Le crescendo rossinien

L’œuvre de Gioacchino Rossini (1792-1868) pour le théâtre lyrique représente le témoignage direct de la personnalité de l’artiste et du monde sonore dans lequel il a évolué. Sa production opératique, qui constitue le centre de sa réalisation musicale, est à la fois tournée vers le XVIIIe siècle et ouvre en même temps les portes du siècle suivant en établissant les bases de l’opéra italien tel qu’il allait se développer jusqu’à Verdi.

Des quarante opéras dont il est l’auteur, nombreux sont ceux qui ont ouvert la voix ? une nouvelle concep qui se succèderont. L or20 Slgnature musicale q ui • u personnage sans tel est l’image que l’a t les compositeurs side dans une flète un caractère i-ci, Rossini-l? Ile, donnera durant 19 années, le temps de composer, dans une boulimie de travail, l’essentiel de ses opéras, avant de terminer sa vie par une longue retraire de quarante années.

Plusieurs caractéristiques musicales permettent d’identifier le sceau du compositeur. Ces marques d’écriture sont présentent ? différents moments d’un opéra. Mais il est un instant particulier, où Rosslni donne une ampleur unique au spectacle, élevant à son climax la complexité de l’écriture : l’instant du Crescendo. e analyse des procédés d’écritures utilisés par le compositeur, et l’identification des effets scéniques recherchés, sont nécessaires pour éclairer le mécanisme éblouissant du crescendo rossinien, et ainsi justifier ce surnom qui, Swlpe to vlew next page qui, à l’époque du Théâtre-ltalien de Paris, désignait de manière péjorative le compositeur : « Il Signor Crescendo Ainsi, nous pouvons nous demander, en quoi, ce procédé musical est-il en lien direct avec le déroulement de l’action ?

Il sera intéressant de découvrir, dans un premier temps, la fidèle mage du compositeur que reflète l’effet crescendo, avant, dans un deuxième point, de faire une analyse musicale du procédé dans différentes ouvertures d’opéras pris dans le répertoire bouffe et sérieux. Enfin, nous étendrons cette analyse ? l’ensemble du déroulement d’un opera, pour mieux distinguer les moments stratégiques de son emploi par Rossini et son impact sur l’action. 1 . Le crescendo rossinien : image de son compositeur L’écriture de Rossini trouve très tôt sa plénitude d’accomplissement.

En témoigne la rapidité de composition de ses quarante opéras : à 18, et en seulement 19 années, le ? Rossini pressé »1 aura achevé quasiment la totalité de sa production pour le théâtre lyrique. Cette facilité d’écriture est justifiée par un tempérament complexe, qui varie entre une intense boulimie de travail, et une forte tendance à la paresse. A cette précoce fécondité, s’accompagne plusieurs innovations musicales qui dont s’habillent les futurs chefs-d’œuvre qui sont à l’ouvrage.

Successeur de Cimarosa (mort en 1801) et Paisiello (mort en 181 6), les premières productions de Rossini se fondent ? la suite du style de l’opéra buffa dont ces deux compositeurs sont passés maitres en la matière2. Mais dès le début, transparait son sens de la construction des longs ensembles, ainsi que sont goût du leitmotiv. De plus, l’orchestre s OF construction des longs ensembles, ainsi que sont goût du leitmotiv. De plus, l’orchestre semble prendre une place prépondérante, ou du moins, son rôle est amplifié et valorisé.

C’est ainsi que, dès 1810, « La Cambiale di matrimonio » anticipe déjà sur les futurs grands opéras qui retiennent encore notre attention aujourd’hui. Ce fort intérêt pour l’orchestre provient, sans nul doute, de la découverte, très jeune, des partitions de Haydn et de Mozart. Ainsi, l’attention rigoureuse qu’il accorde au rôle de l’orchestre dans ses opéras sera le premier phénomène créateur du crescendo. Il est donc tout naturel de penser que le génie du compositeur allemand est en partie à l’origine de ce mécanisme pourtant si particulier à Rossini.

Rossini s’est imprlmé dune partie de la science de l’harmonie de Mozart, et y a ajouté la vivacité et la nervosité du style napolitain. C’est cela qui fait dire à Stendhal : « la durée de la réputation de Mozart a un bonheur, c’est que sa musique et celle de Rossini ne s’adresse pas aux mêmes personnes »3. De ce fait, le crescendo de Rossini dresse un portrait fidèle de son auteur, par la jubilation naturelle et la fureur tourbillonnante qui ressortent de cette dynamique croissante.

C’est de cela qu’est imprégné le crescendo, de cette musique électrique et lumineuse. Stendhal n’hésite pas à accentuer cette dominance comique chez Rossini : « Mozart n’a, je crois, été gai que deux fois dans sa vie ; c’est dans Don Juan, lorsque Leporello engage à souper la statue du commandeur, et dans Cosi fan tutte ; c’est justement aussi souvent que Rossini a été mélancolique »4. Or Mozart, en démontrant, par ses Noces de ustement aussi souvent que Rossini a été mélancolique »4.

Or Mozart, en démontrant, par ses Noces de Figaro, la possibilité de sortir des formules rigides que l’opéra italien avait continué ? imposer, est bien en partie à l’origine du changement qu’a engagé Rossini. En effet, et nous le verrons lors d’une analyse plus précise du crescendo dans les opéras du compositeur, la richesse et l’originalité de Rossini a été d’effectuer une véritable « réforme de l’opéra », qui se concrétise, entre autres, par l’introduction du crescendo généré par un rôle très accru de l’orchestre et du chœur.

L’abandon définitif du recitativo secco au profit du recitativo obligato, le développement des longues scènes articulées et des ensembles au détriment des arias solistes, enfin l’écriture moins virtuose et mieux appuyée sur la richesse du medium des voix, ont entraîné un bouleversement au sein de la classification de l’époque en opéra buffa, opéra seria, transportant notamment dans ce dernier tous les atouts et techniques de la comédie. Fort de ces nouveautés d’écriture, Rossini, trouve, dans le crescendo, un excellent moyen de synthétiser ses richesses musicales, tout en les faisant coïncider avec le livret.

IJne véritable mise en abîme du sujet est opérée. Il est le reflet d’un personnage hors du commun, caractérisé par sa rapidité de composition et sa facilité exceptionnelle d’écriture. Le tempérament enjoué et vif du compositeur trouve son équivalent musical dans ce mécanisme explosif dont nous allons analyser la construction dans divers opéras. 2. L’éclat du crescendo dans l’ouverture 2. 1. L’opéra buffa Les sept premières années de production d’opéras de Rossini, sont orientées vers le genre comique. Ainsi, de 1810 à 181 7, le compositeur écrit l’essentiel de ses opéras bouffes, le dernier ?tant Cenerentola.

Les opéras bouffes de Rossini, fruits de la première période de sa production donc, se situent dans la continuité de l’écriture musicale des prédécesseurs du réformiste. Couverture notamment, jouit toujours d’une ossature en deux mouvements distincts : un premier mouvement lent est marqué par une suspension de la dynamique générale entraînant une attente de la part des spectateurs, puis un second mouvement est reconnaissable à son allure rapide et énergique et ses deux thèmes à partir desquels se développe le crescendo.

L’originalité de notre « Il Signor crescendo » est de développer, ? l’intérieur de cette seconde partie, un double crescendo. La première phase du crescendo reprend un peu l’idée de suspension du premier mouvement de l’ouverture, jouant sur l’excitation du spectateur et sa surprise face à l’interruption soudaine de cette gradation progressive devant naturellement mener la musique vers un éclat triomphal. La deuxième phase du crescendo, reprend la première pour la prolonger jusqu’à son climax musical, marqué par une nuance fortissimo et un tutti de l’orchestre.

Le crescendo est à son comble et la musique aussi. Ce crescendo final clôt l’ouverture. Le crescendo apparaît donc dès l’ouverture, et cela comme pour montrer d’emblée, la sgnature du compositeur de ce chef- d’œuvre que vont entendre et voir les spectateurs. PAGF s OF signature du compositeur de ce chef-d’œuvre que vont entendre et voir les spectateurs. Il faut donc noter que, par cet effet crescendo, Rossini s’adresse à la fois à Popéra et au livret, comme nous le verrons par la suite, mais également au public, en leur présentant un signe personnel.

De plus, le crescendo joue beaucoup sur l’émotion du public. Nous voyons là un premier effet recherché par le compositeur, et qui est toujours d’actualité. En effet, dès le début de l’opéra, tel un Mozart, Rossini, annonce l’évolution de l’intrigue grâce à l’effet de ce crescendo. II crée une tension par cette montée en puissance et cet arrêt brutal, avant d’annihiler toute pression, par l’atteinte du sommet du crescendo et la résolution de la cadence.

Lors de la création du Barbier de Séville en 1816, Stendhal nous précise que « l’ouverture amusa beaucoup à Rome ; on y vit ou l’ont cru y voir les gronderies du vieux tuteur amoureux et jaloux, et les gémissements de la pupille « 5. Cet opéra, dont Rossini écrit la musique en seulement reize jours, sera très vite adopté par les français et deviendra un chef-d’œuvre de référence. Musicalement, le crescendo résulte de l’utilisation de plusieurs traits spécifiques de l’écriture musicale.

Le compositeur, construit son mecanisme à partir d’une mélodie simple telle qu’on peut la trouver dans l’ouverture du Barbier de Séville : Il s’agit ici du deuxième thème qui sert de support mélodique pour déclencher les mécanismes du crescendo. La mélodie est successivement répétée trois fois, permettant au compositeur de mettre en place un crescendo de nuances (du pianissimo au fortissimo, en prenant ompositeur de mettre en place un crescendo de nuances (du pianissimo au fortissimo, en prenant le soin de noter « cresc. poco a poco et une adjonction progressives d’instruments : une première fois, les flûte et violons jouent la mélodie pendant que le basson accompagne par un rythme obstiné de croches oscillant entre la dominante (ré) et la tonique (sol) ; puis une deuxième fois, l’ensemble des cordes se rajoute en plus des bois, avant une troisième phrase augmentée des vents. C’est alors que la répétition passe maitre dans l’art de ce crescendo, puisque la quatrième mesure de ce thème est répétée plusieurs fois pour rriver fortissimo.

Rossini utilise le procédé du raccourci pour, petit à petit ne retenir qu’une bribe très courte de la mélodie de départ et terminer sur l’harmonie fondamentale : I-IV-V-V- l. Répété en accords, tel une cadence, le crescendo est bientôt interrompu volontairement, déclenchant alors un effet de surprise. Ce n’est qu’à la deuxième reprise du crescendo, que la cadence finale sera menée jusqu’ à son terme.

Un autre exemple dans le répertoire de ropéra bouffe de Rossini est incontestablement l’ouverture de l’Italienne à Alger (1 813), opéra dans lequel le compositeur a rassemblé un panel omplet des caractéristiques de son écriture : notes répétées, onomatopées, et bien sûr le crescendo. Nous retrouvons toujours ce double crescendo, construit sur un rythme régulier de croches, permettant ainsi au compositeur, de faire progressivement rentrer les instruments dans un flot sonore continu.

Les hautbois et clarinettes, accompagnés des cordes, dessinent une mélodie entièrement conjointe, pendant qu 7 OF clarinettes, accompagnés des cordes, dessinent une mélodie entièrement conjointe, pendant que les violoncelles et contrebasses scandent un enchainement tonique-dominante tel ue nous l’avons rencontré dans l’extrait du Barbier de Séville. Rossini ajoute souvent un jeu en piqué, ou en pizzicati pour accentuer la nuance piano et le contraste entre les différentes évolutions du crescendo. Viennent ensuite s’ajouter les flûtes alors que le basson renforce la pédale tonique/dominante.

Une deuxième phrase, caractérisée par son rythme dactylique permanent, accentuant la dynamique, est jouée fortissimo. Enfin, une troisième phrase conclue sur une succession des degrés I-IV- v-v-l. Nous retrouvons ainsi les mêmes procédés musicaux utilisés pour des crescendo de différents opéras. A ceux-ci, l’ouverture de La Cenerentola ajoute l’emploi fréquent d’un rythme familier de Rossini, qui illustre bien la vivacité et la frénésie voulue par le compositeur De même, la répétition de notes en doubles croches aux cordes amplifie le crescendo. 2. 2.

L’opéra séria La vitalité et Vénergie déployé dans un crescendo rossinien peut nous inviter à penser que cette technique n’est réservée qu’à l’opéra bouffa. Le faste de ce mécanisme musical colore la partition, il est vrai, d’un ton tout à fait enjoué et presque festif. Mais, nous l’avons dit précédemment, les innovations de Rossini ans le genre opératique, sont aussi très perceptibles dans l’opéra seria. De ce fait, le crescendo n’a pas de frontière ; et son auteur étend sa « marque de fabri ue » dans tous les styles de sa musique du théâtre lyriqu PAGF 8 OF tous les styles de sa musique du théâtre lyrique.

Un des exemples marquants de la longue série des opéras de style seria composés par Rossini, est Ermione, opera seria napolitain composé en 1819. La symphonie qui ouvre cet opéra rompt avec les schémas d’usage que nous avions décrits précédemment : un discours d’ordinaire établi dans un andante et n allegro bithématique y est, en effet, brisé par les inteNentions du chœur qui, en coulisse, pleure la destruction de la grandeur de Troie : « Troja ! qual fosti un di ! Di te che resta ancor ? » (Troie !

Tu fus si belle ! De toi que reste-t-il ? ). Le double crescendo, bien présent dans cette ouverture, suit les mêmes techniques musicales que dans l’opéra bouffe. L’effet de cassure lors du premier crescendo est accentué par ces deux interventions soudaines du chœur qui, quelque part, rappellent le sujet grave dont traite cette tragédie inspirée de l’Andromaque de Racine. Le crescendo naît d’une mélodie de cinq notes conjointes, introduites par un thème frétillant en sol majeur, joué par la clarinette.

De ce thème, Rossini retient cette petite montée tonale sur laquelle chaque instrument viendra s’appuyer créant un crescendo « poco a poco » : Une autre ouverture d’un opéra de style seria illustre parfaitement cette force du crescendo présente de la même manière que dans l’opéra buffa. II s’agit de Vœuvre intitulée Armida, appartenant aux neuf opéras, dont Ermiane, destinés au public napolitain sur la base du contrat qui Iia durant ept années le compositeur à l’imprésario Barbaja. Armida précède de deux ans la création d’Ermione.

Il s’lnscrit donc dans la même année de composition PAGF OF Armida précède de deux ans la création d’Ermione. Il s’inscrit donc dans la même année de composition du Barbier de Séville. Rossini applique à cet opéra séria le même procédé d’écriture de son crescendo que celui du « Barbier alors que l’argument de cet opéra diffère totalement, de part sa source (le sujet provient du Tasso) et sa nature : le compositeur traite d’un sujet de nature fantastique, centré sur l’un des personnages les plus fascinants e la Jérusalem libérée du Tasso (Gerusalemme Liberata -1581).

Il n’est pas le premier à traiter ce sujet en musique puisque la longue liste (près de cent opéras et ballets) des artistes détant emparés de l’histoire remonte à Monteverdi en 1627 (citons entre autre, Lully, Jommelle, Gluck, Haydn)6. Mais Rossini teinte ce thème historique de sa personnalité musicale endiablée, se référant à la tradition napolitaine. Cela amène le journal des Deux Siciles à faire commenter : « Rossini s’applique à vêtir l’Armida de monsieur Schmidt [le librettiste, poète des Théâtres Royaux] de usique originale ; et Rossini, lorsqu’il le veut, peut et sait être original »7.

L’originalité se trouve dès l’ouverture, lors de laquelle on peut entendre deux paysages musicaux différents mais évoluant en même temps. Un premier aspect musical est caractérisé par une marche grave et dénuée de tout espoir, jouée par les vents (trombones, cors) et les percussions qui martèlent un roulement de tambour militaire. une autre partie rompt totalement avec le caractère funèbre décrit précédemment : un thème de tonalité majeure est joué par les violons et flûtes qui laissent éclater un caractère jubilatoire accentué pa