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Extrait de Maria Chapdelaine, de Louis Hémon Pourquoi ils étaient venus ? Quelques mois plus tôt ils auraient pu l’expliquer d’abondance, avec des phrases jaillies du coeur la lassitude du trottoir et du pavé, de l’alr pauvre des villes ; la révolte contre la perspective sans fin d’une existence asservie ; la parole émouvante, entendue par hasard, d’un conférencier prêchant sans risque l’évangile de l’énergie et de l’initiative, de la vie saine et libre du sol fécondé.

Ils auraient su dire tout cela avec chaleur quelques mois plus tôt… 0 Maintenant ils ne pouvaient guère qu’esquisser une moue évasive t chercher laquelle -On n’est pas toujour cher, on vit enfermé. , Cela leur avait paru si parisien, cette idée q eur or E Sni* to View tait encore. 0 , dit le père. Tout est troit logement nt presque toutes leurs journées dehors, dans l’air pur d’un pays neuf, près des grandes forêts.

Ils n’avaient pas prévu les mouches noires, ni compris tout à fait ce que serait le froid de l’hiver, ni soupçonné les mille duretés d’une terre impitoyable. n -Est-ce que vous vous figuriez ça comme c’est, demanda encore Samuel Chapdelaine, le pays icitte, la vie -pas tout à fait, répondit le Français à voix basse. Non, pas tout ? fait… Quelque chose passa sur son visag Swipe to nex: page visage, qui fit dire à Éphrem Surprenant:0 -Ah ! ‘est dur, icitte ; c’est dur Ils firent «oui» de la tête tous les trois et baissèrent les yeux : trois hommes aux épaules maigres, encore pâles malgré leurs six mois passés sur la terre, qu’une chimère avait arrachés à leurs comptoirs, à leurs bureaux, à leurs tabourets de piano, à la seule vraie vie pour laquelle ils fussent faits. 0Car il n’y a pas que les paysans qui puissent être des déracinés. Ils avaient commencé ? comprendre leur erreur.

Ils étaient trop différents pour imiter les Canadiens qui les entouraient, dont ils n’avaient ni la force, ni la santé endurcie, ni la rudesse nécessaire, ni l’aptitude à toutes les besognes : agriculteurs, bûcherons, charpentiers, selon la saison et selon l’heure. Le père hochait la tête, songeur ; un des fils, les coudes sur les genoux. contemplait avec une sorte d’étonnement les callosités que le dur travail des champs avait plaquées aux paumes de ses mains trois avaient l’air de tourner et de retourner dans leurs esprits le bilan mélancolique d’une faillite.

Autour d’eux l’on pensait : «Lorenzo leur a vendu son bien plus qu’il ne valait ; ils n’ont plus guère d’argent et les voilà mal pris ; car ces gens-l? ne sont pas faits pour vivre sur la terre.  » La mère Chapdelaine voulut les encourager, un peu par pitié, un peu ont l’honneur de la culture. 0 -Ça force un peu au commencement quand on n’est pas accoutumé, dit-el l’honneur de la culture. D accoutumé, dit-elle, mais vous verrez que quand votre terre sera pas mal avancée vous ferez une belle vie. C] -C’est drôle, remarqua Conrad Néron, comme chacun a du mal à se contenter.

En voilà trois qui ont quitté leurs places et qui sont venus de ben loin pour s’établir icitte et cultiver, et moi je suis toujours à me dire qu’il ne doit rien y avoir de plus plaisant que d’être tranquillement assis dans un office toute la journée, la plume à l’oreille, à l’abri du froid et du gros soleil. D -Chacun a son idée, décréta Lorenzo Surprenant, impartial. û -Et ton idée à toi, ça n’était point de rester à Honfleur à suer sur les chousses, fit Raclcot avec un gros riren -C’est vrai, et je ne m’en cache pas : ça ne m’aurait pas adonné. Ces hommes icitte ont acheté ma terre.

Cest une bonne terre, personne ne peut rien dire à l’encontre ; ils avaient dessein d’en acheter une et je leur ai vendu la mienne. Mais pour moi, je me trouve bien où je suis et je n’aurais pas voulu revenir. 0 La mère Chapdelaine secoua la tête. n -Il n’y a pas de plus belle vie que la vie d’un habitant qui a de la santé et point de dettes, dit-elle. On est libre ; on n’a point de boss ; on a ses animaux ; quand on travaille, c’est du profit pour soi… Ah ! c’est beau -Je les entends tous dire ça, répliqua Lorenzo. On est libre ; on est son maitre. Et vous avez l’air de prendre en