Oeuvres Rimbaud

Le vent rafraîchissant, c’est-à-dire une brise fraîche, agitait les feuilles des arbres avec un bruissement à peu près semblable à celui que faisait le bruit des eaux argentées du ruisseau qui coulait à mes pieds. Les fougères courbaient leur front vert devant le vent. Je m’endormis, non sans m’être abreuvé de l’eau du rulsseau. Je rêvai que… j’étais né à Reims, l’an 1503. Reims était alors une petite ville ou, pour mieux dire, un bourg cependant renommé à cause de sa belle cathédrale, témoin du sacre du roi Clovis. rovenant des économies de ma mère. Mon père était officier dans les armées du roi. C’était un homme grand, maigre, chevelure noire, barbe, yeux, peau de même couleur… Quoiqu’il n’eût guère, quand j’étais né, que 48 ou 50 ans, on lui en aurait certainement bien donné 60 ou… 58. Il était d’un caractère vif, bouillant, souvent en colère et ne voulant rien souffrir qui lui déplût. Ma mère était bien différente: femme douce, calme, s’effrayant de peu de chose, et cependant tenant la maison dans un ordre parfait.

Elle était si calme que mon père l’amusait comme une jeune demoiselle. J’étais le plus aimé. Mes frères étaient moins vaillants que moi et cependant plus grands. J’aimais peu l’étude, c’est-à-dire dapprendre à lire, écrire et compter… Mais si c’était pour arranger une maison, cultiver un jardin, faire des commissions, à la bonne heure, je me plaisais à cela. Je me rappelle qu’un jour mon père m’avait promis vingt sous, si je lui faisais bien une division; je commençai; mais je ne pus finir. Ah! combien de fois ne m’a-t-il pas promis… e sous, des jouets, des friandises, même une fois cinq francs, si je pouvais lui… lire quelque chose… Malgré cela, mon père me mit en classe dès que j’eus dix ans. Pourquoi – me disais- je – apprendre du grec, du latin? e ne le sais. Enfin, on n’a pas besoin de cela. Que m’importe à moi que je sois reçu… à quoi cela sert-il d’être reçu, rien, n’est-ce pas? Si, pourtant,’ on dit qu’on n’a une place que lorsqu’on est reçu. Moi, je ne veux pas de place; je serai rentier. Quand mêm it une, pourquoi ap 2 187 reçu.

Moi, je ne veux pas de place; je serai rentier. Quand même on en voudrait une, pourquoi apprendre le latin? Personne ne parle cette langue. Quelquefois j’en vois sur les journaux; mais, dieu merci, je ne serai pas journaliste. Pourquoi apprendre et de l’histoire et de la géographie? On a, il est vrai, besoin e savoir que Paris est en France, mais on ne demande pas à quel degré de latitude. De l’histoire, apprendre la vie de Chinaldon, de Nabopolassar, de Darius, de Cyrus, et d’Alexandre, et de leurs autres compères remarquables par leurs noms diaboliques, est un supplice?

Que m’importe à moi qu’Alexandre ait été célèbre? Que m’importe… Que sait-on si les latins ont existé? Cest peut-être quelque langue forgée; et quand même ils auraient existé, qu’ils me laissent rentier et conservent leur langue pour eux. Quel mal leur ai-je fait pour qu’ils me flanquent au supplice? Passons au grec… Cette sale langue n’est arlée par personne, personne au monde!.. Ah! saperlipotte de saperlipopette! sapristi! moi je serai rentier; il ne fait pas si bon de s’user les culottes sur les bancs, saperlipopettouille!

Pour être décrotteur, gagner la place de décrotteur, il faut passer un examen; car les places qui vous sont accordées sont d’être ou décrotteur, ou porcher, ou bouvier. Dieu merci, je n’en veux pas, moi, saperlipouille! Avec ça des soufflets vous sont accordés pour récompense; on vous appelle animal, ce qui n’est pas vrai, bout d’homme, etc… Ahl saperpouillotte!… La suite prochainement. Arthur. 3 87 saperpouillotte!… Charles d’Orléans à Louis XI Sire, le temps a laissé son manteau de pluie; les fouriers d’été sont venus: donnons l’huys au visage à Mérencolie! Vivent les lays et ballades! oralités et joyeulsetés! Que les clercs de la basoche nous montent les folles soties: allons ouyr la moralité du Bien-Advisé et Maladvisé, et la conversion du clerc Théophilus, et come alèrent à Rome Saint Pière et Saint Pol, et comment furent martirez! Vivent les dames à rebrassés collets, portant atours et broderyes! N’est-ce pas, Sire, qu’il fait bon dire sous les arbres, quand les cieux sont vêtus de bleu, uand le soleil cler luit, les doux rondeaux, les ballades haut et cler chantées? J’ai ung arbre de la plante d’amours, ou Une fois me dites ouy, ma dame, ou Riche amoureux a toujours l’advantage…

Mais me voilà bien esbaudi, Sire, et vous allez l’être comme moi: Maistre François Villon, le bon folastre, le gentil raillart qui rima tout cela, engrillonné, nourri d’une miche et d’eau, pleure et se lamente maintenant au fond du Châtelet! Pendu serez! lui a-t-on dit devant notaire: et le pauvre folet tout transi a fait son épitaphe pour lui et ses compagnons: et les gratieux gallans dont vous aimez tant les imes, s’attendent danser Montfaulcon, plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre, dans la bruine et le soleil! Oh!

Sire, ce n’est pas pour folle plaisance qu’est là Villon! Pauvres housseurs ont assez de peine! Clergeons attendant leur nomination de l’Université, musards, montreurs de s 4 87 l’Université, musards, montreurs de synges, joueurs de rebec qui payent leur escot en chansons, chevaucheurs d’escuryes, sires de deux écus, reitres cachant leur nez en pots d’étain mieux qu’en casques de guerre; tous ces pauvres enfants secs et noirs comme escouvillons, qui ne voient de pain qu’aux fenêtres, que Ihiver emmitoufle d’onglée, ont choisi maistre François pour mère nourricière!

Or nécessité fait gens méprendre, et faim saillir le loup du bois: peut-être l’Escollier, ung jour de famine, at-il pris des tripes au baquet des bouchers, pour les fricasser à l’Abreuvoir Popin ou à la taverne du Pestel? Peut-être a t-il pipé une douzaine de pains au boulanger, ou changé à la Pomme du Pin un broc d’eau claire pour un broc de vin de Bagneux? Peut-être, un soir de grande galle au Plat-d’Etain, a-t-il rossé le guet à son arrivée; ou les a-t-on surpris, autour de Montfaulcon, dans un souper conquis par noise, avec une dixaine e ribaudes?

Ce sont les méfaits de maistre François! Parce qu’il nous montre ung gras chanoine mignonnant avec sa dame en chambre bien nattée, parce qu’il dit que le chappelain n’a cure de confesser, sinon chambrières et dames, et qu’il conseille aux dévotes, par bonne mocque, parler contemplation sous les courtines, l’escollier fol, si bien riant, si bien chantant, gent comme esmerillon, tremble sous les griffes des grands juges, ces terribles oiseaux noirs que suivent corbeaux et pies!

Lui et ses compagnons, pauvres piteux! accrocheront un nouveau chapelet de pendus aux bras de la forêt: le vent leur fera chandeaux dans e doux feuill S 87 nouveau chapelet le doux feuillage sonore: et vous, Sire, et tous ceux qui aiment le poète ne pourront rire qu’en pleurs en lisant ses joyeuses ballades: ils songeront qu’ils ont laissé mourir le gentil clerc qui chantait si follement, et ne pourront chasser Mérencolie!

Pipeur, larron, maistre François est pourtant le meilleur fils du monde: il rit des grasses souppes jacobines: mais il honore ce qu’a honoré l’église de Dieu, et madame la vierge, et la très sainte trinité! Il honore la Cour de Parlement, mère des bons, et soeur des benoitz anges; aux médisants du royaume de France, il veut presque utant de mal qu’aux taverniers qui brouillent le Vin. Et dea! Il sait bien qu’il a trop gallé au temps de sa jeunesse folle!

L’hiver, les soirs de famine, auprès de la fontaine Maubuay ou dans quelque piscine ruinée, assis croppetons devant petit feu de chenevottes, qui flambe par instants pour rougir sa face maigre, il songe qu’il aurait maison et couche molle, s’il eût estudié!… Souvent, noir et flou comme chevaucheur d’escovettes, il regarde dans les logis par des mortaises: « – O, ces morceaulx savoureux et frians! ces tartes, ces flans, ces gelines dorées! – je suis plus affamé que Tantalus! – Du rosit! u rost! – Oh! cela sent plus doux qu’ambre et civettes! Du vin de Beaulne clans de grandes aiguières d’argent! – Haro! la gorge m’ard!… O, si j’eusse estudié!… – Et mes chausses qui tirent la langue, et ma hucque qui ouvre toutes ses fenêtres, et mon feautre en dents de scie! – Si ‘e renc et ma hucque qui ouvre toutes ses fenêtres, et mon feautre en dents de scie! – Si je rencontrais un piteux Alexander, pour que je puisse, bien recueilli, bien débouté, chanter à mon aise comme Orpheus le doux ménétrier! Si je pouvais vivre en honneur une fois avant que de mourir!… Mais, voilà: souper de rondeaux ‘effets de lune sur les vieux toits, d’effets de lanternes sur le sol, c’est très maigre, très maigre; puis passent, en justes cottes, les mignottes villotières qui font chosettes mignardes pour attirer les passants; puis le regret des tavernes flamboyantes, pleines du cri des buveurs heurtant les pots d’étain et souvent les flamberges, du ricanement des ribaudes, et du chant aspre des rebecs mendiants; le regret des vieilles ruelles noires où saillent follement, pour s’embrasser, des étages de maisons et des poutres énormes; où, dans la nuit épaisse, passent, avec des sons de rapières traînées, des rires et es braieries abominables… Et l’oiseau rentre au vieux nid: Tout aux tavernes et aux filles!… Oh! Sire, ne pouvoir mettre plumail au vent par ce temps de joie! La corde est bien triste en mai, quand tout chante, quand tout rit, quand le soleil rayonne sur les murs les plus lépreux! Pendus seront, pour une franche repeue!

Villon est aux mains de la Cour de Parlement: le corbel n’écoutera pas le petit oiseau! Sire, ce serait vraiment méfait de pendre ces gentils clercs: ces poètes-là, voyez-vous, ne sont pas d’ici-bas: laissez-les vivre leur vie étrange; laissez-les avoir froid et faim, laissez-les courir, aimer et chanter: ls sont aussi riches 87 ils sont aussi riches que Jacques Coeur, tous ces fois enfants, car ils ont des rimes plei l’âme, des rimes qui rient et qui pleurent, qui nous font rire ou pleurer: Laissez-les vivre: Dieu bénit tous les miséricords, et le monde bénit les poètes. (1870) Un Coeur sous une soutane – Intimités d’un séminariste. O Thimothina Labinette!

Aujourd’hui que j’ai revêtu la robe sacrée, je puis rappeler la passion, maintenant refroidie et dormant sous la soutane, qui l’an passé, fit battre mon coeur de jeune homme sous ma capote de séminariste!… 1er mai 18… Voici le printemps. Le plant de vigne de bourgeonne dans son pot de terre: l’arbre de la cour a de petites pousses tendres comme des gouttes vertes sur ses branches; l’autre jour, en sortant de l’étude, J’ai vu à la fenêtre du second quelque chose comme le champignon nasal du sup Les souliers de sentent un peu; et j’ai remarqué que les élèves sortent fort souvent pour… dans la cour; eux qui vivaient l’étude comme des taupes, rentassés, enfoncés dans leur ventre, tendant leur face rouge vers le poêle, avec une haleine épaisse et chaude comme celle des vaches!

Ils restent fort longtemps à l’air, maintenant, et, uand ils reviennent, ricanent, et referment l’isthme de leur pantalon fort minutieusement, non, je me trompe, fort lentement, – avec des manières, en semblant se complaire, machinalement, a cette opération qui n’a rien en soi que de très futile… 2 mai. 8 87 n’a rien en sol que de très futile… Le sup*** est descendu hier de sa chambre, et, en fermant les yeux, les mains cachées, craintif et frileux, il a traîné à quatre pas dans la cour ses pantoufles de chanoine!.. Voici mon coeur qui bat la mesure dans ma poitrine, et ma poitrine qui bat contre mon pupitre crasseux! Oh! je déteste maintenant le temps où les élèves taient comme de grosses brebis suant dans leurs habits sales, et dormaient dans l’atmosphère empuantie de l’étude, sous la lumière du gaz, dans la chaleur fade du poêle!… J’étends mes bras! e soupire, j’étends mes jambes… je sens des choses dans ma tête, oh! des choses!… 4 mai.. Tenez, hier, je n’y tenais plus: j’ai étendu, comme l’ange Gabriel, les ailes de mon coeur. Le souffle de l’esprit sacré a parcouru mon être! J’ai pris ma lyre, et j’ai chanté: Approchez-vous, Grande Mariel Mère chérie! Du doux Jhésus! Sanctus Christus! O vierge enceinte O mère sainte Exaucez-nous! 0! i vous saviez les effluves mystérieuses qui secouaient mon âme pendant que j’effeuillais cette rose poétique! je pris ma cithare, et comme le Psalmiste, j’élevai ma voix innocente et pure dans les célestes altitudes!!! O altitudo altitudinum!… 7 mai… Hélas!

Ma poésie a replié g 87 comme Galilée, le dirai, ramassée, le plus féroce des jansénistes, le plus rigoureux des séides du sup***, et l’a portée son maître, en secret; mais le monstre, pour me faire sombrer sous l’insulte universelle, avait fait passer ma poésie dans les mains de tous ses amis! Hier, le sup*** me mande: j’entre dans son appartement, je suis ebout devant lui, fort de mon intérieur. Sur son front chauve frissonnait comme un éclair furtif son dernier cheveu roux: ses yeux émergeaient de sa graisse, mais calmes, paisibles; son nez semblable à une batte était mû par son branle habituel: il chuchotait un oremus: il mouilla l’extrémité de son pouce, tourna quelques feuilles de livre, et sortit un petit papier crasseux, plié… Grananande Maarieie!… Mèèèree Chééérieie! Il ravalait ma poésie! il crachait sur ma rose! l faisait le Brid’oison, le Joseph, le bêtiot, pour salir, pour souiller ce chant virginal; Il bégayait et prolongeait haque syllabe avec un ricanement de haine concentré: et quand il fut arrivé au cinquième vers, Vierge enceininte! il s’arrêta, contourna sa nasale, et! il éclata! Vierge enceinte! Vierge enceinte! il disait cela avec un ton, en fronçant avec un frisson son abdomen proéminent, avec un ton si affreux, qu’une pudique rougeur couvrit mon front. Je tombai à genoux, les bras vers le plafond, et je m’écriai: O mon père!…