’orner e ce soit par la ndre les vers harmonieux, ou par des images (comparaisons et métaphores), le thème du poème est ainsi enrichi et mis en valeur.
Cette conception de la poésie comme « ornement » donne la priorité à sa valeur esthétique. Elle correspond à un désir de l’homme refusant le seul prosaïsme, voulant s’éloigner d’une éalité vulgaire : Théophile Gautier, auteur appartenant au courant littéraire d page du Parnasse, affirme ainsi que « tout ce qui est utile est laid » La poésie est la recherche d’un idéal langagier, très loin de la communication courante, et dont le but n’est pas l’utilité ou l’efficacité. • De ce fait, la poésie permet une redécouverte de notre langue.
Lorsqu’un artiste s’empare de la langue pour y trouver des termes rares, lorsqu’il écoute les combinaisons sonores obtenues par l’enchaînement des vers, il offre au lecteur la possibilité de edécouvrir la matérialité des mots. Dans la vie quotidienne, nous avons tendance à confondre le mot et la chose et à ne plus « écouter » ni « voir » les mots pour eux-mêmes – même si certaines circonstances font que nous choisirons tel terme plutôt que tel autre, à cause précisément de ses sonorités ou de l’image qu’il évoque pour nous.
Le poème est le lieu où l’attention aux termes est portée au paroxysme. Nous nous laissons bercer, ou nous sommes frappés, par une émotion musicale parfais même détachée du sens. Certains textes nous touchent d’abord par leur forme – avant même que nous ne comprenions tout à fait leur sens. Si l’on pousse cette conception plus loin encore, le thème du poème peut alors n’avoir que peu d’importance. La description d’une scène, d’un objet, ou l’évocation d’un éplsode, deviennent ainsi pour le poète des « pré-textes Les poètes parnassiens (comme Hérédia) s’inscrivent notamment dans cette conception.
PAG » rif 7 « pré-textes » Les poètes parnassiens (comme Hérédia) s’inscrivent notamment dans cette conception. ?? À partir du XIXe siècle, et même si certains poètes avaient déj? exploré cette voie auparavant), la recherche esthétique ne passe plus forcément par la forme fixe. Les Romantiques d’abord, puis les symbolistes, revendiquent une liberté créatrice en opposition avec le respect de règles trop contraignantes. Les poètes assouplissent alors le vers et se mettent à employer des vers moins fréquents, tout en multipliant les ruptures de rythme.
Ainsi Verlaine écrit-il dans son Art poétique « De la musique avant toute chose Et pour cela préfère l’Impair » Les vers de ce poème comptent neuf syllabes, c’est-à-dire un nombre impair — alors que la tradition allait plutôt vers les mètres palrs. À partir de cette époque, la perfection formelle ne passe plus par l’observation de cadres déjà créés, mais au contraire par l’ouverture sur un langage neuf. Baudelaire, dans les Petits Poemes en prose, abandonne même totalement le vers. Contrairement aux apparences, il ne détruit pas par là la poésie : le rythme, les sonorités, les figures de style, etc. ont toujours bien présentes, mais débarrassées du carcan e formes trop usées. Cet extrait de la préface des Petits Poèmes en prose le montre bien : « Quel est celui de nous qui n’a pas, dans ses jours d’ambition, rêvé le miracle d’une prose poétiqu PAGF3C,F7 nous qui n’a pas, dans ses jours d’ambition, rêvé le miracle d’une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ? ? Mallarmé, lui, souhaite « redonner un sens plus pur aux mots de a tribu » : il cherche un langage originel, redonne aux mots leur sens étymologique (le plus souvent oublié), il mêle les différents sens d’un mot polysémique, etc. L’objectif de tels poètes n’est plus seulement d’orner la pensée selon des codes préétablis, il est de déployer toutes les richesses d’une langue et ainsi de donner accès à des sens multiples. 2. poésie et vision Aux XIXe et XXe siècles, la « modernité poétique » se signale certes par des innovations concernant la musicalité, mais également la dimension visuelle du poème. ??? Le renouvellement des formes ouvre vers un aspect pictural. Les vers libres, les formes non fixées de poèmes font que le lecteur découvre dans chaque recueil une disposition particuliere. Les poètes tirent de cette variété des possibilités multiples : passage à la ligne ou non, emploi ou abandon des rimes (qui ne sont pas seulement sonores, mals aussi vlsuelles), usage des « blancs » entre des strophes hétérométriques (c’est-à-dire formées de vers de différents types), etc. Chaque poème devient ainsi une œuvre singulière et inattendue,