Soin Sociomorphose Epistemologie JLO 1

Le soin, sociomorphose : épistémologie d’une relation Jean-Louis Olive* « En naissant, nous acquérons une double nationalité qui relève du royaume des bien-portants comme de celui des malades » (Sontag, 2005, 9). « L’idée que le travail était une vocation fut aussi caractéristique pour l’ouvrer moderne que l’idée d or 15 l’entrepreneur » (Ma eb L’Ethique protestant Hésiode rapporte qu’ our itali e, 1904, 297-298). race humaine vivait auparavant sur la terre à l’écart et à l’abri des peines, de la dure fatigue, des maladies douloureuses, qui apportent le trépas aux hommes.

Mais la femme, en levant de ses mains le large couvercle de la jarre, les dispersa par le monde et prépara aux hommes de tristes soucis » (Hésiode, Opera et Dies, 99). Ce sont donc rumeurs de femmes et langues sorcières, venues des bas-fonds (Détienne, 1981, 173), qui laissent se répandre dans le monde les maladies douloureuses et dispensent la mort (Platon, Apologia, 18 c 1 ; Hésiode, Opera et Dies, 95). Avec les puissances de la nuit, ce sont les douleurs (Algea), les peines (Ponos), et le vieillissement prématuré (Géras) qul s’abattent sur l’âge de fer de l’humanité. ?? Le mal vient pour lui compenser le bien (Hésiode, Opera et Dies, 609-610), à l’heure où la justice (Diké) et la démesure (Hybris) se livrent une cruelle et double lutte (Eris) voile et art du tissage, car Pandora est aussi Anesidora, la terre féconde qui fait « sortir les présents des profondeurs Suivant de près Prométhée, qui vole le feu, invente les ruses de la technique et reçoit en retour la sanction du labeur, Pandora est « celle qui donne tout ou le « don des dieux » (Hésiode, Opera et Dies, 81-82).

Elle est à la fois le malheur et le soin, « un beau mal, revers d’un bien » (Hésiode, Théogonie, 585). ? Premier métier de l’économie primitive » (Roheim, 1972, ns), selon les anthropologues, et premier métier selon Max Weber, avec le charisme des sorciers et guérisseurs (Weber, 1920, 358), premier art de la vie selon Marie-Françoise Collière (2001), le soin est art de faire autant qu’il est forme a priori de la relation.

La prise en charge d’autrui est un rapport social, voire le paradigme de toute socialité. Le soin fait l’objet d’une longue chaîne d’évolutions techniques et de transformations sociales, depuis l’opposition classique entre santé et maladie, sanitas et infirmitas, epuis le couple dialogique crasie et discrasie selon Hippocrate (Laplantine, 1986, 63-64), tel qu’il fut revu par Claude Bernard et encore révisé par Georges Canguilhem, dans un de ces processus sociaux de métamorphose qui caractérisent nos sociétés.

Néologisme dynamique créé à l’intention de ces rencontres, la sociomorphose est le processus de conduction et de mutation d’une forme de socialité à un autre. Opposant le trajet kinésique à la stase (comme métaphore immobile de la maladie, in Sontag, 2005, 9), la relation à l’état, et le geste au sens, la sociomorphose du soin est ce qui l’anime et l’offre au monde. Alors que, dans le monde gréco-latin, la médecine 15 soin est ce qui l’anime et l’offre au monde.

Alors que, dans le monde gréco-latin, la médecine a un rapport avec la mesure et le pouvoir de dire et de prescrire (Benvéniste, 1969, Il, 123-132 ; sergent, 1995, 241-246), eest au sein d’autres registres sémantiques que le soin fait sens. Le terme soin, de l’ancien français soign (XIe est un dérivé du latin tardif sonium, lui-même emprunté au francique sunni : chagrin. Une autre forme dérive du provençal sonha (XIIe s. ), du latin médiéval sunnia, emprunté au francique sunnja : nécessité, besoin (Rey, 2006, , 3537-3538).

De formation plus tardive, le verbe soigner se cristallise aux XIe-Xlle siècles mais il dorigine tout d’abord dans le latin médieval soniare (VIIe « prendre son, pourvoir aux besoins matériels de quelqu’un dont le sens est emprunté au francique sunnjôn : s’occuper de (sens général de veiller à, avoir souci, se préoccuper de). Par extension, ce verbe et ses dérivés signifieront « s’occuper de rétablir la santé de quelqu’un », « avoir soin des malades » (1636), puis « donner des soins » (1835).

On peut relever qu’au sens premier (1 150), la soignante désigne n ancien français la « concubine celle qui est chargée davoir soign, de s’occuper, de prendre soin. Abandonné en français classique, le mot est réapparu en 1927 dans la formation aide- soignante. D’une manière générale, le soignant ou le soigneux est attentif à l’autre (Rey, Id. ). Décliné dans d’autres champs linguistiques (Al ilaj, cura, care, medical care, treatment), le terme désignant le soin a pour synonymes : attention, service, prestation, occupation, charge, ou responsabilité.

Il a pour opposés : incurie, comme dans le cas des vaccina occupation, charge, ou responsabilité. Il a pour opposés : incurie, comme dans le cas des vaccinations abusives et les transactions massives de doses. On peut y voir des processus sémantiques divers, comme la jugulation allopathique d’un agent pathogène (opération qui nécessite une désymbolisation préalable de la maladie), ou la régulation homéostatique (opération qui suppose un processus de resémantisation de la maladie), selon deux polarités observées par François Laplantine.

Aujourd’hui la sociomorphose du soin se traduit à travers l’ordre négocié des interactions (A. Strauss) et des sollicitations discursives (Aaron V. Cicourel). On parle de protocoles de soin négocié entre le malade, ses proches et les professionnels (Coulon, 2009). « Activité professionnelle fragile comme l’analyse Mohamed Mebtoul (1998), le soin et les spécialités des professions de santé couvrent un arc très fortement segmenté, au risque de la psychophysique du travail industriel (Kalinowski, 2005, 109), selon un commentaire de Max Weber.

Tout le problème est ici le passage de l’art classique de soigner, comme compétence, savoir-faire, au déploiement des métiers de soignant. Entendons ici le métier à la fois en tant que profession (Beruf) et à travers a transfiguration en vocation (Berufung), si l’on se réfère ? la dialectique subtile et parfois très ambiguë de Max Weber (Kalinowski, 2005, 9, 185).

Dans une dynamique de rendement et d’augmentation de la rentabilité, qui est le trait majeur de référence du système capitaliste (Weber, 1920, 335), la professionnalisation est envisagée comme le fait que « chacun ne peut avoir la conscience assurée d’avoir réalisé quelque chose de vraiment accompli qu 5 « chacun ne peut avoir la conscience assurée d’avoir réalisé quelque chose de vraiment accompli que dans le cas de la spécialisation la plus stricte » (Weber, 1904, 64-65).

Cette forme de rationallsatlon extrême dérive de l’ascèse protestante et du procès de travail, par le cloisonnement et le rétrécissement des champs de spécialité, la technicisation (la technophrénie, selon Laplantine, 1973, 115), mais aussi l’illusion ou l’idéologie emphatique de la vocation ou de la mission (Weber, 1971, 142), voire de l’honneur social. Au point que le professionnel ne peut s’en extraire au risque de « se trahir lui-même » (Weber, 1971, 49).

Dans ces actes, nous évoquerons les questions de privatisation des professions de santé et la questlon de la féminisation des orps de santé, après la question de la professionnalisation, et notamment celle de l’évolution des soins infirmiers et féminins, selon la dictinction bio-anthropologique de Marie-Françoise Collière, ou celle, sociologique, de Jean Peneff (1 992, 169). « Cinfirmière est titulaire moins d’une profession que d’un rôle parce que la société assimile son métier à une activité purement féminine et donc indéfinissable » (Mebtoul, 2005, 123-152).

Essentialisé par assimilation et par confinement entre santé et domesticité, le métier d’infirmière doit passer désormais par le iltre de la professionnalisation, la spécialisation par la réforme de la formation et le diplôme d’État (1978, 1992). La complexification des tâches techniques (2006) se fait parfois au détriment du soin relationnel (réservé à la psychiatrie), et de la réflexivité des pratiques lors des mises en situation professionnelle.

Le passage obligé au LMD (2008) dénote moi PAGF s 5 lors des mises en situation professionnelle. Le passage obligé au LMD (2008) dénote moins la qualité que l’alignement sur le processus de Bologne et l’accord général de commerce sur les services (AGCS) (Rapau & Riondet, 2009, 56-83, 85-111). Tel le chercheur, diplômé et sanctionné par un trajet ponctué de contrôles et d’évaluations, le soignant ou l’administrateur d’un soin éprouve le besoin impérieux d’intégration sociale et de reconnaissance catégorielle.

Tel le chercheur qu’il imite » désormais, et concurrence dans le parcours de formation, il souffre d’un plus forte exposition à l’hétéronomie et à toutes sortes de vérités « endoxiques » (Bourdieu, 2001, 171). Si la remarque est extensible à la médecine hospitalière, Pierre Bourdieu notait déjà que c’est chez les immigrés récents que l’on trouve cette « disposition à l’hyper correction… t l’exaltation de la profession » (Id. , 32).

Si l’on reprend ici la représentation wébérienne de la division du travail et de l’intériorisation de la contrainte, on observe des formes renouvelées d’acceptation de la vieille spécialisation parsonienne, fonctionnaliste, du champ médical et de ses champs paramédicaux (Kalinowski, 2005, 24, 260), du retour de rhonneur social (Stand) et des situations de classe (Weber, 1920, 377). Autres formes du corporatisme, qu’on avait pu croire disparues, on note désormais une segmentation professionnelle et une forte opposition des missions (Bucher & Strauss, 1961).

Pyramides, structures, échelles graduées, tous les modèles holistes dénotent les ruptures entre zones médicalisées et zones souillées, entre prescripteurs et agents d’éxécutlon, entre carrières mandarinales bourgeoises de spécialistes et rés 6 5 prescripteurs et agents d’éxécution, entre carrières mandarinales bourgeoises de spécialistes et réserves de petite main d’œuvre stratifiée.

On évoquera la polarisation de [‘hygiène et de la souillure (comme procès de compensation des interdits selon Mary Douglas), voire l’abjection (Julia Kristeva), jusqu’à la « guérilla » des infirmières ontre l’ordre médical (Ziegler, 1975, 86 ; Peneff, 1992, 80). C’est ainsi que se signifient le prestige médical et le « sale boulot » (dirty work in : Hugues, 1996, 73), tel que ce dernier est incorporé dans l’habitus professionnel. C’est ce que Pon nomme le rôle propre, avec des techniques spécifiques comme la relation d’aide, qul fut inspirée du modèle de Carl Rogers.

On en vient même à évoquer le rôle « profane » des ASH (Strauss, 1992, 96). Dans « l’ordre négocié » de la communauté hospitalière et 1’« arc de travail » que suppose une équipe, l’offre produit des iscontinuités et des complémentarités de tâches. Selon la position professionnelle (fonction relationnelle et rapport de contigulté au malade), et la capacité à négocier, il peut même se produire un renversement axiologique des systèmes de valeurs et de croyances (Strauss, 1992, 2585).

Ainsi les pôles du médecin distant et de l’infirmière proche, usant d’empathie mais en évitant les « pièges de la compassion » (Goffman, 1968, 129). C’est juste à l’inverse qu’émergent des chevauchements de rôles entre collègues, des convivialités et des solidarités transversales entre atients et soignants, sans doute plus notables à propos des maladies chroniques et dans les unités de soins intensifs (Kuty, 1975, 205). II arrive même que l’autorité médicale soit mise en défaut, réappropriée e 7 5 (Kuty, 1975, 205).

Il arrive même que rautorité médicale soit mise en défaut, réappropriée et replacée dans le vécu empirique du patient, comme dans le cas de la normo-glycémie (Mebtoul, 2005, 190-211). Le langage professionnel révèle des notions antithétiques comme l’incertitude médicale et le miracle thérapeutique, sans parler des paradoxes tranférentiels et des inversions semantiques e codes, anciennement relevées (J. -P. Valabrega, 1962 ; G.

Devereux, 1970, 354-372), avec les thérapies iatrogènes et les maladies nosocomiales, le stress et la souffrance des soignants, lesquels ne sont pas à l’abri du pathos (Estryn-Behar, 1997), et se trouvent ainsi à l’origine de recherches en ergonomie hospitalière. Relevons encore une opposition remarquable entre la rhétorique de privatisation et le concept incorrect de « santé publique » (Mebtoul, 2005, 112). A une échelle macro analytique, on retombe aussi sur les inégalités structurelles des politiques de santé publique (Dozon &

Fassin, 2001 ; Hours, 2001) et les variables de « désajustement que sont le faible revenu par habitant, l’inégalité d’accès aux soins, les variations de l’espérance de vie, les écarts de la couverture sociale et de l’assurance maladie, le paiement direct de soins et la privatisation des sewices de santé (Ridde & Mebtoul, 2009). Ces écarts se trouvent d’autant renforcés par le déni médical du périssable et du dégénérescent (ou leur non recouvrement cognitif), comme étant naturellement intégrés dans la logique du vivant Oacob, 1970, 331-332).

Avec la peur du cadavre (Louis-Vincent Thomas), les maladies infectieuses et les andémies, ce sont là des mises en échec de l’utopie médicale et des mises en évidence 5 infectieuses et les pandémies, ce sont là des mises en échec de l’utopie médicale et des mises en évidence de ses limites embarrassantes dans la double émergence d’anciens refoulés « c’est une violence technologlque et une mort absurde » (Alvarez, 1972, 281).

Dans cette apocalypse mesurée, ou révélée, on butera inévitablement sur les biopouvoirs des opérateurs de santé, l’influence des doctrines hygiénistes et sécuritaires, les représentations épidémiologiques et les contagions sociales. Si elles procèdent toutes deux des mêmes programmations inversées, la réplication des virus est instable et la reproduction des peurs, stable (Sperber, 1996, 82-84, 116-117).

Repoussant les polarités académiques de Plncertltude et de la certitude (Devereux, 1972, 15-21), de la résignation et de la santé parfaite (Sfez, 1995, 134), la relation de soin nous ouvre les voies infinies de la connaissance, de l’interconnaissance et de la reconnaissance. Et c’est donc plutôt en micro analyse que l’on observera cette interaction comme un objet d’étude.

Au-del? des problèmes d’inégalités systémiques d’accès aux soins et des onflits de marchés entre philosophies médicales et conceptions thérapeutiques, des divergences de conceptions et de cognitions de la maladie, on recouvrera l’importance des rituels et des croyances, la force des représentations et des symbolisations, la question des formes culturelles du soin.

La société civile, la famille du patient résistent au pouvoir performatif des réformateurs et des idéologues, en conservant leur cercle de relations et de significations partagées (Lévi- Strauss, 1958). Face au pluralisme thérapeutique et à ses luttes byzantines, on se questionnera à p PAGF 15