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En quelles pratiques enseignantes consiste aujourd’hui la formation littéraire ? Et quels effets produisent-elles en termes de représentations et d’apprentissages chez les élèves ? pour aborder ces questions, le présent article convoque et confronte différentes enquêtes récentes, avant de s’interroger sur les modèles théoriques et didactiques sous-jacents aux pratiques d’enseignement-apprentissage de la littérature.

Ce faisant, il souligne la rupture historique qu’a constitué le passage d’une didactique axée sur la seule littérature à une didactique davantage centrée sur la lecture, et il distingue trois conceptions rop souvent confondues de la « lecture littéraire » : celle qui se fonde sur la participation psychoaffective du lecteur aux contenus textuels, celle qui pri inspirée de Picard, q entre ces deux déma Haut de page plan itique, et celle, et-vient dialectique OF p g Que nous révèlent les pratiques des acteurs ?

Le choix des textes : dispersion ou fidélité aux classiques ? Les Humanités (et les savoirs) vs les Méthodes (et les compétences) une conception restreinte de la littérature et de son étude Du côté des élèves : prégnance de la lecture référentielle, résistance aux lectures scolaires et rôle clé de la motivation

Le partage social et sexuel inégal de la lecture et du rapport à la littérature Un déficit de réflexivité Les modèles didactiques en présence : la tension littérature/ lecture La formation littéraire comme transmission d’un corpus L’enseignement de la lecture, un paradigme alternatif littéraire La lecture littéraire comme mise à distance critique La lecture littéraire comme participation psychoaffective La lecture littéraire comme va-et-vient dialectique Que faire concrètement ? our conclure provisoirement Notes de la rédaction Cet article applique les recommandations orthographiques de ‘Académie française. Texte intégral PDFSignaler ce document ISi le concept de lecture littéraire a aujourd’hui la cote chez les didacticiens, il ne fait pas pour autant l’unanimité et, jusqu’? ce jour, l’interrogation à son propos s’est centrée davantage sur la mise au point de modèles théoriques, de programmes d’apprentissage ou d’outils didactiques que sur l’étude des pratiques réelles des enseignants et de leurs effets en termes de perceptions et d’apprentissages chez les élèves.

Confronter les concepts aux pratiques réelles est pourtant nécessaire à un triple itre : on ne peut agir sur une situation que si on la connait, la théorie n’a de sens que reliée aux faits, et l’induction est l’un des plus solides garde-fous contre l’idéologie 2Dans cette perspective, je voudrais ici interroger le statut de la lecture littéraire selon le double regard des pratiques effectives et des modèles théoriques. J’espère ainsi contribuer à une meilleure prise en compte des tensions qui sont à la fois inéluctables et nécessaires entre ces deux points de vue. Les pratiques d’enseigne issage de la lecture et de 31 données se fier, au demeurant ? Le dilemme est réel entre es enquêtes quantitatives, forcément grossières mais seules susceptibles de fonder des généralités, et les études qualitatives, plus finesl, mais par nature non généralisables. Sajoute à cela le fait que maintes données déjà recueillies apparaissent comme peu représentatives parce qu’elles émanent d’enseignants débutants et/ou d’activités que le chercheur a lui-même suggérées.

Enfin, si elles portent parfois sur la place accordée à la littérature ou sur les démarches de lecture mises en œuvre, les enquêtes sur les pratiques en classe de français sont rarement iblées sur la question spécifique de la lecture littéraire. 4Le constat de ces limites doit nous Incliner à la prudence face ? la fascination exercée par les réalités du « terrain pour autant, il n’implique pas qu’il faille renoncer à identifier, autant que possible et selon des méthodologies toujours plus affinées, ce que font les enseignants et leurs élèves.

Au demeurant, on a vu paraitre au cours des douze dernières années plusieurs études qui permettent aujourd’hui d’avancer quelques constats assez généraux. 51Jn premier ensemble de constats concerne les choix de textes réconisés par les enseignants. Plusieurs enquêtes Intéressantes ont ainsi été menées par Georges Legros et l’équipe du CEDOCEF à propos des professeurs belges au cours des années 1990 ( egros, Monballin et Vander Brempt, 1991 ; Monballin et Legros, 1994).

Ces études, qui portent sur les déclarations des élèves et des enseignants à propos des corpus littéraires étudiés à la fin du secondaire, soulignent toutes la dispersion considérable qui caractérise ce étudiés à la fin du secondaire, soulignent toutes la dspersion considérable qui caractérise ce corpus : aucun auteur – et a ortiori aucune œuvre – poétique, romanesque ou dramatique n’est connu de tous, et les quelques noms et titres qui arrivent en tête du hit-parade attestent une représentation singulièrement restreinte et hexagonale de la littérature. ? titre d’exemples, les cinq poètes à dépasser 50 % des mentions sont Baudelaire (80 verhaeren (70 Hugo (69 Vigny (59 et Lamartine (59 c’est-à-dire exclusivement les « mages » du xixe siècle, et, du côté des romanciers et des dramaturges, aucune œuvre n’obtient 50 % des mentions, les plus citées étant L’étranger (47 La peste (34 Germinal (33 Madame Bovary (31 L’écume es jours (30 h) et Huis clos (27 %).

D’une manière absolue, 83 % sont des titres francophones, et 80 % des titres français ; les auteurs belges n’ont droit qu’à 3 % des mentions. Ces données ont été corroborées huit ans plus tard par une étude menée par D. Lafontaine auprès des élèves de 5e secondaire : chez ceux-ci comme chez leurs ainés, c’est la multiplicité et l’éclatement qui frappent de prime abord, et l’absence du partage de références communes (Lafontaine, 2002a). En France, le corpus littéraire enseigné au Collège a fait l’objet d’une enquête de grande ampleur de la part de Danièle Manesse t d’Isabelle Grellet (1 994), qui tirent de leurs observations une conclusion plutôt optimiste : d’une part « les professeurs de français ne délaissent en rien les classiques d’autre part, « ni les « romans en vogue » ni la presse n’ont pris une part importante dans le cours de français » (p. 9). La liste des textes les plus lus révèle le privilège accordé à la li 4 31 le cours de français » (p. ). La liste des textes les plus lus révèle le privilège accordé à la littérature narrative, même si, en tête du hit-parade, on trouve ici Molière, suivi de Maupassant, de Daudet, de Pagnol et de Tournier. En revanche, les auteurs étrangers sont très peu nombreux. On constate par ailleurs que ce hit-parade ne correspond que partiellement au patrimoine tel que le perçoivent les professeurs, lequel privilégie dans l’ordre Molière, Hugo, Flaubert, Racine et Balzac.

Sur le plan des méthodes, les professeurs interrogés s’accordent sur l’équilibre ? établir entre la lecture d’œuvres intégrales et celle de morceaux choisis, et, lorsqu’ils étudient un texte en classe, les activités qu’ils développent le plus sont la lecture à haute voix (64 %), le fait de situer le texte dans différents contextes (48 h), la lecture ilencieuse (42 %) et l’appel aux impressions des élèves (41 Ils s’accordent enfin à reconnaitre que les obstacles majeurs de l’enseignement de la littérature tiennent aux limites langagières des élèves et à leur manque d’intérêt a priori pour la lecture. 1_a comparaison de ces enquêtes montre bien que les corpus privilégiés par l’école oscillent entre la dispersion et la fidélité ? un noyau de textes classiques, mais cette oscillation semble être largement fonction de contingences nationales. es Humanités (et les savoirs) vs les Méthodes (et les 8D’autres enquêtes ont été menées dans des classes du Lycée ar Michel P.

Schmitt dans le cadre de sa recherche doctorale (1994), ainsi que par Bernard Veck (1994) pour le compte de l’INRP : leurs résultats mettent en évidence, chez l’un, la perpétuation de la transmission magistrale traditionnelle qui caractérise évidence, chez fun, la perpétuation de la transmission magistrale traditionnelle qui caractérise un grand nombre de classes, chez l’autre, la tension entre deux grands modèles d’enseignement de la littérature (les « Humanités » et les « Méthodes Malgré le constat du poids de la tradition, ce qui ressort ici, c’est la endance croissante à étudier la littérature non plus pour elle- même, mais comme un objet-ressource mis au service d’autres compétences jugées plus fondamentales et/ou plus utiles pour la vie sociale2.

Il est probable que cette tendance n’a fait que s’accentuer au cours de la dernière décennie sous rinfluence des instructions officielles qui, sous des formes diverses, et au grand dam des conservateurs hermétiques aux avancées des sciences de l’éducation3, ont préconisé d’aborder davantage les savoirs littéraires au départ des genres discursifs qui tout à la fois les raversent et les nourrissent. Une conception restreinte de la littérature et de son étude 9Plus récemment, une intéressante enquête a été menée par Anne-Raymonde de Beaudrap auprès de plusieurs centaines d’étudiants en 1re et 2e années de formation « PLC » de l’IlJFM des pays de la Loire (2004). Cette enquête portait non pas directement sur les pratiques d’enseignement de la classe de français, mais sur les déclarations des étudiants à leur propos. Je voudrais en pointer ici les traits les plus saillants. IOL’enquête relève d’abord le caractère lacunaire des savoirs ransmis.

Si la priorité est donnée aux trois grands genres littéraires – récit, poésie, théâtre -, on remarque une quasi absence de la sociologie, de la pragmatique, de la rhétorique, ainsi qu’une maigre place accordée aux approches historiques, génériques, ar pragmatique, de la rhétorique, ainsi qu’une maigre place accordée aux approches historiques, génériques, argumentatives et intertextuelles et une faible importance conférée à la problématisation de la notion de littérature : celle-ci est perçue comme un en-soi objectif (un patrimoine, une histoire, une vision u monde) ou comme une expérience subjective (connaissance et compréhension du monde et de soi), mais on ignore quasi totalement la littérature comme création artistique ou esthétique. En outre, le corpus privilégie presque exclusivement le patrimoine français classique. 1 IQuand on les interroge sur la cause de leurs choix, les enseignants font état d’un regard critique sur la formation reçue. ? l’université, les programmes sont jugés lacunaires, sans cohérence, les méthodes sont jugées inexistantes ou inadaptées, l’enseignement sans prise sur le métier, la vision de la littérature st perçue comme fermée et stérile. On pointe aussi des lacunes de la formation universitaire en ce qui concerne l’épistémologie de la discipline. À l’IUFM, à l’inverse, on apprend des méthodes de lecture et un nouveau regard sur la littérature, mais, selon les enseignants interrogés, celle-ci reste globalement trop peu abordée ou est dévitalisée. 12Les pratiques enseignantes mises en œuvre par les professeurs débutants en France sont en fait fortement influencées par le poids des concours de recrutement (CRPE, CAPES, agrégation).

D’où un cercle vicieux, dans la mesure ou, aux yeux de beaucoup e formateurs et de jeunes enseignants, les savoirs « utiles » (pour la formation comme pour renseignement) sont ceux qui participent des représentations et des savoirs déjà là. 13Par ailleurs, dans cet enseignement, l’élèv représentations et des savoirs déjà là. 13Par ailleurs, dans cet enseignement, l’élève est au centre. Enseigner la littérature est assimilé à vivre et à partager un plaisir, et à donner accès à ce plaisir. Les professeurs se montrent dès lors hostiles aux lectures analytiques, ce qui ne les empêche pas d’adhérer largement à la lecture méthodique. précisément, l’enquête fait apparaitre la coexistence de trois profils d’enseignants : le charismatique, qui vise à faire aimer la littérature par la transmission d’une passion partagée, l’expert, qul se soucie plutôt de faire maitriser des savoirs et des techniques d’analyse, et 1’« appropriateur qui cherche surtout à mettre les élèves en contact personnel et autonome avec les textes. 14Enfin, Pidentité professionnelle de celui qui enseigne la littérature au secondaire est incertaine : est-il d’abord prof de français ou bien prof de lettres ? Selon l’enquête, l’importance ccordée à la littérature, qui est très variable d’un enseignant ? l’autre, dépend largement de la formation de base – lettres ou sciences du langage – reçue avant l’IlJFM. 511 ressort de cette enquête une impression mitigée : la littérature y apparait, de toute évidence, comme une matière centrale de l’enseignement du français, mais beaucoup d’enseignants et de formateurs ont manifestement des difficultés à renouveler les formes de sa transmission et a mettre en œuvre à son propos des savoirs et des cadres théoriques suffisamment riches. 16Constatons aussi la tendance à aborder la littérature surtout ar le biais de la lecture et des savoirs, en négligeant les axes, à la fécondité pourtant maintes fois soulignée, de l’écriture (cf. notamment Penloup, 2000), de l’oralité ( maintes fois soulignée, de l’écriture (cf. notamment Penloup, 2000), de l’oralité (cf. notamment Ronveaux, 2002) et du rapport ? la langue (cf. notamment Aron et Viala, 2005). 7Si Fon cherche ensuite à caractériser la manière dont les élèves se situent face à la littérature, on peut se fonder sur quelques enquêtes récentes qui ont cherché à mesurer les compétences de lecture acquises à tel ou tel niveau de la scolarité 8Je songe ici bien sûr d’abord à renquête Pisa, qui concerne l’ensemble des pays de l’OCDE et est réitérée tous les trois ans, mais dont il faut rappeler que la partie relative au français, exclusivement centrée sur la maitrise de la langue et la compréhension en lecture, ne s’intéresse guère à la lecture de la littérature (Lafontaine, 2002b). Du côté belge, je songe aussi à l’évaluation externe de la compréhension en lecture qui est effectuée tous les deux ans par le Ministère de l’Education auprès de tous les élèves de 1 re, 3e et 5e année secondaire e la Communauté française de Belgique, et dont les résultats sont analysés, comme ceux de Penquête Pisa, par Dominique Lafontaine et son équipe (cf. notamment Lafontaine, 2002a).

Du côté français, la dernière enquête d’importance relative aux pratiques de lecture des élèves est celle que Christian Baudelot, Marie Cartier et Christine Detrez ont publiée en 1999 sous le titre Et pourtant, ils lisent… Enfin, au Québec, une enquête d’importance sur les pratiques de lecture des adolescents a été publiée en 2004 sous la direction de Monique Lebrun. Cette enquête a notamment le mérite de mettre en évidence les elations direction de Monique Lebrun. Cette enquête a notamment le mérite de mettre en évidence les relations parfois paradoxales entre la lecture des textes imprimés et la lecture sur écran d’ordinateur. 19Au-delà de leurs spécificités, ces différentes enquêtes permettent de poser quelques constats récurrents.

En premier lieu, quel que soit le pays, toutes convergent pour constater la prédominance chez les élèves de la lecture psychoaffective, orientée éthiquement : pour l’immense majorité des adolescents, lire, c’est d’abord vivre (Burgos, 1993). Cette propension pour a dimension existentielle ou anthropologique du rapport aux œuvres va de pair avec un gout affiché pour les corpus « non scolaires » : même si quelques auteurs « au programme » (en particulier, Molière, Zola et Camus) recueillent une cote de popularité appréciable, les auteurs favoris des élèves s’appellent davantage Amélie Nothomb, Stephen King, Agatha Christie, Joan K. Rowling (l’auteur de Harry Potter) ou Betty Mahmoody (l’auteur de Jamais sans ma fille) que Racine, Balzac, Flaubert, Proust ou Kafka.

II existe donc un décalage non négligeable entre les modes e lecture et les corpus privilégiés par l’école et ceux que tendent à privilégier spontanément les élèves. 20Ce décalage est sans nul doute une des causes de la démotivation envers la lecture qui gagne beaucoup d’élèves au fil de leur scolarité, car plusieurs enquêtes (de D. Lafontaine notamment) ont démontré la forte influence de l’engagement dans la lecture sur le développement des compétences lecturales : plus un élève est motivé à lire, plus ses performances de lecteur s’améliorent. 21À l’inverse, Baudelot, Cartier et Detrez (1999) soulignent le clivage croissant qui s’opère a 0 1