Commentaire comparé Soc. 19 décembre 2000 & Soc. 1e décembre 2005

Cass. Soc. 19 décembre 2000 & Cass. Soc. le décembre 2005 Par ces deux arrêts rendus au début du XXIe siècle, la chambre sociale de la Cour de cassation développe la notion de contrat de travail « de fait et plus particulièrement la notion de subordination. Jean-François Paulin, professeur de droit privé à l’université Lyon 1, affirme que « la subordination conditionne largement l’application du droit du travail iew next page OF Dans les deux décisi d les sociétés leur ayan ué d reconnaître l’existenc société. i avaient assigné i, afin de faire entre eux et la Carrêt d’appel litigieux de la décision de 2000 avait débouté le chauffeur, au motif que le contrat signé par les parties ne portait pas la dénomination de contrat de travail, et que par conséquent le litige ne relevait pas du droit du travail et de ses règles. Dans l’arrêt de 2005, les juges du fond avaient cette fois accueilli la demande des chauffeurs de taxi en reconnaissant l’existence un contrat de travail. Au cœur de chacun de ces arrêts se trouve la notion de subordination comme critère du contrat de travail.

Celui-ci a été consacré par la jurisprudence, en 1931 , à la suite ‘une grande controverse doctrinale opposant, toute la première moitié du XXe siècle, les partisans de la dépendance économique subordination juridique. Les juges leur ayant donné raison, il n’en reste pas moins que la subordination est une notion complexe à cerner, et plus encore ? appliquer. Si donc le lien de subordination est l’instrument privilégié d’identification de la relation salariale, comment donc le dégage et l’appliquer à une situation factuelle ?

Les juges de cassation ont, dans l’arrêt de 2000, désavoué la cour d’appel en affirmant que le droit du travail pouvait bien ‘appliquer à l’espèce, et ce, en raison de la présence d’un lien de subordination entre le chauffeur de taxi et le loueur des véhicules. Dans le second arrêt, ils ont également cassé l’arrêt d’appel, en ce qu’il n’avait pas vérifié la réalité factuelle de ce lien de subordination, précisant ainsi le régime de preuve de celui-ci.

On peut donc observer une claire réaffirmation du critère de subordination dans le contrat de travail (I), critère qui reste cependant source de difficultés dans la qualification de la relation de travail (Il). — La réaffirmation du lien de subordination comme critère ssentiel de l’existence du contrat de travail La Cour de Cassation entreprend de vérifier l’existence d’un contrat de travail, rejetant par là-même la conception qu’un tel contrat ne puisse être déterminé que par sa dénomination ou par la volonté des parties pour ce faire, ils vont utiliser le critère du lien de subordination (Il). existence indépendante de la volonté des parties ou de la dénomination de la convention Dans l’attendu de principe de l’arrêt du 19 décembre 2000, la Cour de Cassation écarte la subordination de rexistence du ontrat de travail à sa dénomination de contrat de travail, ainsi qu’à la volonté des parties de s’engager dans un contrat de travail. Dans les faits évoqués par les deux décisions, les deux parties au contrat litigieux, à savoir les loueurs des véhicules « équipés taxi », et les locataires desdits véhicules, ne s’engagent pas dans un contrat qualifié de contrat de travail, mais dans un contrat de location.

En l’espèce, la société loueuse mettait à la disposition du locataire une voiture pour une certaine durée, laquelle était renouvelable tacitement à intervalles réguliers. En échange de cette mise ? disposition, le locataire s’engageait à verser une « redevance » mensuelle à la société loueuse. I ny a donc aucun doute dans le fait que le contrat signé était bien un contrat de location, et c’est la raison pour laquelle les sociétés défenderesses, lorsqu’assignées en justice par les locataires pour reconnaître l’existence d’un contrat de travail, ont décliné la compétence du Conseil de Prud’hommes.

Or, la Cour de Cassation a estimé que le simple fait que la convention passée entre les parties ne soit pas qualifiée de ontrat de travail n’écarte pas à lui seul la possibilité de l’existence de ce contrat. De même, la volonté des parties au moment de la conclusion du contrat, qui était dans les contrat, qui était dans les deux espèces, de manière indéniable, de former une relation locataire/loueur, ne suffit pas à exclure l’éventualité de l’existence d’un contrat de travail.

En rejetant ces critères comme déterminants de la réalité ou non d’un contrat de travail, la Cour de Cassation déclare donc le juge des Prud’hommes compétent, et les règles du Code du travail pplicables à des situations qui ne semblent pas à premier abord en relever. Ayant récusé la dénomination du contrat et la volonté des contractant comme éléments déterminants du contrat de travail, la Cour de Cassation va réaffirmer ce qui en est réellement le critère essentiel : la subordination juridique.

B/ La subordination juridique comme critère déterminant de la relation de travail Le positionnement du lien de subordination au cœur de la question de l’existence ou non d’un contrat de travail, n’est guère un revirement effectué par les arrêts en présence. C’est Parrêt « Bardou » du 6 juillet 1931 qui avait posé le principe du lien de subordination comme critère opératoire de qualification des relations de travail salariées.

Le domaine de la relation salariale s’est en effet construit dans un premier temps autour de la notion de « dépendance économique c’est-à-dire l’idée que le salarié dépend de l’employeur pour gagner ses moyens de subsistance, et par conséquent, qu’il doit être protégé dans le cadre d’un contrat de Cependant, l’arrêt de 1931 a 4 0 Cependant, l’arrêt de 1931 affirme que « la condition juridique ‘un travailleur à l’égard de la personne pour laquelle il travaille ne saurait être déterminée par la faiblesse ou la dépendance économique dudit travailleur et ne peut résulter que du contrat conclu entre les parties ajoutant que « la qualité de salarié implique nécessairement l’existence d’un lien juridique de subordination du travailleur à la personne qui l’emploie C’est ainsi que le lien de subordination devient l’élément de définition du contrat de travail. Il est défini plus précisément par l’arrêt « Société Générale » en date du 13 novembre 1996, dans les termes suivants : « Le lien e subordination est caractérisé par Vexécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur, qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné h.

Les deux arrêts de 2000 et 2005 reprennent et appliquent donc la recherche d’un lien de subordination dans les espèces qui leur sont soumises pour déterminer si le contrat de location signé par les parties cachait en réalité un contrat de travail. Dans l’arrêt « Labanne », les juges de Cassation conclut dans sa décision que « Nonobstant la dénomination et la qualification onnées au contrat litigieux, l’accomplissement effectif du travail du travail plaçait le « locataire » dans un état de subordination à l’égard du « loueur et qu’en plaçait le « locataire » dans un état de subordination à l’égard du « loueur et qu’en conséquence, sous l’apparence d’un contrat de location d’un « véhicule taxi », était en fait dissimulée l’existence d’un contrat de travail Y.

Cexistence de la subordination vis-à-vis du loueur a donc suffit à établir l’existence d’un contrat de travail au-delà du contrat de La prise en compte du lien de subordination peut donc ermettre la reconnaissance d’une relation de travail, en dépit de la dénomination de contrat concerné, ou de la volonté des parties contractantes au moment de la conclusion dudit contrat. Cependant cette notion complexe est source de difficultés. Il – Les difficultés liées à la notion de subordination dans la qualification du contrat de travail Si le contrat de subordination est le critère essentiel du contrat de travail, il n’en reste pas moins qu’il implique des difficultés de nature probatoire (I). Par ailleurs, la pertinence de ce critère demeure très attaquée (Il).

A/ La preuve de la subordination : méthode du faisceau d’indices factuels Le lien de subordination, ainsi que défini par l’arrêt « Société Générale comporte trois composantes : le pouvoir de direction, à savoir le pouvoir de donner des ordres et des directives ? l’employé ; le pouvoir de contrôle, qui est le fait de surveiller que ses ordres soient exécutés correctement ; et le pouvoir de sanction, qui permet à l’employeur de prendre des mesures en cas de manquement de l’employé. La preuve du contra 6 0 l’employeur de prendre des mesures en cas de manquement de ’employé. La preuve du contrat de travail est libre et peut se faire par tous moyens. S’agissant des deux éléments du contrat que sont la prestation de travail et la rémunération, ils se prouvent relativement aisément. En revanche, le lien de subordination, lui, est plus ardu ? démontrer : les ordres ou les sanctions de l’employeur sont rarement écrits. e juge va donc utiliser la méthode dite du « faisceau d’indices et relever des fats qui indiquent la probabilité de la présence d’un lien de subordination.

Dans l’arrêt « Labanne la Cour d’appel avait notamment ouligné qu’il existait une dépendance économique du chauffeur de taxi vis-à-vis du loueur du véhicule, mais une telle dépendance ne suffit pas, à elle seule, à caractériser le lien de subordination (pas plus, note-on, qu’elle ne suffit à caractériser le contrat de travail depuis Parrêt « Bardou La Cour de cassation a quant à elle relevé que le loueur « reversait » à l’URSAFF une partie de la redevance payée par le chauffeur de taxi, de la même façon qu’un employeur pale des cotisations sociales. Par ailleurs, le contrat comprenait des obligations « nombreuses t strictes » imposées au locataire, et reprises par la Cour, telles que l’obligation d’effectuer les entretiens du véhicule une fois par semaine à ratelier du loueur, ces obligations pouvant être sanctionnées par la résiliation de plein droit du contrat. Ce sont autant d’indicateurs de la présence d’un pouvoi résiliation de plein droit du contrat. Ce sont autant d’indicateurs de la présence d’un pouvoir de contrôle et de sanction du loueur, qui laissent présumer l’existence d’un lien de subordination.

Dans l’arrêt de 2005, en revanche, les juges du fond n’avaient as à proprement parler relevé dans les faits des éléments indicateurs de la subordination, mais simplement déduit des clauses annexes du contrat de location que les sociétés loueuses exerçaient bien un pouvoir de direction, de contrôle et de sanction à l’égard des chauffeurs de taxi. La Cour de cassation a donc cassé l’arrêt d’appel en rappelant l’exigence de vérifier si, dans les faits, c’est-à-dire dans les conditions d’exécution réelles du contrat, les demandeurs étaient liés aux hypothétiques employeurs par un lien de subordination. Ne jugeant pas en fait, elle ne statue donc pas sur l’existence n l’espèce d’un contrat de travail, mais conforte la méthode du faisceau d’indices en reprochant aux juges d’appel de ne pas l’avoir employée.

D’autre part, le critère du lien de subordination est régulièrement remis en cause par la doctrine en raison de sa difficile application, et son opportunité est questionnée. B/ La pertinence du critère de la subordination dans la Démontrer l’existence du lien de subordination permet de requalifier un contrat en contrat de travail. Cela permet au subordonné de la relation de bénéficier d’un cadre protecteur régi par les règles du droit du travail. Néanmoins, B0 bénéficier d’un cadre protecteur régi par les règles du droit du Néanmoins, on peut discuter de l’opportunité d’un tel critère pour qualifier la relation de travail salariée, en particulier lorsqu’on a observé Pabsence de données objectives permettant de prouver de manière indiscutable la présence de ce lien.

L’arrêt de 2005 est un exemple parlant de la difficulté des juges ? caractériser juridiquement ce lien, quand bien même il paraît au premier abord comme une évidence. La méthode jurisprudentielle du faisceau d’indices est en effet par éfinition laissée à l’appréciation du juge, lequel appréciera des éléments subjectifs factuels pour déterminer la subordination. ly a donc un risque, avec une telle méthode, de retrouver une différente conception du lien de subordination d’un juge à l’autre, faute de définition claire de ces indices. Par ailleurs, la doctrine remet depuis quelques temps en question la pertinence du critère de subordination, craignant que celui-ci ne soit obsolète, et inadapté au nouveau monde du travail.

Dans les termes de Jean-François Paulin et Cécile Nicod, « le recours à la subordination juridique pour qualifier le contrat de ravail est mis en question au regard de l’évolution des formes d’organisation du travail dans l’entreprise » La subordination renvoie en effet plutôt à une organisation fordiste du travail, née au début du XXe siècle dans un contexte post-révolution industrielle, avec un supérieur, ou maître d’œuvre, dédié à surveiller et à contr industrielle, avec un supérieur, ou maître d’œuvre, dédié ? surveiller et à contrôler le travail des salariés. Or, l’activité moderne des salariés est bien différente aujourd’hui. Jean-Emmanuel Ray Nouvelles technologies et nouvelles ormes de subordination Droit Social 1992, p. 525), ou encore Alain Supiot Les nouveaux visages de la subordination » Droit Social 2000, p. 131 s’accordent à dire que la notion de subordination est peu adaptée aux formes actuelles d’organisation du travail, en raison de la liberté bien plus importante qui est accordée au salarié dans l’exécution de sa prestation de travail.

Supiot déclare « il ne s’agit plus de se conformer à des ordres, mais de répondre continûment et parfaitement à des attentes Cela pose de ce fait le problème de la frontière entre travail libéral t travail salarié. Dans les arrêts étudiés, la qualification de travailleurs salariés (bien qu’elle ne soit pas établie dans l’arrêt de 2005), plutôt que de travailleurs indépendants des chauffeurs de taxi, en raison d’un pouvoir de contrôle de l’employeur démontré par des indices factuels, souligne la difficile distinction entre les deux états dont les statuts juridiques tendent à se rapprocher. Le critère du lien de subordination dans la qualification d’un contrat de travail est donc remis en cause, et devra éventuellement être mis à l’épreuve des évolutions du monde du 0 0