La jeune fille a la perle Chevalier Tracy

Tracy Chevalier La jeune fille à la perle Traduit de l’américain par Marie-Odile Fortier-Masek Quai Voltaire Tracy Chevalier est américaine et vit à Londres depuis 1984 avec son mari et son fils. Son roman La jeune fille ? la perle a rencontré un succès international. Titre original ‘ GIRL WITH A PEARI. @ Tracy Chevalier, 19 2000. pour mon père 1 664 or 202 Sni* to View ble Ronde, Ma mère ne m’avait pas dit qu’ils allaient venir : elle ne voulait pas que j’aie l’air inquiet, m’expliqua-t-elle plus tard. Cela m’étonna, moi qui croyais qu’elle me connaissait bien.

Au regard des personnes étrangères, je paraissais alme. Enfant, je ne pleurais pas. Seule ma mère remarquait la façon dont je contractais la mâchoire et j’écarquillais des yeux déjà grands. J’étais à la cuisine en train de hacher des légumes quand j’entendis des voix provenant de l’entrée, la voix d’une femme, aussi étincelante que cuivre bien astiqué, et celle d’un homme, aussi dense et sombre que le bois de la table sur laquelle je travaillais. C’était là des voix comme nous la table, m’essuyai les mains a mon tablier et pinçai mes lèvres pour les lisser.

Ma mère apparut à rentrée, elle me décocha du regard une double mise en garde. La femme derrière elle dut rentrer la tête à cause de sa taille, elle était plus grande que Phomme qui la suivait. Dans ma famille, tout le monde était petit, y compris mon père et mon frère. Bien que la journée fût calme, on eût dit que la femme avait été prise dans une bourrasque. De sa coiffe de guingois s’échappaient de minuscules boucles blondes qui s’agitaient sur son front telles des abeilles ; elle les chassa plusieurs fois avec Impatience.

Son col aurait eu besoin d’être redressé, il n’était pas aussi raide qu’il aurait pu l’être. Elle repoussa sa cape grise sur ses épaules et je vis ue sous sa robe bleu foncé un bébé s’annonçait. Il arriverait d’ici la fin de l’année. Le visage de la femme rappelait un plat d’argent ovale, tantôt étincelant, tantôt terne. Ses yeux étaient deux boutons brun clair, teinte que j’avais rarement vue associée à des cheveux blonds. Elle faisait mine de m’examiner sans parvenir à concentrer son attention, son regard voletant par toute la pièce. « C’est donc la fille, dit-elle d’un ton abrupt.

Cest Griet, ma fille », répondit ma mère. Je saluai respectueusement l’homme et la femme. « Disons qu’elle n’est pas bien grande, est-elle assez forte ? ? Au moment où la femme se tournait vers l’homme, un pan de sa cape entraîna le couteau dont je venais de me servir, il alla tournoyer sur le sol. La femme poussa un cri. « Cathar couteau dont je venais de « Catharina dit l’homme avec calme. Il prononça son nom comme s’il avait un morceau d’écorce de cannelle dans la bouche. La femme s’arrêta, faisant effort pour se dominer. Je m’approchai, ramassai le couteau, frottai la lame avant de le poser sur la table.

Dans sa chute, le couteau avait déplacé les légumes, je remis en place un morceau de carotte. L’homme m’observait de ses yeux gris comme la mer. Son isage allongé, anguleux, reflétait la sérénité alors que celui de son épouse était aussi changeant que chandelle au vent. Il ne portait ni barbe ni moustache, d’où cette apparence nette que j’appréciai. Une houppelande noire couvrait ses épaules, sa chemise était blanche et son col de fine dentelle. Son chapeau était enfoncé sur sa chevelure couleur de brique défraîchie par les intempéries. « Que faisiez-vous là, Griet ? ? demanda-t-il. Sa question me surprit, mais je n’en lalssai rien paraître. « Je coupais des égumes pour la soupe, Monsieur. » j’avais l’habitude de disposer les légumes en cercle, par atégorie, comme les parts d’une tarte. Il y avait cinq parts : choux rouge, oignons, poireaux, carottes et navets. Je m’étais servie d’une lame de couteau pour délimiter chaque part et j’avais placé une rondelle de carotte au centre. L’homme tapota sur la table. « Est-ce dans cet ordre qu’ils iront dans la soupe ? me demanda-t-il en étudlant le cercle. — Non, Monsieur. ? J’hésitais, je n’aurais pu expliquer pour quelle raison en étudiant le cercle. pour quelle raison je les avais arrangés de la sorte. Je m’étais dit que ça devrait être comme ça, un point c’est tout, mais j’avais trop peur d’avouer ça à un monsieur. ? Je vois que vous avez mis de côté les légumes blancs, reprit-il en montrant les navets et les oignons. Tiens, ceux de couleur orange ne voisinent pas avec ceux de couleur pourpre, pourquoi ça ? » II ramassa une tranche de chou et un bout de carotte, les secoua dans sa main comme des dés. Je regardai ma mère, elle hocha discrètement la tête. ? Les couleurs jurent parfois quand elles sont côte à côte, Monsieur. » Il fronça les sourcils, de toute évidence il ne s’attendait pas à cette réponse. « Dites-moi, vous passez beaucoup de temps à disposer les légumes avant de faire la soupe ? Oh non ! Monsieur répondis je confuse, je ne voulais pas qu’il crût que je gaspillais mon temps. Du coin de l’oeil, j’entrevis un mouvement. Ma soeur Agnès nous épiait, tape derrière le montant de la porte. En entendant ma réponse, elle avait secoué la tête. Il était rare que je mente. je baissai les yeux.

L’homme tourna légèrement la tête, Agnès disparut. Il laissa retomber les morceaux de carotte et de chou parmi leurs semblables. Le chou se retrouva en partie avec les oignons. J’aurais voulu tendre la main pour le remettre à sa place. Je me retins, ce qu’il devina. II me mettait ? l’épreuve. ? Assez bavardé comme ça déclara la femme. Si agacée fût-elle par l’attention qu’il me porta agacée fût-elle par l’attention qu’il me portait, c’est moi qu’elle fustigea du regard. « Nous disons donc ? demain ? » Elle se tourna vers l’homme avant de sortir majestueusement de la pièce, suivie par ma mère.

L’homme jeta un dernier coup d’oeil à ce qui devait être la soupe, puis il me salua de la tête et suivit les femmes. Lorsque ma mère revint, j’étais assise à côté du cercle que formaient les légumes. J’attendis qu’elle parle. Bien que nous fûmes en été et qu’il fit chaud à la cuisine, elle était ecroquevillée sur elle-même comme pour se garantir des frimas. « Tu entreras demain à leur service. S’ils sont contents de toi, tu gagneras huit florins par jour. u logeras chez eux. » Je gardai le silence. « Voyons, Griet, ne me regarde pas comme ça, poursuivit ma mère.

Il le faut, maintenant que ton père a perdu son travail. Où habitent-ils ? À l’angle de l’Oude Langendijck et de Molenpoort. Tu veux dire le Coin des papistes ? Ils sont catholiques ? Tu pourras rentrer à la maison le dimanche, ilsy consentent. » Ma mère plaça ses mains autour des navets, les fit glisser, ramassant au passage une partie du chou et des oignons, uis elle laissa tomber le tout dans une marmite d’eau qui attendait sur le feu. Fini, les belles parts de tarte que j’avais arrangées avec tant de soin ! Je grimpai l’escalier pour aller trouver mon père.

Il était assis sous les combles, près de la fenêtre, la lumière effleurait son visage. Faut tait sa f près de la fenêtre, la lumière effleurait son visage. Faute de mieux, c’était sa façon de voir, maintenant. Mon père était artiste céramiste. Ses doigts étaient bleus ? force de peindre cupidons, damoiselles, soldats, bateaux, enfants, poissons, fleurs ou animaux sur des carreaux lancs avant de les vernir, de les passer au four et de les vendre. un jour, le four avait explosé, le privant et de ses yeux et de son commerce. Il avait eu de la chance. Deux de ses compagnons étaient morts.

Je m’assis près de lui et lui pris la main. « J’ai entendu, dit-il, sans me donner le temps d’ouvrir la bouche. J’ai tout entendu. » Ses oreilles compensaient des yeux qui n’étaient plus. Je ne trouvais rien à dire qui ne parût pas un reproche. « Je te demande pardon, Griet, j’aurais voulu mieux faire pour toi. » On pouvait lire certaine tristesse à l’endroit où se trouvaient jadis ces paupières que le docteur avait ? amais cousues. « Mais c’est un homme honnête et bon. II te traitera bien. » Il n’ajouta rien au sujet de la femme. « Comment pouvezvous en être aussi sûr, père ?

Vous le connaissez ? — Ne sais-tu pas qui il est ? Non Ne te rappelles-tu pas le tableau que nous avons vu il y a quelques années, à l’hôtel de ville, où Van Ruijven l’avait exposé après l’avoir acheté ? Cétait une vue de Delft depuis les portes de Rotterdam et de Schiedam. Le ciel y tenait une très grande place et le soleil éclairait certains édifices. Et du sable avalt été ajouté à la peinture pour donner un spect rugueux à la brique et aux toits, ajouta avait été ajouté à la peinture pour donner un aspect rugueux à la brique et aux toits, ajoutai-je.

De grandes ombres s’étiraient sur le canal et de minuscules personnages s’activaient sur le rivage près de chez nous. C’est ça. » Les orbites de mon père s’élargirent comme s’il avait encore ses yeux et contemplait à nouveau le tableau. Je m’en souvenais avec précision. Je me revoyais pensant au nombre de fois où je m’étais arrêtée à cet endroit précis sans jamais voir Delft avec les yeux de ce peintre. « Vous voulez dire que cet homme, c’était Van Ruijven ? Le mécène ? » Le père partit d’un petit rire. « Non, non, mon enfant, ce n’était pas lui. Cétait le peintre. Vermeer. C’était Johannes Vermeer et son épouse.

Tu es censée faire le ménage de son atelier. » Aux quelques affaires que je devais emporter, ma mère ajouta une coiffe, un col et un tablier de rechange afin que je puisse chaque jour laver l’un, porter l’autre, et paraître ainsi toujours impeccable. Elle me donna aussi un peigne en écaille en forme de coquille ayant appartenu à ma grand-mère, parure trop raffinée toutefois pour une servante. Elle ajouta à cela un livre de prières afin que je uisse m’évader du catholicisme ambiant si j’en éprouvais le besoin. Tandis que nous preparions mes affaires, ma mere m’expliqua pourquoi je devais aller travailler chez les Vermeer. ? Tu sais que ton nouveau maître est à la tête de la Guilde de Saint-Luc et qu’il l’était l’an dernier, lors de l’accident de ton père ? » Je hochai la tête, encore tout étonnée d’avoi l’an dernier, lors de Je hochai la tête, encore tout étonnée d’avoir pour patron un tel artiste. « La Guilde veille sur les siens du mieux qu’elle peut. Tu te rappelles la boîte dans laquelle ton père mettait de l’argent chaque semaine depuis des années ? Eh bien, cet argent est destiné à des artisans dans le besoin, comme c’est ? présent notre cas.

Hélas, vois-tu, cette aide ne va pas bien loin, d’autant que Frans est en apprentissage et qu’il ne ramène rien. Nous n’avons pas le choix. Nous n’accepterons pas de vivre de la chanté d’autrui tant que nous pourrons nous débrouiller d’une autre façon. Ton père ayant entendu dire que ton nouveau maître cherchait une servante pour faire le ménage de son atelier sans rien déplacer, il a soumis ton nom en pensant qu’en sa qualité de directeur de la Guilde, et compte tenu des circonstances, Vermeer nous viendrait sans doute en ide. » Je passais et repassais dans ma tête ce que ma mère venait de dire. ? Comment peut-on faire le ménage d’une pièce sans rien déplacer ? — Bien sûr qu’il te faudra bouger certains meubles ou objets mais tu devras veiller à les remettre à leur endroit précis afin de donner l’impression que rien n’a été déplacé. Comme tu le fais pour ton père maintenant qu’il n’y voit plus. » Après l’accident de mon père, nous avions appris à placer les objets là où il était sûr de les trouver. Faire cela pour un aveugle et faire cela pour un homme aux yeux de peintre étaient choses bien différentes. omme aux yeux de peintre Agnès ne mentionna pas la visite.

Ce soir-là, quand je me glissai dans le lit à côté d’elle, elle demeura silencieuse. Elle contemplait le plafond. Une fois la chandelle éteinte, la pièce était si sombre que je ne pouvais rien voir. Je me tournai vers elle. « Tu sais, je n’ai aucune envie de m’en aller, mais il le faut. » Silence. « Vols-tu, nous avons besoin de cet argent. Nous n’avons rien maintenant que père ne peut plus travailler. Huit florins par jour, ce n’est pas grand-chose. » Agnès avait la voix rauque, sa gorge semblait voilée de toiles d’araignée. ? Cela permettra à la famille d’avoir du pain.

Et un peu de fromage. C’est déjà quelque chose. — Et moi, je me retrouverai toute seule. Tu m’abandonnes. D’abord Frans, et puis toi. » De nous tous, Agnès avait été la plus bouleversée par le départ de Frans l’année précédente. Ils avaient eu beau être comme chien et chat, Frans parti, elle avait boudé dans son coin pendant des jours. Agée de dix ans, elle était la plus jeune de nous trois, aussi ne savait-elle pas ce que c’était la vie sans Frans et moi. « Nos parents seront toujours là. Et je reviendrai le dimanche. Rappelle-toi aussi que le départ de Frans ‘avait rien d’une surprlse. ? Nous savions depuls des années qu’à ‘âge de treize ans notre frère commencerait son apprentissage. Notre père Sétait donné beaucoup de mal pour mettre de côté de quoi le payer et il répétait sans cesse que Frans apprendrait là-bas une autre facette du métier et qu’à so le payer et il répétait sans métier et qu’à son retour père et fils ouvriraient une faïencerie. Désormais, notre père passait ses journées assis près de la fenêtre et jamais plus il ne parlait d’avenir. Après l’accident, Frans était resté deux jours à la maison. Depuis, il n’était pas revenu.

Je l’avais revu pour la dernière fois le jour où je m’étais rendue à la fabrique, ? l’autre bout de la ville. Il m’avait paru épuisé, ses bras étaient couverts de brûlures à force de retirer des carreaux de faïence du four. Il m’avait raconté qu’il travalllait des petites heures du matin jusqu’à des heures souvent si tardives qu’il était trop las pour dîner. « Notre père ne m’avait jamais dit que ce serait aussi dur, avait-il marmonne non sans quelque ressentiment. Père se plaisait à dire que son apprentissage lui avait formé le caractère. — Sans doute était-ce vrai, répliquai-je.

Cela a fait de lui e qu’il est maintenant. » Le lendemain matin, au moment où j’allais partir, mon père vint à la porte d’entrée d’un pas traînant, avançant à tâtons le long du mur. J’embrassai ma mère et Agnès. « Dimanche sera vite là dit ma mère. Mon père me tendit un petit paquet enveloppé dans un mouchoir. « Ça te rappellera la maison et nous tous », ditil. De tous les carreaux de faïence qu’il avait peints, c’était mon préféré. La plupart de ceux que nous avions à la maison avaient un défaut, certains étaient ébréchés ou taillés de travers, sur d’autres le motif s’était estompé, le PAGF OF