Controle de gestion et gouvernance

C HAPITRE 1 Historique Issue des élaborations théoriques caractérisant l’économie néo- Institutionnelle, en particulier de la théorie dite «de l’agence », popularisée aux USA par Jensen et Meckling (1 976), au milieu des années 1970, la réflexion sur la gouvernance d’entreprise corporate governance chez les Anglo- Saxons — désigne les doctrines et les pratiques relatives à l’organisation du pouvoir de décision dans les sociétés par actions.

Dès 1 932, Berle et Means (1967) avaient souligné les conséquences pour l’actionnaire de la prise de pouvoir du management et de ‘appareil technocratique dans la direction des entreprises. Les Américains montraie l’objectif premier de l’opportunisme strat pourtant censés le re intérêt, ceux-ci peuv 9 Swipe p u profit , qui est ise en cause par son état-major, iser leur propre d’investissement ou de rémunération sous-optimales pour l’actionnariat – risque d’autant plus grand que ce dernier est dispersé et désorganisé, autrement dit éloigné des réalités du terrain et sans possibilité de communication entre ses parties.

Qu’on songe simplement au fait que le PDG dispose d’informations qu’il peut cacher à son conseil d’administration, pouvant aire voter par ce dernier des décisions d’investissement qui gonfleront temporairement le résultat de la société – et donc le montant des primes et stock-options qui lui seront versées – sans qu’il n’ait à assumer les conséquences de ses choix, en cas de chute des cours.

Management et technos truc- ture ap to next page apparaissent ainsi comme des «filtres» dangereux, des sources de risque du point de vue des actionnaires. Ceux-ci doivent concevoir des dispositifs de contrôle des décisions managériales afin de juguler les comportements opportunistes des dirigeants et les conduire à prendre les décisions les plus favorables ux investisseurs.

Ainsi, la corporate governance désigne l’ensemble des dispositifs de contrôle et de disciplinarisation du management – on pourrait dire, en sui- vant Perez (2003), de management des managers – conçus et mis en place par l’actionnariat (le «principal», dans la théorie de l’agence), afin d’aligner l’intérêt des managers (les «agents») sur l’intérêt (financier) des actionnaires, dans un modèle général de gouvernance qui consacre, il faut le souligner, l’hégémonle des marchés financiers sur la marche des entreprises cotées. G.

Charreaux (1997) décrit ainsi la gouvernance comme «l’ensemble es mécanismes organisationnels qui ont pour effet de délimiter les pouvoirs et d’influencer les décisions des dirigeants, autrement dit, qui « gouvernent » leur conduite et définissent leur espace discrétionnaire» DISCIPLINARISER LE MANAGEMENT Ce type de préoccupation de contrôle s’est généralisé à partir des années 1980, avec l’essor des fonds d’investissements dits «mutualistes» (fonds de pension et fonds insti- tutionnels), chargés de la gestion de l’épargne d’une grande quantité d’individus atomisés (ce que sont, par exemple, les employés des grandes administrations américaines).

Il est concomitant également de la réapparition d’une rente financière, c’est-à- dire d’un développement économique où les taux d’intérêt redeviennent supérieurs aux taux d’inflation (et/ou au tau lg développement économique où les taux d’intérêt redeviennent supérieurs aux taux d’inflation (et/ou au taux de croissance), contrairement à ce qui se pas- sait durant les Trente Glorieuses. Dans une telle situation, où l’inflation disparait, ainsi que l’écrit Y. Péqueux (2000, p. 9), la «situation des prêteurs devient structurellement avantageuse». Dès lors, la valeur actionnariale a devenir Pétalon de la performance des placements financiers: les placements en actions vont l’emporter sur tous les autres, dès lors qu’ils se montrent incapables d’égaler les rendements des valeurs actionnariales.

En contrepartie de l’argent prêté, les investisseurs vont cependant exiger un droit de regard plus grand sur la conduite des affaires. Par ce droit de regard, il cherche à avoir une meilleure connaissance des risques Inhérents à leurs placements et, le cas échéant, les réduire. C’est donc dans un contexte de renouvellement du capitalisme que s’est développée la problématique de la gouvernance e l’entreprise, essentiellement conçue comme le processus de «disciplinarisation» des dirigeants d’entreprise. Adam Smith et les sociétés par actions Cette problématique de la gouvernance ne fait que réactiver une question déjà abordée au XVIII e siècle par A.

Smith dans son ouvrage Recherches sur la nature et les cause de la richesse des nations , à propos des sociétés par actions. Il y exprime tout le mal qu’il pense de cette forme juridique, malgré son succès social. Au chapitre I du livre V, on peut en effet lire le passage suivant:«Le commerce d’une compagnie par actions est toujours conduit par un corps de irecteurs. À la vérité, ce corps est souvent sujet, sous beaucoup de rappor de rapports, au contrôle de l’assemblée générale des pro- priétaires. Mais la majeure partie de ces propriétaires ont rarement la prétention de rien entendre aux affaires de la compagnie, mais bien plutôt, quand l’esprit de faction ne vient pas à régner entre eux. out ce qu’ils veulent c’est de ne se donner aucun souci là-dessus, et de toucher seulement l’année ou les six mois de dividende, tels que la direction juge à propos de les leur donner, et dont ils se tiennent tou- jours contents. L’avantage de se trouver absolument délivré de tout embarras et de tout risque au-delà d’une somme limitée, encourage beaucoup de gens (qui, sous aucun rapport, ne voudraient hasarder leur fortune dans une société particulière) à prendre part au jeu des compagnies par actions. Aussi, ces sortes de compagnies attirent- elles des fonds beaucoup plus considérables qu’aucune société parti- culière de commerce ne peut se flatter d’en réunir.

Néanmoins, les directeurs de ces sortes de compagnies étant les régisseurs de l’argent d’autrui plutôt que de leur propre argent, on ne peut guère s’attendre à ce qu’ils y apportent cette igilance exacte et soucieuse que les associés d’une société apportent souvent dans le maniement de leurs fonds. Tels que les intendants d’un riche particulier, ils sont portés a croire que l’attention sur les petites choses ne conviendrait pas à l’honneur de leurs maîtres, et ils se dispensent très aisément de l’avoir. Ainsi, la négligence et la profusion doivent toujours dominer plus ou moins dans l’administration des affaires de la compagnie. C’est pour cette raison que les compagnies par actions pour le comm 4 OF lg l’administration des affaires de la compagnie.

Cest pour cette raison que les compagnies par actions pour e commerce étranger ont rarement été en état de soutenir la concurrence contre les particuliers qui se sont aventurés dans le même commerce Aussi, ont-elles très rarement réussi sans l’aide d’un privilège exclusif, et souvent encore elles n’ont pas réussi, même avec cette aide. Sans privilège exclusif, elles ont ordinairement mal dirigé le commerce dont elles se sont mêlées; avec le privilège exclusif, elles l’ont mal dirigé et l’ont comprimé tout à la fois.  » 3Ce passage tiré de l’œuvre de Smith met en relief divers aspects du fonctionnement économique des débuts du capitalisme et de ce qui était, pourrait-on ire, la «culture professionnelle» de certains de ses acteurs.

Smith souligne l’impéritie et le désintérêt des investisseurs de son temps vis-à•vis des affaires dans lesquelles ils placent leur argent – quand il ne s’agit pas de leur mésentente. Une telle attitude les met fatalement à la merci des directeurs auxquels ils ont confié leurs intérêts, en particulier à propos du montant des dividendes que ceux-ci consentent à leur verser – dont les actionnaires semblent toujours se contenter, pourvu qu’on les débarrasse du souci d’avoir à gouverner eux-mêmes leurs affaires. On ne peut mieux exprimer la problématique elative à ce qui est devenu la réflexion sur la gouvernance de l’entreprise et ses transformations actuelles.

De ce point de vue, on dira qu’à rebours des constats faits par Smith, l’évolution a été favorable à une implication de plus en plus grande des actionnaires dans le contrôle des activités qu’ils financent. Smith évoque, par ailleurs, le compo des activités qu’ils financent. Smith évoque, par ailleurs, le comportement des directeurs en charge des affaires confiés par les actionnaires. Ceux-là jugent inutile de conduire des investigations détaillées sur la marche des activités et de endre des comptes scrupuleux sur l’état des dépenses, contrairement à ce qu’on observerait dans une entreprise où les dirigeants sont aussi les apporteurs de capitaux et ? ce titre comptable des erreurs de gestion.

Une telle situation ne peut qu’entrainer une efficacité moindre de l’entreprise, sauf à bénéficier de privilèges particuliers, comme un droit de monopole, par exemple. Ces arguments plaident, chez Smith, en défaveur des sociétés par actions. L’histoire n’a cependant pas entendu les recommandations de Smith, les sociétés par actions s’étant largement imposées. Sans doute pour leur capacité à lever des fonds supérieurs à toute autre forme d’entreprise, sans supprimer cependant les problèmes soulevés par l’auteur écossais. Cest ce qui fait assurément que les années 1980 n’ont pu éviter de revenir sur cette question du contrôle des mandataires nommés par les actionnaires.

Au cours des 30 dernières années, de nombreuses préco- nisations ont été avancées pour garantir l’alignement des intérêts des dirigeants sur celui des actionnaires, depuis les bonus indexés sur les bénéfices, jusqu’à la distribution de stock options (ce qui permet e lier la rémunération du diri- geant à la valeur de l’action de l’entreprise), en passant par la mise en place par le conseil d’administration de procédures et de structures de surveillance (nomination d’administra- teurs indépendants, comité d’audit, comité de rémunération, comité de nomination, etc. ). La f 6 OF lg d’administra- teurs indépendants, comité d’audit, comté de rémunération, comité de nomination, etc. ).

La formule quasi universelle désormais est celle favorable à l’institution d’un «Conseil de surveillance», composés d’administrateurs dits «indépen- dants», membres des différents comités d’experts, t placé au-dessus d’un «Directoire», chargé de la définition de la stratégie de l’entreprise, appliquée par le Directeur Général (DG). Cobjectif visé ici est d’interdire au directeur général (DG) d’être également président du conseil d’administra- tion (PDG), comme cela se faisait couramment avant les années 1980 (situation dans laquelle c’était le PDG qui défi- nissait tout seul, par exemple, le montant de son salaire). Il n’est pas dit toutefois que cette mesure suffise à résoudre tous les problèmes. La question subsiste en effet de savoir qui contrôle les contrôleurs. Contrôler les contrôleurs… _a problématique du contrôle de ceux qui sont en charge des contrôles est aussi ancienne sans doute que celle du contrôle lui- même. On peut lire par exemple chez Marx les considérations suivantes: «Dans les entreprises par actions, sur la base de la pro- duction capitaliste, une nouvelle duperie se fait jour au sujet du salaire d’administrateur: à côté et au-dessus des véritables admi- nistrateurs surgissent un grand nombre de membres de conseils d’administration et de gérance pour qui l’administration et la gérance deviennent en réalité de simples prétextes pour polier les actionnaires et pour s’enrichir eux-mêmes» ( Le Capital , Livre Ill paris, Éditions Sociales, 1976, p. 61 Il apparaît ainsi que les problèmes de gouvernance n’intéressent pas seulement le duo managers-actionnair les problèmes de gouvernance n’intéressent pas seulement le duo managers-actionnaires, mais peuvent s’envisager à propos du conseil d’administration lui-même et des administrateurs, pour- tant considérés comme les représentants des actionnaires. Cette problématique est généralement moins bien analysée dans la lit- térature sur la corporate governance , qui pêche insi par excès de simplification, postulant que l’intérêt des administrateurs «indé- pendants» se confond absolument avec celui des actionnaires, ce qui demande à être confirmé.

Au- delà de ce passage, on peut cependant avancer que chez Marx, la gouvernance de l’entreprise est un problème tout à fait négligeable. Dans le même chapitre, p. 359-361 s’il souligne «que ce ne sont pas les capitalistes indus- triels, mais les directeurs (managers) industriels qui sont « l’âme de notre industrie » », il ajoute que «la production capitaliste, elle, est arrivée au stade où e travail de haute direction, entièrement séparé de la propriété du capital, court les rues», que le cap taliste industriel peut fort bien «se décharger sur un directeur [de son travail de direction] contre une modeste rétribution» (p. 359), rétribution qui irait en baissant avec le temps, «comme tout autre salaire (… et pour n’importe quel travail qualifié », étant donné «la constitution d’une classe nombreuse de directeurs industriels et commerciaux» et «le développement général entraînant l’abaissement des frais de production d’une force de travail spécialement formée» (p. 361 ? la vue des salaires et avantages pécuniaires accordés à certains hauts dirigeants, on peut dire que cette prédiction s’est avérée erronée et que la problématique de la gouvernance est m BOF lg dire que cette prédiction s’est avérée erronée et que la problématique de la gouvernance est moins banale qu’il ne semblait. Néanmoins, doit-elle pour autant éclipser tout le reste, en particulier la question marxienne de rexploitation du travail par le capital, ainsi que l’économie néo- institutionnaliste tend à le faire?

Il INSTITUTIONNALISATION DE LA CORPORATE GOVERNANCE En marge des dispositifs expérimentés de açon indépendante par les entreprises, différents instituts, associations catégorielles ou syndicats patronaux ont arrêté et publié, dans tous les grands pays du monde, des «codes de bonne gouvernance» ou «codes des meilleures pratiques» à destination des sociétés par actions, afin d’harmoniser et optimiser les dispositifs de gouvernance. On considère que c’est l’ Angleterre , la première, qui a ouvert la voie, en 1 992 , avec le Code of best practice (dit rapport Cadbury , du nom de son président, héritier de la famille Cadbury, autrefois un des plus grands groupes agro- alimentaires mondiaux 4 ), suivi n janvier 1998 du rapport Hampel ( Committee on corporate governance: final report 5 ).

Deux documents intermédiaires avaient été publiés entre ces deux dates ( Report of the Committee on the Financial Aspects of Corporate Covernance: Compliance With the Code of Best Practice daté du 24 mai 1995; et le Directors’ Remuneration: Report of a Study Group chaired by Sir Richard Greenbury , dit Greenbury Committee report , en date du 17 juillet 1995 6 ). L’ensemble de ces documents seront réu- tilisés lors de la rédaction, en mai 2000, d’un document de synthèse récapitulant tout ce qu’il convient de savoir ur la corporate gouvernance : « The combined code. Principles of good ce qu’il convient de savoir sur la corporate gouvernance : « The combined code. Principles of good governance and code of best practice D, Committee on Corporate Governance 7 (remis périodiquement à jour) 8 .

Le rapport CadburyLe titre même du «rapport Cadbury» – matrice des rapports suivants – indique bien le centre d’intérêt principal de la gouvernance de l’entreprise aux yeux des normalisateurs. Ce sont les aspects comptables et la question de l’information financière qui focalisent d’abord l’attention. Le «point 1. 1. ? de l’introduction au rap- port Cadbury est à cet égard sans équivoque. Après avoir rappelé que l’économie du pays dépend de la conduite et de l’efficience de ses entreprises, que la façon dont leurs dirigeants accomplissent leur responsabilité détermine la compétitivité de la nation, qu’en la matière ceux-ci doivent disposer d’une «liberté totale», le rapport précise que cette liberté s’inscrit cependant dans un cadre comptable précis .

Et il conclut: «Ceci est l’essence même de tout stème de good corporate governance La prégnance des questions comptables et financières et, en iligrane, de la vision «actionnariale» de la gouvernance est confirmée par le «point 2. 1. » du même rapport qui précise les origines du Comité, créé en mai 1991 à l’initiative du Financial Reporting Council 9 du London Stock Exchange et de la profession comptable pour aborder les «aspects financiers de la corporate governance ». Les motivations présidant à la réflexion sur la corporate governance et les acteurs qui l’ont porté sont ainsi clarifiées. Les États-Unis semblent avoir imité l’Angleterre en pro- duisant, en 1997 , un document signé par l’association des CEO: Chief Executive Offi 0 9