khadi hane-le collier de paille

L’espace transgressé. Étude du Collier de paule de Khadi Hane a partir de l’incipit du romén MARIE-CLAIRE DURAND GUIZIOU Universidad de las Palmas de Gran Canaria Resume: Temps et espace sont les piliers de toAt texte romanesque.

Dans Le Collier de paule de la romanciére sénégalaise Khadi Hane, l’espace est tout particuliérement cod pose a la fois comme antagonistes et point des moments de pas narratrice-protagonis or27 mondes x étres vont trouver que la Espace extérieur, espace int rieur, ou la narratrice sonde son cceur en souffrance, mais aussi topographie d’un imaginaire qui permet de retrouver ‘autre dans l’absence en faisant emerger les contours du corps aimé.

Mais c’est dans l’espace transgressé —celui de la cour des hommes que la narratrice osera enfreindre, et plus encoré celul des tabous et des interdits d’une société en décalage avec les valeurs de la protagoniste— que le romén nous livre ses secrets. Vincipit, dont nous proposons ici une étude, contient déjà toutes les clefs d’interprétation du texte. Mots Clefs: poétique – incipit – espace – Afrique – onomastique Resumen: En la novela, tiempo y espacio constituyen los pilares del texto.

En que la narradora-protagonista perderé su identidad. 4 Espacio exterior, espacio interior, en los que la narradora nos revela su sufrimiento a través de la introspeccién, pero también topografia de un imaginario que recrea al Otro en la ausencia, haciendo aparecer los contomos del cuerpo am ado. pero sera a través del espacio transgredido —espacio reservado a los hombres que la narradora se atreveré a infringir y, més aün, el de los tabües de una sociedad en desfase con los valores de la protagonista— que la novela nos revela sus secretos.

El incipit, del que proponemos un anélisis, contiene ya todas las claves de interpretaciôn del texto. Palabras claves: poética – incipit – espacio – Africa – onoméstica Abstract: Both space and time are the pillars of the novel. ln Le Collier de paille by the Senegalese novelist Khadi Hane, space is highly codified: it is both a place of confrontation betviAeen two opposing worlds and a point of convergence where tvi’o people will Uve moments of such intense passion that the protagonist- narrator will lose her own identity.

Exterior and interior space, in whlch the female narrator reveéis her suffering through introspection, but also a space of the imagination through which she can recréate he contours of the beloved bod and thus reencounter him in his absence. PAGF OF which, according to her valûes, lags behind the times. The incipit, which we propose to study, alreAdy contains all the clues to the interpretation of the text. Key words: poetics – incipii-space – Africa – onomastics Le debut d’un roman, est le lieu oü se joue tout projet de lecture.

Sachant que tout romancier s’efforce de privilégier la partie initiale de sa fiction, il n’est pas inutile de s’intéresser a ce travail d’encodage. L’auteur y condense habilement un certain nombre d’Indices textuels ou lefs d’interpretation —dont le titre, qui n’est jamais des moindres A— pour accrocher et séduire son lecteur et l’inviter é poser, dans une lecture attentive, des horizons d’atiente qui se confirmeront ou s’infirmeront par la suite.

En proposant une analyse de l’entrée du romén Le Collier de paille •A, nous désirons faire la lumiére sur les nombreux indices que la romanciére sénéga- A Voir â ce sujet Paul Zumthor (1972: 94) qui décrit le role du titre comme «un cede superposé é celui de l’iKuvre». A Toutes les références sont prisas dans l’édition suivante: Khadi Hane, Le Collier de paille, ?dition NDZÉ, Libreville, Gabon, 2002. L’ESPACE TRANSGRESSÉ. ?TUDE DU COLLIER DE PAILLE 65 laise distille dans la phase liminaire de son texte et montrer comment la richesse et la densité du récit sont al ables des les premiers instants de lecture. PAGF 3 OF texte. Cet enchainement anaphorique confére au debut de romén une cohesién interne soudée par le Je omniprésent de la conscience fragmentaire d’une narratrice qui sonde son propre coeur. Ce sont ees quatre premieres pages que nous nous proposons d’analyser en tant qu’incipit, le mot étant évidemment entendu dans son sens le plus large.

INTROSPECTION ET CIRCULARITÉ DU ROMAN Jalonnée de nombreuses dates qui viennent consigner les moments forts de la vie de la protagoniste, le récit se construit selon le modele d’un joumal intime oralisé, a partir d’une focalisation interne qui nous donne le seul point de vue de la narratrice. Son carnet couvre chaqué jour du 19 septembre au 2 octobre, mais le romSn s’ouvre sur la date du 1 octobre 1999 et se termine le 2 octobre 1999 A, de sorte que les chapitres d’ouverture et de clôture ont un effet d’échos provoqué par les repéres spatio-tempqrels qul contribuent au retour constant du omén sur lui-méme.

La rétrospective intimiste de la narratrice —une jeune femme marlee, Issue d’un milieu bourgeois de e de maniere recurrente de l’Enfer. Sil lui en coüte d’accepter ce déplacement (qui n’est pas sans danger a cause, entre autres, de la traversée de la Cambie et du fleuve du méme nom) c’est qu’elle doit laisser a Dakar son époux, Karim, avec qui elle forme un couple heureux depuis cinq ans. Le séjour durera sept jours, sept jours mythiques  » pendant lesquels sa vie va imprévisiblement bas* A Car c’est par l’incessant recours au flash-back que la narratrice onctue les moments forts de son vécu.

A Du 21 au 27 septembre. Le choix des marqueurs temperéis revét une grande importance dans le texte car le nombre sept n’est pas neutre dans un pays de culture musulmane. 66 culer et Temporter dans une passion sauvage pour un paysan polygame, de l’ethnie sérére. Le Collier de paule est largement construit sur le mode de la répétition. Or la répétition- itération A, a pour effet de retarder la progression du récit. Elle apparait dans le marquage obsessif du temps deja palpable dans les ligues Introductrices de la fiction.

Si les indices emperéis qui balisent le romén marquent itérativement les moments vécus par l’héro(ne dans l’angoisse, l’écart entre le temps de la narration et le temps réel participe au soulignement de ce jalonnement oppressant ». Nous l’observons deja dans les quatre pages de l’incipit qui retracent un laps de temp e la narration traduit de PAGF s OF heures du matin». Chaqué chapitre va consigner ainsi inéluctablement la date et l’heure de sorte que chaqué seconde, chaqué mlnute vécue devient une éternité de souffrance. Quant 1 ‘espace, il est clos.

Nous l’apprenons des la premiére igne: «Je suis assiSe dans la cour intérieure de notre demeure… ». Cette cour intérieure oü la narratrice est assise en position de «penseur» A, apparait comme un lieu figé extrapolable l’image métaphorique de l’emmurement de la jeune femme en proie a des souvenirs douloureux, ceux de sa passion compulsive et convulsivo pour l’étre qu’elle a rencontré é Niakhane, en CasamanceA et dont elle est a présent séparée. Le roman commence ainsi par une marque de lieu tres pertinente, en se focalisant sur la cour qu’une petite souris s’appréte a traverser, cherchant un che-

A Le terme itération fait aussi partie du vocabulaire psychiatrique dans le sens de «répétition involontaire et inutile d’un méme acta moteur ou verbal». Or, l’acte verbal itératif apparait souvent chez la narratrice comme incontrolable. * LJne cumulation d’adverbes en -ment (entiérement- intensément-délicieusement-paisiblement… ) vient corroborer cette impression de temps étiré dans le décompte des minutes et des heures. Image statique renforcée par la prolifération de verbes d’état « penser », «se demander », «s’imaginer », outre le verbe «étre» qui est récurrent.

A Si le toponyme de Casamance est géographiquement attesté, celui de Niakhane, par contre est for é par l’auteur. On ne peut manquer d’entrevoir l’initi de la romanciére PAGF romanciére «K» et son patronyme «Khane» encodé dans ce toponyme fictif. Le détail serait insignifiant si on n’avait prété attention é la dédicace faite par l’auteur en exergue de son romén: elle y avoue avoir couler dans son texte le nom de celui qui lui a inspiré ce beau romén. Pourquoi n’y aurait-elle pas également greffé le sien sous forme d’initiales? L’ESPACE TRANSGRESSE. ?TUDE DU COLLIER DE PAILLE 67 min A pour fuir le danger qui la guette.

Elle risque en effet de se faire assommer par la jeune femme qui l’observe. ‘image de la cour sera reprise plus tard et transposée dans un autre espace, celui du quartier du village de Niakhane, interdit aux femmes, appelé «la cour des hommes» et que la narratrice osera traverser, ou plutot transgresser. À l’instar de la petite souris indécise qui finira par s’engouffrer dans un trou, au fond du jardln, la narratrice s’engouffrera dans la voie du «délit», un écart qui la consacrera comme l’élément erturbateur et transgresseur dans cette communauté villageoise de l’ethnie sérére ou les tabous séculaires sont solidement ancrés.

Comme on peut le vérifier a partir de l’incipit, l’esthétique du romén repose sur des constructions oxymoriques qui permettent a l’auteur d’entériner le théme prlncpal de cette histoire africaine: celul de deux mondes antagonistes dans leurs différences culturelles, linguistiques et ethniques representes par la narratrice d’une part et lep san sérére de l’autre. Histoire cffune passion, surtout, d’un déb ‘une transgression. PAGF 7 OF L’ÉTOUFFEMENT Des les premieres ligues du roman, on assiste a une réduction progressive du champ spatial.

Un gros plan nous découvre tout d’abord les parties de la «demeure» avec sa cour et son jardin —qui témoignent du confort de la citadine ancrée dans un milieu aisé— puis s’estompe au profit de la cour intérieure respace se restreint de plus en plus jusqu’à ce que «le zoom» se fixe sur le centre méme de ce lieu fermé, la oü la narratrice, prisonniére de ses pensées, a choisi de rester figée, «Je suis assise», «je pense», «je suis accroupie au milieu de la our», la tete enfouie dans les genoux, dira-t-elle, tandis que, dans son espace A Le mot se pose déjà comme un signe pertinent dans le texte, la narratrice se trouvant elle aussi é la croisée de deux chemins: celui que lui dicte son coeur, partir, et celui de la raison, rester.

Le mot «cour», Iaché des la premiére ligne, est un mot clef qui ne dévoilera toute sa valeur textuelle que bien plus loin, lorsque la jeune femme, anivée au village rural de Niakhane, osera traverser la cour des hommes. Les coutumes séréres de Niakhane assignent aux femmes un espace resewé, distant de celui des hommes. Ces espaces cloisonnés sont des lieux respectes qu’hommes et femmes ne sauraient enfreindre. La narratrice parlera de «quartiers interdits» (p. 120) et constatera avec consternation: «lci, hommes et femmes ne se mélangent pas… » (p. 88). Des lors le mot «cour» est directement associé au non respect de ces normes et renvoie é la notion de transgression.

PAGF BOF intérieur, «son crâne ne contient plus toutes [mes] ses interrogations»AA En méme temps, le souffle va lui manquer, de sorte que la narratrice éprouve le besoin (op)pressant de «respirer é pleins poumons et distiller ans les airs le gaz carbonique qu’elle expire», car elle suffoque AA. L’importance du référent spatial qui balise l’ensemble du roman explique qu’il soit largement privilegié dans les dix premieres ligues de l’incipit. Le passage du lieu précis, matérialisé par la cour intérieure du domicile conjugal, a r espace intériorisé, chaotique, réceptacle du flux des pensées de la narratrice, est un cheminement, exprimé selon un procede cinématographique. Cest comme si la camera, en se déplagant, nous transposait d’un intérieur concret é un autre space débouchant sur l’introspection de la narratrice.

La focalisation s’arréte alors sur l’image métaphorique du «cerveau en ébullition», convergence ou point nodal de ses confrontations, de ses doutes, voire de son désir de suicide qui seront formules dans des interrogations recurrentes auxquelles elle ne peut repondré depuis qu’elle est séparée de l’homme de Casamance: «Que fait-il? [… l Ou est-il? Dort-il? Pense-t-il seulement a moi? est-il possible…? » (PP. 12-13). A la surface du texte, le rythme de sa respiration haletante s’exprme é travers une syntaxe brisée reposant essentiellement ur la parataxe, des phrases courtes, juxtaposées, souvent elliptiques, des constructions binaires, des questions rhétoriques breves et des répétitions lancinantes de mots sémantiquement rattachés é la solitude et a la souffrance. L’image de l’emmuremen ent de la rattachés â la solitude et a la souffrance.

L’image de l’emmurement, de l’étouffement de la jeune femme va se préciser dans le mouvement respiratoire exprimé par le couple axiologie «respirer/ expirer» que la narratrice reprend, plus loin, lorsqu’elle exprime le désir contradictoire de vivre et de mourir a la fois pour l’homme u’elle aime: «Je respire en lui, j’expire en lui» (p. 14) et qui réapparait sous une forme identique dans la séquence toute proche: «Ma vie lui appartient/je ne peux pas la lui oter» (p. 14). Ces polarités construites dans le jeu subtil des signifiants paronymiques (respire/expire) et des signifiés polysémiques «explrer/expulser l’air» —mais aussi «expirer» versus «rnourio— entérinent la dualité «vie/mort» latente dans le texte pour révéler le conflit intérieur de la narratrice AA. A L’adjectif «intérieur» rattaché au mot cour, mais aussi au mot a16n est immédiatement extrapolable é l’espace intérieur de la propre narratrice qui nous découvre ses angoisses, (p. 14). Comme elle suffoquera dans l’étreinte de Diogoye, sous le baobab millénaire. Comme elle parlera plus loin, également en termes d’opposition de «s’initier a [ses] amours interdites» et é «succomber a [mesjamours citadines» (p. UESPACE TRANSGRESSE. EXODE DU COLLIER DE PAILLE 69 L’idée de la mort, conque comme une solution d’apaisement aux souffrances, au mal d’amour est évo uée a travers le comparant de la petite souris égarée ter ego animal de la 77