Unité ou uniformité de la République ? « Unité, indivisibilité de la République, liberté, égalité, fraternité ou la mort » scandent les révolutionnaires français en 1793. L’affirmation de [‘indivisibilité de a République est très ancienne dans l’histoire constitutionnelle et politique française comme en témoigne le décret de la Convention nationale du 22 septembre 1 792 qui abolit la royauté lors de sa première séance, et qui proclama dès le 25 septembre 1792 à la fois l’unité et l’indivisibilité de la République française. La France révolutionnaire est u ivisée en ordres.
Ell Io squ’on évoque la immédiatement aux la crainte était que le or 10 tre une société vant tout. Or e, l’on pense fédéral. En France, es gagnent la guerre contre la France r volutionnaire. Il fallait maintenir une résistance unie. Le fédéralisme dissoudrait la France, elle serait démembrée. Proclamer l’unité et l’indivisibilité de la République, c’est s’assurer que la France ne sera pas fédérale. Par rapport aux proclamations anciennes et révolutionnaires, la référence ? l’unité a cependant disparu des textes constitutionnels français lus récents.
La République dot s’accommoder en effet de la satisfaction d’intérêts locaux ou de considérations historiques ou géographiques qui conduisent à la prise en compte de diversités qui sont toutes, plus ou moins, en lien avec l’existence de collectivités territoriales. Ce sont ces dernières, dont le développement est devenu incontournable, qui accompagnent et justifient la diversité, au sein d de la République restée indivisible. La République est un système politique dans lequel la souveraineté appartient au peuple, qui exerce le pouvoir politique irectement ou par l’intermédiaire de représentants élus.
L’unité de la République, corollaire de la notion d’indivisibilité proclamée à l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, signifie qu’aucune partie du peuple, ni aucun individu ne peut s’attribuer l’exercice de la souveraineté nationale. Le peuple exerce la souveraineté par la voie de ses représentants ou du referendum. L’unité et Hindivisibilité garantissent une application uniforme du droit sur l’ensemble du territoire national. L’uniformité de la République quant à elle, doit se comprendre comme le traitement ndifférencié de tous les citoyens composant le peuple français et de tous les territoires nationaux.
L’unité républicaine est-elle nécessairement synonyme d’uniformité ? Hérité même des principes de la monarchie absolue sous l’Ancien Régime, le principe d’unité et d’indivisibilité (I) n’a jamais été constitutionnellement remis en cause en France. Toutefois il semble que l’uniformité républicaine absolue ne soit plus satisfaisante, au regard de la diversité des territoires et des populations qui composent la Nation française et dont le particularisme historique, culturel ou linguistique ne peut ‘accommoder d’un traitement indifférencie par les pouvoirs publics (Il).
I – L’unité et l’indivisibilité de la République L’indivisibilité de la République signifie runité du pouvoir normatif, c’est-à-dire l’unité du pouvoir politique, qui repose sur l’unicité du souverain (A) qui ne peut être que le peuple français (B), selon les termes des aliénas 1 et 2 de l’artlcle 3 de la Constitution 10 que le peuple français (B), selon les termes des aliénas 1 et 2 de l’article 3 de la Constitution de 1958.
A – L’indivisibilité de la souveraineté Selon l’article 3 de la Déclaration des Droits de l’Homme t du Citoyen, « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation, nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément b. Le législateur ne peut donc pas accorder aux collectivités territoriales une autonomie telle que l’on aboutirait à un régime de type fédéral.
Comme le soulignait déjà Léon Duguit en 1928 : « il résulte de l’indivisibilité et de la souveraineté de la République qu’aucune collectivité ne peut être investie d’une quote-part de la souveraineté L’État unitaire se caractérise par l’unité du pouvoir normatif étatique. Il ne peut y avoir de pouvoir normatif autonome des collectivités territoriales. Cest au législateur et à lui seul de déterminer l’étendue des compétences des collectivités territoriales, et de répartir les compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales.
Si la loi peut tolérer l’édiction de règles de droit qui s’appliquent sur une portion du territoire, comme peuvent Hêtre les actes des autorités déconcentrées ou même décentralisées, ces normes locales ne peuvent cependant être édictées qu’en application et en conformité avec les normes nationales préalables. L’article 2 alinéa 3 de la Constitution dispose que c’est « dans les conditions prévues par la loi » que les collectivités territoriales « s’administrent librement ».
De même, si la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 a également reconnu aux collectivités territoriales un pouvoir réglementaire, celui-ci est limité à rexercice de leurs compétences, et ne peut e territoriales un pouvoir réglementaire, celui-ci est limité ? l’exercice de leurs compétences, et ne peut empiéter sur le pouvoir réglementaire reconnu au Premier ministre et au président de la République: le pouvoir réglementaire reconnu aux ollectivités territoriales est donc secondaire et résiduel.
Les actes des autorités locales restent des actes administratifs soumis au contrôle du seul juge administratif, notamment par l’intermédiaire du contrôle administratif confié au représentant de l’État et n’ont aucune vocation à concurrencer ni la loi ni les règlements nationaux. Comme l’évoquait le Doyen Boulouis, « Vindivisibilité de la souveraineté se trouve garantie par Flndivisibilité du peuple, titulaire collectif de la souveraineté Y. – L’indivisibilité du peuple Cette indivisibilité du peuple correspond à l’unité de la Nation rançaise et elle est affirmée notamment à l’article 3 alinéa 1er de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple… Cest au Conseil Constitutionnel que l’on doit la consécration constitutionnelle du peuple français.
Dans une première décision de 1 991, Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse, il a censuré la référence à un « peuple corse, composante du peuple français Il s’est fondé notamment sur l’article 1er de la Constitution selon lequel « la France assure l’égalité de taus les citoyens sans distinction d’origine, de ace ou de religion pour considérer que la Constitution ne connaissait que le peuple français, du moins pour la métropole, et qu’il ne pouvait y avoir de distinction au sein de ce peuple.
La continuité constitutionnelle a été réaffirmée dans la Charte de l’environnement de 2004 qui dispose que « Le 0 réaffirmée dans la Charte de l’environnement de 2004 qui dispose que « Le peuple français proclame Sur ce fondement le Conseil avait jugé que la loi ne pouvait créer d’autres peuples, même en tant que composante du peuple français, à propos de la « communauté historique et culturelle vivante que constitue e peuple corse, composante du peuple français Il a ainsi censuré la totalité de cet article, en se fondant sur la mention du peuple français dans la Déclaration des droits de 1789 et dans le préambule de la Constitution de 1958 qui distingue le peuple français des peuples des territoires d’outre-mer. Il est donc acquis qu’il ny a qu’un seul peuple souverain, qui toutefois organise le territoire comme il le souhaite. Il peut réserver des statuts particuliers à certains territoires, créer des collectivités territoriales, y compris certaines qui se distingueraient du schéma général adopté, comme la Corse.
Il peut aussi se séparer d’une partie du territoire en obtenant le consentement des populations concernées, sous réserve qu’il ne remette pas en cause sa propre souveraineté en accordant la souveraineté à une collectivité territoriale, et sous réserve également de ne pas accorder de droits spécifiques à une partie du peuple, ce qui aurait pour conséquence de diviser le peuple indlvisible. L’actualité, à travers l’exemple de l’intégration européenne, des revendications néo-calédoniennes ou corses, des questions d’identité culturelle et linguistique ou encore des inégalités mniprésentes dans notre société, met en avant les oppositions entre les principes de l’état unitaire et la diversité des territoires et des populations qui composent la République, et les limites de l’uniformité de traitement.
PAGF s 0 des populations qui composent la République, et les limites de Il – La République dans sa diversité La volonté de ne pas distinguer les territoires et les populations françaises dans un souci d’uniformité, d’unité, d’indivisibilité, se heurte bien souvent à la réalité. Et il semblerait que si l’on souhaite préserver runité nationale, il faille à un moment ou ? n autre, procéder à des distinctions. Comment des cultures territoriales différentes et des populations d’origines différentes pourraient-elles accepter de renoncer à leur patrimoine culturel, historique, linguistique, au nom d’une uniformité qui releve vraisemblablement plus du mythe que de la réalité ?
Il apparaît cependant qu’en France, diversité et unité ne soient pas si incompatibles qu’il y paraît (A), et qu’il faille parfois en passer par des inégalités pour préserver l’unité (B). A – La compatibilité entre unité et diversité L’État, aussi unitaire que peut l’être la République française, eut supporter la reconnaissance d’une diversité léglslative. En témoigne le cas de l’Alsace-Moselle, qui, alors que l’unité du pouvoir se caractérise par la soumission de tous les citoyens aux mêmes lois, fait subsister un certain nombre d’éléments du droit allemand depuis la loi du 1er juin 1924, reconnus par le Conseil constitutionnel comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République à valeur constitutionnelle.
Par ailleurs, la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, complétée par celle du 23 juillet 2008, a reconnu à ralinéa 4 de ‘article 72 la possibilité pour toute collectivité ansi qu’à leurs groupements, de déroger aux lois et règlements nationaux par le biais d’une expérimentation législative m 6 0 groupements, de déroger aux lois et règlements nationaux par le biais d’une expérimentation législative mais dans des conditions très strictes encadrées par une loi organique, et sans pouvoir méconnaitre une liberté publique ou un droit constitutionnellement garanti. Les collectivités territoriales peuvent ainsi adopter des mesures qui dérogent à la loi et se substituent à elle.
En outre, le constituant, toujours en 2003, a été conduit ? econnaitre l’existence de « populations d’outre-mer » au sein du peuple français, sans doute pour lutter contre une conception ultra-rigide de la notion de peuple qui avait été affirmée dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1991 et de 1999. La revision constltutionnelle du 28 mars 2003 a en effet permis d’insérer un alinéa 1er à l’article 72-3 qui proclame que « La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité En faisant une distinction, dont les contours ne sont as précisés, entre le peuple et les populations, le constituant a voulu aussi réaffirmer l’unité du « peuple français » mais en même temps reconnaitre une certaine diversité historique, géographique et culturelle des populations situées outre-mer.
Enfin, rlncluslon de la France dans le système européen aboutit à passer d’une indivisibilité de la république à un système « d’interlocking arenas c’est-à-dire une imbrication de normes à l’échelle européennes, nationale et infranationale. Cette multiplication des niveaux de pouvoir induit le fait que proclamer ‘indivisibilité de la République n’a aujourdhui plus beaucoup de sens. Du fait de l’appartenance de la France à l’Union europeenne, l’on est en présen 7 0 Du fait de l’appartenance de la France à l’Union européenne, l’on est en présence d’une dualité de l’ordre constitutionnel. L’unité de l’Etat français s’en trouve assouplie.
L’indivisibilité de la République, qui avait pour fonction de lutter contre les privilèges de l’Ancien Régime, peut apparaître aujourd’hui à bien des égards comme quelque peu obsolète, et même comme une menace pour la garantie des droits, puisqu’on onsidère qu’elle renie des différences que le droit devrait prendre en compte. B – Créer des inégalités pour préserver l’unité Il semble que l’uniformité de la Nation soit complètement décalée par rapport à la réalité sociale. Prenons l’exemple de la langue. Les révolutionnaires ont très vite acquis le sentiment que l’unité linguistique était indispensable à l’unité de la Nation.
La loi constitutionnelle du 25 juin 1 992 ajoute en tête de l’article 2 de la Constitution que « la langue de la République est le français Or dans les faits, en 1999, ne serait-ce qu’en métropole, 24 angues régionales ont été répertoriées comme étant parlées. Il est assez délicat de vouloir brider l’apprentissage de ces langues au nom de l’uniformité républicaine, sans prendre le risque de voir s’envoler tout un pan du patrimoine national, et de perdre une partie de la richesse culturelle de l’Europe. Dans ce sens, la Charte européennes des langues régionales et minoritaires a été adoptée par une loi constitutionnelle, elle attend la modification effective de la Constitution pour entrer en vigueur.
Pourtant cette Charte est l’objet de vifs débats, certains craignant une ontée en puissance des revendications identitaires, une communautarlsation de la République, d’autres estimant qu’elle crée des droits subjectifs 0 identitaires, une communautarisation de la République, d’autres estimant qu’elle crée des droits subjectifs pour certains groupes de citoyens uniquement, notamment celui de parler une autre langue que le français dans la vie publique alors que c’est contraire à l’article 2 de la Constitution. Cest d’ailleurs la position du Conseil constitutionnel qui l’a estimée contraire à la Constitution dans une décision du 15 juin 1999.
Tout cela révèle une conception trop abstraite de l’égalité, dangereuse pour la richesse que constitue la diversité. Par ailleurs, malgré la volonté de maintenir à tout prix l’unité pour atteindre une égalité parfaite entre tous les citoyens, le constat est là : les inégalités sociales sont criantes. Inégalités des conditions de vie, discrlmnations fondées sur la race, le sexe la religion. A cet effet, une piste est explorée en France, celle des discriminations positives. La discrimination positive peut se définir comme une politique de rattrapage visant à combler, ar l’instauration d’un traitement préférentiel pour certains groupes (définis par la « race », la tribu, la caste, l’ethnie, le sexe… , les écarts de développement qui les séparent du reste de la population. D’où tout le paradoxe du dispositif : promouvoir l’égalité par des mesures inégalitaire. La discrimination positive en France renvoie essentiellement à trols types de mesures : les politiques préférentielles en matière d’emploi, la parité entre les sexes dans la sphère publique et la discrimination positive territoriale concernant le développement socioéconomique. Tout cela pose le problème encore une fois d’une différence de traitement entre les citoyens de la République. Le juge Blackmun de la Cour suprême des Etats PAGF 10 citoyens de la République.
Le juge Blackmun de la Cour suprême des Etats-Unis dans l’arrêt Bakke en 1978 disait à ce suet: « Pour en finir avec le racisme, nous devons commencer par prendre la race en compte. Il n’y a pas d’autres voies Ces exemples montrent que l’unité via l’uniformité pour l’égalité peut avoir l’effet inverse de celui escompté. Conclusion A la différence d’autres démocraties qui mettent davantage n exergue la valeur liberté, la France a surtout mis l’accent, depuis la Révolution française, sur la valeur de l’égalité. Si l’unité de la République est aujourd’hui bien instituée et qu’il est communément admis qu’elle est partie prenante au concept même d’égalité, il est difficilement concevable que l’uniformité en soit la conséquence.
Au vu de la diversité des territoires qui composent notre République en termes d’histoire, de culture et de langue, il convient d’en préserver les spécificités, afin que la démocratie locale puisse s’exprimer au sein d’un Etat-nation protecteur de cette diversité. La décentralisation elle-même dans un Etat déconcentré est l’espace de liberté indispensable ? l’expression des intérêts locaux, conformément au principe de subsidiarité que l’Europe véhicule aussi, tant à l’échelle des Etats qui la composent, qu’à féchelle des régions. C’est en ce sens que l’uniformité et l’unité sont paradoxalement antinomiques. Cest peut-être aussi ce à quoi songeait François Mitterrand quand il disait le 15 juillet 1981 : « la France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire, elle a aujourd’hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire