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ncipit L’Etranger d’Albert Camus C’est par l’incipit que le lecteur entre dans un roman et celui- ci occupe trois fonctions essentielles : informer le lecteur, l’intéresser mais aussi instaurer un pacte de lecture.

L’incipit, ou plus précisément la première phrase de L’étranger d’Albert Camus publié en 1940 est une phrase célèbre : «Aujourd’hui, maman est morte Célèbre sans doute par l’étrange chois que de commencer un roman par un aussi sinistre événement, mais également parce qu’elle donne immédiatement le ton de l’œuvre, et qu’elle nous fait d’emblée entrer dans cette technique arrative si particulière, entre le récit et le discours. En quoi cette plongée dans l’intériorité du narrateur est elle également une plongée dans une no chercherons donc a c saisi le lecteur a la pr ièr_,.

Ripe next page implications dans la c Meursault. Un incipit qui crée un certain malaise a)La découverte d’une intériorité anesque ? Nous u malaise certain qui out a en déduire les age ambigu qu’est On peut remarquer l’omniprésence du «Je», choix des marqueurs temporels « aujourd’hui »l. l, « hier »l. l, « demain »1. 2, « dans l’après-midi »1. 5, « demain soir »l. : tendent vers le journal intime. Ce ShAipe to Wew next page Cependant, nous n’en avons pas les Indices traditionnels (écriture sous forme de notes, indications de lieu et d’heure de l’écriture).

Néanmoins, par l’emploi du PC, du présent de l’indicatif, du futur, nous sommes évidemment dans une forme de discours ou nous pouvons voir l’intériorité d’un personnage, d’une conscience. Personnage dont nous apprenons le nom par le hasard des événements racontés : « Mme Meursault », dit le directeur de l’asile, tout comme nous ne pouvons que deviner que l’action se passe à Alger. Le discours s’apparente à l’oralité. Les phrases sont très simples. Le discours est à peine retranscrit dans le premier paragraphe.

L’écriture se présente parfois sous forme de notes « cela ne veut rien dire »I. 2 ; « toujours à cause de l’habitude « 1. 37 et 38, « c’était vrai »1. 36. es phrases sont réduites parfois à la plus simple construction grammaticale possible: par exemple la récurrence du schéma Sujet-Verbe-Complément. Il n’y a pas de réelle mise en doute de la véracité des événements relatés : pas de soupçon du lecteur. Cela renforce d’autant plus ette entrée dans la vie, dans la conscience du héros.

La succession des événements est extrêmement brève, puisque les faits sont consignés de la manière la plus épurée possible. Par ailleurs, l’absence assez frappante de termes de liaison (asyndètes) crée l’illusion d’une succession d’actions mécanisées : « Pasile est à deux kilomètres du village. J’ai fait le chemin à pied. J’ai voulu voir maman tout de suite. » 1. 23 et 24 e lecteur découvre une in 2 Le lecteur découvre une intériorité qui semble Soffrir totalement sans faire la moindre impasse sur les actions vécue.

Le lecteur se trouve alors face à un genre romanesque inhabituel, et perd rapidement ses repères. b)lJn incipit original Outre le style, la description est également source de malaise ou plutôt l’absence de descriptions. Cet incipit fait apparaître un certain nombre de personnages, dont aucun n’est décrit. Ainsi, la mère du « maman est morte « 1. 1 n’est jamais décrite, alors qu’elle est au centre de la narration de cet extrait.

De la même manière, le patron, Céleste, Emmanuel, le concierge, le militaire sont réduits à leurs simples prénoms ou fonction, ainsi qu’à leurs propos. Seul le directeur de l’asile a droit à un semblant de description : « Cétait un petit vieux »1. 26, « il m’a regardé de ses yeux clairs »l. 26 et 27. Elle est cependant réduite à son minimum, on ne sort ni de Pexpression courante (petit vieux) ni de la construction grammaticale simpliste (yeux clairs). Les lieux ne sont pas davantage l’objet de description. )LJne conscience zéro A cause des temps utilisés, passé composé: non coupé de la situation d’énonciation, l’expression de la temporalité du narrateur est réduite 3 non coupé de la situation d’énonciation, l’expression de la emporalité du narrateur est réduite au minimum. Impression que seuls les termes hier-aujourd’hui-demain sont pertinent dans la conscience de ce dernier. Cisolement du présent de l’indicatif reste la seule référence possible du narrateur : « Aujourd’hui »l. l, « hier « l. 1, « enterrement demain »1. 2.

A ce temps réduit à sa plus simple linéarité, s’ajoute un récit des événements qui semble faire abstraction de toute échelle d’importance. C’est peut-être cela d’ailleurs qui, dès l’incipit, crée ce malaise assez perceptible. Finalement, se poser la question de la date exacte de la mort de a mère, parler au patron, rencontrer le directeur de l’asile sont des actes aussi essentiels pour le narrateur qu’expliquer pourquoi Emmanuel a une cravate noire ou de préciser qu’il a fallu attendre un peu le directeur. Les événements s’enchainent les uns aux autres dans la même linéarité, dans la même neutralité que le temps.

D’où finalement cette impression finale que le héros ne s’implique jamais dans sa narration : tout est raconté sur le même ton, avec la même économie de moyens, rien ne distingue dans la narration l’événement qui semble majeur au lecteur, la mort de la ère, de la sieste contre le militaire. Il un héros désincarné totale de Meursault Et si cette indifférence est immédiatement perceptible, c’est parce que la narration débute par ce qui va être essentiel dans le roman : la mort d 4 perceptible, c’est parce que la narration débute par ce qui va être essentiel dans le roman : la mort de la mère. as un seul sentiment n’est exprimé sous la plume du narrateur face à cet événement tragique. Les trois premières phrases n’ont de but que la recherche de la date exacte de la mort, accumulant les autocorrections du narrateur. enchaînement est immédiat entre la nouvelle et les modifications d’emploi du temps qu’elle entraine : « je prendrai l’autobus »1. 4, « j’ai demandé deux jours de congé »1. 6, tout en montrant bien qu’elle ne bouleverse pas tant que ça les habitudes du narrateur : « j’ai mangé chez Céleste, comme d’habitude »1. 14 et 15.

On ne relève aucun modalisateur qui marque la tristesse du narrateur. Si certains éléments sont négatifs, ils sont contextuels et matériels : « cette course »1. 19, « cahots »1. 20, « odeur d’essence »1. 20, « j’ai attendu un peu »1. 25, « m’a tenu la main si ongtemps que je ne savais pas trop comment la retirer »1. 27. Ils ne sont pas liés directement au chagrin du deuil. Le lecteur n’est pas loin de croire que cette mort est surtout un bon prétexte pour avoir deux jours de congé : « il ne pouvait pas me les refuser, avec une excuse pareille »1. 6 et 7.

Enfin, le dernier paragraphe de l’extrait est même réellement choquant : il explique son refus d’aller voir sa mère parce qu’elle s’est habituée à l’asile, mais surtout à cause de « l’effort pour aller à l’autobus… »1. 40 et 41. Plus le narrateur décrit ses actes, plus il semble inhumain. Les seules réactions « émotionnelles » à la mort de la mère sont celles des personnages de S seules réactions « émotionnelles » à la mort de la mère sont celles des personnages de l’entourage de Meursault : « ils avaient tous beaucoup de peine pour moi »1. 14, « On n’a qu’une mère »l. 5, ou encore la longue poignée de main du directeur, sans doute destinée à montrer sa compassion : ces effusions ont presque l’air de le gêner. Tout contact amical, qu’il soit de compassion circonstanciée ou amical (le sourire du militaire) est refusé, considéré comme ênant, voire impudique. b)lJne logique déconcertante La logique de la narration est elle aussi déconcertante. Mais les quelques connecteurs logiques employés sont également marquants. Ainsi, lors de la scène avec le patron. « En somme, je n’avais pas à m’excuser »1. 8, ou encore « pour le moment, c’est un peu comme si maman n’était pas morte »I.

IO. La réflexion du narrateur consiste à trouver les raisons de l’attitude peu agréable du patron, qui viendrait du caractère « non officiel »1. 12 du deuil qui disparaîtrait après : « une affaire classée »l. ll. Le lecteur a du mal à suivre le raisonnement, et le paradoxe entre l’apaisement du patron et l’affaire classée de l’enterrement. Face à ces incertitudes, et devant la si apparente absence de sentiments du narrateur, le lecteur ne comble jamais ces manques à l’avantage de Meursault : c’est toujours l’explication la plus négative qui vient à l’esprit, toujours l’attitude la plus sordide que l’on comprend. )Des marques d’affections p toujours Pattitude la plus sordide que l’on comprend. c)Des marques d’affections présentes En réalité, les marques d’affection sont présentes. Il suffit de lire autrement : « pour le moment, c’est un peu comme si maman n’était pas morte Si Meursault attend l’officialisation de la mort de sa mère avec impatience, c’est peut-être parce qu’alors il ne sera plus aussi troublé par l’absence de date précise. C’est peut- être également parce qu’il aura réalisé ce qu’il ne veut pas encore comprendre. Pourquoi ne pas lire cela comme la marque d’un choc ?

Son arrivée à l’asile est assez précipitée : « j’ai couru pour ne pas manquer le départ »1. 18, « j’ai voulu voir maman tout de suite »I. 3 : tout ceci indique un trouble certain, de même que son refus de parler au militaire dont finalement on ne connaît pas la cause. ’emploi du terme « maman » et non « mère qui pour enfantin qu’il soit reste un terme affectif. Le seul sentiment qui, finalement, transparaît clairement dans le texte, c’est le sentiment de culpabilité de Meursault. Que ce soit lorsqu’il parle à son patron ce n’est pas de ma faute »1. 7, « je n’aurai pas dû dire cela »1. , « je n’avais pas à m’excuser »1. 8) ou au directeur (« j’ai cru qu’il me reprochait quelque chose »1. 29), ue ce soit même quand il commente les paroles de ce dernier C’était vrai »1. 36). C’est à travers ce sentiment de culpabilité que se ressent le mieux l’affection de Meursault pour sa mère : s’excuser de sa mort, c’est en fair que se ressent le mieux l’affection de Meursault pour sa mère : s’excuser de sa mort, c’est en faire un événement sans importance ; l’avoir mise à l’asile, c’est pour lui la certitude qu’elle était plus heureuse et il a peur d’en doute.

Enfin le « c’était vrai » sonne comme une manière de convaincre une dernière fois le lecteur du bonheur de sa mère. Finalement, loin d’être l’expression d’une indifférence totale à la mort de la mère, l’incipit peut-être lu comme l’image d’un homme qui cherche à se persuader que sa mère meure heureuse. Pour conclure, cette première plongée dans le roman qu’est la lecture de l’incipit est particulièrement déconcertante dans le cas de L’Etranger.

Coupé des codes traditionnels de la lecture romanesque, placé face à une intériorité dont il peine ? comprendre le fonctionnement et le raisonnement, confronté à l’événement tragique de la mort de la mère et ne trouvant as les réactions émotionnelles attendues, le lecteur ressent un malaise qu’il met immédiatement sur le compte du héros qui paraît particulièrement antipathique.

En réalité, si Meursault est effectivement donné comme un degré zéro de la conscience, il n’est pas pour autant un personnage si indifférent. Et son refus d’interpréter ses actes n’est pas tant la preuve d’un refus de communication ou d’émotion qu’un refus de ne donner qu’une signification aux choses. Au lecteur d’apprécier, de combler les manques de la narration, d’imaginer tous les possibles de ces actes, mais aussi de la laisser ouverte. 8