Nathalie Sarraute, Enfance, Le jardin du Luxembourg

Nathalie SARRAUTE, Enfance Pourquoi vouloir faire revivre cela, sans mots qui puissent parvenir à capter, à retenir ne serait-ce qu’encore quelques instants ce qui m’est arrivé… comme viennent aux petites bergères les visions célestes… mais icl aucune sainte apparition, pas de pieuse enfant… J’étais assise, encore au Luxembourg, sur un banc du jardin anglais, entre mon p or7 dans la grande cham cl posé sur le banc entr ous gros livre relié… il me d’Andersen. B ge m’avait fait danser onade. Il y avait, x de l’un d’eux, un s Contes Je venais d’en écouter un passage… e regardais les espaliers en leurs le long du petit mur de briques roses, les arbres fleuris, la pelouse d’un vert étincelant jonchée de pâquerettes, de pétales blancs et roses, le ciel, bien sûr, était bleu, et pair semblait vibrer légèrement… et à ce moment-là, c’est venu… quelque chose d’unique… qui ne reviendra plus jamais de cette façon, une sensation d’une telle violence qu’encore maintenant, après tant de temps écoulé, quand, amoindrie, en partie effacée elle me revient, j’éprouve… mais quoi ? quel mot peut s’en saisir ? as le mot à tout dire : « bonheur », qui se présente le premier, non, pas lui… ? félicité « exaltation sont trop laids page laids, qu’ils n’y touchent pas… et « extase » . comme devant ce mot ce qui est là se rétracte… «Joie oui, peut-être… ce petit mot modeste, tout simple, peut effleurer sans grand danger… mais il n’est pas capable de recueillir ce qui m’emplit, me déborde, s’épand, va se perdre, se fondre dans les briques roses, les espaliers en fleurs, la pelouse, les pétales roses et blancs, l’air qui vibre parcouru de tremblements à peine perceptibles, d’ondes… es ondes de vie, de vie tout court, quel autre mot de vie à l’état pur, aucune menace sur elle, aucun mélange, elle tteint tout à coup Pintensité la plus grande qu’elle puisse jamais atteindre… jamais plus cette sorte d’intensité-là, pour rien, parce que c’est là, parce que je suis dans cela, dans le petit mur rose, les fleurs des espaliers, des arbres, la pelouse, pair qul vlbre„. je suis en eux sans rien de plus, rien qui ne soit à eux, rien à moi. Nathalie sarraute, Enfance, 1983, FOIi0, pp. 66-67. N.

SARRAUTE, Enfance : Les mécanismes du souvenir Plan détaillé de commentaire composé Introduction Enfance de N. Sarraute est une autobiographie assez récente, rédigée dans le dernier quart du XXe siècle. Dans cet extrait, l’auteur évoque un souvenir d’enfance assez anodin, mais le raconte selon des modalités originales. Le récit d’une anecdote permet alors de mettre au jour le travail de mémoire réalisé par l’écrivain et les diffic PAG » rif 7 permet alors de mettre au jour le travail de mémoire réalisé par l’écrivain et les difficultés auxquelles il se heurte dans son effort pour donner un sens à ses souvenirs.

Nous examinerons d’abord le caractère ambigu du souvenlr évoqué, nous étudierons ensuite les mécanismes permettant la résurgence du souvenir, et nous analyserons enfin le travail ‘interprétation réalisé par l’écrivain. 1. Un souvenir ambigu Contraste entre impression de bonheur laissée par l’enfance et souvenir d’un evénement mal vécu. 1 . 1. une impression de bonheur liée à l’entente de la mère et du beau-père Réclt Ilmnaire : impressions diffuses laissées par l’enfance.

Complicité des parents . . Complicité affective : Absence de conflit : euphémismes de Kalia pour marquer son désaccord : « Ah, laisse cela, s’il te plaît… Ce n’est pas du tout ça, rien de pareil » . Complicité culturelle/ intellectuelle : « ils parlaient d’écrivains, de livres » (zoom ) : Personnage de Kolia Aménité du tempérament : « douceur », « bonhomie h, « air d’admiration, presque d’ado ation » face à la mère, « regard bienveillant » posé sur l’enfant. 1. 2. Cependant) événement anodin ayant laissé un goût amer Anecdote : – Jeu de la mère et de Kolia, fausse dispute : « Maman et Kolia faisaient semblant de lutter, ils s’amusaient… » – L’enfant veut « participer » au jeu : elle « pren(d) le parti de Maman comme pour la défendre » : ( PAGF3C,F7 L’enfant veut « participer » au jeu : elle « pren(d) le parti de Maman comme pour la défendre » : (compl. circ. Hypothético- omparatiO : compréhension du principe de la fausse dispute et même feinte que les parents. – Phrase marquante prononcée par la mère : « Laisse donc.. emme et mari sont un même parti » révèle . mauvaise interprétation de la manœuvre « pour rire » de l’enfant. . refus de la faire participer au jeu -> Sentiment d’incompréhension et d’exclusion ressenti par Cl Le souvenir rapporté s’avère désagréable et contredit l’impression de bonheur que la narratrice garde de son enfance. C’est pourquoi, bien qu’il soit marquant, il a été en partie refoulé. Trans. : Les souvenirs d’enfance apparaissent donc fragmentaires, t réclament, pour être consignés dans une autobiographie, un effort de recherche. . Les mécanismes du souvenir Dans cet extrait, N. Sarraute dévoile les mécanismes permettant la résurgence de souvenirs anciens. 2. 1. Les réceptacles du souvenir Les souvenirs, surtout s’ils sont lointains, se cristallisent sur : – Des images concrètes prenant une valeur symbolique : . Personnage de Kalia incarnation d’une enfance heureuse individu évoqué dans l’extrait, avant la mère elle-même. . Physionomie de Kolia = reflet/ symbole/ de l’aménité de son tempérament : portrait physique précédant le portrait psychologique.

Fragmentation • « Joues ar : 1er tempérament : portrait physique précédant le portrait psychologique. Fragmentation : « joues arrondies… yeux myopes… mains potelées » devenus pour l’enfant les emblèmes de la douceur de Kalia. – Des phrases, singulièrement gravées en la mémoire, devenues réceptacles et indices d’événements marquants : . Phrases de Kolia : « Ah, laisse cela, s’il te plaît » : emblème de l’entente des parents. . « Petit dicton » : « Femme et mari sont un même parti » : emblème d’un malaise ressenti par l’enfant 2. . La résurgence du souvenir réclame un effort de recherche … car il s’agit de sensations floues : métaphore du « promontoire inconnu qui surgit un instant du brouillard » – Effort transcrit à travers un dialogue, mais il s’agit d’un faux dialogue entre deux avatars de la narratrice ; un monologue intérieur à deux voix : La 1ère voix (répliques à la 1ère personne) s’efforce de revivre le souvenir La 2ème voix rassiste dans son effort . par des questions : « Crois-tu vraiment ? » ; « Et c’est tout ? » . ar des encouragements : « Allons, fais un effort… » ; « C’est bien, continue… » – Effort représenté par un style discontinu marqué par ‘aposiopèse N. Sarraute offre une visibilité au travail de l’écrivain rédigeant son autobiographie en mettant au jour un travail de mémoire. Trans. : Mais elle révèle aussi que l’écrivain ne saurait présenter ses propres souvenirs de façon objecti aussi que l’écrivain ne saurait présenter ses propres souvenirs de façon objective : le souvenir retrouvé est ensuite interprété par le sujet. . Les difficultés posées par le travail d’interprétation 1 . 1. L’analyse du souvenir Le faux dialogue permet d’analyser le souvenir car deux rôles différents sont dévolus aux voix : La 1ère voix exprime les sensations : « c’est ce que j’ai senti longtemps après » ; « … sur le moment ce que j’ai ressenti était très léger… » Elle accorde une place au doute : « Il m’a semblé sur le moment – a 2ème voix exprime un effort d’analyse : vocabulaire du raisonnement : « … la preuve en est que… » ; « Crois-tu… ? ; « regarde… » ; « … je te l’accorde… » Elle remplit le même rôle que le médecin chargé d’aider un patient à réaliser sa propre analyse. 3. 2. la divergence des interprétations possibles Le dédoublement de la narratrice présente deux tendances ontraires dans l’interprétation du souvenir : La 1 ère voix tend à idéaliser a posteriori l’événement : atténuation du traumatisme ressenti : « … ce que j’ai ressenti était très » . circonstances atténuantes accordées à la mère : mauvaise interprétation : « … aman avait pensé que je voulais pour de bon la défendre… » – La 2ème voix cherche à mettre en lumière un traumatisme . elle souligne systématiquement les sensations de malaise en contredisant la 1ère voix : « … tu sais bien que sur le systématiquement les sensations de malaise en contredisant la 1 ère voix « … tu sais bien que sur le moment… ?/ « Oh, même sur le moment… » « … et je me suis écartée… »/ « Aussi vite que si elle t’avait repoussée violemment » « … c’est cela que tu as ressenti et avec quelle force… ? Les limites de l’analyse – La 2ème voix pousse l’analyse jusqu’à l’interprétation des mouvements qui animent autrui : sentiments de la mère : « l’air un peu agacé et ses intentions « il faut que l’organisme où il s’est introduit (métaphore du couple formé par la mère et Kolia) l’élimine » – La 1 ère voix intervient alors pour moduler l’interprétation : « Non, cela, je ne l’ai pas pensé… » ; « Non, tu vas trop loin N. Sarraute met en évidence à la fois les modalités de l’analyse de soi-même et les dangers que peut présenter l’introspection.

Conclusion A travers cet extrait de l’autoblographie de N. Sarraute, on découvre les difficultés soulevées par ce genre littéraire qui se distingue du récit traditionnel par son ancrage sur le réel. A travers l’étude des mécanismes du souvenir, on découvre le souci de l’écrivain de relater des événements authentiques, en dépit de l’érosion du temps. L’analyse des modalités de l’interprétation du souvenir et de ses limites atteste, quant à elle, la sincérité de l’écrivain.