article soumis corruption et convention

La théorie des conventions peut-elle expliquer les « échecs de gouvernement » ? Le cas de la corruption politique comme « mauvaise convention » Philippe Batifoulier• et Bruno Ventelou Résumé-Abstract Notre lecture de la corruption politique s’inspire de la théorie des conventions. Elle propose une mise en application du programme de recherche conventionnaliste à l’analyse et la définition des politiques publiques. En quoi l’approche conventionaliste éclaire-t-elle les débats : i) sur les mo mesures de politique publiques qu’il serait dysfonctionnement ? ésultat principal de OF41 Swipe v olitique ; ii) sur les pour faire face à ce ntraire d’une approche naturaliste où la corruption serait traitée comme une « pulsion naturelle » ? combattre par un système de bonus malus (avec sanction pénale), la corruption politique apparait, au filtre de la théorie des conventions, comme le produit endogène d’un défaut de coordination. Une adaptation du cadre institutionnel, plutôt qu’un renforcement des contrôles, semble s’imposer.

Introduction Les conventions offrent des solutions efficaces et simples à des problèmes de coordination qui sont a priori complexes. Quand chacun sait comment rautre va se omporter, le problème ? coordinatrice. Cependant, comme la notion d’équilibre ne se confond pas avec celle d’optimalité, la coordination peut être sous-optimale. On parlera alors de « défaut de coordination » pour qualifier une situation équilibre, mais sous-optimale au sens de Pareto. Le défaut de coordination reste donc de la coordination.

Et une convention peut alors correspondre à un équilibre sous- optimal tout en assurant la coordination. FORUM (LJMR 7028 CNRS), Université paris X-Nanterre, 200 av. de la République 92001 Nanterre cedex. Philippe. 3atifoulier@u-paris10. fr OFCE-Fondation Nationale des Sciences Politiques, 69, quai d’Orsay 75340 Paris cedex 7. bruno. ventelou@ofce. sciences-po. fr L’Economie des conventions présente quant à elle un concept de convention à la fo•s plus large et plus exigeant.

La convention « de niveau supérieur 1 » ne fait pas que coordonner les comportements, elle coordonne aussi les représentations sur les comportements. On reste toujours dans le cadre d’une théorie générale de l’accord … dont certains ont même pu dire qu’elle « dégouline de consensualisme mou ». L’absence de prise en compte du conflit est, en ffet, un reproche récurrent2 fait à l’approche conventionnaliste qui s’exclurait, de ce fait, des débats d’idées contempor 2 1 chacun.

Dans certains cas, suivre la convention est préjudiciable à beaucoup car elle produit de l’exclusion. EymardDuvernay (2003) et Eymard- Duvernay et Marchal (1997) ont ainsi montré que les conventions qui régissent le recrutement peuvent évincer du marché du travail une partie de la population. La lecture de la discrimination offerte par Ghirardello (2003) va dans le même sens. Les conventions de compétence, les pratiques conventionnelles d’embauche dans ertaines professions, secteur d’activité et entreprises débouchent sur Félimination des femmes, des noirs ou des homosexuels.

Un point de vue consensuel, privilégiant une optique de coordination réussie pour tous, apparaîtrait incongru sinon inconvenant. Notre travail adopte et développe cette perspective au cadre dit de l’Etat socia13 et s’empare d’un cas extrême, celui de la corruption politique, pour tester le potentiel explicatif d’une analyse conventionnaliste « non consensuelle », c’est-à-dire • lésant certains, voire, lésant le plus grand nombre.

La corruption peut, en effet, être analysée omme l’issue malheureuse d’un problème de coordination (Ventelou, 2002, 2003) et s’offrir ainsi à une lecture en terme de convention. Mais si convention de coordination il y a, on peut difficilement la qualifier de réussite. Le vocabulaire de la théorie des jeux ne peut pas réellement capter l’aspect « supérieur » de ces conventions même elles restent un moyen de réussir la coordination.

La dénomination de ce type n’est pas 3 1 jugement », Boltanski et Thévenot préfèrent « principes supérieurs communs L’appellation « modèle d’évaluation » est notamment le terme mobilisé dans l’ouvrage « Théorie des conventions 2 et injuste selon Eymard-Duvernay (2001, p. 280) « La politique de l’Économie des conventions c’est, pour aller vite, la visée d’un accord légitime entre les acteurs. La question du conflit est au cœur de cette construction : s’il n’y avait pas de conflit, il n’y aurait pas non plus de principe de justice soutenant la légitimité de l’accord. ? 3 et plus exactement à son pilier « services publics La notion de « mauvaise convention » (Batifoulier, 2001, de Larquier et Batifoulier, 2003, Batifoulier, Biencourt et de Larquier, 2003) peut alors fournir un point d’appui pour étudier le as de la corruption et étendre ainsi, aux situations non consensuelles, la surface couverte par la théorie des conventions. Cette extension ne doit pas être considérée comme un développement ambitieux et risqué de l’analyse conventionaliste mais comme un retour aux sources.

En effet, deux des auteurs les plus fréquemment mentionnés comme « pères fondateurs » ont souligné les conséquences néfastes du suivi des conventions. Il s’agit de Schelling pour les approches liées à la théorie des jeux et de Weber pour celles proches de l’Economie des conventions. Notre étude de la corruption oliti ue propose une mise en pplication du programme 4 1 politique ; ii) sur les mesures de politiques publiques qu’il serait souhaitable de prendre pour faire face à ce dysfonctionnement ?

Le résultat principal de notre étude est qu’au contraire d’une approche naturaliste où la corruption serait traitée comme une « pulsion naturelle » ? combattre par un système de bonus malus (avec sanction pénale), la corruption politique apparait, au filtre de la théorie des conventions, comme le produit endogène d’un défaut de Nous proposons une approche en trois temps : i) en reprenant les concepts et Instruments de la héorie des jeux de coordination de Schelling, nous décrivons d’abord la situation dite de « défauts de coordination permettant une analyse de l’interaction sociale en termes d’équilibres multiples, sachant (bien sûr… que les comportements réels convergent toujours vers une solution unique, parfois mauvaise (on parlera notamment de « mauvaise convention ») ; ii) nous prendrons dans un second temps un tour beaucoup plus appliqué en traitant de la corruption politique, sous-ensemble de la corruption en général, et pour laquelle une structure d’interaction sera construite entre une autorité politique qui détermine son orizon de choix public (son facteur d’actualisation) et un électorat qui contrôle la probabilité de réélection (en supposant réalisable une analyse économique du vote) ; iii) dans un troisième temps, il s’agira de faire remarquer que la structure obtenue permet, d’une part, de retrouver les deux modes Wébériens de fonctionnement de l’Etat, moderne et patrimonialiste – et d’autre part de resituer nement attaché à la s 1 la corruption dans la catégorie des « mauvaises conventions une situation dans laquelle les attentes des acteurs sont rendues endogènes -par une coordination défaillante de leurs projets éciproques- et pour laquelle la variable d’action est alors « institutionnelle Section 1 Equilibres multiples et mauvaise convention 1. Du jeu de coordination au choix de la convention Nous nous intéressons à une relation bilatérale entre FEtat qui porte la politique publique et les interlocuteurs de PEtat qui peuvent être, selon les cas analysés, les agents de l’Etat (fonctionnaires ou non), le public, ou bien même les électeurs bénéficiaires de la politique publique (dans une approche « analyse économique du vote »). CEtat adresse sa politique ? ses interlocuteurs via une variable de son ressort ; les nterlocuteurs, en retour, en font l’efficacité ou l’inefficacité par le contrôle d’une ou plusieurs autres variables laissées à leur discrétion. Par exemple (Batifouller et Ventelou, 2003), l’Etat contrôle les tarifs des médecins, agents délégués de santé publique, tandis que les médecins, eux, contrôlent leurs différents volumes d’activité.

Mais les médecins peuvent avoir une définition de l’activité soignante qui ne correspond pas en tout point à celle du centre (la politique de réduction des dépenses de santé peut se heurter à des considérations épidémiologiques), et leur variable de hoix leur sert parfois à contrecarrer la politique en cours (inflation des volumes). D 6 1 Unable to process your request now. Please try again latere 1 1 : Matrice de gains d’un jeu générique 2x Interlocuteurs YI XE Etat (a,a) (c,b) c (b,c) (d,d) Les conditions pour obtenir un jeu de coordination sont asc et d>b. On a alors deux équilibres de Nash. Si d, le jeu est dit de pure coordination (du type « jeu de la coupure téléphonique) car les équilibres sont Pareto équivalents. Si a * d, on a alors un jeu de coordination classique dit « jeu du rendez vous » ou encore « jeu à la Schelling » avec un ?quilibre Pareto dominant (A si asd).

Si on ajoute à ce dernier jeu, la condition particulière (a- c) < (d-b), on obtient un jeu de type « chasse au cerf » avec D qui devient « dominant en risque » selon la terminologie introduite par Harsanyi et Selten (1988). Dans toutes ces configurations, il existe deux équilibres de Nash que le critère de rationalité est bien en peine de sélectionner. Deux solutions sont à la portée des ioueurs. II est B1 Pareto optimalité n'est ici d'aucun secours. Dans un jeu du rendez-vous, un seul des deux équilibres de Nash est Pareto- optimal mais rien ne garantit son doption par les joueurs. Dans un jeu de chasse au cerf, les conclusions sont identiques au jeu du rendez-vous à la différence que, cette fois, l'équilibre Pareto dominé présente un nouvel avantage en étant dominant en risques.

Le modélisateur a donc du mal à expliquer la sélection d’un équilibre d’un jeu de coordination avec ses outils habituels. L’acteur réel quant à lui éprouve généralement peu de difficultés ? prendre sa décision. La conjonction de ces deux caractéristiques – explication théorique compliquée mais décision réelle aisée — conduit à mobiliser la notion de convention. C’est en ffet par convention que les acteurs prennent leur décision. Chacun adopte le comportement qu’il croit que l’autre va adopter et la convention coordonne les anticipations en suspendant la délibération. Seule la préférence pour la conformité est un guide à l’action (Lewis, 1969).

La sélection d’un équilibre se fait alors sur une base implicite et arbitraire (au sens où plusieurs solutions sont possibles). La notion de convention permet donc de trouver une solution à un problème d’équilibres multiples dans un jeu de coordination. Définie comme l’ensemble des stratégies jouées à l’équilibre de Nash, elle se présente comme ne solution stable, venant du passé et autorenforçante. Mais cette solution, puisqu’elle est arbitraire, n’est pas forcément optimale. L’existence de la coordination étant plus importante que sa qualité, il est toujours possible que les joueurs rationnels s’accordent sur areto dominée. Ils 41 joueurs rationnels s’accordent sur une solution Pareto dominée.

Ils peuvent donc adopter une « mauvaise convention » qui n’est rien d’autre qu’un défaut de coordination (de Larquier et Batifoulier, 2003), un état où une économie est durablement installée sur un équilibre Paretodominé (voir Cooper et John, 988, pour un exemple fameux en macroéconomie). mondiale. 5 La mobilisation d’un autre critère normatif comme celui fourni par Lewis (1969) au travers de la « propreté » de l’équilibre ne change rien à l’affaire. un équilibre propre (EP) est un équilibre de Nash (EN) qui présente en supplément la particularité d’être un équilibre de meilleure réponse pour soi-même mais aussi pour l’autre (tout EP est EN mais l’inverse n’est pas vrai. )- L’EP correspond à un optimum de Pareto (OP) strict sur sa ligne et sa colonne. Tout OP est EP mais l’inverse n’est pas vrai.

Il existe deux ?quilibres propres dans les différents jeux de coordination (et ce n’est donc pas un critère suffisant de sélection) exceptée la « chasse au cerf » dans sa présentation habituelle (mais là, la notion de propreté se confond avec celle de Pareto optimalité et on retrouve les conclusions précédentes). 6 1. 2 De la convention au défaut de coordination La notion de « mauvaise » convention illustre l’occurrence d’une coordination des anticipations sur l’équilibre défavorable. L’existence d’un défaut de coordination suppose la possibilité d’un Pareto ordonnancement des équilibres, ce qui excluent du champ de l’a 0 1