SOUVERAINETÉ ÉTATIQUE ET PRINCIPE DE LÉGITIMITÉ DÉMOCRATIQUE Par Dodzi Kokorok0* Selon les grandes théories du droit international classique, l’instauration et la consolidation de la démocratie relèvent essentiellement de la compétence discrétionnaire de chaque État. Si on assiste à leur assouplissement au nom du patrimoine constitutionnel commun des sociétés politiques depuis 1990, cette étude, qui met en jeu « Souveraineté étatique et principe de légitimité démocratique » constate cependant leur incompatibilité dans les faits sur le fondement de la fétichisation de la so distinguer de la souv . r 57 succes. Loin de les considére devraient se rencont Sni* to View pit de quelques les deux concepts qu’aucun des deux ne s’arc-boute sur des approches maximalistes. LJne telle rencontre positive se fonderait sur le principe de l’autolimitation volontaire de FÉtat en droit international, en référence à la souveraineté juridique des États. À défaut d’un tel consensus, un droit d’intervention démocratique s’avère nécessaire pour faire triompher le principe de légitimité démocratique face ? des gouvernements décidés à être les coryphées de la dictature électorale.
Plus que tout, ridée d’un rdre démocratique international, susceptible d’obtenir l’adhésion la plus large de la part d’entités souveraines, nécessite une volonté politique réaffirmée des gouvernements en place et le recours à la morale internationale. According to the great theories of classical international law, the democracies should concern the discretionary competence of every state.
If we observe an easing of such principles in the name of the common constitutional heritage of political societies since 1990, this study, which sets in action « State sovereignty and principle of democratic legitimacy » verifies, owever, their incompatibility in practice With the support of political sovereignty, which will be set apart from the legal sovereignty, despite some successes. Far from considering them as opposed, both concepts may meet as soon as none of them will prop up a maximalist approach.
Such a positive meeting is more likely to depend on the principle of voluntary self-restriction of state in international law With emphasis on legal sovereignty. For lack of such a consensus, a well-regulated right of democratic intervening seems necessary for the triumph of the principle of legitimate sovereignty over governments determined o be the coryphaeus of the electoral dictatorship in a well-defined legal context.
Above all, the idea of a democratic international order which could get the widest approval by sovereign subjects, needs a reaffirmed political Will from established governments and the recourse to international morals. ATER en Droit public-Faculté de Droit de l’Université de Poitiers. 38 (2003) 16. 1 Revue québécoise de droit international Pendant longtemps, la communauté internationale, à travers les grandes puissances ou les instituti nales, a été très î OF des États post-coloniaux africains.
Le contexte de la guerre froide a ertainement favorisé cet état de chose, les deux blocs essayant d’imposer leur modèle idéologico-politique sans se soucier des moyens utilisés au sein de chaque État alliél L’autonomie constitutionnelle, corollaire de la souveraineté des États, était poussée à son paroxysme : le « peuple » devant cette conception de la souveraineté est libre de déterminer à sa guise la forme de son régime politique sans pour cela qu’aucune autre entité politique ne vienne s’immiscer, c’est-à-dire sans contrainte extérieure2.
Néanmoins, on peut parler d’un changement de cap au sein de la communauté nternationale où le principe de légitimité démocratique a connu une réinterprétation spectaculaire. Bien des observateurs avertis de l’évolution du droit international ont pu parler d’un « drolt émergeant à la démocratie »3. L’une des manifestations du regain dintérêt pour le principe de légitimité démocratique est l’observation internationale des élections4.
Ce qui a fait dire à Luc Sindjoun que « l’observation internationale des élections est devenue le cheval de Troie du nouveau constitutionnalisme »5. 2 l’intervention, dans son sens non spécifique, est la fait pour un État ou un groupe d’États « d’intervenir irectement ou indirectement dans les affalres intérieures ou extérieures d’un autre État » (Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), [1986] C. I. J. rec. 4 à la p. 108 [Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua]) ; Slim Laghmani, « Le phénomène de perte de sens en droit International » dans Harmonie et contradictions en droit international , Colloque de Tunis des 11, 12 et 13 avril 1996, Paris, Pedone, 55, aux pp. 63 et s. Maurice Kamto, Constitution et principe de l’autonomie constitutionnelle , Cours polycopié, Académie nternationale de Droit constitutionnel de Tunis, 1998, aux pp. 1 et Rafaâ Ben Achour, « La contribution de B.
Boutros-Ghali ? l’émergence d’un droit international positif de la démocratie », Amicorum discipulorumque Liber Boutros Boutros-Ghali, Bruxelles, Bruylant, 1998, 909 aux pp. 909 et s. Loin d’avoir une vision réductrice des chapelets de mesures prises par la communauté internationale en faveur du principe de légitimité démocratique, il est à signaler sept types d’assistance électorale organisation et conduite d’élections, supervision, vérification, coordination et soutien des observateurs nternationaux, soutien aux observateurs électoraux nationaux, assistance technique et observation internationale des élections.
Il est à préciser que c’est l’obsewation internationale des élections qui nous intéresse dans le cadre de cette étude. Luc Sindjoun, La formation du atrimoine constitutionnel commun des sociétés poli PAGFd OF étude. Luc Sindjoun, La formation du patrimoine constitutionnel commun des sociétés politiques : Éléments pour une théorie de la civilisation politique internationale, Dakar, Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique, 1997 aux pp. 7 et s. Luc Sindjoun, « La loyauté démocratique dans les relations internationales : sociologie des normes de civilité internationale (2001) 32 Études internationales 31 ; Luc Sindjoun, « Les nouvelles constitutions africaines et la politique internationale (1995) 26 Études internationales 329; Linos-Alexandre Sicillanos, « Les Nations Unies et la démocratisation de l’État. Nouvelles tendances dans Rostane Mehdi, dir. , La Contribution des Nations Unies à la démocratisation de l’État. Dixièmes Rencontres internationales d’Aix-en-Provence, Colloque des 14 et 15 décembre, 2001, Paris, Pedone, 2002, 13. Souveraineté étatique 39 Il faut certes noter que l’instauration d’un ordre démocratique dépend en principe de la compétence interne des États. Elle constitue l’expression de la souveraineté politique de ces derniers même si le respect de la souveraineté étatique n’est pas facile à observer, dès lors que rÉtat a pour misslon première d’assurer la protection des individus6. Et comme certains États n’entendent pas renoncer à leur souveraineté, on imagine sans eine les difficultés de définir et de faire prospérer PAGF s OF effets, car elle heurte souvent une autre notion tout aussi digne de respect.
L’autonomie constitutionnelle de PÉtat n’échappe pas à cette constatation et pour une raison très simple : dès lors que la société internationale est composée d’États souverains, la souveraineté de l’un d’entre eux limite nécessairement la souveraineté des autres à son égard. La souveraineté devient nécessairement relative par ce qu’elle a d’absolu, et pourquoi, dès lors, ne ferait-elle pas une place à un ordre démocratique international, doté, au regard des exigences du droit international des droits de l’homme, de la même valeur juridique qu’elle ?
Le bras de fer souveraineté étatique-principe de légitimité émocratique, qui tend à tourner en faveur de la seconde, semble lui être aujourd’hui moins favorable, ce qui amène à s’interroger sur Fétat des forces en présence en définissant d’abord les deux notions en cause (l) et de présenter ensuite la situatlon actuelle de leurs relations. une conclusion conflictuelle des rapports nous amène ? envisager le recours à des moyens de coercition pour faire triompher le principe de légitimité démocratique avec des critères bien déterminés (Il).
Retour sur deux notions fondamentales du droit international : souveraineté étatique et principe de égitimité démocratique 6 OF L’instauration d’un ordre démocratique 6 7 Jean-Denis Mouton, « Retour sur rÉtat souverain à l’aube du XXIème siècle », dans Mélanges François Borella : État société et pouvoir à l’aube du 2 le siècle, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1999, 319; Christian Dominicé, « La contrainte entre États à l’appui des droits de Vhomme », dans Jeanne Belhumeur et Luigi Condorelli, dir. L’ordre juridique international entre tradltlon et innovation, Paris, Presses universitaires de France, 1997, aux pp. 333 et s. ; Joe Verhoeven, « Souveraineté et ondialisation : libres propos dans Eric Loquin et Catherine Kessdejian, dir. , La mondialisation du droit, Paris, Litec, 2000 , 42; Jean-Pierre Muller, « Wandel des Souveranitàtsbegriffs im Lichte der Grundrechte », dans René Rhinow, Stephan Breitenmoser, Bernhard Ehrenzeller, dir. Fragen des internationalen und natlonalen Menschenrechtschutzes, Basel, Helbing & Lichtenhahn, 1997, 45, aux pp. 61-66; A. Peters, « Le droit d’ingérence et le devoir d’ingérence. Vers une responsabilité de protéger » , (2002) 79 R. D. I. D. C. 290. Mouton, supra note 6 aux pp. 319 et s. ; Olivier Audeoud, « L’État ans tous ses « États « La résistance de l’État dans les bouleversements de cette fin de siècle », Mélanges en l’honneur de François Borella, Nancy, presses universitaires de Nancy, 1999, aux pp. 21 et s. (2003) 16. Revue québéc PAGF 7 OF ternational prendre la teneur du concept de souveraineté de rÉtat en l’état actuel du droit international public (A) et du principe de légitimité démocratique A. La souveraineté étatique, qualité de l’État Le principe de non-ingérence, un des corollaires de la souveraineté de l’État, a été le fondement juridique de l’inertie et de l’indifférence de la nternationale. Il a surtout servi à égitimer une interprétation minimale d’autres droits internationalement consacrés comme le droit des peuples ? disposer d’eux-mêmes8.
La combinaison du principe de non-ingérence et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes avait donné naissance à un droit, noble dans sa formulation, inique dans sa pratique, à savoir « le droit inaliénable » qu’a tout État de « choisir son système politique, économique, social et culturel sans aucune forme d’ingérence de la part d’un autre État »9. L’interprétation qui en est résultée (pendant de longues années) st que chaque État détermine souverainement, discrétionnairement, son statut politique, la forme de son régime et les modalités d’exercice du pouvoir politique.
Le choix du gouvernement fut considéré comme une affaire « relevant essentiellement de la compétence nationale » de cha ue état pour reprendre la formule de l’article 2 S7 de PAGF 8 OF prévus par la constitution, relevaient du seul domaine du droit interne. Le droit de participer aux élections, d’être électeur et d’être élu, était une question que chaque pays résolvait exclusivement au moyen de son système constitutionnel et juridique.
Que les élections aient lieu ou non, qu’elles aient été ajournées ou non, qu’elles aient été authentiques et libres, frauduleuses et viciées, voilà qui laissait le droit international indifférent. 1 1 10 Francine Batailler-Demichel, « Droits de l’homme et droits des peuples dans l’ordre international dans Mélanges Charles Chaumont, Le droit des peuples ? disposer d’eux-mêmes. Méthodes d’analyse du droit international, 1984, paris, Pedone, 23 aux pp. 23-34 [Mélanges Charles Chaumont]; Théodore Christakis, Le droit à l’autodétermination en dehors des situations de décolonisation, Paris, La
Documentation française ; Aix-en-Provence, Université d’Aix- Marseille III, Centre d’études et de recherches internationales et communautaires, 1999. Il suffit de procéder à une lecture presque notariale de la Déclaration relative aux principes de droit international touchant les relations amicales et à la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies, Rés. AG 2625(XXV), Doc. Off. AG NU, 25e sess. , supp. no 13, Do PAGF jurisprudence, 1977 aux pp. 1073 et s. Hector Gros-Espiell, « Liberté des élections et observation internationale des élections.
Rapport énéral», dans Colloque de la Laguna, Liberté des électlons et observation internationale des 41 L’Assemblée générale de l’ONU au S 5 de sa résolution 2131 du 21 décembre 1965 portant « Déclaration sur l’inadmissibilité de l’intervention dans les affaires intérieures des États » affirmait que « tout État a le droit de choisir son système politique, économique, social et culturel sans aucune forme d’ingérence de la part de n’importe quel État »12. La Cour internationale de Justice, dans son arrêt du 27 juin 1986 sur l’Affaire des activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua, a reconnu valeur coutumière à un tel principe et considéré que « l’intervention interdite doit donc porter sur des matières à propos desquelles le principe de souveraineté des États permet à chacun de se décider librement et la Cour d’ajouter qu’il en est ainsi du choix du système politique, économique, social et culturel • Les orientations portiques internes d’un État relèvent de la compétence exclusive de celui-ci Chaque État possède le droit fondamental choisir et de mettre en œuvre comme il l’entend son système politique, économique et social ouvre aucun instrument