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wv ». comptoirlitteraire. com André Durand présente « La chanson du mal-aimé » (1909) poème de Guillaume APOLLINAIRE On trouve ici le texte puis son analyse Bonne lecture ! À Paul Léautaud orq5 Sni* to View Et je chantais cette romance En 1903 sans savoir Que mon amour à la semblance Du beau Phénix s’il meurt un soir Le matin voit sa renaissance. Un soir de demi-brume à Londres un voyou qui ressemblait ? Mon amour vint à ma rencontre Et le regard qu’il me jeta rois heureux Lorsque le faux amour et celle Dont je suis encore amoureux Heurtant leurs ombres infidèles Me rendirent si malheureux Regrets sur quoi l’enfer se fonde Qu’un ciel d’oubli s’ouvre à mes voeux Pour son baiser les rois du monde Seraient morts les pauvres fameux Pour elle eussent vendu leur ombre 10 J’ai hiverné dans mon passé Revienne le soleil de Pâques pour chauffer un coeur plus glacé Que les quarante de Sébaste Moins que ma vie martyrisés 11 Mon beau navire ô ma mémoire Avons-nous assez navigué Dans une onde mauvaise à boire Avons-nous assez divagué De la belle aube au triste soir 12 Adieu faux amour confondu Avec la femme qui s’éloigne Avec celle que j’ai perdue L’année dernière en Allemagne Et que je ne reverrai plus 3 Voie lactée ô soeur lumineuse Des blancs ruisseaux de Chanaan Et des corps blancs des amoureuses Nageurs morts suivrons-nous d’ahan Ton cours vers d’autres nébuleuses PAGF 5 roses qui feuillolent De beaux dieux roses dansent nus 17 Viens ma tendresse est la régente De la floraison qui paraît La nature est belle et touchante Pan sifflote dans la forêt Les grenouilles humides chantent 18 Beaucoup de ces dieux ont péri C’est sur eux que pleurent les saules Le grand pan l’amour Jésus-Christ Sont bien morts et les chats miaulent Dans la cour je pleure à paris 19 Moi qui sais des lais pour les reines

Les complaintes de mes années Des hymnes d’esclave aux murenes La romance du mal aimé Et des chansons pour les sirènes 20 L’amour est mort j’en suis tremblant J’adore de belles idoles Les souvenirs lui ressemblant Comme la femme de Mausole Je reste fidèle et dolent 21 Je suis fidèle comme un dogue Au maître le lierre au tronc Et les Cosaques Zaporogues Ivrognes pieux et larrons Aux steppes et au décalogue 22 Portez comme un jou le Croissant Qu’interroeent les as PAGF 3 5 pourri de Salonique Long collier des sommeils affreux D’yeux arrachés à coup de pique Ta mère fit un pet foireux Et tu naquis de sa colique 6 Bourreau de Podolie Amant Des plaies des ulcères des croûtes Groin de cochon cul de jument Tes richesses garde-les toutes Pour payer tes médicaments 27 Voie lactée ô soeur lumineuse Nageurs morts suivrons nous d’ahan 28 Regret des yeux de la putain Et belle comme une panthère Amour vos baisers florentins Avaient une saveur amère Qui a rebuté nos destins 29 Ses regards laissaient une traîne D’étoiles dans les soirs tremblants Dans ses yeux nageaient les sirenes Et nos baisers mordus sanglants Faisaient pleurer nos fées marraines 30 Mais en vérité je l’attends Avec mon coeur avec mon âme

Et sur le pont des Reviens-t’en Si jamais reviens cette femme Je lui dirai Je suis con Douleur qui doubles les destins La licorne et le capricorne Mon âme et mon corps incertains Te fuient ô bûcher divin qu’ornent Des astres des fleurs du matin 35 Malheur dieu pâle aux yeux d’ivoire Tes prêtres fous t’ont-ils paré Tes victimes en robe noire Ont-elles vainement pleuré Malheur dieu qu’il ne faut pas croire 36 Et toi qui me suis en rampant Dieu de mes dieux morts en automne Tu mesures combien d’empans J’ai droit que la terre me donne Ô mon ombre ô mon vieux serpent 37 Au soleil parce que tu l’aimes Je t’ai mené souviens-t’en bien Ténébreuse épouse que j’aime Tu es à moi en n’étant rien Ô mon ombre en deuil de moi-même 38 L’hiver est mort tout enneigé On a brûlé les ruches blanches Dans les jardins et les vergers Les oiseaux chantent sur les branches Le printemps clair l’avril léger 39 Mort d’immortels argyraspides La neige aux boucliers d’argent Fuit les dendrophores livides Du printemps cher aux pauvres gens Qui resourient les yeux humides PAGF s 5 d’hiver neigeant Son destin sanglant gibeline Vulcain mourut en la forgeant 43 La seconde nommée Noubosse Est un bel arc-en-ciel joyeux

Les dieux s’en servent à leurs noces Elle a tué trente Bé-Rieux Et fut douée par Carabosse 44 La troisième bleu féminin N’en est pas moins un chibriape Appelé Lul de Faltenin Et que porte sur une nappe L Hermes Ernest devenu nain 45 La quatrième Malourène Est un fleuve vert et doré C’est le soir quand les riveraines Y baignent leurs corps adorés Et des chants de rameurs s’y trainent 46 La cinquième Sainte-Fabeau C’est la plus belle des quenouilles C’est un cyprès sur un tombeau Où les quatre vents s’agenouillent Et chaque nuit c’est un flambeau 47 La sixième métal de gloire Cest l’ami aux si douces mains Dont chaque matin nous sépare Adieu voilà votre chemin Les coqs s’épuisaient en fanfares 48 Et la septième s’exténue Une femme une rose 5 folie Et ces grelottantes étoiles De fausses femmes dans vos lits Aux déserts que l’histoire accable 52 Luitpold le vieux prince régent Tuteur de deux royautés folles Sanglote-t-il en y songeant Quand vacillent les lucioles Mouches dorées de la Saint-Jean 53 Près d’un château sans châtelaine La barque aux barcarols chantants Sur un lac blanc et sous « haleine Des vents qui tremblent au printemps Voguait cygne mourant sirène 54 Un jour le roi dans l’eau d’argent

Se noya puis la bouche ouverte II s’en revint en surnageant Sur la rive dormir inerte Face tournée au ciel changeant 55 Juin ton soleil ardente lyre Brûle mes doigts endoloris Triste et mélodieux délire J’erre à travers mon beau Paris Sans avoir le coeur d’y mourir 56 Les dimanches s’y éternisent Et les orgues de Barbarie Y sanglotent dans les cours grises Les fleurs aux balcons de paris Penchent comme la tour de Pise 57 soirs de paris ivres PAGF 7 5 Analyse « La chanson du mal-aimé » commémorait le premier amour, à vingt ans, d’Apollinaire pour l’Anglaise Annie playden qu’il avait rencontrée en Allemagne. Le poème se comprend si on a présente à l’esprit la chronologie des événements qui marquèrent cette relation : en 1901-1902 se déroula leur idylle rhénane («L’année dernière en Allemagne» [vers 59] est 1902) ; en particulier, en avril 1902, le dimanche de «Laetere un an passé», quatrième dimanche du carême, a été un jour d’euphorie, où tout invita les deux jeunes gens à l’amour, où, en tout cas, le poète crut son amour partagé.

Persuadé qu’elle l’attendait, il revint en Allemagne en août 1902 mais elle était repartie en Angleterre. En novembre 1903, il alla lui rendre visite à Londres (début du oème) ; à sa grande déception, il s’aperçut qu’elle était des plus réticentes. Ce fut à ce moment, fin 1903, qu’il composa ressentiel de « La chanson », en tout cas certainement tout le début. En mai 1904, concevant quelque espoir, il fit un second voyage ? Londres, mais se brouilla définitivement avec la jeune fille qui partit aux États-Unis. Il rentra à Paris (vers 90) et y tra•na sa mélancolie en juin 1904 (vers 131). C’est donc seulement après cette date que « La chanson du mal-aimé » a été terminée.

Cependant, la tristesse du poète devait s’effacer peu à peu et, ui qui, en amoureux sincère, croyait toute possibilité d’amour ? jamais brûlée en lui, en mai 1907, rencontra Marie Laurencin et se lia à elle, d’où l’épigraphe qu’il donna au poème quand il le publia en 1909 «Et je chantais cette romance En 1 903 sans savoir Du beau je chantais cette romance Du beau phénix s’il meurt un soir Le matin voit sa renaissance». En fait, l’année 1903 est la date de la déconvenue amoureuse et non pas celle du poème lui-même. Il aurait chanté sa complainte dès cette année-là mais ne lui aurait donné une forme littéraire qu’à partir de juin 1904 (voir la strophe 55).

Quant à l’amour de Guillaume Apollinaire, véritable phénix en effet (oiseau fabuleux qui renaissait de ses cendres), il allait, tout au long de sa vie, sans cesse renaître chaque fois pour une autre femme ! Le poème comprend soixante quintils (la dédicace en est un) d’octosyllabes parfaitement rimés et qui auraient été tout ? fait classiques si ne leur pas été imposée la suppression de la ponctuation. Il se divise en sept morceaux, trois textes titrés et en caractères romains étant insérés dans l’ensemble en caractères italiques. C’est une chanson, car la rime est importante, une chanson élancolique, avec modulations et rythme lancinant de la forme strophique adoptée, toujours semblable.

Strophe 1 : Ce « soir « à Londres », s’explique parce qu’y habitait Annie Playden. La «demi-brume» est celle qu’impose le climat anglais, mais, suffisante pour estomper la réalité sans la masquer pour autant, pour permettre de se méprendre par instants, elle crée aussi une atmosphère de mystère, propice ? l’éclosion du souvenir et au rapprochement avec les légendes. Errant probablement aux approches d’un quartier mal famé, le poète fait la rencontre inopinée d’un «voyou», sans doute un abatteur qui veut rentraîner vers une maison de plaisir (d’où inopinée d’un wayou», sans doute un rabatteur qui veut l’entrainer vers une maison de plaisir (d’où la violence de son regard).

L’enjambement « ressemblait à / Mon amour » dramatise la révélation : il ressemble à Annie playden, ou c’est la fausseté de son regard qui engendre de façon immédiate le souvenir de la femme aimée et traîtresse, le dépit amoureux dictant à l’amant cette facile vengeance et ce rapprochement injurieux qui est marqué par Palliance de mots : «voyou-amour». Le « regard » du ? voyou » inspire la « honte », car, même si le poète est innocent vis-à-vis d’Annie, il se sent coupable de l’échec de leur relation. Strophe 2 : On peut imaginer que le voyou comprit ce qu’au fond le visiteur cherche ce soir-là, qu’il lui fait un clin lui fait prendre son sillage l’air faussement dégagé, les « mains dans les poches sifflotant pour prévenir le lieu de plaisir de l’arrivée d’un client.

Mais la recherche de la femme aimée reçoit soudain un nimbe de légende, car elle est rapprochée de celle de « Pharaon » poursuivant « les Hébreux » devant lesquels s’ouvrit la mer Rouge. L’évocation biblique est engendrée par les maisons de briques (de couleur rouge), typiques de l’Angleterre, pouvant, sous la lumière humide de ce jour, faire penser à « la mer Rouge » Strophe 3 : Continuant sa comparaison avec ‘épisode biblique, le poète, pour affirmer la sincérité et l’intégrité de son sentiment, est prêt, dans un appel aux dieux, un défi, à se vouer à un châtiment, à s’identifier au pharaon dont l’évocation est précisée («soeur-épouse» est une allusion aux mariages consanguins des pharaons) : il faut se souvenir que, dans I