Pourquoi tant d’organisations butent, depuis si longtemps, sur cette forme d’organisation du travail ? SERGE K. LEVAN sklevan@gmail. com epuis les années 1990 avec les débuts de la commercialisation à grande échelle des premières plateformes de Groupware (Lotus Notesl et WordPerfect Office2 étaient les premiers packages Groupware en France sur des ré PC) jusqu’à aujourd’h Collaboration sont co leurs qualités d’endu ux or 10 lutions de Social marchés difficiles, soit deux grosses décennies, le collaboratif n’a toujours pas pris racines dans le monde du travail (même baptisé 2. ). Et il ne verra pas le jour dans nos organisations. En tout cas, pas comme on l’imagine communément. Les outils logiciels n’ont cessé d’évoluer au rythme des avancées technologiques. Même si richesse fonctionnelle ne rime pas avec utilisabilité, les solutions techniques d’aujourd’hui permettent, sur un made plus ou moins spartiate, d’assister les activités qui caractérisent fondamentalement l’agir collaboratif : interactions de groupe, mutualisations conjointes de ressources (utiles) et Office prenant alors le nom de Novell GroupWise. ‘appropriation soclale de la nouveauté technique. Les causes d’échec de l’introduction de l’agir collaboratif dans nos rganisations sont ailleurs. La culture managériale dominante (le trop fameux fond commun d’évidences) plus ou moins partagée par les managers a bon dos. Elle n’est pas le plus gros frein au travail collaboratif qu’elle ne cesse de mettre en avant dans des discours parfaitement normés. Mais le cloisonnement et la compétition interdit aux acteurs d’en haut de jouer pleinement la carte de la collaboration. La résistance (au changement) des acteurs d’en bas ?
Vu que les soidisant collaborateurs sont d’abord, et avant tout, des salariés (soumis par leur contrat de travall à un principe de subordination ? l’employeur t à son bras armé, le management) il est difficile pour eux de s’engager corps et âmes dans un agir collaboratif dès lors qu’ils n’y retrouvent ni leur compte, ni la moindre amélioration de leur sort quotidien… de salariés-supposés-collaborer. Si les collaborateurs ne collaborent pas, ce n’est pas tant par manque de bonne volonté ou d’incompétence génétique que par simple lucidité : ils voient pas toujours clairement ? quoi pourrait leur sepu’ir de l’eau en poudre…
Tout simplemen PAG » 0 qu’il savait fabriquer. Il n’y a aucune raison de croire que les pratiques collaboratives d’Homo erectus étaient lus simples que celles d’Homo numericus ! Comme dans les groupes d’aujourd’hui, il fallait communiquer, mutualiser des ressources maîtriser la coordination autonome et contextuelle de l’action collective. Globalement, on peut considérer que la problématique du collaboratif est restée en l’état jusqu’au XXe siècle. Et, plus précisément jusqu’aux années 1980.
C’est l’utilisation massive des outils de communication numérique qui distingue fondamentalement le travail collaboratif d’aujourd’hui ? celui d’hier. Autrement dit, le collaboratif reste une controverse entre les tenants d’un déterminisme technologique et les tenants d’un mpératif organisationnel. Il s’agit en falt de deux croyances opposées qui sont, in fine, relativement réductrices. Comme souvent, le principe de réalité nécessite d’appréhender la question de la collaboration numérique sous l’angle d’une coévolution des techniques et des organisations.
Mais l’appropriation d’une technologie reste toujours une affaire humaine, donc sociale, donc… organisationnelle, certes, mais aussi politique. Les causes des échecs répétés du collaboratif sont évidemment multiples et contingentes. En voici quelques-unes, vécues sur de multiples terrains pendant ces deux ernières décennies. 10 les niveaux : managers et managés. 3. Un modèle rationnel de changement complètement inadapté aux exigences de finnovation organisationnelle (donc sociale).
Le travail collaboratif en ligne/à distance est clairement une invention, une vraie forme inédite de l’activité de production humaine. Mais il existe une différence de fond entre l’invention et l’innovation. La première (par exemple, la collaboration avec des outils de communication numérique) a pour but de traiter une question de manière abstraite, indépendamment de son contexte économique , social et culturel. La se- éduire au maximum les incertitudes propres au travail collaboratif et maintenir les règles et la stabilité organisationnelle. Sauf que… ‘innovation bute toujours sur l’ordre organisationnel avant de le transformer. C’est une règle immuable. Et réussir l’introduction et le développement du collaboratif, c’est concrètement être capable d’accompagner la rencontre entre la déviance momentanée des porteurs de l’innovation (porteurs de l’inversion des normes) et les règles établies par le management. La capacité à innover est là. Et peu d’organisation y arrivent. D’une certaine façon, les outils e collaboration numérique, d’hier ou d’aujourd’hui, restent de fabuleux outils d’apprentissage du changement.
Pour les acteurs d’en haut comme pour ceux d’en bas. 0 ne s’empare pas de l’invention en question. En réalité, le développement du collaboratif en ligne ne repose pas tant sur la qualité intrinsèque des outils que sur la capacité collective des travailleurs à leur donner sens en tant qu’instrument de travail, à travers leurs pratiques professionnelles quotidiennes. Les plans de Change Management utilisés par les directions générales dérivés de vieux modèles de cabinets conseils anglo-saxons sont trop rescriptifs.
Globalement, ils consistent à passer d’une situation A a une situation B (pour rappel : le Logos gestionnaire impose une approche méthodique et rationnelle des problèmes… ). Tout est planifié et contrôlé (y compris l’affectation de ressources permettant de moduler partiellement le changement) pour 4. La croyance que les pratiques collaboratives en ligne vont de soi pour tous les individus. La collaboration en ligne/à distance est un agir organisationnel collectif, donc un construit social.
Ce n’est pas un phénomene naturel et encore moins spontané. Parmi les freins individuels et collectifs, il en est un articulièrement puissant et récurrent : la double compétence requise pour véritablement collaborer, dans l’action ! Cette double compétence s’impose aussi bien au niveau d’un individu qu’à celui d’un groupe. Les réalités de la collaboration en li ne montrent que, au moins d PAGF 10 l’absence de formation et/ou TRAVAIL+COLLABORATIONREPORT 1 . Le déterminisme technologique est une vraie croyance dominante chez les acteurs d’en haut.
Ce qui est d’ailleurs conforme au Logos gestionnaire auquel ils obéissent et qui, depuis des décennies, défend une approche « scientifique » des problèmes organisationnels. On imagine que les « solutions collaboratives » suffisent à instaurer des groupes, des équipes, des communautés et autres réseaux sociaux. Entre promesses technologiques et incantations managériales, les salariés-collaborateurs sombrent bel et bien dans un marécage qu’on baptisera Collaboration 2. 0 ou Entreprise 2. 0 ou Organisation 2. 0 ou Management 2. 0 ou N’lmporte- quoi-2. O.
Quand les (bons) outils ont été choisis et installés et que le collaboratif ne prend pas, l’explication est toute prête : les salariés ont résisté au changement ! 2. Un angélisme récurrent et aradoxal sur les illusions colportées par la majorité des discours et autour du travail collaboratif moderne. Cette vision angélique peut s’appliquer à des activités gratuites dans les associations ou pour écrire une encyclopédie sur le N l’organisation en réseau est précisément de donner aux individus fillusion de l’horizontalité, au plus grand bénéfice (économique ou politique) de l’organisateur du réseau.
Le collaboratif est effectivement fondé sur un travail réticulaire mais il n’est qu’une illusion de l’horizontalité, alors que son champ d’application reste l’entreprise capitaliste au ses institutions ubliques d’accompagnement. L’absence de 2 (3) L’apparition du terme Knowledge Management remonte aux années 1980. Son objectif d’origine est très prosa-l@uement l’exploitation d’un capital immatériel : les connaissances d’une entité abstraite qu’on appelle « entreprise ». tion de ressources (utiles) recyclables dans le cours de l’action collective.
Soit dit en passant, c’est ce que faisait Homo erectus avant de partir en groupe pour la chasse. Les parois de la grotte servaient de support documentaire et les commentaires du plus ancien des chasseurs devaient ressembler à nos pratiques de storytelling. Mais fondamentalement, et contrairement aux croyances, le simple partage d’information n’a strictement rien à voir avec l’agir collaboratif (ni même avec la coo ération). Au sens où ce partage 7 0 conjointe de ressources utiles, est indissociable de la coopération et, a fortiori de la collaboration. Mais mutuallser n’est pas réductible ? partager… . une dernière explication.. Voilà cinq causes que j’ai très fréquemment (je dirais même, quasi systématiquement) rencontrées sur des terrains variés. Elles sont facilement identifiables à travers les échanges et les réflexions collectives t conjointes qui se déroulent en cours de projet et de consultation. Mais il en est une autre, plus subtile et pourtant beaucoup plus prégnante que les précédentes. une cause majeure qui, à mon sens, permet de décoder et d’interpréter la situation de la chose collaborative dans nos organisations de 201 32014.
Une situation difficile : les collaborateurs ne collaborent pas, les salariés ne s’approprient pas plus les réseaux sociaux d’entreprlse qu’ils ne s’étaient approprié les outils de Groupware. Et pour- tant, malgré ces débuts éprouvants, l’économie libérale continue à modeler la société selon sa logique. octrine néo-libérale est en passe de réussir un tour de force étonnant qui consiste à obtenir progressivement l’adhésion des salariés ? système qui, fondamentalement, n’améliore pas leur sort au quotidien.
La puissance du discours idéologique va permettre de concilier coercition (via un monitorin accru des processus et des repo l’organisation, tout l’enjeu de la mobilisation de la force de travail (les fameux collaborateurs) est là : faire jouer les salariés à son profit, canallser leur énergie symbolique (pas seulement leurs bras, mais surtout leur tête) vers la productivité, en prenant soin de la étourner de toute résistance.
Car les groupes et les équipes, communautés pertinentes de l’action collectives, renferment simultanément les profits de la coopération et/ou la collaboration productive, et les menaces du conflit. L’autonomie contrôlée et la coopération forcée sont loin d’être meilleures des solutions pour les travailleurs… d’en bas comme d’en haut. Ceci est une clé de lecture utile pour comprendre et faire. Quitte ? sortir consciemment des cadres, des jalons et des normes de la pensée unique dans laquelle baignent nos (4) BRUNEL V. , ces managers de l’âme : le développement personnel en entreprise, ouvelle pratique de pouvoir ? aris, La Découverte, 2008 est consultant-formateur indépendant – il a créé sa structure MAINCONSULTANTS en 1992 – et enseignant à l’université de technologie de Troyes où il enseigne les nouvelles pratiques collaboratives en ligne et à distance appliquées au mode projet. Son site comporte des conseils, des articles à lire en ligne ou à télécharger. http://mainconsultants. type ad. fr/sklevan/ Contact . immédiatement le nombre des personnes susceptibles de participer à un agir collaboratif en ligne/à distance. Avant de pouvoir courlr, il faut savoir marcher… Un bon sens très peu répandu dans les organisations. ompris dans celles dont les moyens leur permettent d’acquérir des solutions techniques très coûteuses. 5. Une survalorisation du partage d’information au détriment de la gestion de l’interaction. Depuis le Groupware des années 19801 990, le modèle de coopération et/ ou collaboration sous-jacent (et implicite) est basé sur le simple partage de l’information (fichiers, documents… ) et pas sur la gestion des communications (discussions, conversations… ). Le déferlement des outils sociaux montre bien la primauté des interactions dans les ratiques ordinaires quand il faut coopérer a minima.
L’évolutlon des pratiques de KM3 est tout à fait représentatif à cet égard : dans années 1990-2000 la plupart des pratiques dites de KM se réduisaient à des pratiques de gestion documentaire (GED) correspondant globalement (et dans le meilleur des cas) ? des connaissances explicites. Soit, au mieux, 20% des connaissances utiles dans l’action. À partlr des années 2010 les aficionados du KM ont pris conscience qu’il fallait rendre possible des interactions, épisodiques et informelles, entre professionnels. Car seules les conversatio 11) cès aux connaissances