entrepreneuriat social et capitalisme

Jean-François Draperi, L’entrepreneuriat social, un mouvement de pensée inscrit dans le capitalisme, ACTE 1, févr. 2010 L’ENTREPRENEURIAT SOCIAL, UN MOUVEMENT DE PENSEE INSCRIT DANS LE CAPITALISME Jean-François Draperi CESTES-Cnam / Recma /ACTE 1 La conception portée par le Mouves (mouvement des entrepreneurs sociaux) est présente ? peu près partout dans le monde. Dans de nombreux pays, des to View nextÇEge mouvements compar d’ores et déjà organi or22 L « économie soclale( » est, comme on le s réalité une conceptio chez quelques uns de nos plus proches voisins. « être. s comme « classique agée partiellement Comment s’articulent ES et entrepreneuriat social ? Pour répondre à cette question, il faut distinguer clairement les entreprises sociales – de forme associative, coopérative ou de statuts classiques – de l’entrepreneurlat social. Au-delà de leur choix statutaire, les pratiques des entreprises sociales sont généralement proches des principes de l’économie sociale. A l’inverse, l’entrepreneuriat social est un mouvement de pensée, et en tant que tel, difficilement compatible avec Pécanomie sociale.

C’est sur rentrepreneuriat social que porte ce texte. Pourquoi ? Nous souhaitons attirer l »attention sur le fait que La finalité de l »économie sociale est l »émancipation de tous. Elle vise cette finalité en s »efforçant de produire au quotidien une économie a-capitaliste. L « ensemble des initlatives qu »elle mène en ce sens constitue un mouvement social articulant des pensées et des pratiques originales qui se nourrissent réciproquement. Les entreprises d’économie sociale sont détenues par des groupements de personnes.

Les bénéficiaires de leur action sont aussi sociétaires, selon le principe de la double qualité : les populations qui constituent les bénéficiaires de l’entreprise – clients, usagers, onsommateurs ou travailleurs – sont également ses adhérents, associés, sociétaires. La double qualité permet au travailleur de doubler sa qualité de salarié de celle de co-entrepreneur et au consommateur de considérer les biens et sen,’ices non seulement comme des marchandises mais également comme des produits de la nature et du travail.

Ces termes, émancipation, économie a-capitaliste, mouvement social, groupement de personnes, double qualité, constituent à la fois une réalité et un horizon : ils peuvent être mis en œuvre de multiples manières, dans des cadres plus ou moins ontraints, dans des contextes plus ou moins favorables et, conséquemment, de façon plus ou moins aboutie. 2. Pour mémoire encore : l’échec de Péconomie sociale en tant que mouvement Si l »on met face à face ce cadre théorique et l’organisation de l’économie sociale française, on a du mal à faire le lien.

Soyons clairs quitte à simplifier abusivement : il a pas un véritable mouvement de l »économie sociale. Sur le terrain, les associati PAGF OF ratives se développent de l »économie sociale. Sur le terrain, les associations, les coopératives se développent rapidement dans de nombreux secteurs d’activités. De nouvelles formes innovantes voient le jour (les CAE, les Scic, les Amap, etc. ) comme des innovations d’économie sociale (c »est à- dire en lien avec le cadre théorique de l’économie sociale) se multiplient dans des petites et grandes entreprises, dans des partenariats avec les collectivités publiques, des PME, etc.

Il existe également des fédérations et des organisations de ces groupements de personnes participant à des Instances représentatives de l »économie sociale. Des mouvements associatifs, coopératifs, mutualistes, de même que des organisations d »économie sociale, comme les Cres, ont très actifs et leur rôle est essentiel y compris pour « faire mouvement ». Mais il ny a de mouvement proprement dit national ou international des personnes regroupées dans l’économie sociale. Comment comprendre ce hiatus ?

Il faut étudier comment a vécu l’économie sociale depuis les années 70 et s »interroger sur les conditions de réalisation d »un mouvement à venir. 2 Cet échec est grave dans la mesure où il risque de fragiliser les groupements de personnes eux-mêmes qui se sont, au fil du temps, identifiées ? l’économie sociale. Il provoque également un manque qui empêche l »émergence d »un iscours clair répondant aux aspirations de la société ci ue est d »autant plus se multiplient les pratiques innovantes en phase avec les principes de l’économie sociale.

C’est dans ce manque, et en premier lieu le manque de communication, que se bâtit le mouvement des entrepreneurs soclaux. 3. L’entrepreuriat social : un mouvement de pensée issu de la philanthropie « La force de changement la plus puissante, c’est une idée nouvelle entre les mains d’un vrai entrepreneur » (Olivier Kayser, Dirigeant d »Ashoka France, 2007). Comme l »indique Olivier Kayser, l’entrepreneuriat social est une idée, un projet politique, omme l »était aussi l »économie sociale au moment de son émergence.

L’économie sociale propose de regrouper dans un même ensemble des groupements de personnes partageant une certaine conception de l »économie. L « entrepreneuriat social est une nouvelle proposition qui tente de saisir un ensemble d »entreprises, ou plus exactement, plusieurs ensembles d »entreprlses, qui lui préexistent. Il est essentiel d »avoir à [« esprit que l’entrepreneuriat social n’est pas un ensemble de pratiques (comme le sont les entreprises sociales, les associations, les coopératives, etc. ) : c’est un courant de pensée.

Aucune manière de voir, ni aucune classification n »existe indépendamment d »un objectif, d »une hypothèse. La question est donc autant de savoir « qu’est- ce que l’entreprise sociale ? » que « qu’est-ce l’entrepreneuriat social comme mouvement ? Quel est son projet ? D’où vient-il ? Qui sont ses promoteurs ? La question, c »est aussi, « pourquoi maintenant ? Comme I »a bien décrit Hu mouvement de l’entrepreneuriat social est né aux Etats-Unis : « La Social Enterprise Initiative est lancée en 1993 par la Harvard Business School et de grandes fondations qui mettent sur pied des programmes de soutien aux entrepreneurs sociaux.

Ainsi Bill Drayton, ancien ministre de Jimmy Carter, lance-t-il Ashoka Bill Drayton s’appuie d’emblée sur les savoir faire des grandes entreprises (via Mac Kinsey) et veut soutenir les projets à fort effet de levier Dans une période plus récente, l’émergence aux Etats-Unis du concept de Venture Philanthropie, renforce et renouvelle l’intérêt pour les entrepreneurs sociaux. Ils abordent l’entrepreneuriat social avec les méthodes issues du capital risque et mettent l’accent sur le retour social sur investissement (SROI) » (H. Sibille, 2009, p. 79). Cette conception est née au sein des fondations des grandes ntreprlses amérlcaines. Faisant le lien entre les grandes entreprises et les populations bénéficiaires des fondations, elle consiste à appliquer les méthodes de la grande entreprise dans les activités sociales que ces fondations soutiennent (C. W. Letts, W. Ryan, A. Grossman, 1997). Cette proposition ne doit pas grand-chose aux entrepreneurs sociaux, qui existent indépendamment d’elle, avec leurs propres dynamiques. par contre, les entrepreneurs sociaux l’intéressent. 4.

Entrepreneuriat social, social business et entreprise sociale L « entrepreneuriat social tente d »inté rer actuellement deux rands ensembles d »activi PAGF s OF Yunus et le micro-crédit et qui consistent à développer des activités économiques et commerciales avec les déshérités (le bottom of the pyramid, [Prehalad C. K. , 2004]) : traduit dans le mouvement de l »entrepreneuriat social, elles définissent le Social Business (H. Sibille, ibidem, p. 280), qui est la composante « commerciale » de l »entrepreneuriat social. Il s’agit d »une activité très différente de la composante philanthropique.

Bien sûr, toutes les activités réalisant du microcrédit ne se reconnaissent pas, loin s »en faut, dans cette conception du Social Business. L « autre ensemble d’activités visé par l’entrepreneuriat social aujourd »hui est celui qui, en Europe, constitue le coeur du renouvellement de l »économie sociale et solidaire : coopératives sociales italiennes, belges, finlandaises, espagnoles, portugaises, Scic françaises, associations et entreprises travaillant dans le domaine de l’insertion en Grande-Bretagne et en France, etc Le Mouvement des entrepreneurs sociaux cherche à regrouper ces nouvelles coopératives, associations et entreprises.

Au-delà, il « cherche à réunir l’ensemble des sensibilités », économie sociale et économie solidaire incluses (H. Sibille, ibidem). S »il se prononce pour une economie sociale sans rivage, ce n’est cependant pas sans donner un sens nouveau à cette belle expression de Jacques Moreau (Chomel, Alix, 2005). Qu »entend-on par entreprise sociale ? Il y a des milliers de pages consacrées à cette question. j. Defourny et son équipe d »Emes l »ont défini sur le plan académique (C.

Davister, J. Defouny, O. Grégoire, 2004) Re renant l »essentiel des travaux d »Emes, les promoteurs Defouny, O. Grégoire, 2004) Reprenant l »essentiel des travaux d »Emes, les promoteurs de l’entrepreneuriat social en France l »ont défini comme suit : «Les ntreprlses soclales sont des entreprises à finalité sociale, sociétale ou environnementale et ? lucrativité limitée. Elles cherchent à associer leurs parties prenantes à leur gouvernance » (Codes, 2009).

Une définition très large sauf sur un point : il s’agit d’entreprises et non d’économie. L »adoption 4 de l »entreprise sociale par le courant de pensée de l’entrepreneuriat social réduit le projet d »alternative économique à celui d’une conception micro économique. 5. L’entrepreneuriat social se définit par la recherche d’une finalité « Nous souhaitons jeter des passerelles entre le secteur privé et e secteur à but non lucratif » (Thierry Sibieude, Responsable de la Chaire d »entrepreneuriat social de l »Esssec, 2007).

A travers les entreprises qu »il ambltionne de fédérer, le mouvement de [« entrepreneuriat social entend relier deux ensembles qui sont traditionnellement en tension : d’une part, les pauvres exclus, paysans sans terre, chômeurs, auto-entrepreneurs de l’hémisphère sud, personnes handicapées, immigrés, territoires à I »abandon ou subissant les pollutions, victimes des catastrophes naturelles ou socio-économiques, de la guerre, des injustices, etc.

C »est sa inalité affirmée comme « sociale, sociétale et environnementale D »autre part, les riches, agissant à travers les grandes entreprises -Microsoft, Danone, Total, Monsanto, Mac Kinseyet leurs fondations qui tout à la fois, financent les grandes universités et randes écoles et les programmes d »action phil PAGF 7 OF financent les grandes universités et grandes écoles et les programmes d’action philanthropiques. Les entrepreneurs, pour l’instant encore largement en devenir, qui instituent ce lien sont essentiellement issus de ces grandes écoles.

Ces deux ensembles sont reliés selon deux modalités types : (1) ‘action philanthropique des fondations s »attaque aux questions touchant aux droits les plus élémentaires : santé, alimentation, éducation, culture… Avec des budgets souvent supérieurs à ceux des Etats, les fondations mobilisent des fonds considérables pour les vacclnations, centres de santé, dons de nourriture, création d’écoles, bibliothèques. Pour le dire vite, il s »agit de sauver des vies en danger en offrant les biens essentiels. 2) Les projets économiques proprement dits visent ? intégrer les pauvres dans l »économie marchande par l’accès au micro crédit, au matériel, aux ngrais, aux moyens techniques, aux nouvelles denrées, au commerce, etc. Les moyens prlvilégiés pour parvenir à l »accès à de nouveaux biens et services sont la gratuité dans la première démarche et le prêt dans la seconde. 6. La gratuité et le prêt La gratuité s »exprime à travers les programmes de santé, d »alimentation, d »éducation, etc. is en place par les philanthropes au bénéfice des populations démunies. Cependant, du point de vue de l’économie sociale, il est difficlle de ne pas souligner les ambiguités de cet investissement. Comment penser aboutir à l’émancipation des personnes si on ne les laisse as le pouvoir de décider de ce dont elles ont besoin, y compris et peut-être surtout en m PAGF 8 OF peut-être surtout en matière de biens fondamentaux ? Réaliser la double qualité c’est ni plus ni moins articuler l’action pour une population au pouvoir exercé par cette population.

En outre, la gratuité en provoquant la création d »une dette qui ne sera jamais réglée est un problème insurmontable en matière de développement. Lié à l »exercice du pouvoir, le bénéfice est du côté du créancier. Le donateur « est récompensé par le prestige public, l’honorabilité clvique, la reconnaissance des bénéficiaires t éventuellement une bénédiction spi ituelle pour sa conscience religieuse » (Jeanne 3. , Paillaud S, cité in Draperi, 2007, p. 157).

Dans l »idée du donateur, la dette contractée par le pauvre est ad vitam, le crédit escompté par le riche est aeternam. En réalité, c’est plutôt le contraire : la dette se transmet alors que la reconnaissance ne survit pas à l »homme. Le prêt est l »activité principale du microcrédit. Le microcrédit permet avant tout aux très pauvres d »échapper aux usuriers. Plus de la moitié des très pauvres – et jusqu’à 70 % dans plusieurs pays andins – sont à leur compte et endettés.

Cette situation classique dans les pays pauvres ou « peu développés » s’étend : la France permet également aux pauvres de s’installer dans la précarité en devenant entrepreneur avec le statut de micro entreprise. Le microcrédit est également un levier pour engager un programme de formation ou mettre en place de nouvelles activités. Cependant les taux du microcrédit sont généralement encore sup Ajoutons qu’il existe une grande diversité de microcrédits. Par exemple, la banque de Palmas – et de la monnaie du même nom – au Brésil par Joachlm Melo, est détenue par la communauté des habitants (J.

Me10, 2009). J. Melo rejoint la principale critique de l »économie sociale à l’encontre d »autres formes du micro crédit : l’accès au crédit est bénéfique s »il est administré par les bénéficiaires et généralement quand il s »articule à une épargne (qui le précède ou qui en résulte), faute de quoi il entretient l’endettement et la dépendance (A. Chomel, 1999). Une situation largement partagée par les pauvres du nord comme du sud. Initiateurs Ressources Partenaires Multinationales Fondations Universités Grandes écoles Acteurs Marché Moyen principal Entrepreneurs sociaux Exclus Pauvres Environnement