Collège des Bernardins Département Économie, Homme, Société Séminaire « Propriété de l’entreprise » ‘intérêt de l’entreprise en droit du travail Département Économie Homme Société Séance du 7 octobre 2010 Tania Sachs L’INTÉRÊT DE L’ENTREPRISE EN DROIT DU TRAVAIL RESUMEI 6 ‘Vipe next page Cexposé présente le sag* juridique « intérêt de du travail, à partir de de la cour de cassation et de cours d’appel. u standard e la Chambre sociale Dans une première partie, la comparaison de la notion d’intérêt de l’entreprise et de son évaluation en droit du travail et en économie oppose un « monisme conomique » et un pluralisme du droit. Alors que Pintérêt de l’entreprise, pluriel et indéfini, est toujours rapporté, dans la théorie économique standard, à sa valeur monétaire, le droit du travail associe à chaque valeur à laquelle il se réfère des modes d’évaluation spécifiques, ce qui pose certaines difficultés propres et interroge la manière dont le juge évalue cet intérêt.
Tania Sachs caractérise dans une deuxième partie ces différents organisationnelle. La consécration, en 1995, du motif de la réorganisation nécessaire à la « sauvegarde de la ompétitivité » fait en effet entrer le marché dans l’appréciation du juge, en particulier s’adossant du droit du licenciement pour motif économique. La décision patronale n’est plus examinée à l’aune de l’objectif d’amélioration de l’efficacité de Forganisation, mais des performances de l’entreprise sur le marché où elle intervient.
Au fil des années, la comptabilité s’est ainsi imposée comme le langage de l’évaluation, qui prend désormais appui sur les représentations et les outils du savoir comptable. Pourtant, si les juges incarnent moins une communauté d’intérêt es parties, qu’une composition de valeurs et de modes de valorisation, moins l’équilibre que le compromis, l’entrée de l’économie dans le droit est contestable.
Résumé et compte-rendu par Frédérique Chave, CRG-Paris Ouest Nanterre La Défense Département Economie, Homme, Société L’intérêt de l’entreprise en droit du travail COMPTE-RENDU2 L’INTÉRÊT DE L’ENTREPRIS 2 OF IE TRAVAIL transcendant de l’entreprise. L’exposé présente les usages que le juge fait de ce standard l’entreprise », en droit du travail, à partir de Vexamen de décisions de la Chambre sociale de la cour e cassation et de cours d’appel. Dans une première partie, il utilise les théories économiques comme de révélateurs des caractéristiques et spécificités de l’intérêt de l’entreprise en droit du travail.
Une comparaison de la conception économique standard et la conception juridique de l’intérêt de Pentreprise permet dans une deuxième partie de caractériser les différents types d’évaluations que font les juges quand ils se réfèrent à l’intérêt de l’entreprise. I. L’INTERET DE L’ENTREPRISE EN DROIT DU TRAVAIL VERSUS L’INTÉRÊT DE L’ENTREPRISE EN ÉCONOMIE. Monisme économique versus pluralisme juridique Sans revenir sur l’histoire de la notion d’intérêt (cf. Hirschman), soulignons qu’elle est associée à deux autres notions importantes, la raison et le calcul. ce monisme économique s’oppose un pluralisme juridique. Ce dernier accueille plusieurs acceptions de la notion d’intérêt, tributaires du corps de règles dans lequel elle prend place. L’« intérêt général » en droit public, 1’« intérêt à agir » en droit processuel, « l’intérêt de l’enfant » en droit de la famille, « l’intérêt social » en droit commercial, « Pintérêt de l’entreprise » n droit du travail et bientôt « l’intérêt au contrat » en droit des contrats : autant d’occurrences du terme « intérêt » auxquelles sont attachées des significations particulières.
Le standard de l’in térat est ainsi une notion juridiq iples facettes : 3 OF IE s’agit de l’intérêt de l’enfant, politico-sociale quand se trouve viser l’intérêt général, patrimoniale lorsqu’il est utilisé en droit commercial, organisationnelle lorsqu’il se rapporte à l’entreprise, intérêt l’échange dans le droit des contrats, etc. En droit, il semble difficile de ramener tous les intérêts sur une ême échelle de valeurs, alors qu’en économie standard, on peut le faire. Ce constat s’opère également pour l’intérêt de l’entreprise.
Pour la science économique mainstream, l’intérêt de l’entreprise s’achève dans la maximisation de son utilité, c’est-à-dire de son profit. Déterminé par une fonction de production, l’intérêt de l’entreprise se joue sur le marché des biens et des services et procède d’un calcul. Le 2 3 Sur l’intérêt en droit privé, cf. notamment, J. Rochfeld, Cause et type de contrat, op. cit. ; M. Mekki, L’intérêt général et le contrat. Contribution à une étude de la hiérarchie es intérêts en droit privé, LCD], coll. Bibliothèque de droit privé t. 411, 2004. niveau de production opti marché des biens et 4 OF IE de celui-ci (valorisation marchande). Dans l’optique du droit du travail, la détermination de l’intérêt de l’entreprise se révèle plus malaisée. Trois problèmes se cumulent : d’abord, il n’existe pas de définition substantielle de l’intérêt de l’entreprise. Les procédures internes à Pentreprise (consultation et information des instances représentatives) peuvent le faire émerger mais il ne leur préexiste pas.
D’autre part, il existe une issociation entre le porteur de Pintérêt et celui qui agit et enfin, il concentre sur lui une pluralité d’évaluateurs. L’intérêt de l’entreprise se trouve écartelé entre plusieurs pôles, rendant nécessaire une explicitation du processus duquel émerge Pintérêt de l’entreprise en droit du travail La procédure non contentieuse d’information et consultation du comité d’entreprise est précisément une voie par laquelle on intègre la pluralité des évaluations de l’intérêt de l’entreprise et par laquelle ce dernier émerge.
Dans le processus contentieux, comme on va le voir, l’intérêt de ‘entreprise devient étalon d’évaluation des décisions et des comportements des acteurs. LE VALORISATION PLURALISME DES MODES D’ÉVALUATION/MODES IE valeurs. Et à chacune des ces valeurs correspondent des marneres d’évaluer les décisions spécifiques, irréductibles les unes aux autres, différentes manières d’attribuer une valeur. Il faut souligner l’importance de la distinction entre valeurs et mode de valorisation dans le débat avec les économistes standards : (Tirole, Blanchard… la force de ces économistes, c’est précisement de pourvoir prendre en charge les valeurs servies ar le droit du travail tout en imposant un mode univoque de valorisation de ces valeurs. Là se situe la bataille avec les orthodoxes. En droit, on associe une manière d’évaluer propre chaque valeur. D’où la distinction entre valeur et manière d’évaluer. Cintérêt de l’entreprise a une dimension éminemment économique renvoyant néanmoins deux évaluations des décisions et comportements des dirigeants et salariés, une marchande et une organisationnelle, qui est première, historiquement, en droit du travail.
Le glissement d’une évaluation organisationnelle à une évaluation marchande entraîne n changement du registre d’évaluation de la décision patronale. Celle-ci n’est plus examinée à l’aune de l’objectif d’amélioration de l’efficacité de l’organisation, mais de celui d’amélioration des performances de L’évaluation organisationnelle Le droit du travail confère à Pintérêt de l’entreprise une dimension organisationnelle. Les juges, face à une décision de remployeur ou au comportement d’un salarié, examinent si la décision de l’employeur sert ou dessert le bon fonctionnement de l’entreprise.
On se réfère 6 OF IE Société Cintérêt de l’entreprise en droit du travail aleurs d’efficacité et de performance organisationnelle » Bien que la faute du salarié ne soit pas complètement dépourvue de toute dimension morale, sa caractérisation repose principalement sur « ses incidences sur le fonctionnement de l’entreprise »5. De la même manière, la définition de la faute grave inscrite dans un arrêt du 27 septembre 2007 met l’accent sur l’impossibilité du maintien du salarié dans l’entreprise6.
Dans une perspective analogue, la Chambre sociale autorise le licenciement d’un salarié malade lorsque ce licenciement est motivé, « non par l’état de santé du alarié, mais par la situation objective de l’entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l’absence prolongée ou les absences répétées du salarié »7. Une telle« situation objective » est caractérisée lorsque « ces perturbations entraînent la nécessité pour l’employeur de procéder à son remplacement définitif ».
Pour ce faire, « il convient d’examiner notamment la qualification professionnelle et l’emploi occupé par le salarié, la taille et la nature de l’activité de l’entreprise, pour déterminer si le remplacement temporaire est possible ou si au contraire il ésorganise l’entreprise »8. Dans ce cas, les critères d’appréciation de la situation de l’entreprise découlent directement de la recherche d’efficacité et de performance organisationnelle. Lorsqu’il contrôle l’usage que fait l’employeur de son pouvoir de direction, le juge s’appuie sur une évaluation organis l’intérêt de l’entreprise.
OF IE positive, une acception de l’intérêt de l’entreprise. Dans un arrêt du 17 mai 2006, la cour d’appel de Lyon a aussi estimé que la mutation d’un salarié résultant de la mise en œuvre d’une clause de mobilité était justifiée « compte tenu des articularités du fonctionnement du magasin [ … l et notamment de la grande amplitude des horaires d’ouverture hebdomadaire et de l’absence de vendeuse responsable Et les juges de conclure que l’employeur n’avait commis aucun détournement de pouvoir compte tenu, notamment, des « exigences commerciales découlant du fonctionnement du magasin »9.
En l’espèce, le refus opposé par le salarié a la mise en œuvre de la clause de mobilité est apprécié au regard de considérations qui tiennent à l’organisation de l’entreprise. Dans un arrêt de la cour d’appel de Riom du 3 juin 2003, les juges nt encore estimé que pour apprécier la restriction apportée à la liberté de choix de domicile, il convient d’examiner si les attributions du salarié requièrent une présence permanente sur le lieu de travaill O. L’intérêt de l’entreprise au sens du droit du travail se distingue de la compréhension qu’en livrent les sciences économiques dans leur version standard.
Celles-ci, on le sait, promeuvent une évaluation de l’intérêt de l’entreprise dont la matrice est le marché. Le droit du travail tend toutefois, lui aussi, à intégrer une telle dimension, qui vient s’adjoindre, parfois se substituer, ‘évaluation organisationnelle. ‘évaluation marchande Lorsque le juge recourt à un principe d’évaluation marchand pour apprécier rintérêt de l’entreprise, il se situe non pas dans la sphère interne l’entreprise, mais à l’interf BOF IE 5 6 7 8 9 10 En ce sens, cf. la manière dont L. Boltanski et Thévenot définissent la « Cité industrielle » (De la justification, op. it. , p. 252 et s. ). Pour une application en droit du travail, F. Gulomard, La justification des mesures de gestion du personnel. Essai sur le contrôle du pouvoir de l’employeur, op. cit. , p. 493. soc. 3/04/1981, Dr. uvr. 1982, p. 168. soc. 27/07/2007, pourvoi no 06-43. 867, D. 2007. A]. 2538, D. 2008 p. 447, obs. J. Porta; RDT 2007. 650, obs. G. Auzero; ICP S 2007. 1934, note A. Bugada ; S. S. L. no 1323, 2007. 13, note F. Champeaux. Selon la Cour de cassation, la faute grave est celle qui « rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise soc. 26/07/2007, pourvoi na 06-44146 et 06-43029 ; soc. 8/1 0/2007, Bull. CiV. V, no 163, RDT 2007, p. 717, obs. J. C. A. Lyon, 28/03/2008 (disponible sur legifrance. gouv. fr, RG na 07/01 621 C. A. Lyon, 17/05/2006 (disponible sur legifrance. gouv. r, RG na 05-04829). C. A. Riom, 3/06/2003. 4 Département Économie, Homme Société dans les décisions judiciaires antérieures à la consécration, en 1995, du motif de la réorganisation nécessaire à la « sauvegarde de la compétitivité Jusqu’en 1995, la chambre sociale retenait la possibilité de licencier un salarié en vue de la recherche d’une meilleure organisation de l’entreprise.
Depuis, ce type de justification n’est plus retenu ; lui est substitué le « motif nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité Ce faisant, si l’on s’attache aux termes employés par la Chambre ociale, le droit du travail a fait évoluer les raisons admissibles pour lesquelles l’employeur peut licencier. L’employeur se trouve légitime à viser la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise, mais pas à améliorer seulement l’organisation.
En somme, les juges ont écarté une réorganisation qui serait justifiée par elle-mêmel 2, exigeant qu’un élément extérieur, venant du marché, conduise l’employeur l’entreprendre13. Le juge compare pratiques sociales de l’entreprise avec les concurrents et le contexte concurrentiel. Ce glissement entraîne un changement du registre d’évaluation e la décision patronale.