Sénevé Journal des aumôneries Foi et Raison Noël 2008 Sénevé est le journal des aumôneries catholique et protestante de l’École normale supérieure « Le Royaume des Cieux est semblable à un grain de sénevé qu’un homme a pris et a semé dans son champ. C’est bien la plus petite de toutes les graines, m toutes les plantes potagères les oiseaux or 283 Sni* to View st la plus grande de rbre, au point que du ciel viennent s’abriter dans ses branches. ? (Mt 13 31-32) Équipe de rédaction : Bruno Le Floch et David Perrin Éditorial Si Benoit XVI, à la suite de Jean-Paul Il et de son encyclique si importante Bides et umières naturelles de la raison afin que la foi puisse s’affermir, se développer et les incroyants à ne pas idolâtrer la raison, à ne pas en rester à des préjugés et des distinctions de sphères abusives. À l’horizon de la question « foi et raison s, se trouve posée celle de la nature humaine, de son identité profonde et celle d’une réactualisation de tous nos choix de L’appel lancé par Benoît XVI est tout le contraire d’un alarmisme stérile.
La conscience aigué d’une menace spirituelle portant sur la raison, la philosophie, les sciences et sur tout ce qu’elles impliquent est portée par la certitude d’une vocation ntacte de la raison humaine et de la foi capables d’atteindre ensemble la Vérité. Ce Sénevé répond donc à la double invitation du pape à cultiver notre foi et notre raison en nous interrogeant justement sur la non-contradiction des deux.
Nous avons voulu aussi à travers ce numéro témoigner à l’intérieur même de rÉcole de la grande intelligence de la foi, dans toutes ses dimensions, et de l’unité de vie que nous voulons toujours plus forte entre nos études et notre foi. « La foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent ? l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité. C’est Dieu qui a mis u cœur de l’homme le désir de connaître la vérité et, au terme, de Le connaître lui-même afin que, Le connaissant et L’aimant, il puisse atteindre la pleine vérité sur luimême. »1 Sommaire 2 Thème .
Foi et Raison Credo ut intellegam, intellego ut credam 6 L’encyclique Fides et Ratio (1998), Jean-Paul Il Cosima Flateau et Clary de Plinval .. Qu’est-ce que la théologie ? Graciane Laussucq Dhiriart 18 Faut-il abandonner l’existence de Dieu ? Jean-Baptiste Guillon . 22 Digressions sur trois discours de Benoît XVI Louis Manaranche . 30 La raison et le mystère Meunier 68 Le Scandale de l’idole David Perrin 71 Les Monstres de la raison Alexandra Fricker 79 Théologie et philosophie 82 L’interprétation des Écritures chez Maître Eckart Adeline Levilion Hypothèse d’une lecture théologique de la physique de Pascal Elsa Ballanfat.. 9 Le cas Voltalre Agnès de Ferluc et Paul-Victor Desarbres 99 Clary de Plinval Présentation générale pourquoi une encyclique sur la philosophie à l’approche du 3e millénaire ? Il PUBLIE l’encyclique Fides et Ratio le 14 septembre 1998, en la fête de la Croix glorieuse : la réflexion sur la Croix est, dans le texte, le lieu d’une rencontre difficile mais féconde entre la foi et la raison. En ctobre 1998, Jean-Paul Il fête aussi le 20e anniversaire de son pontificat, et en tant que philosophe, il a voulu placer ce pontificat sous le Slgne d’un dialogue enrichissant avec la philosophie.
Enfin, une encyclique répond toujours à une urgence du temps présent. Si le pape publie Fides et ratio, ce n’est pas seulement pour dire son estime profonde pour la philosophie, c’est parce qu’il discerne une menace pesant sur la philosophie en tant que recherche de la vérité ultime. Et cette menace touche l’Église car, pour elle, la philosophie, en plus de sa mission propre, joue un rôle essentiel au service de l’intelligence de la foi.
EAN -PAUL Quelles en sont les grandes lignes ? Cette encyclique a pour objet de montrer l’alliance non seulement naturelle mais nécessaire et féconde de la foi et de la raison pour le croyant. Dans cette optique, Jean-Paul Il tient à mettre en valeur les richesses de la réflexion philosophique sur le plan de ses aspirations, de ses méthodes et de sa ri ueur conceptuelle : ce texte est donc d’abord un hommage d’u philosophique nourrit et affermit la réflexion théologique.
Mais Jean-Paul Il met aussi en lumière les risques de dérive que connait la philosophie contemporaine et cherche à montrer comment la philosophie, lle aussi, gagne à se mettre au service de la compréhension de la Vérité Révélée. Jean-Paul Il développe sa pensée en trois étapes : il examine d’abord les vocations respectives de la foi et la raison, avant de présenter le combat spirituel de la raison et de la foi, et enfin la mission aujourd’hui de la raison et de la foi. ? La Foi et la Raison sont comme les deux ailes qui permettent ? de s’élever vers la contemplation de la vérité. C’est Dieu qul a mis l’Homme le désir de connaître la vérité et, au terme, de Le vérité sur luimême. » Introduction : « Connais-toi toi-même » La réflexion part d’une expérience existentielle, qui est par conséquent tant celle du croyant que de celle du philosophe : en déchiffrant le monde, par un émerveillement à la fois naturel et volontaire, PHomme se pose des questions sur les objets qui l’entourent et sur lui-même.
L’Homme est un animal chercheur de vérité. Au cœur de l’Homme se trouve ainsi inscrite une quête de sens qui donne l’orientation de l’existence : qui suis-je ? d’où viens-je et où vais-ie ? Tel est le se ocratique : « Connais-toi Connais-toi toi-même Jean-Paul montre bien comment ces questions sont présentes dans toutes les cultures humaines : c’est e Christ incarné qui est la réponse à cette recherche de vérité en tant qu’universel concret.
Ayant conscience davoir reçu en Jésus le don dune vérité ultime sur VHomme et sa destinée (la « diaconie de la vérité »), ‘Église est parti prenante des interrogations sur le sens de l’existence. Cela explique l’estime profonde de l’Église pour la philosophie, dans la mesure où celleci est un « amour de la sagesse » qui s’applique à développer une réflexion sur le sens de la vie. L’Église reconnaît le trésor que constitue la capacité spéculative propre à la philosophie les concepts forgés par celle- i et les normes morales fondamentales constituent le patrimoine spirituel de l’humanité.
L’Église voit dans la philosophie le moyen de connaitre des vérités fondamentales concernant l’existence de l’Homme et la considère comme une aide indispensable pour approfondir l’intelligence de la foi et pour communiquer la vérité de l’Évangile. L’Église est donc particulièrement sensible à la menace pesant sur la philosophie contemporaine : cette encyclique est un appel à un renouvellement ou à un recentrage de la philosophie. À partir des temps modernes, la philosophie a eu tendance à détourner son ega rd du cosmos et de Dieu pour se concentrer de manière unilatérale sur fHomme.
Cela a contribué à l’essor de nouveaux et fructueux savoirs, mais a conduit à un « anthropocentrisme » à l’origine d’une occultation de la vérité qui nous dépasse. Dans ce climat de scepticisme et d l’origine d’une occultation de la vérité qui nous dépasse. Dans ce et d’agnosticisme, où le légitime pluralisme de la pensée a parfois dégénéré en relativisme indifférencié et en simple opinion, les philosophes ont préféré cultiver des jardins plus commodes que ceux de la métaphysique. 7
Cosima Flateau et Clary de Plinval L’Église, en tant que témoin de la Vérité du Christ, en appelle ? une réflexion renouvelée sur la vérité et provoque la philosophie à redevenir une sagesse embrassant les grandes questlons de l’existence, à retrouver sa vocatlon métaphyslque originelle. Telle est la raison pour laquelle Jean-Paul Il entend concentrer son attention sur la vérité et sur son fondement par rapport à la foi. Chapitre 1 : la révélation de la sagesse de Dieu Jésus révèle le père L’Église vit dans la conscience que Dieu s’est donné à connaître par Jésus, son fils.
Contre le rationalisme qui voudrait limiter la connaissance vraie au seul fruit des capacités naturelles de la raison humaine, l’Église soutient que la foi possède en propre une véritable connaissance et qu’il ne faut pas mélanger deux ordres de connaissance qui ne se confondent pas ni ne s’excluent : la connaissance par la raison naturelle et la connaissance par la foi, les vérités que l’on peut atteindre par la raison naturelle et les mystères qui ne nous sont donnés à connaître que par la Révélation.
Pour poser la question du ra art de la foi et de la raison, il importe de saisir la natur Révélation. Le but de la Révélation n’est pas la constitution d’un système de pensée. À travers les événements et les paroles qui les éclairent, la Révélation manifeste le projet de Dieu de sauver l’Homme. Irréductible à un savoir philosophique, cette Révélation s’inscrit dans l’histoire parce qu’elle coïncide avec l’engagement de Dieu aux côtés de l’Homme dans le temps.
L’histoire est le lieu où nous pouvons constater l’action de Dieu en faveur de Phumanité. C’est l’Incarnation du Fils qui fait la synthèse imprévisible de Dieu par le Christ, « l’Éternel entre dans le temps, le Tout se cache dans e fragment, Dieu prend le visage de l’Homme La vérité enfermée dans le révélation du Christ est donc ouverte ? quiconque. La raison devant le mystère Cependant, étant manifestation de Dieu, cette Révélation demeure à jamais empreinte de mystère. Même rendue accessible à la foi, elle reste une vérité insondable.
C’est pourquoi l’acte de foi est, par nature, un acte d’obéissance à Dieu qui se révèle. L’Homme donne son assentiment dans un moment de choix fondamental où toutes les dimensions de la personne sont impliquées : Vintelligence et la raison s’exercent au maximum de leurs capacités, et par à même, l’Homme grandit en liberté. Comme vérité suprême, tout en respectant [‘autonomie de la créature et sa liberté, la Révélation l’engage à s’ouvrir à la transcendance : pour l’Église, la Révélation est donc la vraie étoile ui peut orienter [‘Homme.
La raison aura son rôle jouer à condition de se laisser conduire vers l’infini de la Sagesse. Chapitre 2 : credo ut intellegam « La sagesse sait et comprend tout. » (Sg9 1 1) (SI 6-20) Après avoir dans un premier temps précisé la différence de nature entre les vérités de raison et les vérités de foi, tout en soulignant que les deux enres étaient compatibles, Jeanpaul Il souligne l’unité entre la connaissance de la raison et celle de la foi, cette dernière permettant l’approfondissement et l’affermissement de ce qu’appréhende la raison humaine.
Il n’y a donc pas de concurrence entre la raison et la foi, et la foi n’intervient pas pour réduire l’autonomie de la raison. Elle intervient en affinant le regard intérieur qui permet à I’Homme de discerner la présence de Dieu dans les événements ou dans la nature. L’Homme atteint la vérité par la raison parce qu’éclairé par a foi, il découvre le sens profond de toute chose. ? Acquiers la sagesse, acquiers l’intelligence » (Pr 4 5) (521-23) Paul dans l’épître aux Romains, affirme la capacité métaphysique de I’Homme.
Si la capacité métaphysique native de la raison humaine a été blessée par le refus originel qui a dressé l’Homme contre Celui qui est source de toute vérité (Genèse), la raison humaine peut être guérie par la lumière du Verbe incarné. Dans cette perspective, il faut garder en memoire la distinction entre sagesse de ce monde et sagesse révélée en Jésus-Christ : c’est un grand défi pour la raison que d le sagesse du Crucifié. ID 83