nouvelles orientales

Ces contes d’amour et de mort venus d’ailleurs sontdes histoires de pouvoir mais d’un pouvoir mille fois plus fort que le pouvoir politique ou celui de l’argent, plus fort même que la mort. Marguerite Yourcenar a le talent extraordinaire d’exprimer beaucoup avec un minimum de mots. Ses «nouvelles orientales» sont courtes mais très profondes. On ressent comme ne jamais le pouvoir des mots, comme le pouvoir de l’amour ou celui de l’art, de la beauté ou de l’amitié. De son vrai nom Cleenewerk de Crayencour, Marguerite Yourcenar est née à Bruxelles le 8 juin 1903.

Elle s’éteint aux Etats-Llnis le 19 décembre 1987. Nous avons donc un écrivain français née Belge et » de file d Plaisance Elle fut la première f mz 1980. Jean d’Ormess ses nombreux roma Sa maison « petite je française en d’accueil. Outre le rédigea son autobiographie englobant celle de sa famille en plusieurs tomes réunis sous le titre de «Le Labyrinthe du Monde ». La parution sous le titre « Les Nouvelles Orientales » date de 1938 mais plusieurs de ces textes avaient déjà été publiés individuellement dans des revues littéraires.

Quatre nouvelles sur les dix qui composent le recueil de la seconde édition remaniée datée de 1978 sont d’après l’auteur des retranscriptions assez libres Swipe to View next page de légendes authentiques. Comment Wang-Fô fut sauvé Inspiré d’un apologue taoiÉte de la Chine ancienne, ce récit magnifique décrit un peintre qui meurt et vit éternellement en se fondant dans son œuvre ultime, son chant du cygne. «Le peintre Wang-Fô et son disciple Ling disparurent à jamais sur cette mer de jade bleu que Wang-Fô venait d’inventer.  » Le sourire de Marko

La légende du géant Marko a traversé les siècles sous la forme d’une ballade médiévale originaire des Balkans. C’est d’abord une histoire d’amour bafoué: celui de la veuve d’un pacha et du séduisant héros Marko. Marko n’est pas paré de toutes les qualités. il est tristement humain aussi: «Marko venalt de boire; sa patience était restée au fond de la cruche». Mais Marko force l’admiration: aucun supplice ne peut le faire tressaillir. Plus encore, le fait qu’il ne résiste pas à l’appel de la vie souligne plus encore sa détermination face à ses bourreaux.

Le supplice de la crucifixion et l’étrange résurrection qui suit offre un parallèle intéressant avec la mort de Jésus. Jésus est également mort par amour. A l’amour englué dans le temps et la haine s’oppose la légèreté de la danse d’une jeune fille sur la plage et l’euphémisme du sourlre de Marko, « un sourire de bonheur presque douloureux », «ce sourire sur les lèvres d’un supplicié pour qui le désir est la plus douce torture». La chute du texte est superbe: «ll a manqué à l’Illiade un sourire d’Achille». Le lait de la mort La trame d exte est superbe: «ll a manqué à l’Illiade un sourire d’Achille ».

La trame de l’histoire provient elle aussi d’une ancienne ballade balkanique. C’est encore une histoire d’amour. En fait, il s’aglt d’une nouvelle particulièrement émouvante sur l’amour maternel. C’est surtout un retour à des valeurs parfois oubliées, à une recherche de la réalité derrière l’apparence. Les femmes modernes, liftées, plus intéressées par leur apparence que par les vraies valeurs ou par une vraie relation à l’autre, sont critiquées : «les femmes stérilisées contre le malheur et la vieillesse ont cessé ‘exister».

Marguerite Yourcenar oppose de manière très manichéenne les mères actuelles «ma mère est belle, mince, maquillée, dure comme la glace d’une vitrine», «quand nous sortons ensemble, on me prend pour son frère ainé» à cette mère extraordinaire qui nourrit son enfant par delà la mort et dont le «souvenir ne tient debout que dans les contes». La pérennité de la légende et sa trace dans les esprits dépasse de loin la durée et le poids des vestiges réels: «le poids des voûtes cessa de s’appesantir sur ce léger squelette de femme».

Le dernier amour du Prince Genghi Terrible fable sur le temps qui passe et les moments dont on n’a pas su profiter. es souvenirs qu’il en reste sont-ils les plus précieux ou bien roubli a-t-il fait son choix au hasard? ‘homme qui a aimé les Néréides Comment un homme riche et bien portant peut il envier un mendiant m L’homme qui a aimé les Néréides Comment un homme riche et bien portant peut-il envier un mendiant muet ? Le souvenir, là encore, fait toute la différence. Cet homme qui ne peut plus parler garde à jamais en lui l’image des néréides nues. ?le bonheur est fragile, et quand les hommes ou les circonstances e le détruisent pas, il est menacé par les fantômes» Notre-Dame des Hirondelles Marguerite Yourcenar fit une halte dans cette petite chapelle dédiée à Marie, perdue dans la montagne et, séduite par l’étrangeté du lieu, imagina un conte venu d’un temps où les nymphes pullulaient. «Les Mallgnes prenaient les enfants par la main et les emmenaient danser au bord des précipices. Leurs pieds légers ne touchaient pas terre mais le gouffre happait les lourds petits corps b. On pardonne à ces divinités naturelles comme «on pardonne à l’amour qui fait tant souffrir

La veuve Aphrodissia L’histoire commence par une description de Kostis le Rouge qui était de «ceux qui préfèrent à tout la saveur de Vair libre et de la nourriture volée» et se termine par la fuite vers le précipice de la femme qul essaye d’échapper «au long châtiment d’être un jour une vieille femme qui n’est plus aimée». Kâli décapitée Kâli est un personnage de la mythologie hindoue. «les enfants qui vagissent savent déjà son nom». « Sa bouche est chaude comme la vie; ses yeux profonds comme la mort ». Kâli, lasse et revenue de tout fera la rencontre du Sage.

La fin de Marko Krallévit PAGF mort». Kâli, lasse et revenue de tout fera la rencontre du Sage. La fin de Marko Kraliévitch La mort du héros est évoquée, quoique de manière différente, dans un extrait de ballade serbe. La nouvelle a eté rédigée en 1978 et fut ajoutée ensuite. Elle ne figurait pas dans la première édition. La tristesse de Cornélius Berg Ce texte-ci n’a pas grand-chose de légendaire ou d’oriental mais il répond à la première nouvelle et le peintre Cornélius ferme pour ainsi dire la parenthèse que le peintre Wang-Fô avait ouverte.

Je m’intéresse ici à une nouvelle en particulier : La Veuve Aphrodlssia, septième nouvelle de ce recueil en contenant une dizaine. Marguerite Yourcenar s’est inspirée de fables, de contes ou de faits divers orientaux pour les retranscrire avec son propre style. Le texte s’ouvre sur la mort de Kostis le rouge, un hors-la- loi ayant tué le pope d’un village De Grèce. Si les habitants se réjouissent de cette mort, la femme du Pope, elle, en est affectée – douloureusement affectée. Car Aphrodissia aimait en secret Kostis. Elle est obligée cependant de paraître respectable en émoire de son époux.

Et c’est bien là tout son dilemme. Car, finalement, elle est doublement veuve : administrativement (le Pope) et amoureusement (Kostis). La révolte de cette femme est accentuée par ce deuil qui n’en finit pas. En Grèce, comme dans l’Antiquité, les pleureuses doivent venir se lamenter devant le corps du défunt. Mais ici, il lui faut attendre trois pleureuses doivent venir se lamenter devant le corps du défunt. Mais ici, il lui faut attendre trois Jours et trois nuits, que l’on ramène le mort, avant d’entamer ce long travail sur soi.

Et ce ui est fabuleux avec l’écriture de Yourcenar, c’est que l’on ne comprend pas de suite. Ce n’est que lorsque la veuve veut offrir à manger à ses « vengeurs » que lion commence à apercevoir son comme elle n’avait pu assaisonner de poison les ressenti . tranches de pain et de fromage qu’elle leur avait présentées, il lui avait fallu se contenter d’y cracher à la dérobée, en souhaitant que la lune d’automne se lève sur leurs tombes.  » Certes, le sujet de l’amour adultère n’est pas nouveau. Mais l’auteur le transcende icl par la magie de son écriture. On entend presque le coeur de cette femme qui hurle. Pope ne lui avait donné qu’une image sociétale. Elle n’était rien aux yeux de ceux qu’elle appelle « les paysans », avec tout le mépris qu’elle insuffle dans ces termes. Avec Kostis, elle était Femme. Et lorsqu’elle aperçoit sur le bras de cet être aimé que son prénom y est gravé, elle ne se maîtrise plus. Yourcenar reconstitue ici une tragédie avec ce climat propre aux dérèglements passionnels. Aphrodissia est digne de Phèdre et d’Antigone. Elle laisse s’exprimer l’amour et l’exaspération. Cela ira jusqu’à la folie. un texte magnifique à lire absolument !