philo

La religion, qui a toujours marqué l’histoire humaine, apparaît comme un phénomène culturel complexe et diversifié. Son rapport avec la raison est également complexe : souvent opposés, raison et foi finissent par paraître interdépendantes. Finalement, la religion a souvent fait l’objet de critiques, on peut donc se poser la question de la légitimité d’un monde sans ILa religion, un phénomène diversifié et complexe AL ‘origine de la religion 1 Corigine étymologique L’étymologie ambiguë du mot « religion » montre les deux aspects du phénomène, l’un individuel et l’autre social.

En effet, le terme pourrait avoir deux o Religare (relier) : la re hommes entre eux. Religere (recueillir) : c scrupule. p g à Dieu ou les servance, de La religion a donc à la fois un aspect social (des pratiques rituelles et la création d’une communauté) et un aspect individuel (la piété et la foi). 2L’homme, un animal religieux De tout temps, une forme de religion a existé dans les sociétés. Même à la Préhistoire, on sait que les hommes vouaient un culte aux morts.

L’homme semble donc être un animal religieux. On situe souvent l’origine de la religion dans la conscience qu’a ‘homme de sa finitude et de sa dépendance. La conséquence en est l’intuition de quelque chose qui le dépasse, une « transcendance » qui suscite à la fois la crainte et la fascination. La finitude est l’expérience que fait Ihomme de sa condition d’être mortel. Le théologien Rudolf Otto appelle cette entité transcendante le « ») pour ne pas le réduire au Dieu du monothéisme.

Bl_es composantes d’une religion ISix composantes principales Il existe six composantes indispensables dans une religion : Des croyances (qui ne relèvent donc pas de la raison) relatives ? quelque chose de sacré. Une tradition, des mythes. Des sentiments, une révélation intérieure (crainte, fascination, tremblements, etc. ). une morale à valeur absolue, c’est-à-dire des règles de vie. ne pratique cultuelle, des cérémonies. U Des médiateurs privilégiés (comme le clergé). 2Une définition de la religion La définition que donne le sociologue Durkheim de la religion sert souvent de référence.

Elle insiste sur deux aspects du phénomène : La distinction entre sacré et profane L’aspect collectif ou social de la religion « Une religion est un système solidaire de croyances et de ratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Église, tous ceux qui y adhèrent. » Les Formes élémentaires de la vie religieuse, Durkheim, 1912 En particulier, Durkheim est le premier à souligner la division du monde entre réalités sacrées et réalités profanes comme dénominateur commun de toutes les religions.

Le sacré regroupe les choses, les lieux et les moments dans lesquels on voit la manifestation d’une puissance supérieure, à la fois bénéfique et maléfique, que l’on adore mais que l’on craint. Cependant, aucune religion ne considère le monde entier comme sacré : il existe donc le profane, qui est tout simplement le non- sacré. CLa diversité des religions 1 L’évolution théorique des religions Auguste Comte donne son o inion sur l’évolution des 2 religions Auguste Comte donne son opinion sur l’évolution des religions.

Cela s’inscrit plus largement dans sa loi des trois états, selon laquelle l’humanité est passée par trois états successifs : Le premier est ll« état théologique » qui dure jusqu’à la fin de IAncien Régime. Dans cet état, l’homme explique l’origine de oute chose naturelle par une entité extranaturelle (par exemple, Zeus est la cause de la foudre). Le deuxième est l’État métaphysique, où l’on cherche les causes des phénomènes réels dans les qualités ou la volonté de la nature. Par exemple, la nature a « horreur du vide ».

Le troisième est l’État positif ou scientifique, où au lieu de rechercher les causes (« Pourquoi ? de chaque chose réelle, on en recherche simplement les lois scientifiques (« Comment ? L’État positif correspond donc à une déspiritualisation et une objectivisation du réel. Le rapport au monde devient rationnel et on religieux. Le premier état de l’humanité, l’état théologique, se divise lui- même en étapes. Trois types de religions sont apparus l’un après l’autre D’abord, l’animisme qui affirme la présence de nombreux esprits dans la nature.

Puis le polythéisme qui rassemble sur plusieurs dieux la responsabilité des évènements. Enfin le monothéisme qui conçoit un Dieu unique créateur et tout-puissant. 2Les évolutions contemporaines Les évolutions contemporaines étendent encore la diversité du phénomène religieux. D’un côté, on observe au XIXe siècle une émergence de l’athéisme, par exemple chez Marx, Nietzsche et Freud. De l’autre côté, on observe une montée des intégrismes. L’athéisme est une doctrine qui ne conçoit pas l’existence 3 observe une montée des intégrismes. u affirme l’inexistence de quelque dieu, divinité ou entité surnaturelle que ce soit. Un intégrisme (terme à connotation péjorative) est une doctrine de conservatisme intransigeant, dont le but est de revenir ? l’authentique. Cela peut se traduire par un rejet de la rationalité, du progrès, de la démocratie, etc. En outre, on peut voir le déclin de la religion instituée au profit d’un bricolage religieux individuel. lLa foi et la raison AL ‘opposition entre foi et raison 1 La foi sans preuve Étymologiquement, la foi (du latin fides) est confiance.

Le fidèle s’en remet intégralement à Dieu, même s’il ne peut prouver son existence ni déchiffrer sa volonté. Par exemple, dans la Bible, Abraham obéit lorsque Dieu lui demande de sacrifier Isaac, son fils unique, même s’il ne sait pas quelle sera l’utilité de son acte. On peut donc voir que la croyance s’oppose à la raison, qui a besoin de preuves et d’explications. C’est pourquoi Pascal oppose les « vérités du cœur » (les croyances) aux « vérités de raison 1_e rejet de la religion En conséquence, beaucoup de scientifiques rejettent la religion.

Par exemple, Einstein était un athée convaincu. Il dit ainsi : « Le mot Dieu n’est pour moi rien de plus que l’expression et le produit des faiblesses humaines, la Bible un recueil de légendes, certes honorables mais primitives qui sont néanmoins assez puériles. Aucune interprétation, aussi subtile soit-elle, peut selon mol changer cela ». Bl_a raison pour éclairer la religion ll_a volonté d’éclairer la religion La philosophie, par la raison, veut comprendre ce que la religion impose, au d’éclairer la religion impose, au lieu de l’accepter aveuglément.

Dès le Moyen-Âge, des philosophes théologiens (Thomas d’Aquin, Averroès, etc. ) ont voulu mettre la philosophie « au sen,’ice de la théologie La raison serait comme la « lumière naturelle » donnée aux hommes par Dieu pour comprendre les mystères de la religion. La philosophie s’efforce en fait de faire coïncider religion et rationalité. Dans le portrait que Merleau-Ponty fait de Socrate (Éloge de la philosophie, 1 953), il montre en effet que le philosophe refusait d’admettre les croyances telles quelles et oulaient les expliquer.

Au moment de sa condamnation à mort, on lui reprochait donc de ne pas être croyant alors qu’en réalité il croyait plus que les juges eux-mêmes, selon Merleau-Ponty. Il tentait uniquement de concilier ses croyances avec sa rationalité. « [Socrate] enseigne que la religion est vraie, et on l’a vu offrir des sacrifices aux dieux. Il enseigne qu’on doit obéir à la Cité, et lui obéit le premier jusqu’au bout. Ce qu’on lui reproche n’est pas tant ce qu’il fait, mais la manière, mais le motif. Ily a dans l’Apologie un mot qui explique tout, quand Socrate dit à ses uges : Athéniens, je crois comme aucun de ceux qui m’accusent.

Parole d’oracle : il croit plus qu’eux, mais aussi il croit autrement qu’eux et dans un autre sens. La religion qu’il dit vraie, c’est celle où les dieux ne sont pas en lutte, où les présages restent ambigus, – puisque, enfin, dit le Socrate de Xénophon, ce sont les dieux, non les oiseaux, qui prévoient l’avenir, – où le divin ne se révèle, comme le démon de Socrate, que par une monition silencieuse S l’avenir, – où le divin ne se révèle, comme le démon de Socrate, que par une monition silencieuse et en rappelant l’homme à son gnorance.

La religion est donc vraie, mais d’une vérité qu’elle ne sait pas elle-même, vraie comme Socrate la pense et non comme elle se pense. » Éloge de la philosophie, Merleau-Ponty, 1953 21_a nécessité d’éclairer la religion D’autre part, il semble nécessaire que la science éclaire la religion à cause du danger que l’inverse représente. On peut le voir dans le cas des fondamentalismes religieux qui rejettent le progrès et la science. Par exemple, certaines communautés d’Amish, des anabaptistes d’Amérique du Nord, rejettent les applications actuelles de la médecine (vaccins, etc. t utilisent à la place des médecines plus traditionnelles telles que la naturopathie, la réflexologie, etc. Les croyances religieuses s’imposent donc parfois aux dépens de la santé. Ce type de comportement est vu comme une folie voire une bêtise par les scientifiques comme Albert Einstein. Il conduit ? une mise en danger des hommes, par exemple à cause refus de la contraception ou du rejet de la médecine moderne. La religion aveugle, privée de raison, serait donc synonyme de danger pour l’homme. « La science sans religion est boiteuse, la religion sans science est aveugle. ? Albert Einstein CDeux mêmes vérités Si on peut penser que religion et raison ne sont pas incompatibles, c’est aussi parce qu’elles se rejoignent. Cest notamment le philosophe Alain qui défend cette idée. Bien qu’il soit non-croyant et même anticlérical, il respecte la foi des croyants. II entend même donner une interprétation rationnelle de la religion. Pour lui, les religions ne ser donner une interprétation rationnelle de la religion. Pour lui, les religions ne seraient que l’expression métaphorique de ce que la philosophie exprime sous forme de concepts.

Par exemple, on peut penser que la parabole du Bon Samaritain ans la Bible (qui illustre le devoir d’être bon envers son prochain) est l’expression métaphorique de l’impératif catégorique théorisé par Kant (« Agis de façon telle que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans toute autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen En fait, les vérités de la religion et les vérités de la raison seraint les mêmes, sous des formes différentes. « Les dieux sont nos métaphores, et nos métaphores sont nos pensees. ? propos sur la religion, Alain, 1921 IllLa religion au cœur des critiques ALa philosophie des Lumières A partir du siècle des Lumières, la raison tente d’affirmer son autonomie par rapport à la religion. De nombreux philosophes constatent l’absurdité de certains dogmes et critiquent surtout l’intolérance et l’oppression dont est responsable l’obscurantisme par exemple, Voltaire, dans le conte philosophique Candide, fait la critique de certaines formes de religion : le rigorisme hollandais, l’lnquisition espagnole, les jésuites au Paraguay, etc.

Sans être pour autant athées, ces philosophes préconisaient le retour ? une religion naturelle débarrassée de certains rites inutiles et de ertaines croyances absurdes. L’obscurantisme, pour les courants intellectuels et politiques progressistes héritiers de la philosophie des Lumières, est une attitude d’opposition à la diffusion du savoir, dans quelque domaine que ce soit. BLes philosophies d’opposition à la diffusion du savoir, dans quelque domaine que ce soit.

BLes philosophies du soupçon 1 La religion selon Marx Au XIXe siècle, Marx dit de la religion qu’il s’agit de « l’opium du peuple » : c’est une illusion née afin de combler un manque. Elle sert de « bonheur illusoire du peuple » afin de consoler de la misère réelle des hommes. En fait, elle est surtout instrumentalisée par la classe dominante pour endormir les prolétaires en leur faisant croire à l’avènement d’un monde meilleur, d’un au-delà imaginaire. ? La religion est la théorie universelle de ce monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, le fondement universel de sa consolation et de sa justification. » Critique du Droit politique hégélien, Marx, 1843 2Marx. Nietzsche et Freud L’analyse marxiste peut être regroupée, avec celles e Nietzsche et de Freud, dans ce qu’on appelle les philosophies du soupçon.

Toutes considèrent que l’illusion religieuse est en fait le symptôme ou le produit d’autre chose Marx : la religion est née de la misère réelle des hommes, pour leur servir d’idéologie consolatrice (« le fondement universel de sa consolation Nietzsche : l’homme est un « fabricateur de dieux » qui a inventé la religion à cause de son imagination incontrôlée, de son délire. L’homme religieux est en quelque sorte un malade qui s’invente une explication personnelle du monde et des phénomènes naturels.

D’autre part, face aux malheurs de la vie, ‘homme invente la religion pour y échapper et se consoler dans l’espérance d’un au-delà. Freud : la religion s’explique par une situa 8 échapper et se consoler dans l’espérance dun au-delà. Freud : la religion s’explique par une situation psychologique de l’homme, qui est l’angoisse face à « l’impression terrifiante de détresse infantile » et le besoin d’être protégé par une figure paternelle.

Les hommes ont donc créé en Dieu l’image d’un père protecteur, auxquelles ils se cramponnent afin d’apaiser leur angoisse. Dans toutes ces théories, la clé des croyances religieuses e trouve dans les conditions sociales et psychologiques de l’homme. La religion est réduite à un symptôme ou un produit de celles-ci. CL ‘hypothèse d’un monde sans religion Si l’on en croit Marx, Nietzsche ou Freud, une humanité sans religion serait plus forte, plus libre.

Cependant, l’universalité de la religion conduit à se poser une question : peut-on vraiment imaginer un monde sans religion ? Marcel Gauchet l’évoque dans Le Désenchantement du monde (1985). Il montre que les sociétés occidentales modernes sont sécularisées et donc sont en train de sortir de la religion. En effet, le phénomène religieux relève de plus en plus du choix individuel et la société n’est plus structurée par la religion.

Cependant, cette hypothèse paraît peu crédible. Pascal dit même que celui qui ne croit pas est comme un aveugle dans un lieu inconnu : il montre la « misère de l’homme sans Dieu ». Même si son opinion n’est pas universellement admise, on peut remarquer que le sentiment religieux est omniprésent, jusque dans le sport où des joueurs comme Maradona sont adorés tels des dieux. L’homme est-il donc incapable de s’affranchir de tout sentiment religieux ? 9