Commentaire Au poète avide d’infini, l’amour sensuel peut offrir quelques instants d’évasion mais non la paix et la satisfaction de l’âme. Et, pour Baudelaire, la douceur traîtresse de cet amour avait un arrière-goût de péché et de mort, de perdition et de néant : le charme physique de la femme aimée éveillait irrésistiblement l’horreur du tombeau, de la décomposition de la chair, et la hantise du péché qui Dans « Remords post qui parut le 1er juin 1 5, da puis fut, en 1857, pla cette partie de « Sple ds. rg le drins écrit en 1847, deux mondes » urs du mal », dans ée par le thème de a femme sensuelle, Baudelaire traita un thème éternel, illustré notamment par Horace («Carpe diem quam minimum credula postero» [«Cueille le jour présent et sois le moins confiant possible en l’avenir»l, « Odes », l, 11, 8, « À Leuconoé »), par Ronsard CQuand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle »), par Corneille (« Stances à Marquise »), le thème désigné comme étant celui du «carpe diem», lui donnant toutefois un aspect paradoxal, du mains inédit : en effet, le poète ne s’adresse pas à la jeune femme pour l’inviter à jouir aujourd’hui des plaisirs de la vie ; au ontraire, il lui reproche de l’avoir trop fait car il est trop tard pour profiter de la VIe, la mort étant déjà là ; et, à défaut page défaut de rassurer et de revigorer, il alerta, inquiéta, poussant le tableau de la mort jusqu’au réalisme le plus sinistre, le plus macabre. Et terrible est le souhait que la femme infidèle soit condamnée au remords éternel. On devine que le poème est une confidence. On peut considérer que les mots de Baudelaire sont adressés à Jeanne Duval, «la Vénus noire», la maîtresse qui lui inspirait amour mais aussi haine u fait de son caractère volage, qu’il les écrivit dès le début d’une liaison qui allait être constamment orageuse.
Apportant des modifications dans la conception classique du sonnet, il développa un texte formé d’une longue phrase de treize vers dont la longueur semble vouloir mimer l’éternité post- mortem, qui montre la femme dans le tombeau, qui impose la vision funeste. Les verbes y sont au futur de l’indicatif, futur de certitude. La deuxième phrase du texte, qui a la brièveté d’une chute, occupe le dernier vers du poème. Cependant est bien respectée la tradition du sonnet qui veut que les tercets ‘opposent aux quatrains, car ceux-ci sont consacrés à la vision de la morte dans le tombeau, tandis que les tercets évoquent la punition que lui fera subir la mort.
Examinons le poème strophe par strophe : Premier quatrain En évoquant un avenir dans une proposition circonstancielle de temps commençant par «Lorsque tu dormiras», Baudelaire s’adresse à une femme qu’il tutoie, ce qui indique le lien (connivence, proximité) qui l’unit à elle. II l’appelle «ma belle ténébreuse», ce lien (connivence, proximité) qui l’unit à elle. Il Happelle «ma belle énébreuse», ce qui n’est pas tant la féminisation de l’expression traditionnelle, «un beau ténébreux», par laquelle on désigne un bel homme à l’air mystérieux et mélancolique, qu’une allusion ? la peau et à la chevelure noires de Jeanne Duval (cette Haitienne était «brune comme les nuits» (« Sed non satiata »]), et à son caractère ombrageux ; enfin, est ainsi annoncée la mort.
Celle-ci peut se lire au vers 2, où est produit un effet baroque de surprise, car l’évocation du sommeil de cette femme se révèle être un euphémisme faisant de la mort une forme de repos, de paix. Première punition qui lui est infligée, son sommeil aura lieu fond d’un monument», la mort étant enfouissement et écrasement sous le poids d’un tombeau qul est «construit en marbre noir», pierre noble d’une beauté majestueuse et d’une grande richesse, qui signifie aussi, avec le deuil, la froideur que Baudelaire reprochait à sa «belle ténébreuse». Au vers 3, se branche une deuxième proposition temporelle qui, avec «Et lorsque» et un nouveau futur, est la reprise en parallèle de la première.
Le poète attribue alors à cette femme «alcôve et manoir», la fréquentation de la première (lieu voué ? ‘activité sexuelle, cette femme étant d’ailleurs plus loin qualifiée de «courtisane») permettant l’acquisition du second. Mais l’enjambement du vers 3 au vers 4 ménage la surprise, déjà sous- jacente dans le rétrécissement d’un qui doit être suivi dun «que», qu la surprise, déjà sous-jacente dans le rétrécissement d’un «n’» qui doit être suivi d’un «que», qu’apporte le vers 4. En fait, atroce réalité funèbre, cette femme n’aura, puisqu’elle est morte, «Qu’un caveau» et «qu’une fosse», deux mots qui, avec « alcôve et manoirs, forment un chiasme.
Et que le «caveau» soit ?pluvieux» et la «fosse» «creuse» vient contredire cruellement la magnificence du vers 2, tandis que les sonorités dures et dentales) procurent un effet désagréable de martèlement. La strophe se termine sur un point-virgule puisqu’elle n’est occupee que par une proposition subordonnée. Second quatrain Avec «Quand», s’ouvre une troisième proposition temporelle qui va, selon un crescendo, poursuivre l’idée de l’écrasement et de l’étouffement dans le «monument» qui devient une sorte de prison. Est mentionnée une «pierre» qui est évidemment la pierre tombale que le poète se plait méchamment à voir comme esant de tout son poids sur le corps de sa «belle ténébreuse», la mort étant un supplice imposé par un bourreau et non un aboutissement.
Pourtant, cette prédiction d’avenir fatal débute par une indication des charmes physiques et intimes de cette femme, car les éléments de son corps qui sont choisis sont sources de sensualité • la «poitrine» (qui est qualifiée de «peureuse», parce qu’elle se cache, ou par une hypallage qui lui attribue un sentiment alors que c’est la femme elle-même qui est «peureuse») et les «flancs» (mot par lequel on désignait poétiquement le ventre de la fe oétiquement le ventre de la femme, dont ici est vantée la douceur molle et séduisante : le «charmant nonchaloirs, la nonchalance, le relâchement de tous les muscles, l’indolence, l’insouciance dans lesquels se complaisait la Créole qu’était jeanne Duval).
On remarque au vers 5, coupé irrégulièrement pour mettre en valeur le supplice, la lourdeur que lui impriment les allitérations en «p» et en Aux vers 7 et 8, l’action qu’indique le verbe ajoute encore, avec une sorte de jubilation cruelle, à la réduction de cette femme à l’impuissance, celle de son «coeur», qui est à la fois le muscle «battre») et le siège de la volonté, de l’esprlt d’indépendance («vouloir») ; celle de ses «pieds» pour lesquels «courir» est redoublé par «course aventureuse» pour faire sous entendre l’insatisfaction perpétuelle de sa sensualité, sa frivolité invétérée, son caractère capricieux et volage, son infidélité constante, sa vie dissolue. Ainsi sont suggérés la terrible jalousie du poète, le désaccord total entre les deux amants, qui ne pouvaient être apaisés que par la mort. La strophe se terminant par une virgule, la phrase commencée ès le vers 1 se poursuit donc.
Mais, des propositions subordonnées temporelles, on passe à la proposition principale qui s’impose dans les tercets, qui sont donc bien opposés aux quatrains. Premier tercet Baudelaire le consacre au «tombeau» qui, s’il est est le sujet de la proposition principale, n’est pa Baudelaire le consacre au «tombeau» qui, s’il est est le sujet de la proposition principale, n’est pas aussitôt suivi d’un verbe, car le poète s’attarde plutôt, dans une incise agrémentée d’une parenthèse, à une digression où il se penche sur lui-même. Il éclare que le «tombeau» est le «confident» de son «rêve infini », de son rêve perpétuel, car, dans ce qui est le huis clos mental de son spleen, il médite constamment sur la mort.
Il s’ensuit une compréhension si poussée qu’elle est réciproque (d’où le paradoxe contenu dans la parenthèse dont les termes pourraient aussi bien être retournés : le poète comprendra toujours le tombeau, la mort). Et, comme l’indique la quatrième temporelle, qui commence par «Durant», il poursuit cette méditation au long de nuits où il ne peut dormir, le vers 11 pouvant avoir été nnoncé par celui qu’on trouve dans « Idéolus » : « Pendant les lentes nuits d’où le sommeil s’envole»_ On remarque dans cette strophe le retour du son «i» dont l’astringence rend une douleur aiguë. Second tercet : Enfin, après un significatif enjambement de strophe à strophe, apparaît le verbe de la proposition principale de la phrase commencée depuis le début du poème.
Dans une prosopopée (on y fait parler un objet, un mort, un absent) au style grandiloquent, au langage soutenu, plein de solennité, marqué de périphrases, le «tombeau» parle sur le mode de la certitude, mais ‘est évidemment Baudelaire qui fait passer ses propos à travers lui. La «belle ténébreuse» est fustigée, Baudelaire qui fait passer ses propos à travers lui. La «belle ténébreuse» est fustigée, traitée de «courtisane imparfaite», le mot «courtisane» étant alors à la mode (Balzac publiait les parties successives de « Splendeurs et misères des courtisanes »), n’étant pas synonyme de «prostituée» mais désignant une femme élégante et cultivée, entretenue par un ou des hommes riches, mais qu’elle aime (c’était le cas, par exemple, de Mme Sabatier ? aquelle le poète voua une passion).
Or Baudelaire reprochait ? Jeanne Duval de ne pas l’aimer, et il la considérait donc comme une « courtisane imparfaite» dont la vie dissolue n’a été d’aucune utilité aux gens, qui a commis cette faute indiquée au vers 13 d’une façon un peu mystérieuse au moyen d’une périphrase qui peut paraitre énigmatique : elle n’a «pas connu ce que pleurent les morts» (présent de vérité générale), c’est-à-dire ce qu’ils regrettent, qui est ce qu’il y a de plus beau et de plus précieux dans la vie, le bonheur que partagent des amants fidèles. En effet, Jeanne Duval, avec son attitude fière, n’accepta pas de jouer le rôle d’amoureuse qu’elle avait pourtant choisi. La longue phrase, qui a couru sur treize vers, est alors terminée. Le dernier vers contient donc la seconde phrase du sonnet, qui est isolée par un tiret brutal (qui pourrait signifier la brutalité de la mort qui surgit dans une vie humaine), tout en étant reliée par le coordonnant «Et», et qui a donc, comme il se doit dans un sonnet, la brièveté d’une chute. En montrant l’ac qui a donc, comme il se doit dans un sonnet, la brièveté d’une chute.
En montrant l’action répugnante du «ver» (métonymie pour ce qui est en fait le grouillement infect d’une multitude) sur le corps de la «belle ténébreuse», et en comparant ce rongement au «remords» éternel qu’aurait cette femme d’avoir mal employé sa vie, en ajoutant une punition à une autre, Baudelaire, retombant dans la cruauté jubilatoire, renouvelant la formule conventionnelle «être rangé par le remords» en lui donnant tout un réalisme macabre, associa de façon condensée l’horreur physique et l’horreur morale, le concret et l’abstrait. Cette femme ui a échoué dans sa vie parce qu’elle n’a pas su aimer échouera aussi dans sa mort parce qu’elle en aura le «remords», la douleur morale causée par la mauvalse conscience. Ainsi est explicité le titre, qui est, en fait, ironique, paradoxal : on ne peut pas avoir du remord une fois que l’on est mort ! Conclusion : Dans ce poème vengeur extrêmement sévère et même tragique, Baudelaire traita donc de façon originale et marquante un thème rebattu en littérature.
Il réussit, dans un crescendo, à évoquer, de façon avant tout concrète, matérielle, l’au-delà de la mort, ? onner la vislon d’un avenir funeste découlant d’une vie présente dissolue, à détailler, dans des évocations plus macabres les unes que les autres, le destin sinistre qu’il voyait réservé après sa mort à Jeanne Duval poursuivie par le remords, à faire le bilan amer et cruel d’une relation qui ne le satisfaisait pas, q poursuivie par le remords, à faire le bilan amer et cruel d’une relation qui ne le satisfaisait pas, qui était la source de plus de souffrances que de bonheur, cette femme ayant été aimée et détestée à la fois. Mais, en définissant des catégories communes à tous, il dépassa n lyrisme purement personnel pour inclure son lecteur dans un destin tragique universel. Dans cette méditation sur la mort, il révéla qu’elle n’était pas pour lui une délivrance ni la fin des souffrances, seulement un obstacle à franchir, et que, étant matérialiste, il n’y voyait que destruction de la matière. La gravité du thème est soulignée par le rythme ample et régulier, favorisé par les enjambements de vers à vers et de strophe à strophe. our retarder la fin de la longue phrase qui s’étend sur treize vers, Baudelaire ne se priva pas de techniques ‘allongement qui l’alourdissent mais permettent de faire d’autant mieux ressortir au lecteur la pesanteur et l’ennui de la mort : enchaînement des coordonnants «et», emploi de participes présents qui font s’éterniser les verbes, et même emploi d’une proposition entre parenthèse. Il y a, dans ce sonnet, presque un refus du lyrisme et de ses traditions, qui se dit dans la violence des images. En conséquence, on peut se demander si cette mise à mort de la femme n’était pas également une mise à mort de la poésie classique qui devait faire place dorénavant à une poésie moderne.