L’ère du vide

Mais plus de vide gagne. Le narcissism l’individualisme: 9 Swipe p nelle, l’obsession du t, plus le sentiment stade de À coup sûr, tout ne date pas d’aujourd’hui. Depuis des siècles, les sociétés modernes ont inventé l’idéologie de Pindividu libre, autonome et semblable aux autres. Parallèlement, ou avec d’inévitables décalages historiques, s’est mise en place une économie libre fondée sur l’entrepreneur indépendant et le marché, de même que des régimes démocratiques.

Cela étant, dans la vie quotidienne, le mode de vie, la sexualité, l’individualisme jusqu’à une date récente s’est trouvé barré dans son expansion par des fait sauter les dernières barrières (Lipovetsky, p. 35-36). Finis les grands métarécits. La société postmoderne se caractérise ar l’incroyance et le néo-nihilisme. L’individualisme hédoniste et personnalisé est la conséquence de l’échec ou du collapse des grands mythes révolutionnaires. L’affaiblissement des croyances révolutionnaires efface les idéologies au profit d’un vide comblé uniquement par des jouissances matérielles.

Plus de grands projets messianiques. Nombreux sont également les écrivains qui Insistent sur la pénurie idéologique de notre époque actuelle. Ainsi, Michel Houellebecq, dans ses romans, illustre-t-il parfaitement les théories soutenues par Lipovetsky concernant l’avènement de l’individualisme moderne: arcissique, apathique, égo-lSte et Indifférent. L’individualisme narcissique est une réaction aux déceptions et aux frustrations engendrées par les grandes mobilisations idéologiques et utopiques.

Houellebecq, lui aussi, signale sans cesse le déclin idéologique systèmes occidentaux. Houellebecq est un des pr 2 9 rs français du moment. Il aveugles, Je pense au pourrissement prochain de mon corps Je pense également et symétriquement, quoique de manière plus imprécise, au pourrissement et au déclin de l’Europe (Houellebecq, Poésies, p. e thème de la disparition d’une civilisation règne sur les lettres. Houellebecq est d’avis que notre époque raconte une étrange fable: celle d’une société entièrement vouée à l’hédonisme, dans laquelle tout devient irritation et supplice.

II nous décrit une société veule et cynlque uniquement préoccupée par l’argent, le sexe et le pouvoir. On retrouve chez lui cette idée d’une civilisation parvenue à son déclin par épuisement. Ainsi le narrateur d’Extension du domaine de la lutte, informaticien désabusé, refuse-t-il une société qu’il vomit: «Je n’aime pas ce monde. Décidément, je ne l’aime pas. La société dans laquelle je is me dégoûte; la publicité m’écœure; l’informatique me fait vomir» (p. 82).

Houellebecq se montre un adversaire résolu de notre société de consommation qui fait de l’homme un robot conditionné, un atome solitaire et il tient un discours alarmiste stigmatisant la faillite des valeurs. À l’ouverture des Particules élémentaires, le narrateur- clone constate par exemple: «Les sentiments d’amour, de tendresse et de fraternité humaine avaient dans une large mesure disparu; dans leurs lg que le narrateur compare à un poisson indolent qui sort de temps temps de l’eau pour happer l’air, se sent-il tout au long du roman séparé du monde par quelques centimètres de vide» (p. 08) et narrateur dExtension du domaine de la lutte s’accorde entièrement avec les diatribes de la petite Catherine du ministère de l’AgricuIture: chacun fait ce qu’il veut dans son coin sans s’occuper des autres, il n’y a pas d’entente, il n’y a pas de projet général, il n’y a pas d’harmonie, Paris est une ville atroce, les gens ne se rencontrent pas, ils ne s’intéressent même pas à leur travail, tout est superficiel » (p. 27). Aux yeux des héros de Houellebecq, l’homme est en effet une particule solitaire, égaré dans un monde sans repères:

Vous avez l’impression que vous pouvez vous rouler par terre, vous taillader les veines à coups de rasoir ou vous masturber dans le métro, personne n’y prêtera attention; personne ne fera un geste. Comme si vous étiez protégé du monde par une pellicule transparente, Inviolable, parfaite (Houellebecq, 1998: p. 99). Les romans de Houellebecq portent tous sur l’absence de tout engagement aujourd’hui. Il veut montrer la dégradation de l’être moral dans notre société capitaliste moderne.

Ses personnages sont tous très mal dans leur peau. Bruno des Particules élémentaires finit par être interné dans un hôpital ps es pulsions sexuelles 4 OF lg Lanzarote mène une vie morne et solitaire. Tous les romans se terminent par un échec. À chaque fois, il s’agit d’une course l’Apocalypse et il semble qu’il n’y a aucun moyen de s’en tirer. Houellebecq peint l’indifférence et le néant qui seraient symptomatiques de l’âme contemporaine.

La décrépitude et la décadence de l’Europe contemporaine sont au cœur de ses récits pleins de visions apocalyptiques. Mais, il n’est pas le seul à fantasmer la faillite de notre société contemporaine. Pascal Bruckner dans L’Euphorie perpétuelle. Essais sur le devoir du bonheur, s’en prend galement aux impasses actuelles de l’économie de marché et de l’individualisme. Selon lui aussi notre société serait uniquement dominée par le culte de consommation, des loisirs et du plaisir. ar devoir du bonheur, j’entends donc cette idéologie propre à la deuxième moitié du XXe siècle et qui pousse à tout évaluer sous l’angle du plaisir et du désagrément, cette assignation à l’euphorie qui rejette dans la honte ou le malaise ceux qui n’y souscrivent pas (Bruckner: p. 17). 87 De même que Houellebecq, Bruckner désigne comme principaux responsables de la dépression contemporaine, le libéralisme et le apitalisme concomitant, l’individualisme et le mouvement de libération de mai 68. L’utopie du libéralisme est morte.

Chez Houellebecq, la liberté est défigurée par les iniustice la violence. Selon son essai sur Lovecraft, Houellebecq insiste sur la nocivité du libéralisme tant économique que sexuel: Le cap talisme libéral a étendu son emprise sur les consciences; marchant de pair avec lui sont advenus le mercantilisme, la publicité, le culte absurde et ricanant de l’efficacité économique, l’appétit exclusif immodéré pour les richesses matérielles. Pire encore, le libéralisme s’est tendu du domaine économique au domaine sexuel. Toutes les fictions sentimentales ont volé en éclats.

La pureté, la chasteté, la fidélité, décence sont devenues des stigmates ridicules. La valeur d’un être humain se mesure aujourd’hui par son efficacité économique et son potentiel érotique: soit, très exactement, les deux choses que Lovecraft détestait le plus fort (p. 144). Houellebecq présente sans cesse l’idée d’un monde où tous les critères s’en vont à vau-reau et où les hommes ne seraient plus retenus par aucune croyance ou disposition de nature morale: «Dans la plupart es circonstances de ma vie, j’ai été à peu près aussi libre qu’un aspirateur», constate Michel dans Plateforme (p. 9). Le capitalisme libéral est définitivement condamné par ses propres excès. Il est malade, très malade selon Houellebec l’individualisme compétitif 6 OF lg lique à discréditer ‘économie de marché. piquant de constater que cette libération sexuelle a parfois été présentée sous la forme d’un rêve communautaire, alors qu’il s’agissait en réalité d’un nouveau palier dans la montée historique de l’individualisme.

Comme l’indique le beau mot de « ménage », le couple et la famille eprésentaient le dernier îlot de communisme primitif au sein de la société libérale. La libération sexuelle eut pour effet la destruction de ces communautés intermédiaires, les dernières à séparer l’individu du marché. Ce processus de destruction se poursuit de nos jours (Houellebecq, 1998: p. 144). 88 L’ère du vide Houellebecq se présente comme un anti-soixante huitard, convaincu que l’Occident a dégénéré parce que les valeurs traditionnelles se perdent.

Cette prise de position anti-libertaire domine également premier roman Extension du domaine de la lutte: «Tout comme ibéralisme économique sans frein, et pour des raisons analogues, libéralisme sexuel produit des phénomènes de paupérisation absolue», constate le narrateur désabusé (p. 100). Selon Houellebecq, c’est depuis les années 60 que la société occidentale s’enfonce dans la décadence sociologique et morale. L’extension raduelle du marché de la séduction, souffre présentement.

L’auteur se complait à proclamer une réaction néo-conservatrice et plaide pour de aménagements au libéralisme tant économique que sexuel. Seuls un retour aux normes et valeurs traditionnelles (femme au foyer, restauration de la famille et de la eligion comme pierres angulaires de la société) et une croyance infinie en l’importance de la science et de la technique pour l’amélioration de l’espèce humaine peuvent sauver notre société expirante. Houellebecq est réactionnaire. Il n’est pas surprenant que sa critique ait éveillé dans les milieux extrémistes de droite un favorable écho.

Dans Les Particules élémentaires, Houellebecq stipule que pour lutter contre la tendance irréversible au déclin, il n’est qu’un seul recours: la science. Dans Rester vivant, il avait déjà expliqué à ce propos: L’Occident, pour moi, est une entité qui disparaît, mais sa isparition est plutôt une bonne chose. Son rôle historique est fini. Cela ne veut pas dire que je sache ce qui va en résulter. Je décris une phase du déclin, mais sans percevoir ce déclin comme tragique. C’est juste tragique pour les individus, pas pour l’histoire de l’humanité.

Parallèlement à ce déclin, l’influence technique reste vive, car la science est une chose puissante et intelligente, et intéressante en soi. À mon avis, l’Occident ne produit plus rien d’intéressant que sa science de uis longtemps (Houellebecq 1997: p. 11-12). BOF lg essentiellement périphérique de l’être humain. Il s’inscrit dans la lignée des auteurs de hard science qui essaient de développer des crédibles à partir des données scientifiques du moment. L’humanité doit disparaître; elle doit donner naissance à une nouvelle espèce.

Telle est du 89 moins la proposition formulée par Hubczejak à la fin des élémentaires. Il se montre un fervent partisan de l’eugénisme scientifique dont l’objet, selon lui, doit être d’améliorer la race. Il espère ainsi apporter à l’humanité Himmortalité physique et dépasser le concept de liberté individuelle puisque, selon lui, Findividualité génétique est ource de la plus grande partie de nos malheurs. Or, l’utopie apocalyptique qui clôt Les Particules élémentaires, abonde en éléments ironiques et satiriques qui sont autant d’indices signalant le caractère irréel de la construction utopique.

La démonstration scientifique philosophique de Michel est tout à fait burlesque. Il puise ses idées dans un catalogue 3 Suisses et dans Les Dernières Nouvelles de Monoprix. Le projet de Michel nous apparaît avant tout comme caractéristique l’imagination déséquilibrée dont il fait reuve tout au long du roman. de la peau, on offre, dans l’économie des plaisirs, des sensations rotiques nouvelles et presque inouïes. En fin de compte, Houellebecq, remplace l’homo economicus et non pas l’homo sexualis comme tout cela cynique.

En outre, Michel envisage l’installation future du matriarcat. Il veut la communauté des femmes (Demain sera féminin), mais personnages féminins des Particules élémentaires ne répondent guere a son idéal d’altruisme et de généreuse spontanéité. Christiane désire la mort de son fils pour se sentir plus libre, Janine, la mère de Bruno Michel, abandonne ses enfants et la destinée d’Anabelle prouve que la tentative révolutionnaire de Mai 68 a échoue; elle est une victime ibération sexuelle.